T-4603-73
Norman L. Wright (Demandeur)
c.
Sa Majesté la Reine, représentée par le sous-
ministre des Affaires indiennes et du Nord cana-
dien (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald—
Vancouver, du 18 au 21 mars; Ottawa, le 4 avril
1975.
Fonction publique—La Cour d'appel déclare que le deman-
deur n'a jamais été congédié—La défenderesse refuse de le
réintégrer dans son poste—Le demandeur sollicite un jugement
déclarant que la défenderesse n'avait pas le pouvoir de mettre
fin à son emploi et qu'il conserve son statut d'employé—
Demande d'indemnité pour salaires ou autres avantages—Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32,
art. 28(3), 31 et 39 Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 23, 90 et 91—
Règlement sur l'emploi d'administrateurs et de préposés au
soin des enfants des foyers scolaires pour Indiens, C.P. 1969-
613, art. 3, 4 et 5—Règlement sur les conditions d'emploi dans
la Fonction publique, DORS/67-118, art. 63(1), 106d)—Loi
sur la Cour fédérale, art. 28—Loi sur l'administration finan-
cière, S.R.C. 1970, c. F-10, art. 27—Loi d'interprétation,
S.R.C. 1970, c. I-23, art. 22 et 23—Règlement sur l'emploi
dans la Fonction publique, art. 118.
Le demandeur, préposé au soin des enfants au foyer scolaire
indien d'Alberni, a été employé par la Fonction publique
lorsque le foyer fut intégré au ministère des Affaires indiennes.
Après plus de douze mois dans la Fonction publique, il fut
renvoyé pour un motif déterminé en vertu de l'article 28(3) de
la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique; en juillet 1970, il
déposa un grief qui, après examen, fut rejeté. Sur appel, la
Commission des relations de travail dans la Fonction publique
confirma la décision de l'arbitre en chef. En 1973, la Cour
d'appel fédérale annula la décision. Le demandeur, après avoir
essayé de se faire rétablir dans ses fonctions, sollicite mainte-
nant: (1) un jugement déclarant que son employeur n'avait pas
le pouvoir de mettre fin à son emploi sous l'empire de l'article
28(3); (2) un jugement déclarant que son renvoi est nul et de
nul effet et qu'il conserve son statut d'employé; et (3) une
indemnité pour la période durant laquelle il a été illégalement
renvoyé. La défenderesse nie avoir employé le demandeur et
soutient que si elle l'avait engagé, c'était à titre amovible et
qu'il pouvait être congédié pour un motif déterminé; que le
demandeur a accepté son congédiement et n'est pas retourné au
travail depuis le 31 juillet 1970 et que même si le demandeur
est encore en fonction, il n'a droit à aucune rémunération
depuis qu'il a cessé de travailler.
Arrêt: la Cour accorde au demandeur $20,000 à titre de
dommages-intérêts, déclare que (1) la défenderesse n'avait pas
le pouvoir de renvoyer le demandeur en invoquant l'article
28(3), (2) le renvoi est nul et de nul effet. Il n'est pas nécessaire
d'examiner si le demandeur a été régulièrement renvoyé pour
un motif déterminé ou s'il était employé à titre amovible et que
l'on pouvait mettre fin à son emploi sans motif ou préavis,
puisqu'il n'a jamais perdu son emploi. En dehors du fait que le
demandeur a atteint l'âge obligatoire de la retraite en 1973,
aucun fait nouveau n'est survenu qui soit de nature à modifier
la décision de la Cour d'appel qui avait déclaré que le deman-
deur n'avait «jamais perdu son emploi». La thèse de la défende-
resse, selon laquelle le demandeur a accepté son renvoi et ne
s'est pas présenté au travail, n'est pas fondée sur les faits. En ce
qui concerne le moyen soulevé par la défenderesse selon lequel,
si le demandeur était en fonction, il n'a droit à aucun paiement
puisqu'il a cessé de travailler, le demandeur ne réclame pas la
rétribution d'un travail qu'il n'a pas effectué, mais sollicite des
dommages-intérêts à titre d'indemnité en raison de la conduite
illégale de la défenderesse. Cette dernière a empêché le deman-
deur de reprendre son poste, lui causant ainsi un préjudice
grave. Le demandeur avait le droit de rester en fonction
jusqu'au 29 décembre 1973, date de sa retraite obligatoire. La
perte de salaire est un élément important des dommages subis.
La règle générale à suivre est de mettre le demandeur «dans
l'état où il se serait trouvé si le contrat avait été exécuté».
Distinction établie avec les arrêts: Zamulinski c. La Reine
[1956-60] R.C.E. 175 et Hopson c. La Reine [1966]
R.C.E. 608. Arrêts suivis: La Reine c. Jennings [1966]
R.C.S. 532, Wertheim c. Chicoutimi Pulp Co. [1911] A.C.
301, Cotter c. General Petroleums Limited [1951] R.C.S.
154, Sunshine Exploration Ltd. c. Dolly Varden Mines
Ltd. [1970] R.C.S. 2.
ACTION.
AVOCATS:
M. W. Wright, c.r., et J. L. Shields pour le
demandeur.
I. G. Whitehall pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady et Morin, Ottawa, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Au mois de septembre 1967,
le demandeur fut engagé par l'Église Unie du
Canada à titre de «préposé au soin des enfants» au
foyer scolaire indien d'Alberni où il était encore en
fonction lorsque le l er avril 1969, ledit foyer fut
intégré au ministère des Affaires indiennes et du
Nord canadien.
