A-221-73
Joseph A. Fardella (Requérant)
c.
La Reine, représentée par le Conseil du Trésor
(Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
suppléants MacKay et Sweet —Ottawa, les 26
juin et l er août 1974.
Examen judiciaire—Prise en charge par le gouvernement
d'écoles et pensionnats pour Indiens qui relevaient de groupe-
ments religieux—Nomination d'un préposé au soin des
enfants au foyer scolaire—Refus du préposé au soin des
enfants de les amener au service religieux dominical obliga-
toire—Congédiement du préposé au soin des enfant s—
Liberté de religion—Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6,
art. 73(3), 115—Règlement sur l'emploi d'administrateurs et
de préposés au soin des enfants des foyers scolaires pour
Indiens—Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C.
1970, c. P-32, art. 28, 35 et 39—Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art.
23, 90 et 91—Déclaration canadienne des droits, S.R.C.
1970, Annexe III, art. 1c) et 2—Loi sur la Cour fédérale,
art. 28.
Sous réserve d'une période de stage, le ministère des
Affaires indiennes nomma le requérant au poste de préposé
au soin des enfants, au foyer scolaire de La Tuque. Dans le
cadre de l'administration d'écoles et pensionnats pour
Indiens, le ministère prit en charge ledit foyer, qui relevait
autrefois de groupements religieux. On nomma un pasteur
anglican au poste d'administrateur du foyer que cette église
gérait auparavant. L'administrateur ordonna au requérant
d'amener aux services religieux dominicaux les enfants dont
il avait la charge. Le requérant refusa d'obtempérer essen-
tiellement parce qu'il s'opposait à l'assistance obligatoire des
enfants. Le Ministère mit fin à son emploi. Le requérant
déposa un grief en vertu de l'article 90 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique et un arbitre,
nommé en vertu de l'article 91 de cette loi, offrit au requé-
rant d'être réintégré dans ses fonctions, à la condition qu'il
s'engage à conduire les enfants à l'église comme on le lui
ordonnait; il pouvait demander d'en être lui-même dispensé
et il n'était pas obligé d'appliquer des mesures coercitives,
ces problèmes revenant à l'administrateur. Le requérant
n'ayant pas déposé l'engagement requis, le congédiement fut
maintenu. En vertu de l'article 23 de la Loi sur les relations
de travail dans la Fonction publique, la Commission des
relations de travail dans la Fonction publique confirma les
conclusions de l'arbitre. Le requérant demanda l'annulation
de cette décision, en invoquant le pouvoir de révision prévu
à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: la demande est rejetée; l'arbitre était justifié de se
déclarer compétent en l'espèce car il s'agissait d'une
«mesure disciplinaire entraînant le congédiement», selon les
termes de l'article 91(1)b) de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique et non du «renvoi» d'une
personne dont l'engagement est assujetti à un stage, en vertu
de l'article 5 du Règlement sur l'emploi d'administrateurs et
préposés au soin des enfants des foyers scolaires pour
Indiens. Compte tenu de la preuve, la Commission a con
firmé, à bon droit, la conclusion de l'arbitre, selon laquelle il
n'y avait pas eu atteinte au droit du requérant à la liberté de
religion en violation des articles 1c) et 2 de la Déclaration
canadienne des droits. L'argument selon lequel la célébra-
tion de services religieux dans un foyer administré par le
gouvernement fédéral était, en soi, illégale, n'a aucun fonde-
ment juridique. Le maintien de telles activités est justifiable
lorsque le gouvernement reprend un système de foyers
scolaires pour Indiens administrés auparavant par divers
groupements religieux. Il y aurait transgression de la liberté
de religion d'un enfant en l'obligeant à assiter à un service
religieux, seulement si une telle obligation était contraire à
ses croyances religieuses.
Arrêts examinés: Robertson et Rosetanni c. La Reine
[1963] R.C.S. 651; Saumur c. La cité de Québec [1953]
2 R.C.S. 299; Board of Education c. Barnette (1943)
319 U.S. 624 et La Reine c. Drybones [1970] R.C.S.
282.
DEMANDE.
AVOCATS:
J. S. Midanik, c.r., pour le requérant.
M. Bonner pour l'intimée.
PROCUREURS:
Sherman, Midanik et Starkman, Toronto,
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
demande d'annulation d'une décision de la Com
mission des relations de travail dans la Fonction
publique en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale sur renvoi effectué aux termes de
l'article 23 de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique.
