T-5374-73
La Reine (Demanderesse)
c.
Cyrus J. Moulton Ltd. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, les 13 et 19 février 1975.
Impôt sur le revenu—Somme réclamée par la Couronne à
un contribuable—La Couronne s'adresse à la défenderesse—
La défenderesse est-elle débitrice du contribuable?—Justifica-
tion des fonds déposés en fiducie—Jugement rendu en faveur
de la Couronne sur les plaidoiries—Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 224 et 227—Mechanics'
Lien Act, S.R.O. 1970, c. 267, art. 2 et 5—Règles 319, 341,
408 et 474 de la Cour fédérale.
La demanderesse a réclamé à la défenderesse la somme de
$7,324.54 prétendument due par le contribuable M au titre de
l'impôt sur le revenu et imputable sur la dette de la défende-
resse envers M. Il est implicitement admis dans la défense
qu'aucune somme n'a été versée à cet égard. Outre une déclara-
tion générale de non-responsabilité, on a prétendu que les
sommes versées par la défenderesse, en sa qualité d'entrepre-
neur général, à M, en sa qualité de sous-entrepreneur, étaient
consignées en fiducie en vertu des articles 2 et 5 de la Mechan
ics' Lien Act (Ontario) au profit des ouvriers de M. En réponse
à la demande de détails présentée par la demanderesse, la
défenderesse révèle avoir effectué des paiements à M avant
d'avoir encaissé des fonds du propriétaire de l'ouvrage en cause.
En vertu de la Règle 341, la demanderesse a demandé un
jugement sur les plaidoiries. La demanderesse a déposé un
affidavit non controversé pour signifier la demande en vertu de
l'article 224(1) une date antérieure à celle des paiements
effectués par la défenderesse à M.
Arrêt: jugement est rendu en faveur de la demanderesse. Le
point de savoir si les fonds touchés par la défenderesse ont été
consignés en fiducie est une question de droit découlant de faits
élucidés. Les conditions de constitution d'une fiducie faisaient
défaut. Il n'existait aucun fiduciaire ni aucun capital, puisque
la défenderesse a payé M avant de recevoir du propriétaire les
fonds qui, autrement, auraient pu constituer un capital dont la
défenderesse aurait pu être le fiduciaire. Il n'existait aucun
bénéficiaire car la défense ne contenait aucune allégation selon
laquelle les ouvriers de M n'avaient pas été rétribués. Même s'il
existait une fiducie, le paiement effectué par la défenderesse au
Ministre, conformément à la demande à tierce partie signifiée
par ce dernier, n'aurait pas constitué un emploi non autorisé
par la fiducie créée en vertu de la Mechanics' Lien Act. La
demanderesse était fondée à recourir à la Règle 341 pour
obtenir un jugement, une fois les faits essentiels clairement
admis et la conséquence juridique certaine.
Arrêts suivis: Royal Trust Co. c. Trustee of the estate of
Universal Sheet Metals Ltd. (1970) 8 D.L.R. (3°) 432; La
Reine c. Gary Bowl Ltd. [1974] 2 C.F. 146.
REQUÊTE.
AVOCATS:
B. Wallace pour la demanderesse.
K. Ross pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Wilson & Ross, Ottawa, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version francaise des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Il s'agit d'une demande
présentée par Sa Majesté pour que soit rendu un
jugement fondé sur les plaidoiries et autres docu
ments, conformément à la Règle 341 des Règles de
la Cour fédérale qui est ainsi libellée:
Règle 341. Une partie peut, à tout stade d'une procédure,
demander un jugement sur toute question
a) après une admission faite dans les plaidoiries ou d'autres
documents déposés à la Cour, ou faite au cours de l'interro-
gatoire d'une autre partie, ou
b) au sujet de laquelle la seule preuve est constituée par des
documents et les affidavits qui sont nécessaires pour prouver
la signature ou l'authenticité de ces documents,
sans attendre le jugement de tout autre point litigieux entre les
parties.