Conformément à l'article 39 de la Loi sur l'em-
ploi dans la Fonction publique', le poste de
S.R.C. 1970, c. P-32.
demandeur avait été «exclu» de l'application des
dispositions de ladite loi et se trouvait assujetti au
Règlement 2 dont voici certains extraits:
3. Lorsque le ministère des Affaires indiennes et du Nord
canadien requiert les services d'un administrateur de foyer
scolaire ou d'un préposé au soin des enfants, le sous-chef de ce
ministère
a) doit recruter et sélectionner une personne pour fournir ces
services, en tenant compte des exigences linguistiques du
poste précisées à l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique; et
b) peut titulariser dès sa sélection la personne qui doit
fournir ces services.
4. Une personne nommée au poste d'administrateur de foyer
scolaire ou de préposé au soin des enfants est assujettie aux
articles 21, 26, 27, 31 et 32 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique et à toute disposition du Règlement sur
l'emploi dans la Fonction publique qui s'y rapporte.
5. (1) Une personne nommée au poste d'administrateur de
foyer scolaire ou de préposé au soin des enfants est en stage
pendant douze mois à compter de la date de sa nomination.
(2) Le sous-chef peut, à tout moment au cours du stage,
prévenir une personne qu'il se propose de la renvoyer pour un
motif déterminé le jour précisé dans le préavis, c'est-à-dire au
moins trente jours après la remise du préavis, et cette personne
cesse d'être un employé ce jour-là.
Après plus de douze mois dans la Fonction
publique, soit le 25 juin 1970, le Ministère écrivit
au demandeur pour lui donner avis de son inten
tion «de le renvoyer» «pour un motif déterminé» en
conformité de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique 3 et l'avertir que son
emploi au sein du Ministère devait se terminer le
31 juillet 1970, ladite lettre ayant été remise au
demandeur en personne le 30 juin 1970.
Au mois de juillet 1970, le demandeur déposa
un grief qui, en conformité des dispositions de la
Loi sur les relations de travail dans la Fonction
2 Règlement sur l'emploi d'administrateurs et de préposés
au soin des enfants des foyers scolaires pour Indiens, C.P.
1969-613, le 25 mars 1969. [SOR/69-137] (Ci-après appelé
Règlement sur les foyers scolaires pour Indiens).
S.R.C. 1970, c. P-32.
28. (3) A tout moment au cours du stage, le sous-chef
peut prévenir l'employé qu'il se propose de le renvoyer, et
donner à la Commission un avis de ce renvoi projeté, pour un
motif déterminé, au terme du délai de préavis que la Com
mission peut fixer pour tout employé ou classe d'employés. A
moins que la Commission ne nomme l'employé à un autre
poste dans la Fonction publique avant le terme du délai de
préavis qui s'applique dans le cas de cet employé, celui-ci
cesse d'être un employé au terme de cette période.
publique, fut renvoyé à l'arbitrage en vertu de
l'article 91(1)b) 4 . L'«exposé du grief» du deman-
deur se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le 30 juin 1970, j'ai reçu une lettre datée du
25 juin 1970 m'avisant que j'étais renvoyé en vertu des disposi
tions de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique et qu'à dater du 31 juillet 1970, je cessais d'être
employé par le Ministère.
Aux termes de l'annexe «A» du Règlement relatif à la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique, ma période de
stage se terminait le ler octobre 1969 et il ne peut être mis fin à
mon emploi en vertu de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique.
Tout en décidant que le prétendu «renvoi» était
nul et non avenu en vertu de l'article 28(3) parce
qu'il était survenu après l'expiration du stage de
douze mois prévu audit article et à l'article 5 du
Règlement sur les foyers scolaires pour Indiens,
l'arbitre en chef déclara, après avoir analysé le
bien-fondé des arguments, que le demandeur avait
été «renvoyé» et que ledit «renvoi» était «justifié et
nécessaire à la bonne marche de l'institution où il
était employé».
Voici les questions que le demandeur soumit
alors à la Commission des relations de travail dans
la Fonction publique en vertu de l'article 23 de la
Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique':
4 S.R.C. 1970, c. P-35.
91. (1) Lorsqu'un employé a présenté un grief jusqu'au
dernier palier de la procédure applicable aux griefs inclusive-
ment, au sujet
a) de l'interprétation ou de l'application, en ce qui le
concerne, d'une disposition d'une convention collective ou
d'une décision arbitrale, ou
b) d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement,
la suspension ou une peine pécuniaire,
et que son grief n'a pas été réglé d'une manière satisfaisante
pour lui, il peut renvoyer le grief à l'arbitrage.
5 S.R.C. 1970, c. P-35.
23. Lorsqu'une question de droit ou de compétence se pose
à propos d'une affaire qui a été renvoyée au tribunal d'arbi-
trage ou à un arbitre, en conformité de la présente loi, le
tribunal d'arbitrage ou l'arbitre, selon le cas, ou l'une des
parties peut renvoyer la question à la Commission, pour
audition ou décision conformément aux règlements établis
par la Commission à ce sujet. Toutefois le renvoi d'une
question de ce genre à la Commission n'aura pas pour effet
de suspendre les procédures relatives à cette matière à moins
que le tribunal d'arbitrage ou l'arbitre, selon le cas, ne décide
que la nature de la question justifie une suspension des
procédures ou que la Commission n'en ordonne la suspension.