Le 18 octobre 1972, le requérant fut nommé
préposé au soin des enfants au foyer scolaire de
La Tuque, qui relève du ministère des Affaires
indiennes et du Nord canadien, en conformité
du Règlement sur l'emploi d'administrateurs et
de préposés au soin des enfants des foyers sco-
laires pour Indiens et sous réserve de celui-ci.
Bien que sa nomination ne prît effet que le 18
octobre, le requérant a en fait commencé à
travailler vers la fin de septembre 1972.
Le 10 novembre 1972, le requérant reçut du
ministère des Affaires indiennes et du Nord
canadien une lettre qui se lisait comme suit:
[TRADUCTION]: Le 17 octobre 1972, M. R. Michaud, Surin-
tendant régional du personnel, vous a fait part de votre
nomination au poste de préposé au soin des enfants, WP-1,
au foyer scolaire de La Tuque à compter du 18 octobre
1972.
Au second paragraphe, il était spécifié que vous étiez
nommé sous réserve d'une période de stage d'un (1) an.
Étant donné que votre surveillant et l'administrateur du
foyer scolaire ont signalé que vous aviez omis à plusieurs
reprises de remplir des fonctions qui faisaient partie de
votre travail, nous vous avisons que votre nomination au
poste que vous occupez présentement prendra fin le 11
décembre 1972.
Le requérant déposa à l'égard de cette action,
un grief conformément à l'article 90 de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction
publique; ayant porté le grief jusqu'au dernier
palier selon la procédure applicable et n'ayant
pas obtenu satisfaction, par un document inti-
tulé «Avis de renvoi à l'arbitrage», il renvoya, le
12 février 1973, le grief à l'arbitrage conformé-
ment à l'article 91 de la Loi.
Après l'audience du 20 mars 1973, l'arbitre
régla le 10 avril 1973 le grief par une décision
motivée.
En premier lieu, l'arbitre examina une excep
tion d'incompétence fondée sur la prétention
selon laquelle le requérant était un employé en
stage renvoyé en vertu de l'article 5 du règle-
ment susmentionné et qu'il n'avait pas été con-
gédié par suite d'une «action disciplinaire», ce
qui lui permettrait de renvoyer son grief à l'arbi-
trage en vertu de l'article 91. L'arbitre a rejeté
l'exception d'incompétence en concluant que,
«compte tenu des pièces justificatives produites
et des témoignages entendus à l'audition», le
renvoi à l'arbitrage a trait à un grief relatif à une
mesure disciplinaire qui a entraîné le
congédiement.
Se fondant sur la preuve, l'arbitre a conclu
qu'en réalité le renvoi du requérant était dû
principalement à son refus de conduire aux ser
vices religieux à la chapelle le dimanche matin
tous les garçons dont il avait la charge, malgré
l'ordre direct qu'il avait reçu à ce sujet de son
supérieur, le rév. Bonnard.
Les circonstances entourant l'affaire et les
faits pertinents sont exposés dans les extraits
suivants de la décision de l'arbitre:
Afin de comprendre les circonstances qui ont amené la
destitution de M. Fardella, il faut connaître quelques détails
de l'historique des foyers scolaires qui relèvent actuellement
du ministère des Affaires indiennes et du Nord. À une
certaine époque, diverses Églises et groupements religieux
s'occupaient seuls de l'éducation des jeunes Indiens et ils en
assumaient toute la responsabilité. Ces dernières années, la
situation a changé et les personnes auparavant au service
des diverses Églises et groupements religieux sont devenues
des fonctionnaires. Dans le cas du pensionnat des Indiens à
La Tuque, l'Église anglicane administrait auparavant ce
foyer, ce qui explique le fait que son administrateur, un
fonctionnaire classé WP-3, soit un prêtre anglican et qu'il y
ait encore un aspect religieux à l'affaire. Le Ministère a
continué à entretenir des rapports avec les diverses Églises
après que le gouvernement eut pris la direction de ce secteur
d'activités et les Églises ont continué à jouer un rôle impor
tant, du moins indirectement, dans les questions de recrute-
ment d'employés, d'élaboration des lignes de conduite, d'ad-
ministration, etc.
