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T-1477-75
Claude Godon (Requérant) c.
Le Service pénitentiaire canadien et la Reine (Intimés)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, les 12 et 30 mai 1975.
Evasion de prisonnier—La peine pour évasion est-elle purgée concurremment avec les premières sentences?—Code criminel, S.C. 1953-54, c. 51, art. 129(1) et 621(4); S.R.C. 1970, c. C-34, art. 137(1) et 645(4) et modifications Règle 603 de la Cour fédérale.
Quand un prisonnier est condamné pour évasion, il doit d'abord purger la peine imposée à ce titre, et ensuite la portion non purgée de la sentence. Les sentences sont donc consécutives.
REQUÊTE.
AVOCATS:
A. Denis pour le requérant.
J. B. Belhumeur pour les intimés.
PROCUREURS:
Vian, Bélanger, Hébert, Mailloux, Beaure- gard, Paquet et Pinard, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une requête aux fins de jugement déclaratoire, par laquelle le requérant demande à cette cour de déclarer que la sentence prononcée contre lui par M. le juge A. Cloutier le l er mars 1966 était concurrente avec la peine qu'il avait déjà purgée. A l'appui de la requête, l'avocat du requérant avait déposé un affidavit accompagné d'une copie d'un extrait des procédures suivies à la Cour des sessions à Mont- réal, la sentence prononcée se lisait comme suit:
Deux ans de pénitencier à compter de ce jour.
Le requérant avait plaidé coupable à l'accusation suivante:
Le ou vers le 26ame jour de janvier 1966 Claude Godon s'est illégalement évadé d'une garde légale de l'institution Leclerc,
commettant par un acte criminel prévu à l'article 125A du Code criminel.
Cet article du Code en vigueur à l'époque traitait des évasions.
Quoique l'avocat des intimés ait mis en question la demande de jugement déclaratoire présentée par voie de requête et non par voie d'action, en raison des dispositions de la Règle 603, notamment du fait que la Reine est représentée par le procureur général du Canada, il a déclaré ne pas insister sur ce point et accepter que la Cour tranche la pétition au fond. Je suis d'avis que, puisque selon l'avocat du requérant, ce dernier aurait eu droit, en prin- cipe, à la libération conditionnelle en ce qui con- cerne sa peine originaire, si la sentence rendue par feu le juge Cloutier n'avait pas été interprétée comme une sentence consécutive mais concurrente, il y a urgence et il faut statuer rapidement, sans les retards supplémentaires qu'entraîneraient des objections procédurales visant la forme de l'action.
Dans l'affidavit déposé, il est déclaré qu'à la suite d'observations qui lui avaient été faites, feu le juge Cloutier avait clairement indiqué, voulant témoigner de la clémence au requérant, que la peine devrait être purgée concurremment avec les autres peines que celui-ci purgeait à l'époque. J'es- time qu'une telle preuve par ouï-dire, attribuant certaines déclarations à feu le juge Cloutier au moment il a rendu la sentence, n'est pas admis sible et que la sentence écrite à une signification propre qui nous lie. Il se peut bien que feu le juge Cloutier ait eu l'intention de faire purger la peine concurremment quand il a déclaré qu'elle devait prendre effet «à compter de ce jour» puisque, d'après son avocat, il restait au requérant à purger une période bien supérieure à 2 ans sur sa peine originaire.
Le vrai problème est de savoir si la sentence rendue par feu le juge Cloutier avait cet effet, ou même si, sur une accusation d'évasion, il pouvait prononcer une peine, susceptible d'être purgée con- curremment avec une condamnation antérieure. L'article 645(4) du Code criminel (article 621(4) du Code criminel en vigueur à cette époque, 2-3 Elizabeth II c. 51) pose, en règle générale, que la cour en imposant une deuxième peine
... peut ordonner que les périodes d'emprisonnement soient purgées l'une après l'autre.
En d'autres termes, sauf indication contraire de la cour, les condamnations sont concurrentes. L'arti- cle 137(1) (article 129(1) du Code en vigueur à l'époque et rédigé différemment, les distinctions étant négligeables en l'espèce) prévoit que
137. (1) Sauf disposition contraire de la Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus, une personne qui s'évade pen dant qu'elle purge une peine d'emprisonnement doit, après avoir subi toute peine à laquelle elle est condamnée pour cette évasion, purger la partie de la peine d'emprisonnement incluant toute réduction légale de peine mais excluant toute réduction méritée, qu'il lui restait à purger au moment de son évasion, moins toute période qu'elle a passée sous garde entre le jour elle a été reprise après son évasion et le jour elle a été condamnée pour cette évasion.
Il me semble que les mots «après avoir subi toute la peine à laquelle elle est condamnée pour cette évasion» indiquent clairement qu'après son renvoi au pénitencier, la personne en cause doit alors purger la peine infligée pour son évasion après quoi elle doit purger le reste de sa condamnation originaire.
En d'autres termes, la peine infligée pour éva- sion n'est pas purgée consécutivement à la con- damnation originaire, mais la réciproque est vraie. Le résultat est naturellement le même, mais je ne peux conclure qu'une cour, même si elle voulait faire purger une condamnation pour évasion con- curremment à la peine originaire, pourrait le faire en raison du libellé péremptoire de l'article 137(1) (ou l'article 129(1) en vigueur en 1966) qui déclare simplement:
129. (1) Un individu qui s'évade pendant qu'il purge une sentence d'emprisonnement est, après avoir subi toute peine à laquelle il est condamné pour cette évasion, tenu de purger la partie de sa sentence à laquelle il n'avait pas satisfait lors de son évasion.
L'avocat du requérant soutient que si feu le juge Cloutier, en voulant imposer une condamnation concurrente, s'était écarté de la Loi, la Couronne aurait faire appel à ce moment et qu'une autre cour ne peut maintenant conclure que sa sentence était entachée d'erreur. Je pense quee cet argument passe à côté de la question. La condamnation, telle qu'elle est rédigée, n'est ni entachée d'erreur ni contraire à la loi. Elle impose simplement une peine de 2 ans à compter de sa date. Il en résultait, par application de l'article 129(1), que le requé- rant commençait immédiatement à la purger et, ceci fait, le reste de sa peine originaire recommen- çait alors à courir. Il n'y avait pas d'erreur dans la
sentence ni rien qui aurait pu justifier un appel de la Couronne. La question n'est pas de savoir si le requérant, son avocat et même peut-être feu le juge Cloutier pensaient que la sentence serait con- currente (quoique, en dehors de la preuve irreceva- ble déjà mentionnée, aucun élément en tout cas n'indique que c'était l'intention du juge Cloutier), mais de déterminer les conséquences juridiques réelles de la sentence qu'il a rendue.
Les annotations du juge Irénée Lagarde, dans son traité Droit pénal canadien 2e éd. volume 1, concernant l'article 137, me renforcent dans ma conclusion; il déclare la page 273]:
Lorsque le fugitif est condamné à une peine pour son évasion, cette peine est d'abord purgée, puis il doit—ensuite--purger la partie non satisfaite de sa sentence. Il s'agit donc de peines consécutives [645(4)].
Je n'ai donc d'autres choix que de rejeter la requête avec dépens, si les intimés les réclament.
ORDONNANCE
La requête est rejetée avec dépens, si les intimés les réclament.
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