[TRADUCTION] a) L'arbitre en chef a-t-il commis une erreur
de droit en n'acceptant pas l'allégation de M. Wright selon
laquelle son congédiement était illégal en ce que le ministère
des Affaires indiennes et du Nord canadien n'avait pas
demandé ou obtenu l'approbation du Conseil du Trésor,
comme le stipule l'article 106d) du Règlement sur les condi
tions d'emploi dans la Fonction publique?
b) L'arbitre en chef a-t-il outrepassé sa compétence en
ordonnant au Conseil du Trésor d'approuver le congédiement
de M. Wright?
Dans une décision rendue par écrit le 29 janvier
1973, ladite commission déclara que [TRADUC-
TION] «l'arbitre en chef n'avait pas commis d'er-
reur de droit en ce qui concerne les points» soule-
vés dans la première question. La Commission ne
se prononça pas sur la directive donnée au Conseil
du Trésor par l'arbitre en chef. Le demandeur
présenta alors à la Cour d'appel fédérale une
demande d'examen et d'annulation de la «décision»
de la Commission des relations de travail dans la
Fonction publique, en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale.
Par une décision rendue le 8 juin 1973', la Cour
d'appel fédérale annula ladite décision et renvoya
l'affaire à la Commission des relations de travail
dans la Fonction publique, étant entendu:
a) que ce qu'elle devait déterminer dans le renvoi en vertu de
l'article 23, c'était quelle décision l'arbitre en chef aurait dû
rendre eu égard aux faits qu'il a établis, et
b) que l'arbitre en chef n'était pas compétent pour connaître
du renvoi à l'arbitrage du grief du requérant.
Au paragraphe 11 de la déclaration, le deman-
deur invoque le recours prévu à l'article 28, (pré-
cité), et ajoute alors:
[TRADUCTION] Dans ses motifs du jugement écrits, exposés le 8
juin 1973, ladite cour à l'unanimité décida notamment que le
prétendu renvoi en période de stage était nul, que la décision de
l'arbitre en chef ne reposait sur aucun fondement juridique et
que le demandeur avait été illégalement renvoyé.
Le demandeur allègue en outre qu'il a demandé
d'être rétabli dans ses fonctions, mais que la défen-
deresse a refusé ou négligé de le faire.
6 Publiée [1973] C.F. 765, la page 780.
Dans sa demande de redressement, le deman-
deur sollicite:
[TRADUCTION] a) Un jugement déclarant que son employeur
n'avait pas le pouvoir de mettre fin à son emploi sous l'empire
de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique.
b) Un jugement déclarant que la prétendue cessation de son
emploi ordonnée par son employeur est nulle et de nul effet et
qu'il conserve toujours son statut d'employé comme si l'on
n'avait pas mis fin à son emploi.
c) Un jugement en sa faveur lui accordant une somme d'argent
équivalant à la rémunération ou au salaire ou à tous autres
avantages ou privilèges qu'il aurait reçus si l'employeur n'avait
pas illégalement mis fin à son emploi.
Dans sa défense, la défenderesse allègue notam-
ment que: [TRADUCTION] «la déclaration en l'es-
pèce ne révèle aucune cause d'action dont sa
Majesté peut être tenue responsable». Aux para-
graphes 9 à 12, la défense allègue en outre ce qui
suit:
[TRADUCTION] 9. En réponse à l'ensemble de la déclaration, la
défenderesse allègue que si le demandeur était employé par sa
Majesté ou par le Ministère, ce qu'elle nie, le demandeur était
engagé à titre amovible et pouvait être renvoyé sans motif ou
avis, puisqu'il était un préposé de sa Majesté.
10. Une lettre portant la date du 25 juin 1970, dont copie est
jointe au titre d'annexe «A», mettait fin au prétendu emploi du
demandeur, et ce pour un motif déterminé.
11. En réponse à l'ensemble de la déclaration, elle déclare
subsidiairement que le demandeur a accepté la cessation de son
prétendu emploi et n'est pas retourné au travail depuis le 31
juillet 1970.
12. En réponse à l'ensemble de la déclaration, elle déclare en
outre que si le demandeur était au service de sa Majesté ou du
Ministère, ce qu'elle nie, et s'il a conservé son emploi, il n'a pas
droit à aucune rémunération depuis qu'il a cessé de travailler,
compte tenu des dispositions de la Loi sur l'administration
financière, S.R.C. 1970, chapitre F-10, et ses règlements
d'application.
Suite à la décision déjà mentionnée de la Cour
d'appel fédérale rendue le 8 juin 1973, ni la Com
mission des relations de travail dans la Fonction
publique ni les Ministères ou services gouverne-
mentaux impliqués dans cette affaire ne prirent
d'autres mesures. De fait, on ne permit pas au
demandeur de reprendre son travail. A l'audience
devant moi, il déclara que, tout de suite après, il
avait tenté de trouver un emploi convenable, mais
sans succès. Né le 29 décembre 1908, le deman-
deur s'apprêtait donc à célébrer son 62ème anniver-
saire. Il déclara qu'il avait parcouru les journaux
quotidiennement, qu'il s'était inscrit aux bureaux
de la Commission d'assurance-chômage à qui il
téléphona à plusieurs reprises, et qu'il avait
répondu à plusieurs annonces parues dans les jour-
naux. Dans son témoignage, il déclara que la
Commission lui avait finalement dit de ne plus se
présenter à ses bureaux en personne, qu'il y avait
énormément de personnes en chômage à ce
moment-là et que, vu son âge, il serait pratique-
ment impossible de lui trouver un emploi. Il
affirma en outre que jusqu'à maintenant, il avait
toujours joui d'un bon état de santé et que, comme
par le passé, il était toujours désireux de travailler.