Dans sa déclaration, Sa Majesté allègue que
Saverio Micucci, exploitant une entreprise sous la
raison sociale Bytown Masonry Construction, était
redevable en vertu de la Loi de l'impôt sur le
revenu d'un montant de $7,324.54; que le 15 jan-
vier 1973 le ministre du Revenu national savait ou
soupçonnait que la défenderesse était endettée
envers Micucci ou sur le point de le devenir ou
était astreinte à lui faire un paiement; que le 15
janvier 1973, on a signifié à la défenderesse elle-
même une lettre lui demandant de verser au rece-
veur général du Canada les fonds qu'elle devait à
Micucci jusqu'à concurrence de $7,324.54, en
raison de l'obligation de Micucci envers le Minis-
tre aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu;
qu'entre le 15 janvier 1973, date de la signification
de la demande à la défenderesse, et le 4 mai 1973,
la défenderesse a effectué un certain nombre de
versements à Micucci dont le total excède la
somme dont ce dernier est redevable au receveur
général du Canada et que, par ailleurs, aucune
somme n'a été versée au receveur général du
Canada.
C'est pourquoi, dans la demande de redresse-
ment, le sous-procureur général du Canada
réclame un jugement condamnant la défenderesse
à payer la somme de $7,324.54 ainsi que les
dépens de l'action.
Dans sa défense, la défenderesse a dénié cha-
cune des allégations contenues dans la déclaration,
hormis une allégation sans grande portée énoncée
au paragraphe 1 de ladite déclaration portant que
[TRADUCTION] «la demanderesse doit en établir la
preuve complète».
Il est ensuite allégué que, le 16 mars 1973 ou
vers cette date, la défenderesse a conclu un contrat
avec Micucci pour l'exécution d'un travail de
maçonnerie à l'«Almonte Arena» à Almonte
(Ontario). Cette allégation tend à établir que la
défenderesse était l'entrepreneur général du projet
de construction et que Micucci était sous-entrepre
neur.
Les paragraphes 3, 4 et 5 de la défense sont
rédigés comme suit:
[TRADUCTION] 3. Ledit contrat a pris fin le 4 mai 1973 ou
vers cette date et tous les paiements effectués en vertu dudit
contrat ont été faits par la défenderesse à l'ordre de la Bytown
Masonry Construction, Saverio Micucci, pour le travail accom-
pli par ce dernier et ses ouvriers. La défenderesse affirme et il
ressort des faits qu'en vertu du travail et des services fournis
par la Bytown Masonry Construction et ses ouvriers au profit
de la défenderesse, ladite Bytown Masonry Construction et ses
ouvriers ont acquis un privilège sur le bien précité correspon-
dant au prix du travail, conformément à l'article 5 de la
Mechanics' Lien Act, S.R.O., 1970, c. 267.
4. La défenderesse affirme et il ressort des faits que, confor-
mément à l'article 2 de la Mechanics' Lien Act, S.R.O. 1970, c.
267, tous les fonds perçus par la défenderesse dans le cadre de
ce projet ont été versés en fiducie en faveur de tous les ouvriers
travaillant au projet et, en conséquence, les fonds versés à
Saverio Micucci servaient à payer les propres salaires de ses
ouvriers. A aucun moment Saverio Micucci n'a été, en droit, le
propriétaire réel de toutes les sommes réclamées en l'espèce,
mais il a plutôt reçu la plus grande partie des fonds comme
autre fiduciaire pour le compte de ses ouvriers à charge de les
leur remettre suivant leurs droits respectifs.
5. La défenderesse soutient donc qu'elle n'était pas endettée
envers Saverio Micucci personnellement pour le montant indi-
qué dans la déclaration de la demanderesse.
En substance, ces allégations portent que les
fonds versés par la défenderesse à Micucci ont été
consignés en fiducie en vertu de l'article 2 de The
Mechanics' Lien Act, S.R.O. 1970, c. 267, dont les
paragraphes (1) et (2) sont ainsi rédigés:
[TRADUCTION] 2.—(1) Toute somme reçue par un construc-
teur, un entrepreneur ou un sous-entrepreneur, à valoir sur le
prix fixé par le contrat, constitue un compte en fiducie dans ses
mains au profit du propriétaire, du constructeur, de l'entrepre-
neur, du sous-entrepreneur, de la Commission des accidents du
travail, des ouvriers et des personnes qui ont fourni des maté-
riaux dans le cadre du contrat ou qui ont loué du matériel
utilisé sur les lieux des travaux, et le constructeur, l'entrepre-
neur ou le sous-entrepreneur, selon le cas, est le fiduciaire de
toutes les sommes qu'il a ainsi perçues et il ne doit s'en
approprier ou en convertir aucune partie à son profit ou pour
aucun emploi non autorisé par la fiducie avant que tous les
ouvriers et toutes les personnes qui ont fourni des matériaux en
vertu du contrat ou qui ont loué du matériel utilisé sur les lieux
des travaux, et jusqu'à ce que tous les sous-entrepreneurs soient
rémunérés pour le travail effectué ou pour les matériaux fournis
en vertu du contrat et que la Commission des accidents du
travail ait perçu toutes les cotisations à cet égard.
