A-88-74
Rebecca Fogel (Requérante)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Thurlow, Pratte et Ryan—
Ottawa, les 6 et 7 février 1975.
Examen judiciaire—Immigration—Expulsion—Retour au
Canada sans autorisation—Nouvelle ordonnance d'expul-
sion—Refus de la Commission d'exercer «son pouvoir de
statuer en équité»—Nouvelle audition refusée—Aucune erreur
de droit en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, art. 28(1)—
Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 15, 18 et 35—
Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970,
c. I-3, art. 11 et 15.
La requérante, qui avait été expulsée du Canada, y revint
sans autorisation du Ministre qui ordonna à nouveau son
expulsion. En rejetant son appel, la Commission d'appel de
l'immigration refusa d'exercer son pouvoir de statuer en équité
en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration. La requérante déposa alors auprès de la Com
mission une demande d'ordonnance visant la reprise de l'audi-
tion et lui permettant de présenter de nouveaux éléments de
preuve pertinents en vertu de l'article 15. Sur rejet de la
requête, une demande d'examen de cette décision fut introduite
en vertu de l'article 28.
Arrêt: la requête est rejetée; il n'y avait aucune erreur de
droit au sens de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Le fait qu'un membre de la Commission, qui avait entendu
l'appel, fasse aussi partie de la Commission lors du rejet de la
demande de nouvelle audition n'est pas en soi contraire au
principe de justice naturelle, lorsque l'allégation de partialité
est expressément niée. De même, la Commission n'a aucune-
ment transgressé la justice naturelle en refusant de prolonger
l'ajournement avant l'audition de la requête. La Commission
examina les prétentions soumises par la requérante et les rejeta
en se fondant sur l'article 14(1)b)(1) et (ii) de la Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration. Quant à la décision de
la Commission de recourir à l'article 15(1)b)(i) (tel que modi-
fié par les Statuts du Canada de 1973-74, c. 27, art. 6) on a
prétendu devant la Cour d'appel qu'il fallait appliquer la
disposition existant antérieurement et faisant appel au critère
suivant, «... l'existence de motifs raisonnables de croire que, si
l'on procède à l'exécution de l'ordonnance, la personne intéres-
sée sera punie pour des activités d'un caractère politique». A ce
stade, rien ne permettait à la Commission d'appliquer ces
dispositions à la requérante, de sorte qu'il importait peu que la
Commission ne traitât pas la question en se fondant sur le
libellé antérieur.
Arrêt appliqué: Nord-Deutsche Versicherungs Gesell-
schaft c. La Reine (1968) 1 R.C.É. 443.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
W. O'Halloran et A. D. Custance pour la
requérante.
L. S. Holland pour l'intimé.
PROCUREURS:
W. O'Halloran, Ottawa, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW: Il s'agit d'une demande
d'examen et d'annulation d'une décision de la
Commission d'appel de l'immigration, présentée en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale;
cette décision rejetait une requête visant la reprise
d'une audition aux termes de laquelle la Commis
sion avait rejeté un appel d'une ordonnance d'ex-
pulsion rendue contre la requérante.
La requérante a été expulsée du Canada en
juillet 1969, suite à une ordonnance d'expulsion
que l'enquêteur spécial avait rendue contre elle en
avril 1969, la Commission d'appel de l'immigra-
tion ayant rejeté son appel. La requérante est
revenue au Canada en janvier 1973 sans avoir
obtenu au préalable du ministre de la Main-d'oeu-
vre et de l'Immigration l'autorisation d'y revenir.
Elle fut arrêtée et détenue aux fins d'enquête en
conformité de l'article 15 de la Loi sur l'immigra-
tion qui prévoit en fait, le cas échéant, l'arrestation
ou la détention aux fins d'enquête et d'expulsion
d'une personne si, pour des motifs raisonnables,
elle est soupçonnée d'être une personne qui, n'étant
pas citoyenne canadienne ou n'étant pas domiciliée
au Canada, «... revient au Canada ou y demeure
contrairement à la présente loi après qu'une ordon-
nance d'expulsion a été rendue contre elle ...».