L'un des principaux arguments que la défende-
resse a soumis à mon attention, portait que la
lettre du 25 juin 1970, remise au demandeur le 30
juin 1970, avait pour effet de mettre fin à l'emploi
de ce dernier et ce, pour un motif déterminé. A
l'appui de ce point de vue, la défenderesse cita
quelque cinq témoins, qui avaient tous été
employés au foyer scolaire indien d'Alberni à un
moment ou à un autre pendant que le demandeur y
travaillait. Parmi ces témoins, on remarque John
Arthur Andrews, directeur dudit foyer et supérieur
du demandeur. Tous avaient témoigné à l'audience
tenu devant l'arbitre en chef. Lorsqu'ils furent
contre-interrogés au procès, ils ont admis que leurs
dépositions étaient identiques à celles faites devant
l'arbitre en chef. (Andrews déclara que son témoi-
gnage avait quelque peu varié mais je ne trouve
rien dans son témoignage au procès qui pourrait
servir à affermir la position de la défenderesse sur
la question de la cessation d'emploi pour un motif
déterminé). En plus, un certain nombre d'autres
employés du foyer ont témoigné au cours de l'au-
dience tenue devant l'arbitre en chef mais ne l'ont
pas fait au procès.
Compte tenu des conclusions auxquelles je suis
parvenu au sujet de la lettre du 25 juin 1970, il
devient inutile d'examiner la question de savoir si
le demandeur, vu les faits de l'espèce, fut réguliè-
rement congédié pour un motif déterminé. Toute-
fois, s'il me fallait trancher cette question, je n'hé-
siterais aucunement à conclure, compte tenu de la
preuve déposée à l'audience, que la défenderesse
n'a pas réussi à prouver un renvoi pour un motif
déterminé. Je n'ai pas l'intention d'exposer en
détail la preuve de la défenderesse à ce sujet. Il
suffit de dire qu'à mon avis, elle ne fait qu'établir
des divergences d'opinions et de philosophie entre
certains employés et Andrews d'une part et le
demandeur d'autre part. La plupart des témoins
cités par la défenderesse à l'audience étaient des
personnes jeunes, autour de la trentaine. Le
demandeur avait plus de soixante ans. A mon avis,
tout ce que la preuve de la défenderesse établit
réellement est l'existence d'un «conflit de généra-
tion» entre le demandeur et un certain nombre
d'employés plus jeunes.
La déposition du demandeur à l'audience fut
détaillée et il fut longuement contre-interrogé par
l'avocat de la défenderesse. Il m'a donné l'impres-
sion d'être un employé très dévoué et travailleur.
Je le considère un homme de principes et je con-
clus qu'il est un témoin tout à fait digne de foi.
Son travail était difficile, puisqu'il traitait avec des
garçons et des jeunes hommes dont l'âge variait de
15 20 ans et qui, de l'avis de tous, étaient très
difficiles et rétifs.
Compte tenu de la preuve qui me fut soumise, je
n'aurais aucunement hésité, si j'avais eu à le faire,
à déclarer tout à fait injustifié le prétendu renvoi
pour un motif déterminé.
La deuxième prétention fondamentale de l'avo-
cat de la défenderesse portait que le demandeur
était un préposé de sa Majesté, qu'il était employé
à titre amovible et que l'on pouvait mettre fin à
son emploi sans motif ou avis. A l'appui de cette
prétention, l'avocat s'est fondé sur les articles 22 et
23 de la Loi d'interprétation'. A cet égard, en
raison des conclusions auxquelles je suis parvenu, il
est également inutile d'examiner si le demandeur
était employé à titre amovible et, par conséquent,
si l'on pouvait mettre fin à son emploi sans motif
ou avis.
Considérant la preuve qui me fut soumise, j'ai
conclu que le demandeur n'a jamais perdu son
emploi au ministère des Affaires indiennes et du
Nord canadien. Il n'est rien survenu depuis le
jugement de la Cour d'appel fédérale qui modifie
la situation, si ce n'est que le 29 décembre 1973, le
demandeur a atteint 65 ans, âge obligatoire de la
retraite. Les éléments de preuve pertinents et déci-
sifs qui me sont soumis sont tout à fait identiques à
ceux qui furent déposés devant la Cour d'appel
S.R.C. 1970, c. I-23.
fédérale. A la page 779 de sa décision, le savant
juge en chef déclara:
Selon mon interprétation, aucun élément de preuve ressor-
tant des documents soumis aux tribunaux en cause, y compris
cette cour, ne permet de conclure que le requérant a perdu son
emploi. Les parties ont admis que le renvoi était nul en tant que
tel. Elles ne prétendent pas qu'il s'agissait d'un congédiement et
encore moins d'un congédiement pour inconduite. A mon avis,
ayant essayé de faire perdre son emploi à un employé en le
renvoyant après l'expiration de la période du stage, l'employeur
ne pouvait, dans ce cas, s'appuyer après coup sur le document
de renvoi pour dire que l'employé avait perdu son emploi par
suite d'un congédiement pour inconduite. Non seulement le
document de renvoi ne relève pas, en sa forme, des pouvoirs de
congédiement accordés par la Loi mais encore un employé ne
peut, sur le fond, être renvoyé pour des raisons disciplinaires ou
pour inconduite sans être informé des motifs de ce renvoi de
façon à lui permettre d'y répondre, avant d'être congédié et à
chaque étape de la procédure de grief. Je répète que d'après les
éléments de preuve soumis, à mon avis, le requérant n'a jamais
perdu son emploi. En outre, il est difficile de voir comment,
étant donné les conclusions de fait de l'arbitre en chef, il
pourrait être question de congédiement pour des raisons disci-
plinaires. Ayant déterminé que «des exigences du poste de
préposé aux enfants ne convenaient pas» au requérant, il semble
que la disposition la plus appropriée est l'article 31 qui prévoit
une procédure particulière et un choix de traitements applica-
bles à un employé qui est «incompétent dans l'exercice des
fonctions de son poste».