(2) Nonobstant le, paragraphe (1), lorsqu'un constructeur,
un entrepreneur ou un sous-entrepreneur a payé en totalité ou
en partie des sommes correspondant aux matériaux fournis
dans le cadre du contrat ou à l'équipement loué, ou a payé tout
ouvrier qui a accompli un travail ou tout sous-entrepreneur qui
a posé ou fourni des matériaux relativement au contrat, la
retenue par ce constructeur, cet entrepreneur ou ce sous-entre
preneur d'une somme égale à la somme ainsi payée par lui ne
doit pas être considérée comme une affectation ou une conver
sion à son profit ou à tout autre emploi non autorisé par la
fiducie.
Les principes régissant les plaidoiries sont énon-
cés aux Règles 408 et suivantes et constituent les
principes de base selon lesquels les plaidoiries doi-
vent contenir un exposé précis des faits essentiels
sur lesquels se fonde la partie qui les invoque. Aux
termes de la Règle 412, une partie peut, dans sa
plaidoirie, soulever tous points de droit, mais le fait
de soulever une question de droit ou simplement
d'affirmer une conséquence juridique ne saurait
remplacer un exposé des faits essentiels sur lequel
se fonde la conséquence juridique. La Règle 412
est une reconnaissance expresse de la maxime bien
connue selon laquelle ce n'est pas le droit mais les
faits qui doivent être invoqués.
On voit facilement que pour déterminer si les
fonds versés par la défenderesse à Micucci ont été
consignés en fiducie, il est essentiel de connaître la
date à laquelle le propriétaire a versé les fonds à la
défenderesse et si, à cette époque, les sous-entre
preneurs et les ouvriers avaient accompli un travail
pour lequel ils n'avaient pas été payés. Ces dates et
ces faits sont essentiels pour déterminer s'il existait
une fiducie, ou, en posant la question différem-
ment, s'il s'agissait d'allégations de faits essentiels
sur lesquels doit se fonder la conséquence
juridique.
Aux prises avec ce dilemme, Sa Majesté l'a
résolu en demandant des détails plus amples et
plus précis sur l'existence de la fiducie alléguée au
paragraphe (4) de la déclaration.
Les faits saillants qui suivent ressortent de la
réponse à la demande de détails; n'oublions pas
que le 15 janvier 1973 le Ministre a présenté la
demande pour recouvrer de la défenderesse un
montant de $7,324.54 sur les montants dont elle
était endettée envers Micucci ou sur le point de le
devenir.
La demande de $7,324.54 a été présentée le 15
janvier 1973.
Il existait quatre projets de construction dont la
défenderesse était l'entrepeneur et Micucci le
sous-entrepreneur.
L'un des contrats visait la construction de l'nAl-
monte Arena». La défenderesse, dans le cadre de
ce projet, effectua les paiements suivants à l'ordre
de Micucci aux dates indiquées ci-après:
le 23 mars 1973 $1,700.00
le 30 mars 1973 267.60
le 6 avril 1973 1,488.00
le 12 avril 1973 1,275.00
le 19 avril 1973 2,125.00
le 4 mai 1973 1,000.00
Total $7,855.60
Le contrat de sous-traitance conclu entre la
défenderesse et Micucci a été signé le 16 mars
1973 ou vers cette date.
La défenderesse a reçu un paiement du proprié-
taire dans le cadre de ce projet aux dates suivantes
et aux montants indiqués ci-après:
le 20 avril 1973 $29,665.00
le 25 mai 1973 48,424.50
le 20 juin 1973 67,036.95
En comparant les chiffres précédents, il appert
que la défenderesse a effectué cinq paiements à
l'ordre de Micucci avant de recevoir le premier
paiement, le 20 avril 1973, aux termes dudit
contrat.
