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C.A.C. 52/74
In re la Loi sur la citoyenneté et in re Stephen Hardwick Merritt
Cour d'appel de la citoyenneté, le juge Catta- nach—Cornwall, le 23 septembre; Ottawa, le ler octobre 1974.
Citoyenneté—Appel du rejet d'une demande—L'appelant est-il de bonne vie et mœurs—Déclaré coupable d'une infrac tion criminelle—Y a-t-il preuve de sa réhabilitation—Preuve apportée en appel—Loi sur la citoyenneté, S.R.C. 1970, c. C-19, art. 10(1)d)—Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-1, art. 3—Règle 911 de la Cour fédérale.
L'appelant avait plaidé coupable de possession illégale de stupéfiants, en violation de l'article 3(1) de la Loi sur les stupéfiants; il fut condamné à une amende de $100 ou cinq jours d'emprisonnement. Le juge de la cour de comté, a rejeté sa demande de citoyenneté au motif qu'après sa déclaration de culpabilité, le requérant n'avait pas su faire la preuve de sa réhabilitation, et avait admis continuer d'utili- ser à l'occasion des drogues légères.
Arrêt: l'appel est accueilli; le juge de la cour de comté a appliqué les principes appropriés à la preuve qui lui avait été présentée. Cependant, l'appelant, en vertu de la Règle 911, a présenté en appel une preuve nouvelle qu'il convient d'exa- miner en fonction de l'époque est entendu ledit appel. La preuve démontre que l'appelant a abandonné l'usage des drogues et s'est réhabilité.
APPEL. AVOCATS:
H. Sherwood pour l'appelant. P. Beseau, amicus curiae.
PROCUREURS:
Adams, Bergeron et Palmer, Cornwall, pour l'appelant.
Barrette, Lalonde, Chartrand & Beseau, Ottawa, amicus curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE CATTANACH: Il s'agit ici d'un appel du rejet d'une demande de citoyenneté cana- dienne par le tribunal de la citoyenneté qui avait conclu que l'appelant n'était pas de «bonne vie et moeurs» au sens de l'article 10(1)d) de la Loi sur la citoyenneté.
Le juge C. A. Stiles, juge de la cour de comté des comtés unifiés de Stormont, Dundas et Glengarry et qui siéga en première instance,
conclut de la sorte au motif que, le 5 décembre 1973, l'appelant avait plaidé coupable devant la cour provinciale à Cornwall (Ontario), de l'accu- sation selon laquelle [TRADUCTION] «il avait effectivement illégalement eu en sa possession un stupéfiant, savoir du chanvre indien, en vio lation de l'article 3(1) de la Loi sur les stupé- fiants». Ayant plaidé coupable, l'appelant fut dûment déclaré coupable de ce chef d'accusa- tion et fut condamné à une amende de $100 ou cinq jours d'emprisonnement.
Selon un principe bien établi, lorsqu'une per- sonne a été déclarée coupable d'une infraction, il n'en découle pas automatiquement qu'elle ne pourra plus jamais par la suite être considérée comme une personne de bonne vie et moeurs. Après avoir été déclarée coupable et après avoir purgé la peine imposée, cette personne peut démontrer par sa conduite et son mode de vie ultérieurs qu'elle s'est réhabilitée aux yeux des citoyens bien pensants. Dans ce cas, elle a le droit d'être considérée comme une personne de bonne vie et moeurs au sens de l'article 10(1)d).
On ne dispose d'aucune méthode empirique strictement applicable aux décisions sur de telles questions, mais il convient indubitable- ment de tenir compte de faits saillants tels que la gravité de l'infraction par rapport à la durée de la vie exemplaire de la personne en tant que membre de la société respectueux des lois et utile à la communauté.
Le savant juge du tribunal de première ins tance était au fait de ces principes et, à mon avis, il les a appliqués correctement dans cette affaire. Il a fait preuve d'une grande sollicitude. Il a interrogé l'appelant qui admit franchement avoir cultivé de la marihuana pour son usage personnel. Il semble qu'en réponse aux ques tions du juge de première instance, l'appelant ait indiqué qu'il avait cessé de cultiver de la mari huana pour son usage personnel, mais admit aussi que, même à cette époque, il utilisait encore parfois cette drogue.