M. le juge Thurlow déclarait aux pages 780 et
781:
Le prétendu renvoi de Wright était nul. Le grief de Wright ne
pouvait faire l'objet d'un renvoi à l'arbitrage. L'arbitre n'avait
pas compétence pour déclarer le renvoi nul en tant que renvoi et
il n'existait aucun fondement lui permettant de déclarer qu'il
s'agissait d'un congédiement. Ce n'est en aucune façon un
congédiement à caractère disciplinaire. Il n'y a aucun fait
permettant de le considérer comme une mesure disciplinaire
quelle quelle soit. On ne peut le considérer comme un congédie-
ment et, a fortiori, comme un congédiement valable.
Je me considère lié par ces décisions, mais même si
je ne l'étais pas, je n'aurais aucune difficulté à
parvenir à une conclusion identique à celle des
trois juges de la Cour d'appel fédérale qui ont
entendu la demande présentée en vertu de
l'article 28.
La défenderesse allègue en outre que le deman-
deur a accepté la cessation de son emploi et qu'il
n'est pas rentré au travail depuis le 31 juillet 1970.
Les faits ne corroborent pas cette prétention. La
preuve démontre qu'il y a eu un renvoi de facto,
sinon de jure. Le demandeur dut quitter les lieux,
emporter tous ses effets personnels et on lui remit
ses contributions au fonds de retraite. Il fut rému-
néré jusqu'au 31 juillet 1970, après quoi les fonc-
tionnaires du foyer lui interdirent effectivement de
reprendre son travail.
La défenderesse allègue en outre que si le
demandeur a conservé son emploi, alors, en vertu
des dispositions de la Loi sur l'administration
financière' et ses règlements d'application, il n'a
pas le droit de recevoir de rémunération depuis son
arrêt de travail pour quelque période que ce soit.
Plus particulièrement, la défenderesse invoque les
dispositions de l'article 27 de ladite loi qui se lit
comme suit:
27. Aucun paiement ne doit être effectué pour l'exécution de
travaux ou la fourniture de marchandises ou de services, que ce
soit en vertu d'un contrat ou non, relativement à toute partie de
la fonction publique du Canada, sauf si, en plus d'une autre
pièce justificative ou d'un certificat requis, le sous-ministre du
ministre compétent, ou une autre personne autorisée par ce
ministre, certifie
a) que les travaux ont été accomplis, les matières fournies ou
les services rendus, selon le cas, et que le prix exigé est
conforme au contrat ou, si le prix n'est pas spécifié par
contrat, qu'il est raisonnable; ou
b) si un paiement doit être fait avant le parachèvement des
travaux, la livraison des marchandises ou l'exécution des
services, selon le cas, que le paiement est conforme au
contrat.
et les dispositions de l'article 63(1) du règlement
d'application qui se lit comme suit:
63. (1) Sous réserve du présent règlement et de tout autre
édit du Conseil du Trésor, un employé a le droit de toucher
pour services rendus la rémunération applicable au poste qu'il
occupe.
A mon avis, ces dispositions législatives ne s'ap-
pliquent pas aux circonstances de l'espèce parce
que le demandeur ne réclame pas à la Cour d'or-
donner qu'il soit payé pour des services qu'il n'a,
en fait, pas rendus. Le demandeur réclame plutôt
des dommages-intérêts à titre d'indemnité en
raison de la conduite illégale de la défenderesse.
Selon lui, le montant desdits dommages-intérêts
doit comprendre le salaire plus les autres avanta-
ges et privilèges qui lui seraient échus, n'eût été la
conduite illégale de la défenderesse. Je rejette donc
la prétention de la défenderesse.
J'en viens maintenant à examiner le redresse-
ment que le demandeur à mon avis, réclame à bon
droit. Pour les motifs énoncés en l'espèce, je suis
S.R.C. 1970, c. F-10.
d'avis que le demandeur a droit au jugement
déclaratoire qu'il réclame au paragraphe 13a) de
sa déclaration. A mon avis, il a également droit à
un jugement déclarant que la prétendue cessation
de son emploi ordonnée par son employeur était
nulle et de nul effet. Toutefois, à cause des délais
et parce qu'il a atteint l'âge de la retraite obliga-
toire le 29 décembre 1973, le demandeur n'a pas
droit au jugement déclarant qu'il conserve toujours
son statut d'employé comme si l'on n'avait pas mis
fin à son emploi. .