Le 4 mai 1973, la défenderesse a versé à l'ordre
de Micucci un autre paiement qui était antérieur
au second paiement que la défendresse reçut du
propriétaire, le 25 mai 1973.
La défenderesse a entrepris le second projet de
construction pour le compte de la Consumers Dis
tributing Ltd. à Ottawa (Ontario).
Le 23 mars 1973, la défenderesse a versé à
Micucci $331.80 en contrepartie du travail effec-
tué dans le cadre de ce projet. Le 30 avril 1973, la
défenderesse a touché du propriétaire une somme
s'élevant à $34,790.14. De nouveau, il est mani-
feste que la défenderesse a versé un montant de
$331.80 Micucci avant de recevoir les fonds du
propriétaire.
La défenderesse a entrepris un troisième projet
de construction pour le ministère de l'Environne-
ment.
Les paiements effectués par la défenderesse à
Micucci se décomposent comme suit:
le 30 mars 1973 $935.00
le 4 mai 1973 212.00
La défenderesse a reçu du propriétaire les
sommes suivantes:
le 25 avril 1973 $27,382.81
le 30 juin 1973 1,475.13
Là encore, il ressort clairement que le 30 mars
1973 la défenderesse a versé à Micucci $935 avant
qu'elle ne reçoive des fonds émanant du proprié-
taire le 25 avril 1973 et que, par ailleurs, la
défenderesse a versé à Micucci $212 le 4 mai
1973, c'est-à-dire avant qu'elle n'encaisse des
fonds provenant du propriétaire, le 30 juin 1973.
En ce qui concerne le quatrième projet de cons
truction, la défenderesse a versé à Micucci une
somme de $1,500 le 27 avril 1973, avant que la
défenderesse ne reçoive du propriétaire un verse-
ment de $2,985, le 30 mai 1973.
Selon l'avocat de la défenderesse le recours à la
Règle 341 par Sa Majesté était inapproprié en
raison de la dénégation dans la défense de toutes
les allégations contenues dans la déclaration et de
l'avertissement exprès dans cette défense que la
demanderesse devait [TRADUCTION] «en établir
la preuve complète». Il signifiait par là, et il l'a
affirmé par la suite, que Sa Majesté devait en
venir aux débats et prouver toutes les allégations
de fait en citant les témoins compétents.
Cette prétention ne se justifie pas, étant donné
que les faits ont été clairement admis et qu'il ne
reste plus aucun fait controversé à trancher.
Comme l'exigent les règles, un affidavit a été
déposé à l'appui de l'avis de requête. L'auteur de
cet affidavit déclare que la demande présentée en
vertu de l'article 224(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu a été, signifiée à la défenderesse le 15
janvier 1973 et que cette signification a été reçue
par un dirigeant de la défenderesse, B. Kent. L'ac-
ceptation de la signification à cette date est ins-
crite sur la demande qui est jointe à l'affidavit
comme pièce.
En outre, l'avocat de la défenderesse a contre-
interrogé l'auteur de l'affidavit, comme c'était son
droit, mais il n'a pas produit comme preuve la
transcription du contre-interrogatoire pour indi-
quer l'existence d'une quelconque controverse por-
tant sur les faits.
S'il existait une controverse réelle portant sur les
faits, la défenderesse avait toute liberté pour dépo-
ser des affidavits s'opposant à l'affidavit appuyant
la requête, conformément au droit conféré en vertu
de la Règle 319(2). Elle ne l'a pas fait. C'est pour
ces motifs que je suis arrivé à la conclusion qu'il ne
reste aucun fait controversé à trancher.
L'objet de la Règle 341 est de permettre à une
partie d'obtenir un jugement dans les meilleurs
délais, sans qu'il y ait lieu de tenir une audience
prolongée, après les admissions faites dans les
plaidoiries ou autres documents déposés à la Cour.
Pour ces motifs, tous les faits essentiels ont été
admis. La défenderesse ne peut contester que
Micucci soit endetté envers le ministre du Revenu
national d'un montant de $7,324.54. Ce point ne
concerne que Micucci et le Ministre, la défende-
resse n'y est pas partie. La signification à la défen-
deresse de la demande à tierce partie est admise et
une acceptation de signification est inscrite sur ce
document. La réponse à la demande de détails, qui
fait partie intégrante des plaidoiries, indique que la
défenderesse admet les dates et les montants des
paiements qu'elle a effectués à Micucci, paiements
intervenus postérieurement à la signification de la
demande, ainsi que les dates auxquelles elle a reçu
des paiements des propriétaires, dates qui sont
antérieures à celles des paiements qu'elle a faits à
Micucci. Il est admis implicitement dans la
défense que la défenderesse n'a effectué aucun
paiement au Ministre en exécution de ladite
demande.
