A-178-74
Empire Stevedoring Company Ltd. (Requérante)
c.
Le syndicat international des débardeurs et
magasiniers, contremaîtres de navire et de quai,
section locale 514 (Intimé)
Cour d'appel, les Juges Thurlow et Pratte, et le
juge suppléant Sheppard; Vancouver, les 18 et
19 décembre 1974.
Examen judiciaire—Accréditation de syndicat par le Con-
seil canadien des relations du travail—L'unité de négociation
est-elle composée de personnes «remplissant des fonctions de
direction» ?— Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1,
art. 107 et 118, abr. et remp. par S.C. 1972, c. 18, art. 1—
Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Le Conseil canadien des relations du travail avait accré-
dité le syndicat intimé à titre d'agent négociateur d'une unité
d'employés de la compagnie appelante «classés comme con-
tremaîtres, y compris les contremaîtres de quai». Dans une
demande, en vertu de l'article 28, aux fins d'examen de la
décision, la compagnie a soutenu que l'unité de négociation
proposée, comprenant 114 employés, était composée de
personnes qui remplissaient des fonctions de direction et
qui, en conséquence, n'étaient pas des «employés» au sens
de l'article 107(1) du Code canadien du travail.
Arrêt: la demande est rejetée; les principes de justice
naturelle ayant été respectés, les mesures prises par le
Conseil ne pouvaient être annulées sur une demande en
vertu de l'article 28, sauf s'il apparaissait que la décision en
question n'aurait pas été rendue par un conseil convenable-
ment instruit de l'état du droit. Le Conseil n'a pas commis
d'erreur en décidant que la surveillance d'employés n'était
qu'un élément parmi d'autres à prendre en considération
pour déterminer si, dans une organisation donnée, une per-
sonne «participe à la direction». Il convient de prendre les
mots de cette expression dans leur acception courante et le
sens de l'expression dans son ensemble découle du contexte
de la Loi où elle se trouve.
Arrêts suivis: Labour Relations Board (B.C.) et A.-G.
of B.C. c. Canada Safeway Ltd. [1953] 2 R.C.S. 46 et
Transair Ltd. c. Canadian Association of Independent
Mechanical and Allied Workers, local n° 3 [1974] 2 C.F.
832.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
W. K. Hanlin et D. C. Prowse pour la
requérante.
R. E. Cocking pour l'intimé.
R. Gallagher, A. McGregor et J. Dudeck
pour le Conseil canadien des relations du
travail.
PROCUREURS:
Owen, Bird, Vancouver, pour la requérante.
McTaggart, Ellis & Cie, Vancouver, pour
l'intimé.
Gallagher, Chapman, Greenberg, McGregor
& Sheps, Winnipeg, pour le Conseil cana-
dien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés oralement par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'une demande, en
vertu de l'article 28, aux fins d'examen et d'an-
nulation d'une ordonnance du Conseil canadien
des relations du travail, en date du 28 juin 1974,
ayant accrédité l'intimé «à titre d'agent négocia-
teur d'une unité d'employés de l'Empire Steve-
doring Company Ltd., classés comme contre-
maîtres, y compris les contremaîtres de quai».
Devant le Conseil, la requérante s'est opposée
à la demande d'accréditation faite par l'intimé
principalement parce que l'unité de négociation
proposée, comprenant 114 employés, est com
posée de personnes qui remplissaient des fonc-
tions de direction et qui, en conséquence,
n'étaient pas des employés au sens de l'article
170(1) du Code canadien du travail. Après une
longue audition au cours de laquelle les parties
ont produit des preuves et présenté des observa
tions sur le travail et les fonctions des contre-
maîtres qui constituaient l'unité de négociation
proposée, le Conseil rejeta les prétentions de la
requérante et accorda l'accréditation. A l'appui
de son ordonnance, le Conseil a rendu des
motifs dans lesquels il a soigneusement analysé
et discuté les preuves et les plaidoiries. La
requérante soutient que le Conseil aurait dû
parvenir à la conclusion que l'unité de négocia-
tion proposée était composée de personnes par
ticipant à la direction.
En vertu de l'article 118 du Code,
118. Le Conseil a, relativement à toute procédure engagée
devant lui, pouvoir
p) de trancher à toutes fins afférentes à la présente Partie
toute question qui peut se poser, à l'occasion de la procé-
dure, notamment, et sans restreindre la portée générale de
ce qui précède, la question de savoir
(ii) si une personne participe à la direction ou exerce
des fonctions confidentielles ayant trait aux relations
industrielles,
Certaines remarques du juge Rand, dans l'ar-
rêt Labour Relations Board (B.C.) c. Canada
Safeway Ltd. [1953] 2 R.C.S. 46 à la page 54,
relatives au pouvoir du Conseil des relations
ouvrières de la Colombie-Britannique de décider
si une personne exerce des fonctions confiden-
tielles, peuvent s'appliquer au pouvoir du Con-
seil canadien des relations du travail de détermi-
ner si une personne participe à la direction. Une
telle décision, dans la plupart des cas, est «une
question de jugement fonction des circon-
stances». La tâche d'apprécier ces circon-
stances [TRADUCTION] «a été confiée par le
législateur au Conseil; dans la mesure où son
jugement est conforme à une appréciation
rationnelle de la situation en cause, la Cour n'a
pas le pouvoir de le modifier ou de l'annuler».