A mon avis, le demandeur a aussi droit à des
dommages-intérêts. Vu les circonstances plutôt
inhabituelles de la présente affaire, leur fixation
n'est pas sans poser de grandes difficultés. A cette
fin, le demandeur cita un témoin, Wendell Hewitt -
White, responsable de la Direction des appels et
griefs de l'Alliance de la Fonction publique du
Canada, syndicat de fonctionnaires fédéraux et,
pour toutes les époques en cause, l'agent négocia-
teur du demandeur. Hewitt -White déposa une
série de chiffres indiquant le montant de la rému-
nération que le demandeur aurait reçue pour la
période du ler août 1970 au 29 décembre 1973,
date à laquelle le demandeur a atteint l'âge de la
retraite. Se fondant sur les taux de rémunération
apparaissant dans les conventions collectives en
vigueur durant cette période, le témoin estima que
le demandeur aurait gagné $23,244.96 pour ladite
période. En plus, il estima que le demandeur aurait
gagné $5,676.32 en heures supplémentaires et ser
vice de garde. Pour les fins de ce calcul, le témoin
prit pour acquis que le demandeur aurait effectué
environ le même nombre d'heures supplémentaires
qu'au cours de la dernière année de son emploi et
s'est fondé sur les feuilles de présence du deman-
deur pour ladite année (pièce 5). Le total de ces
deux montants s'élève à $28,921.19, dont le témoin
a soustrait la somme de $798 que le demandeur a
reçu de l'assurance-chômage. Le solde s'élève donc
à $28,123.19, soit le montant auquel le demandeur
évalue ses dommages-intérêts.
La preuve démontre clairement que la défende-
resse a effectivement interdit au demandeur de
reprendre son emploi, ce qui lui a causé un grave
préjudice.
L'avocat de la défenderesse prétendit que si le
demandeur avait droit à des dommages-intérêts, le
critère approprié pour en fixer le quantum est
énoncé par le président Thorson dans l'affaire
Zamulinski c. La Reine 9 , décision suivie par le
juge Thurlow dans l'affaire Hopson c. La Reine'''.
Dans l'affaire de Zamulinski (précitée), la Cour
décida que le pétitionnaire avait le droit d'être
indemnisé par suite de la violation d'un droit con-
féré par la loi. Dans cette affaire, le pétitionnaire
ne pouvait, en vertu de l'article 118 du Règlement
du service civil, être congédié sans avoir eu l'occa-
sion de présenter sa cause à un fonctionnaire supé-
rieur du ministère nommé par le sous-chef. Ce
droit ne lui fut pas accordé. En fixant le quantum
des dommages, le savant président déclara aux
pages 189 et 190:
[TRADUCTION] Il est difficile dans un cas comme celui-ci de
fixer le quantum des dommages, mais ce n'est pas une raison
pour ne pas le faire. Je ne pense pas que ce soit un cas où il
convient d'accorder des dommages symboliques. Les dommages
sont réels, mais difficiles à établir. Bien qu'à mon avis, le
témoignage de Duggleby montre clairement qu'il était décidé à
expulser le pétitionnaire de son bureau de poste et que si la
raison invoquée pour son renvoi avait été jugée déraisonnable, il
en aurait trouvé une autre ou aurait congédié le pétitionnaire de
toute façon, celui-ci avait le droit de se prévaloir du droit que
lui accordait l'article 118 du Règlement. Ce droit aurait, selon
toutes probabilités, prolongé son emploi au Bureau de postes, ce
qui lui aurait permis de toucher une rémunération addition-
nelle. Il est difficile d'en préciser la durée. Si le délai entre la
recommandation faite par Duggleby le 7 juillet 1954 portant
qu'il ne pouvait recommander de maintenir le pétitionnaire à
son poste et l'instruction donnée par MacNabb le 7 septembre
1954 de congédier le pétitionnaire à deux semaines d'avis est un
indice, il est probable que l'emploi du pétitionnaire se serait
considérablement prolongé pendant la mise au point du méca-
nisme lui permettant de se prévaloir du droit prévu à l'article
118 du Règlement. En outre, bien qu'il soit improbable, compte
tenu de la ferme intention de Duggleby de congédier le pétition-
naire, que, même si ce dernier avait réussi à convaincre le
fonctionnaire supérieur du ministère, nommé par le sous-chef,
que la raison invoquée pour son renvoi n'était pas justifiée, il
n'aurait pas été congédié pour d'autres motifs, ou même sans
motif, la possibilité que son renvoi éventuel ait pu être retardé
est un élément à considérer.
Compte tenu de ces facteurs, tous impondérables, je pense
qu'il ne serait pas injuste d'évaluer les dommages du pétition-
naire à $500, montant que je lui accorde.
Utilisant un raisonnement semblable dans l'af-
faire Hopson (précitée), le juge Thurlow établit les
dommages dans ce cas à $400.
9 [1956-60] R.C.É. 175.
io [1966] R.C.É. 608.
Selon l'avocat de la défenderesse, en l'espèce la
preuve démontre clairement que le Ministère vou-
lait, sans l'ombre d'un doute, congédier le deman-
deur, que s'il avait adopté la procédure applicable
en vertu des lois et des règlements pertinents, le
résultat final aurait été le même, savoir, le deman-
deur aurait été congédié, et que, par conséquent,
pour calculer le montant des dommages, il faut se
limiter à la période dont l'employeur aurait eu
besoin pour mener à bien les procédures appro-
priées. L'avocat prétend que ces procédures
auraient nécessité quelques semaines ou tout au
plus quelques mois et que, par conséquent, le
montant des dommages réclamé par le demandeur
devrait se limiter tout au plus, au montant corres-
pondant à quelques mois de salaire.