Je ne peux imaginer d'autres faits qui ont besoin
d'être prouvés mais, pour m'en assurer, j'ai posé la
question à l'avocat de la défenderesse qui ne m'a
fourni aucune réponse satisfaisante, si ce n'est de
prétendre que la défenderesse était en droit d'être
[TRADUCTION] «entendue en Cour». Cela va à
l'encontre du but que cherche à atteindre la Règle
341.
Il reste la question de savoir, après l'admission
des faits, si les sommes reçues par la défenderesse
sont consignées en fiducie, en vertu de The
Mechanics' Lien Act. Il s'agit d'une question de
droit se posant à la suite des faits qui ont été
établis, qui sont clairs et non équivoques, comme le
sont également les admissions à cet égard. Les
admissions ne peuvent s'entendre que de la façon
dont elles ont été exposées en l'espèce et ne peu-
vent recevoir d'autre interprétation.
L'avocat de Sa Majesté a prétendu que la
défense, examinée à la lumière des admissions
concernant les faits qu'elle comporte, ne constitue
pas une défense en réplique à la déclaration.
L'avocat de la défenderesse a renouvelé ses pré-
tentions selon lesquelles les fonds qu'elle a reçus du
propriétaire ont été consignés en fiducie en faveur
de Micucci et de ses ouvriers non encore rétribués.
Si les fonds ainsi perçus par la défenderesse ont
été consignés en fiducie, l'allégation selon laquelle
une telle fiducie existait pourrait fort bien consti-
tuer une défense.
Toutefois, il s'agit toujours de savoir, à la
lumière des faits incontestables, s'il y a fiducie.
Les fonds perçus par la défenderesse et consi
gnés en fiducie, comme l'envisage The Mechanics'
Lien Act, sont ceux que lui a versés le propriétaire.
Revenons à la réponse faisant suite à la
demande de détails. Il ressort clairement des
admissions qu'elle comporte que la défenderesse a
versé des fonds à Micucci avant qu'elle ne reçoive
du propriétaire des fonds à valoir sur le prix fixé
dans le contrat.
La constitution d'une fiducie est subordonnée à
l'existence de trois caractéristiques essentielles.
En premier lieu, il doit exister un fiduciaire.
Aux termes de The Mechanics' Lien Act, le fidu-
ciaire serait la défenderesse mais cette dernière ne
devient pas fiduciaire tant que le propriétaire ne
lui a pas versé de fonds à valoir sur le prix dans le
contrat.
En second lieu, pour la constitution d'une fidu-
cie, il doit exister un capital. Vu les faits de la
présente affaire, pour qu'il y ait un capital, le
propriétaire doit avoir versé à la défenderesse des
fonds à valoir sur le prix fixé dans le contrat. C'est
une condition préalable à la qualité de fiduciaire
de la défenderesse. Manifestement, cette dernière
ne peut devenir fiduciaire avant la constitution
d'un capital et il n'y a aucun capital tant que le
propriétaire ne verse pas à la défenderesse de fonds
à valoir sur le prix fixé dans le contrat.
Le troisième élément d'une fiducie est l'exis-
tence d'un bénéficiaire. Dans l'affaire présente, ce
serait Micucci et ses ouvriers si celui-ci et ses
ouvriers n'étaient pas encore rétribués. La défense
ne contient aucune allégation de fait selon laquelle
soit Micucci soit ses ouvriers n'étaient pas encore
rétribués et, en l'absence de ces allégations, il n'y a
aucun bénéficiaire de la fiducie et, par conséquent,
il n'existe aucune fiducie.
Vu les faits incontestés, je conclus qu'il n'y a pas
eu constitution de fiducie.
En supposant qu'il existait une fiducie (ma con
clusion étant en sens contraire pour les motifs
énoncés précédemment), le paiement effectué par
la défenderesse au Ministre, conformément à la
demande à tierce partie qui lui a été signifiée, ne
constituerait pas un emploi non autorisé par la
fiducie créée en vertu de The Mechanics' Lien Act.