Ces remarques sont antérieures à l'adoption de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale qui a
quelque peu élargi les motifs donnant ouverture
à un examen judiciaire par rapport à ceux per-
mettant d'utiliser la procédure de certiorari;
mais quand, comme en l'espèce, on a respecté
les principes de justice naturelle, cette cour,
saisie d'une demande en vertu de l'article 28, ne
peut annuler la décision du Conseil déclarant
que certaines personnes exercent ou n'exercent
pas des fonctions de direction, sauf s'il apparaît
que la décision en question n'aurait pas été
rendue par un «conseil convenablement instruit
de l'état de droit» (voir Transair Ltd. c. Canadi-
an Association of Independent Mechanical &
Allied Workers, Local n° 3, le juge en chef
Jackett, p. 832 infra). C'est à la lumière de ces
principes qu'il convient d'examiner les diverses
prétentions de la requérante.
Le premier moyen que la requérante invoque
à l'encontre de l'ordonnance du Conseil est que
ce dernier a commis une erreur de droit en
décidant que les modifications, apportées au
Code canadien du travail par les Statuts du
Canada, 1972, c. 18, qui ont abrogé la Partie V
du Code et l'ont remplacée par l'actuelle Partie
V, ont modifié la loi de sorte qu'on ne doit plus
considérer la surveillance et le contrôle d'em-
ployés comme un critère déterminant des fonc-
tions de direction. Le Conseil a effectivement
exprimé cette opinion, mais, à mon avis, il res-
sort de ses motifs prolixes que la règle qu'il
voulait exprimer et appliquer est que la surveil
lance et le contrôle d'employés ne constituent
pas en eux-mêmes l'exercice des fonctions de
direction, d'après la définition du mot
«employé», mais seulement un élément parmi
d'autres à prendre en considération pour déter-
miner si, dans une organisation ou un groupe
donnés, une personne participe à la direction.
L'expression «qui participe à la direction» n'est
pas une expression technique et ne traduit pas
un concept juridique. Tout au plus, elle semble
exprimer un concept social ou économique. Elle
n'a pas de sens précis en elle-même, et bien que
les mots doivent être pris dans leur acception
courante, le sens de l'expression, dans son
ensemble, découle du contexte de la Loi où elle
se trouve. Une des particularités de cette loi est
que son article 125(4) autorise le Conseil à
inclure dans une unité de négociation des mem-
bres du personnel dont les fonctions comportent
la surveillance d'autres employés.
L'avocat de la requérante a souligné le fait
que ces membres du personnel doivent eux-
mêmes être des employés du sens de la défini-
tion, c'est-à-dire des personnes autres que celles
qui participent à la direction; mais, même ceci
admis, il nous semble que, si une personne dont
les tâches comportent la surveillance d'autres
employés peut, en vertu de la Loi, être un
employé au sens de la définition de ce mot, cela
entraîne clairement la conclusion que la surveil
lance d'employés ne constitue pas en soi une
participation à la direction au sens de la
définition.
Il s'ensuit que la tâche de surveiller d'autres
employés n'est qu'un des éléments à prendre en
considération dans un cas donné où il s'agit de
déterminer si l'intéressé participe à la direction.
L'importance accordée à cet élément, ainsi que
la conclusion qu'on en tire, et les autres élé-
ments sont des questions laissées à l'apprécia-
tion du Conseil. A notre avis, la prétention de la
requérante n'est donc pas recevable.
La requérante soutenait en second lieu que le
Conseil s'est trompé en n'appliquant pas ce que
l'avocat a appelé «tous les critères des fonctions
de direction», et en particulier les pouvoirs de
commander et de contrôler qui constituent,
d'après lui, le rôle principal et classique de la
direction.
Il ressort des motifs du Conseil que ce dernier
a pris en considération le genre de critères qu'il
considérait pertinents ainsi que convaincants en
ce qui concerne tant les faits de l'espèce que les
différents aspects des fonctions et tâches des
contremaîtres en question. Il appartenait au
Conseil de décider des éléments convaincants,
dans un sens ou dans l'autre, ainsi que de l'im-
portance respective à leur accorder en arrêtant
sa décision; et à moins que cette décision ne soit
fondée sur une mauvaise interprétation de la
Loi ou autre erreur de droit, la Cour n'a aucune
raison de s'y immiscer. A notre avis, il n'a pas
été prouvé que la décision du Conseil est fondée
sur une mauvaise interprétation quelconque de
la Loi ou autre erreur de droit.
La requérante soutenait en troisième lieu que
le Conseil avait commis une erreur de droit ou
fondé sa décision sur une conclusion de fait
erroné, tirée de façon absurde ou arbitraire ou
sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance. Elle prétend que l'erreur de droit
résultait de ce que le Conseil avait sous-estimé
le prétendu pouvoir des contremaîtres de
recommander effectivement des mesures disci-
plinaires à l'encontre des débardeurs en tant que
critère pour déterminer si les contremaîtres par-
ticipaient à la direction. Selon la requérante, la
conclusion de fait du Conseil selon laquelle les
contremaîtres en question n'avaient qu'un pou-
voir relativement insignifiant en matière de dis
cipline, est erronée. Il ne s'agit pas d'une con
clusion de fait, mais de l'expression d'une
opinion sur des faits incontestés qu'à notre avis,
on ne peut qualifier d'erronée.
Nous estimons qu'aucune de ces prétentions
n'a de fondement valable.
La demande est en conséquence rejetée.
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