Même en considérant que c'est la façon légitime
d'évaluer les dommages-intérêts du demandeur, je
ne puis accepter qu'à l'issue des procédures appro-
priées, le demandeur aurait été légalement et vala-
blement congédié dans un délai de quelques semai-
nes ou de quelques mois.
Ainsi que l'a déclaré le juge en chef Jackett à la
page 777 de la décision de la Cour d'appel (préci-
tée), le demandeur aurait pu être renvoyé pour
incompétence ou incapacité en vertu de l'article 31
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique
qui se lit comme suit:
31. (1) Lorsque, de l'avis du sous-chef, un employé est
incompétent dans l'exercice des fonctions de son poste, ou qu'il
est incapable de remplir ces fonctions, et qu'il devrait
a) être nommé à un poste avec un traitement maximum
inférieur, ou
b) être renvoyé,
le sous-chef peut recommander à la Commission que l'employé
soit ainsi nommé ou renvoyé, selon le cas.
(2) Le sous-chef doit donner à un employé un avis écrit de
toute recommandation visant la nomination de l'employé à un
poste avec un traitement maximum inférieur ou son renvoi.
(3) Dans un tel délai subséquent à la réception de l'avis
mentionné au paragraphe (2) que prescrit la Commission,
l'employé peut en appeler de la recommandation du sous-chef à
un comité établi par la Commission pour faire une enquête au
cours de laquelle il est donné à l'employé et au sous-chef en
cause, ou à leurs représentants, l'occasion de se faire entendre.
La Commission doit, après avoir été informée de la décision du
comité par suite de l'enquête,
a) avertir le sous-chef en cause qu'il ne sera pas donné suite
à sa recommandation, ou
b) nommer l'employé à un poste avec un traitement maxi
mum inférieur ou le renvoyer,
selon ce qu'a décidé le comité.
(4) S'il n'est pas interjeté aucun appel d'une recommanda-
tion du sous-chef, la Commission peut prendre, relativement à
cette recommandation, la mesure qu'elle estime opportune.
(5) La Commission peut renvoyer un employé en conformité
d'une recommandation formulée aux termes du présent article;
l'employé cesse dès lors d'être un employé.
Toutefois, si l'on adoptait une telle procédure,
l'employé aurait le droit, en vertu de l'article 31(3)
d'interjeter appel et il faudrait respecter les procé-
dures d'appel qui y sont prévues. La durée de ces
procédures d'appel dans un cas ordinaire est très
hypothétique, mais je pense qu'il est juste d'affir-
mer que le délai en question serait considérable.
La seule autre procédure qui, le cas échéant,
pourrait être adoptée en l'espèce serait un congé-
diement à titre de sanction pour manquement à la
displine ou inconduite. L'article 7(1)f) de la Loi
sur l'administration financière (précitée) se lit
comme suit:
7. (1) Sous réserve des dispositions de tout texte législatif
concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct,
mais nonobstant quelque autre disposition contenue dans tout
texte législatif, le conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses
fonctions relatives à la direction du personnel de la fonction
publique, notamment ses fonctions en matière de relations entre
employeur et employés dans la fonction publique, et sans
limiter la généralité des articles 5 et 6,
f) établir des normes de discipline dans la fonction publique
et prescrire les sanctions pécuniaires et autres, y compris la
suspension et le congédiement, qui peuvent être appliquées
pour manquements à la discipline ou pour inconduite et
indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par
qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être
appliquées, ou peuvent être modifiées ou annulées, en tout ou
en partie;
Sous le régime de ladite loi, le Conseil du Trésor
adopta le Règlement intitulé «Règlement sur les
conditions d'emploi dans la Fonction publique» le
13 mars 1967 1 '; son article 106 se lit comme suit:
106. Sous réserve de tout édit du Conseil du Trésor, un
sous-chef peut,
a) fixer des normes de discipline pour les employés;
b) prescrire des pénalités financières et autres, y compris la
suspension et le congédiement, pouvant être appliquées dans
le cas d'infraction à la discipline ou d'inconduite;
c) imposer, modifier ou abroger en totalité ou en partie les
pénalités autres que le congédiement, prescrites en vertu de
l'alinéa b); et
" DORS/67-118, Gazette du Canada, Partie II, vol. 101.
d) avec l'approbation du Conseil du Trésor, congédier un
employé ou annuler le congédiement d'un employé.
En vertu dudit règlement, le demandeur pouvait
être congédié par le sous-chef avec l'approbation
du Conseil du Trésor. Toutefois, si cette procédure
devait être suivie, le demandeur aurait le droit
d'invoquer la procédure des griefs prévue aux arti
cles 90 et 91 de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique et qui se termine par
une décision arbitrale.
Il est manifeste qu'une telle procédure prend
ordinairement beaucoup de temps. Les procédures
inopérantes qui aboutirent à la décision de la Cour
d'appel fédérale susmentionnée constituaient des
procédures de griefs intentées en vertu des articles
90 et 91. Le demandeur déposa son grief le 31
juillet 1970, l'arbitre en chef rendit sa décision le
12 janvier 1971, et la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique ne rendit la
sienne que le 29 janvier 1973. Ainsi, ces procédu-
res inopérantes commencèrent le 31 juillet 1970 et
se poursuivirent pendant quelque 30 mois.