L'article 35 de la Loi interdit l'admission d'une
telle personne au Canada sans le consentement du
Ministre. L'enquête eut lieu le 24 juillet 1973 et
l'enquêteur spécial conclut que la requérante fai-
sait partie de la catégorie de personnes mentionnée
au sous-alinéa 18(1)e)(ix) de la Loi sur l'immigra-
tion et ordonna son expulsion.
La requérante porta alors la question devant la
Commission d'appel de l'immigration conformé-
ment à l'article 11 de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration. L'appel fut entendu les
30 et 31 août 1973 et fut rejeté le 2 octobre 1973.
En rejetant l'appel, la Commission considéra la
possibilité d'exercer «les pouvoirs de statuer en
équité» en vertu de l'article 15 de la Loi, mais
refusa de le faire et ordonna l'exécution de l'ordon-
nance d'expulsion le plus tôt possible. Le 7 décem-
bre 1973, la requérante fit savoir que serait dépo-
sée en son nom, auprès de la Commission d'appel
de l'immigration, une demande d'ordonnance
visant la reprise de l'audition des 30 et 31 août
1973 et lui permettant de présenter de nouveaux
éléments de preuve sur certains points, ce qui
mettrait en jeu l'article 15 de la Loi sur la Com
mission d'appel de l'immigration. La requête fut
entendue les 18 et 19 février 1974 et rejetée. C'est
à la suite de ce rejet qu'une demande présentée en
vertu de l'article 28 fut introduite en l'espèce.
Dans une telle demande, les motifs pour lesquels
cette cour peut annuler une ordonnance sont res-
treints. Une telle ordonnance peut être annulée
uniquement
... au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion
de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans
tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Il est important de souligner que, dans la pré-
sente demande, la décision de la Commission d'ap-
pel de l'immigration refusant d'accueillir l'appel
interjeté à l'encontre de l'ordonnance d'expulsion
rendue par l'enquêteur spécial n'est pas contestée,
non plus que sa décision de ne pas octroyer un
redressement «fondé sur l'équité». Seule la décision
de la Commission de ne pas reprendre l'audition
est contestée.
Selon la requérante, le fait qu'un membre de la
Commission, qui avait entendu son appel en juillet
1969, y siégeait aussi lors du rejet de la demande
de reprise de l'audition, justifiait l'annulation de la
décision. La demande portait essentiellement que,
puisqu'il avait été impliqué dans la décision anté-
rieure concluant à l'expulsion, le membre en ques
tion ne pouvait siéger à nouveau sans, au moins en
apparence, avoir de préjugé défavorable. Dès lors,
a-t-elle prétendu, sa participation à l'audition en
question était contraire à un principe de justice
naturelle selon lequel une personne appelée à être
juge doit, même en apparence, être impartiale.
Lorsqu'au début de l'audition, la question fut sou-
mise à la Commission, les avocats de la requérante
refutèrent expressément toute allégation de
partialité.
A mon avis, le principe de justice naturelle
invoqué n'est pas transgressé du simple fait que,
comme en l'espèce, la personne prononçant la déci-
sion a participé à une décision antérieure portant
sur une autre question, mais impliquant la même
partie. S'il en était autrement, il serait alors inter-
dit à un juge qui a déjà fait subir un procès à un
individu et l'a déclaré coupable, de lui faire subir un
procès sur un autre chef d'accusation. Voir l'arrêt
Nord-Deutsche Versicherungs Gesellschaft c. La
Reine, [1968] 1 R.C.É. 443.
De même, nous estimons sans fondement la
prétention qui nous fut soumise selon laquelle la
Commission a omis d'observer un principe de jus
tice naturelle en refusant de prolonger l'ajourne-
ment avant que la requête en cause ne fût
entendue.