Dans l'arrêt Royal Trust Co. c. Trustée of the
Estate of Universal Sheet Metals Ltd.', le juge
d'appel Schroeder, commentant l'article 3(1) de
The Mechanics' Lien Act, S.R.O. 1960, c. 233
(maintenant l'article 2(1) de The Mechanics' Lien
' (1970) 8 D.L.R. (3') 432.
Act S.R.O. 1970, c. 267), a déclaré aux pages 435
et 436:
[TRADUCTION] Cet article a été adopté pour garantir que
l'avantage de la fiducie ainsi créée n'échappe au sous-entrepre
neur qui a droit à cet avantage. Si on considère la demande née
en vertu de la fiducie créée par la loi, et la créance du
défendeur à l'égard de la demanderesse comme étant simple-
ment des réclamations entre l'American Air Filter et la Univer
sal, on ne peut pas dire qu'il ne s'agit pas de créances récipro-
ques qui sont sujettes au droit de compensation prévu aux
articles 128 130 de la Judicature Act S.R.O. 1960, c. 197. Le
fait que la créance réclamée par l'American Air Filter est d'une
nature différente de sa dette envers la Universal n'est pas
pertinent en raison des dispositions de l'article 129(1) de la
Judicature Act rédigé comme suit:
129. (1) Les créances réciproques peuvent faire l'objet
d'une compensation entre elles, nonobstant le fait que ces
créances soient considérées, en droit, comme étant d'une
nature différente, excepté lorsque l'une ou l'autre des créan-
ces résulte d'une pénalité prévue dans un cautionnement ou
un contrat formel.
Ainsi, en compensant la dette de la demanderesse envers la
Universal, le fiduciaire ne prive pas la demanderesse de l'avan-
tage auquel elle a droit en vertu des dispositions de l'article 3 . de
la Mechanics' Lien Act.
Ainsi, la compensation d'une dette de Micucci,
sous-entrepreneur de la défenderesse—l'entrepre-
neur—ne constitue pas un détournement de l'avan-
tage de la fiducie ni un emploi non autorisé de la
fiducie par la défenderesse.
Dans la présente affaire, Micucci aurait été
endetté envers le Ministre en vertu de la Loi de
l'impôt sur le revenu. Si la défenderesse avait
versé au Ministre une partie des fonds qu'elle
devait, son paiement aurait constitué, en vertu de
l'article 224(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu,
une quittance valable et suffisante de l'obligation
de la défenderesse envers Micucci jusqu'à concur
rence du paiement fait au Ministre. Une fois que le
Ministre lui a signifié la demande de paiement, la
défenderesse se trouve endettée envers le Ministre
de la même façon que l'était Micucci. Par consé-
quent, la dette de Micucci envers le Ministre
devient une dette de la défenderesse envers le
Ministre au nom de Micucci, dette que la défende-
resse peut recouvrer de Micucci et, selon moi, qui
peut être compensée avec ce que la défenderesse
pouvait devoir à Micucci en vertu de la fiducie si
elle existait, ce qui, par conséquent, ne constitue-
rait pas un usage non autorisé de la fiducie.
Je pourrais également mentionner l'article
227(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu ainsi
libellé:
227. (4) Toute personne qui déduit ou retient un montant
quelconque en vertu de la présente loi est réputée retenir le
montant ainsi déduit ou retenu en fiducie pour sa Majesté.
Il s'ensuit que tous les fonds dont dispose la défen-
deresse et dont elle est redevable à Micucci, après
qu'on lui a signifié la demande à tierce partie en
vertu de l'article 227 de la Loi de l'impôt sur le
revenu, sont retenus par elle en fiducie pour sa
Majesté, laquelle fiducie serait antérieure à toute
autre fiducie créée en vertu de The Mechanics'
Lien Act. Toutefois, puisque j'ai conclu, pour les
raisons susmentionnées, qu'en l'espèce il n'existait
aucune fiducie en vertu de The Mechanics' Lien
Act, je ne suis pas tenu de trancher la question de
priorité entre des fiducies contradictoires.