Ce serait pure spéculation d'affirmer qu'une
décision finale aurait été rendue dans un plus court
délai si la défenderesse avait suivi correctement la
procédure. Puisque l'article 23 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique
prévoit un renvoi à la Commission de «toute ques
tion de droit ou de compétence» soulevée à l'occa-
sion d'un arbitrage, il est tout à fait possible qu'au
cours d'un arbitrage valable, on se prévale de cette
procédure; il y aurait ainsi renvoi à la Commission,
prolongation considérable des délais et finalement,
une décision définitive deux ans et demi plus tard.
Si l'on avait suivi les procédures appropriées et
si le demandeur avait bénéficié des recours et des
droits que la loi et les règlements lui accordaient, il
aurait conservé son emploi pendant toute cette
période.
Le ministère des Affaires indiennes et du Nord
canadien a, en agissant ainsi, privé le demandeur
des droits que le législateur lui accordait et, à mon
avis, la défenderesse ne peut maintenant prétendre
que les dommages subis par le demandeur sont
négligeables.
Je ne serais probablement pas parvenu à un
chiffre très différent en m'inspirant de la méthode
de calcul utilisée dans les affaires Zamulinski et
Hopson (précitées) pour évaluer les dommages
subis par le demandeur; je suis toutefois d'avis que
puisque dans le cas présent, il n'y a pas eu congé-
diement du demandeur par la défenderesse,
aucune de ces affaires qui portent sur des domma-
ges-intérêts pour la violation d'un droit conféré par
la loi, ni aucun des nombreux arrêts relatifs aux
dommages-intérêts pour renvoi illégal ne peuvent
s'appliquer à la situation de fait actuelle.
Dans la présente affaire, le demandeur n'a
jamais été congédié. La Cour d'appel fédérale
décida que son prétendu renvoi était nul. Cette
décision fut rendue le 8 juin 1973. Par la suite,
aucune démarche ne fut entreprise pour rengager
le demandeur ou pour le congédier légalement en
conformité avec les lois et règlements examinés
plus haut.
Le demandeur avait le droit de rester en fonc-
tion du jour du renvoi inopérant, soit le 31 juillet
1970, jusqu'au 29 décembre 1973, date de sa
retraite obligatoire. La défenderesse s'y est en fait
injustement et illégalement opposée. Par consé-
quent, la perte de salaire du demandeur est un
élément important des dommages qu'il a subis.
Ainsi qu'il a été expliqué antérieurement, le
demandeur tenta l'impossible pour obtenir un
autre emploi, sans succès. Pendant toute cette
période, il était en bonne santé et il était capable et
désireux de travailler. Le demandeur a été privé de
son droit à la pension de retraite puisque la défen-
deresse, au moment du prétendu renvoi, lui avait
remboursé ses contributions, supprimant ainsi tous
ses droits éventuels à des prestations de retraite.
L'avocat de la défenderesse prétendit que tout
versement d'indemnité devrait être réduit, compte
tenu du fait que le salaire mensuel du demandeur
aurait été imposable, alors qu'une telle indemnité
ne l'est pas. Je ne souscris pas à cette prétention et,
en rejetant cet argument, je m'appuie sur le rai-
sonnement de M. le juge Judson dans l'affaire La
Reine c. Jennings 12
D'autre part, je ne suis pas convaincu que le
demandeur aurait touché le montant additionnel
de $5,000 qu'il réclame au titre d'heures supplé-
mentaires et de service de garde, lui eût-il été
12 [1966] R.C.S. 532, aux pages 545 et 546.
permis de conserver son emploi. La preuve a révélé
qu'après 1970, les préposés au soin des enfants
avaient effectué moins d'heures supplémentaires.
Je pense toutefois que normalement, il en aurait
effectué un certain nombre. De même, on a évalué
le salaire pour la période du ler août 1970 au 29
décembre 1973 en prenant pour acquit que, pen
dant ces années, le demandeur aurait autant tra-
vaillé qu'au cours de sa dernière année d'emploi. Il
existe donc une certaine incertitude sur le montant
de la perte de salaire pour ces années.
Dans l'affaire Wertheim c. Chicoutimi Pulp Co.
([1911] A.C. 301 la page 307), lord Atkinson a
énoncé le principe général à suivre pour évaluer les
dommages-intérêts:
[TRADUCTION] Et la loi vise généralement, en accordant des
dommages pour rupture de contrat, à mettre le demandeur,
dans la mesure où cela peut se faire par l'allocation d'une
somme d'argent, dans l'état où il se serait trouvé si le contrat
avait été exécuté ... C'est le principe fondamental. C'est un
principe juste.
Dans les affaires Cotter c. General Petroleums
Limited ([1951] R.C.S. 154) et Sunshine
Exploration Ltd. c. Dolly Varden Mines Ltd.
([1970] R.C.S. 2), la Cour suprême du Canada a
souscrit à ce principe de droit.
En appliquant ces principes aux faits de l'espèce,
compte tenu des nombreux facteurs impondéra-
bles, je conclus que le montant de $20,000 consti-
tue une indemnité suffisante à compenser tous les
dommages subis par le demandeur.
Le jugement sera donc libellé comme suit:
1. La défenderesse n'a pas le droit de renvoyer
le demandeur en invoquant l'article 28(3) de la
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique;
2. le prétendu renvoi du demandeur par la
défenderesse est de toute façon nul et de nul
effet;
3. la défenderesse doit payer au demandeur la
somme de $20,000, titre de dommages-inté-
rêts;
4. la défenderesse est tenue de payer au deman-
deur ses dépens de l'action.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.