Étant donné les déclarations de l'appelant, le juge de première instance dut conclure que celui-ci n'observait pas strictement le droit cri- minel du pays. Le juge de première instance avait apparemment fait remarquer que l'utilisa-
tion de la marihuana était contraire à la loi, ce à quoi l'appelant n'avait rien répondu. Il ressort des remarques du juge de première instance qu'il avait interprété le silence de l'appelant à la suite de cette observation comme l'indication que ce dernier n'était pas en accord avec les idées et moeurs de la majorité.
En conséquence, je suis d'avis que le savant juge de première instance a appliqué correcte- ment les principes fondamentaux susmentionnés aux circonstances de l'espèce, telles qu'elles se présentaient à cette époque, et a rejeté à juste titre la demande de citoyenneté présentée par l'appelant.
A l'occasion d'un appel interjeté en vertu de la Loi sur la citoyenneté par Victor Grégoire, le 28 mai 1971, du rejet de sa demande de citoyen- neté au motif qu'il n'avait pas l'intention d'avoir de façon permanente son lieu de domicile au Canada, le juge en chef de cette cour déclara:
Si l'on tient compte de la décision de cette Cour rendue dans l'appel de Dame Eugénie Jodoin, le 5 avril 1968, une question comme celle de savoir si l'appelant se propose d'avoir son lieu de domicile au Canada «doit s'étudier en tenant compte du moment la Cour en fait l'appréciation».
Le requérant Grégoire établit devant le juge en chef qu'il avait à ce moment changé d'avis et avait l'intention d'avoir son lieu de domicile au Canada. En conséquence le juge en chef accueillit l'appel.
Dans l'appel interjeté par Eugénie Jodoin (mentionné par le juge en chef dans l'extrait précité), il fut précisé qu'en règle générale, lors- qu'un requérant a été déclaré coupable d'une infraction criminelle, on s'attend à ce qu'il pré- sente au tribunal de première instance des per- sonnes n'ayant aucun lien de parenté avec lui pouvant apporter leurs témoignages sur le genre de vie du requérant depuis sa condamnation.
La Règle 911 prévoit qu'en appel, la Cour doit procéder à une nouvelle audition pour recueillir la preuve et interroger l'appelant selon ce qu'elle juge à propos.
De nouveaux éléments de preuve m'ont été soumis.
La preuve a établi que l'appelant a participé activement à des activités communautaires, en particulier la Glengarry Historical Society il prit l'initiative de faire rénover le musée de Dunvegan (Ontario) et a surveillé la préparation d'un catalogue approprié des pièces exposées.
Le médecin et le pasteur de l'endroit, qui sur le plan social et professionnel sont des amis de l'appelant et de sa famille, ont déclaré qu'il était un citoyen modèle et un atout pour la commu- nauté. Ils savaient tous deux que l'appelant avait fait l'objet de deux condamnations l'une pour possession de marihuana et l'autre pour de haschisch.
Ma préoccupation essentielle porte cependant sur l'utilisation de drogues légères par l'appe- lant. Bien que rien en ce sens n'ait été explicite- ment exprimé, j'ai nettement l'impression que l'attitude de l'appelant devant le savant juge de première instance tendait à montrer qu'il consi- dérait la culture de marihuana et, après l'aban- don de cette culture, l'utilisation de cette drogue comme une question personnelle sans aucune influence sur la communauté dans son ensem ble. J'estime que l'attitude de l'appelant telle qu'exprimée devant moi a radicalement changé et pour le mieux.
En fait l'appelant a été déclaré coupable à deux reprises de l'infraction de possession. La seconde infraction dont il fut déclaré coupable en décembre 1973, résulte de circonstances assez inhabituelles.