Lors de l'audition de la requête, la preuve dépo-
sée devant la Commission comportait un certain
nombre de documents visant à établir que, depuis
l'audition de son appel devant la Commission, la
requérante avait réussi à renoncer à la nationalité
américaine et était ainsi devenue une apatride; ces
documents incluaient deux affidavits de personnes
qui, à un moment ou à un autre, se sont chargées de
défendre la requérante à la suite de certaines
accusations portées contre elle aux États-Unis, un
affidavit d'un avocat qui l'avait représentée au
sujet d'une réclamation résultant d'un accident de
travail et avait réussi à faire accepter sa réclama-
tion et rétablir le paiement, ainsi qu'une lettre d'un
médecin qui, récemment, l'avait examinée à
Ottawa. Ces documents comprenaient également
un affidavit de J. B. Lanctôt qui se déclara corres-
pondant canadien au Haut Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés; il déclara avoir
envoyé au siège du Haut Commissariat à Genève
certains documents que lui avait fournis la requé-
rante, [TRADUCTION] «pour consultation, com-
mentaires et conseils offrant ainsi officieusement
les bons services du correspondant.»
Dans ses motifs, la Commission examina cha-
cune de ces rubriques et fit remarquer qu'elles
constituaient une preuve insuffisante et trop peu
convaincante pour que la Commission soit amenée
à modifier la décision dont la requérante avait
interjeté appel et à accorder le redressement prévu
à l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel
de l'immigration. Elle conclut en rejetant sa
demande de statut de réfugiée au sens de l'article
15(1)b)(i) de la Loi, modifiée à compter du 15
août 1973, son appel étant en instance, et en
rejetant au même titre sa demande visant la réou-
verture de l'appel aux fins d'un nouvel examen en
vertu du sous-alinéa 15(1)b)(ii) de la Loi, puisqu'il
n'y avait aucun nouvel élément de preuve autre
que sa renonciation à sa nationalité et qu'aucun de
ces éléments n'était [TRADUCTION] «en pratique
concluant, c'est-à-dire, ne constituait pas «un
motif suffisant» pour justifier un nouvel examen de
la décision initiale portée en appel> ».
Lors de l'audition de la demande déposée devant
cette cour, l'avocat modifia quelque peu sa position
par rapport à celle qu'il avait adoptée devant la
Commission. Il prétendit que la disposition prévue
antérieurement au sous-alinéa 15(1)b)(i) s'appli-
quait et exigeait l'utilisation d'un critère différent,
dont la Commission n'avait pas tenu compte,
savoir l' ((existence de motifs raisonnables de croire
que, si l'on procède à l'exécution de l'ordonnance,
la personne intéressée sera punie pour des activités
d'un caractère politique». Il prétendit également
que la Commission avait appliqué un critère trop
rigoureux en décidant de ne pas accorder la
demande.
Quant au fait que la Commission a examiné
l'affaire sans tenir compte de la disposition anté-
rieure, nous sommes d'avis que rien ne lui permet-
tait, à quelque époque que ce fut, de conclure à
bon droit que les infractions dont la requérante fut
déclarée coupable aux États-Unis ou que les accu
sations auxquelles elle fait présentement face et au
sujet desquelles elle peut encourir une peine à son
retour aux États-Unis, constituaient des infrac
tions d'un caractère politique. Il n'y avait pas non
plus de motifs raisonnables de croire qu'elle pou-
vait être punie pour des activités de caractère
politique si elle retournait aux États-Unis. A notre
avis, par conséquent, il importe peu qu'en faisant
l'examen de la question, la Commission n'ait pas
tenu compte de cette disposition et ne l'ait pas
appliquée à la présente affaire.
En outre, la preuve déposée devant la Commis
sion n'était vraisemblablement pas de nature, à
notre avis, à l'inciter à octroyer le redressement
prévu au sous-alinéa 15(1)b)(ii) et il ressort des
observations que la Commission fit sur plusieurs
parties de la preuve, que ce fut le point de vue
qu'elle adopta à leurs sujets. Les motifs démon-
trent, à notre sens, que la Commission a fait
l'examen et l'évaluation de la preuve et, la jugeant
non concluante, refusa de reprendre l'audition de
l'appel.
Dans ces circonstances, bien que nous estimions
que la discrétion de la Commission de reprendre
une audition est absolue et que l'exercice de cette
discrétion ne doit pas être limité par l'adoption de
règles rigides, il ne nous semble pas qu'on puisse
considérer le refus de la Commission de faire droit
à la demande de nouvelle audition présentée par la
requérante comme un exercice injustifié de sa
discrétion ou comme se fondant sur une quelcon-
que erreur de droit.
La demande est par conséquent rejetée.
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