Toutefois, l'avocat de la défenderesse a continué
à alléguer dans sa plaidoirie que le recours par Sa
Majesté à la Règle 341 était déplacé car il y avait
une importante question de droit à débattre, savoir
si, vue les faits admis, il existait une fiducie en
vertu de The Mechanics' Lien Act.
La Division d'appel de la Cour fédérale dans
l'arrêt La Reine c. Gary Bowl Limited 2 a, selon
moi, tranché l'opportunité du recours à la Règle
341. Dans cette affaire, il s'agissait de savoir si on
pouvait en appeler d'une cotisation à l'impôt sur le
revenu portant la mention nil. La Commission de
révision de l'impôt a accueilli l'appel du contribua-
ble contre une cotisation portant la mention nil.
L'affaire a été portée devant la Division de pre-
mière instance de la Cour fédérale sur appel de la
décision de la Commission de révision de l'impôt.
La Couronne a invoqué la Règle 341. Le savant
juge de première instance a rejeté la demande
présentée en vertu de la Règle 341, au motif que le
litige entre les parties impliquait une question de
droit. Le savant juge de première instance a laissé
entendre que la Règle 474, qui permet de présenter
une demande aux fins de statuer sur un point de
droit, était celle qu'il fallait invoquer.
En appel de cette ordonnance, on a soutenu
qu'une demande présentée en vertu de la Règle
2 [1974] 2 C.F. 146.
341 est appropriée lorsque les faits essentiels sont
clairement admis et que la conséquence juridique
ne fait pas de doute.
M. le juge Thurlow, parlant au nom de la Cour,
a commenté la Règle 341 en ces termes, aux pages
148-149:
Comme l'indiquent, me semble-t-il, les passages que j'ai
cités, la Règle se limite aux situations où, par suite des admis
sions etc., il n'y a aucune controverse quant à l'action prise
globalement ou quant à l'une de ses parties. Même lorsque tous
les faits nécessaires ont été admis, mais que leurs conséquences
juridiques sont toujours controversées, la Règle n'est pas appli
cable si la question de droit est importante ou assez défendable.
On ne peut valablement invoquer la Règle, telle que je la
conçois, au lieu de soumettre à la Cour un point de droit
soulevé par les plaidoiries, pour qu'il soit tranché avant le
procès en vertu de la Règle 474. Aux termes de cette Règle, il
appartient à la Cour de décider si l'on doit statuer avant le
procès sur un point de droit sujet à controverse et les parties
n'ont pas le droit de tourner l'exercice de ce pouvoir discrétion-
naire en présentant une requête visant l'obtention d'un juge-
ment fondé sur les admissions pour que le point de droit soit
débattu et tranché à l'audition de cette requête. D'autre part,
lorsque les faits pertinents sont clairement admis et que les
conséquences de l'application de la loi aux faits ne font pas de
doute, de sorte qu'un demandeur a manifestement droit ex
debito justitiae au redressement qu'il réclame dans l'action ou
qu'un défendeur a droit à un jugement rejetant l'action intentée
contre lui, selon le cas, une requête en vertu de la Règle 341 est
la façon appropriée d'obtenir un tel redressement immédiate-
ment plutôt qu'un procès qui ne changerait rien au résultat.
En l'espèce, j'ai conclu que tous les faits perti-
nents sont clairement admis et il ne reste plus
aucune question de fait controversée à trancher.
Pour les motifs que j'ai énoncés, les conséquences
de l'application de la loi aux faits ne font pas de
doute. L'avocat a eu l'occasion de débattre pleine-
ment la question de droit en jeu et je ne peux voir
aucune raison valable pour laquelle la défenderesse
a droit à en venir aux débats. Au contraire, Sa
Majesté la Reine a droit ex debito justitiae au
redressement qu'elle réclame.
L'article 224(4) de la Loi de l'impôt sur le
revenu est ainsi rédigé:
224. (4) Toute personne qui s'est libérée d'une obligation
envers une personne astreinte à faire un paiement en vertu de la
présente loi, sans se soumettre à une prescription du présent
article, est tenue de payer à Sa Majesté un montant égal à
l'obligation acquittée ou au montant qu'elle était tenue, en
vertu du présent article, de payer au receveur général du
Canada, le moins élevé des deux montants étant à retenir.
Par conséquent, jugement sera rendu en faveur
de Sa Majesté la Reine qui recouvrera le montant
de $7,324.54 ainsi que ses dépens taxables.
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