L'appelant s'est marié en 1965 et a trois enfants de ce mariage, deux filles âgées de 6 et 7 ans respectivement et un petit garçon âgé de 15 mois. Un ami de la famille, un certain Cobb, écrivit à Mme Merritt pour l'informer qu'il avait expédié un colis du Moyen-Orient et qu'il se l'était adressé sous un faux nom, aux bons soins de l'appelant; ce colis contenait des vête- ments et de la marchandise de contrebande. Mme Merritt n'en parla pas à son mari, voulant le protéger en raison de sa condamnation anté- rieure pour possession.
L'expéditeur du colis arriva chez l'appelant avant la livraison du colis. Il demeura pendant plusieurs semaines chez les Merritt, en atten dant l'arrivée du colis. Celui-ci n'arrivant pas,
Cobb, l'expéditeur, s'en alla, au grand soulage- ment de M me Merritt. Quatre jours après son départ, le colis arriva. Le receveur des postes téléphona à M me Merritt pour l'informer de l'ar- rivée d'un colis. Celle-ci attendait un colis de chaussures envoyé par ses parents pour les enfants et demanda à son mari d'aller le cher- cher. C'est ce qu'il fit. Il s'avéra que le colis contenait .34 grammes de haschisch caché dans la poche d'une chemise, ainsi qu'une certaine quantité d'opium. Mme Merritt ouvrit le colis et c'est à ce moment qu'elle en révéla le contenu à son mari. Celui-ci prit le haschisch, mais Mme Merritt jeta l'opium à la poubelle, prévoyant qu'il serait alors ramassé par les éboueurs, envoyé à la décharge et brûlé. Cependant la police arriva avant cela. Cobb fut déclaré cou- pable d'une infraction et condamné à trois ans d'emprisonnement. L'appelant plaida coupable et fut déclaré coupable de possession de .34 grammes de haschisch. Il fut condamné à une amende de $100.
A la suite de ces deux condamnations, une ordonnance d'expulsion fut délivrée à l'encontre de l'appelant. En appel devant la Commission d'appel à l'immigration, l'ordonnance d'expul- sion fut annulée. Je remercie l'amicus curiae d'avoir porté ce fait à mon attention.
Je devrais aussi mentionner, à ce stade des procédures, que le témoignage de Mme Merritt m'a laissé une impression très favorable; elle a déclaré qu'après la seconde inculpation à laquelle l'appelant plaida coupable, elle parla à coeur ouvert avec son mari et le plaça devant un ultimatum. Soit qu'il acceptait de rompre toutes relations avec ceux de ses amis qui faisaient peut-être usage de stupéfiants, autres que ceux qu'il était amené à rencontrer pour des raisons purement commerciales dans le cadre de ses activités de fabricant d'instruments musicaux à cordes pincées et abandonnait lui-même l'usage de la drogue, soit qu'elle le quittait en emmenant les enfants.
Confronté à ce choix, l'appelant décida de rester auprès de sa femme et de ses enfants. Je suis convaincu de son intention de le faire. Indubitablement, -l'appelant aime son épouse et ses enfants et ne pourrait supporter l'idée d'une séparation. Cette opinion est confirmée par le
témoignage du pasteur qui déclara qu'il s'agis- sait d'un couple très uni et que les trois enfants étaient extrêmement bien élevés et' éduqués avec soin. L'appelant participe à leur éducation. A mon avis, le choix offert à l'appelant par son épouse ne constituait pas une décision difficile et j'aurais été certainement très surpris et stupé- fait d'une autre décision de sa part, et s'il avait préféré à sa femme et à ses enfants, les plaisirs passagers que pouvaient à l'occasion lui procu rer l'utilisation de drogues légères.
C'est pour tous ces motifs que j'ai conclu que l'appelant s'est réhabilité, qu'il mettra fin à l'usage, même occasionnel, de stupéfiants et qu'il continuera de mener la vie exemplaire dont il s'est montré capable. J'attribue ce changement à son attachement à son épouse et à ses enfants. Ce n'est pas la compassion qui me fait conclure de la sorte, car je suis convaincu que l'appelant possède toutes les qualités inhérentes aux êtres humains normaux, notamment l'instinct de pro tection de leurs enfants et compagnes.
J'accueille donc l'appel.
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