Le pensionnat des Indiens à La Tuque ne s'occupe pas de
l'instruction proprement dite des enfants qui y résident: ils
fréquentent différentes écoles, françaises ou anglaises,
catholiques ou protestantes, de la région de La Tuque. Le
rév. Bonnard est arrivé au foyer de La Tuque en 1968 après
avoir acquis une longue expérience comme missionnaire et
éducateur et il dirige actuellement cinquante-deux employés,
dont dix-huit préposés au soin des enfants. Ce foyer scolaire
a été construit par l'Église anglicane qui l'a administré et
financé jusqu'à sa prise en charge, en 1969, par le ministère
des Affaires indiennes et du Nord. À cette date, ses
employés sont devenus des fonctionnaires et l'Église a con-
tinué à avoir son mot à dire au sujet de l'embauchage de
l'administrateur et, conséquemment, au sujet de l'embau-
chage des préposés au soin des enfants qui relèvent de
l'autorité de celui-ci. La Commission de la Fonction publi-
que a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère
l'article 39 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique
et a décidé qu'il n'était ni praticable ni dans les meilleurs
intérêts de la Fonction publique d'appliquer la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique aux postes d'administra-
teurs et de préposés au soin des enfants des foyers scolaires
pour Indiens du ministère des Affaires indiennes et du Nord.
En conséquence, le gouverneur en conseil, sur avis con-
forme de la Commission, a édicté un règlement, en vertu de
l'article 35 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique,
qui stipule le mode de gestion de ces postes et des personnes
exclues aux termes de l'article 39. Ce règlement (le Règle-
ment sur l'emploi d'administrateurs et de préposés au soin
des enfants des foyers scolaires pour Indiens) permet l'em-
bauchage d'employés sans suivre les méthodes habituelles
avec concours, etc. Le Règlement a donc eu pour effet de
continuer de donner à l'Église un rôle considérable dans le
recrutement et l'embauchage du personnel.
Lorsque le rév. Bonnard est arrivé à la Tuque en 1968, il
y avait apparemment un service religieux obligatoire chaque
jour et deux services religieux le dimanche et on exerçait de
fortes pressions sur les membres du personnel et sur les
étudiants pour que non seulement ils y assistent, mais aussi
pour qu'ils communient. Les élèves du foyer viennent sur-
tout de deux bandes d'Indiens qui font partie de la nation
Cris: la bande des Mistassini et celle des Waswanipi. Cer-
tains éléments de preuve produits à l'audition indiquent que
les parents désiraient fortement que les enfants assistent aux
services religieux, surtout ceux de la bande des Waswanipi.
Environ quarante-cinq pour cent des élèves appartiennent à
chacune des deux bandes et dix pour cent viennent d'autres
bandes. À son arrivée, le rév. Bonnard a supprimé les
services quotidiens et a commencé à diminuer et à éliminer
le degré de contrainte imposée aux élèves et au personnel. B
y a maintenant un seul service pour chaque groupe d'enfants
le dimanche: un pour les jeunes enfants et l'autre pour les
enfants plus âgés. Ces services comprennent, un dimanche,
la célébration de la communion et l'autre dimanche, des
prières du matin. Aucun élément de preuve ne donne à
penser que des parents se soient opposés aux services
religieux ou qu'ils aient demandé que les enfants en fussent
exemptés; l'administrateur n'a reçu aucune demande for-
melle à cet effet. Il semble donc y avoir une situation où
l'administrateur, les parents, tous les autres préposés au soin
des enfants (à l'exception de M. Fardella) et les enfants
considèrent et acceptent l'assistance aux services comme un
élément de routine, une chose qui va de soi. Le degré de
contrainte appliquée semble être que les enfants au moins
doivent assister aux services, à moins qu'une demande
formelle d'exemption ne soit faite, vraisemblablement par
les parents des enfants plus jeunes et par les enfants eux-
mêmes dans le cas de ceux qui sont plus âgés, par exemple
les adolescents. Voilà ce qui ressort du témoignage que le
rév. Bonnard a donné à l'audition.
L'employé s'estimant lésé avait la charge des enfants plus
âgés (ceux de 11 à 13 ans) le dimanche 24 septembre et il les
a tous conduit aux services célébrés dans la chapelle. Le
dimanche 1" octobre était pour lui jour de repos et le
dimanche 8 octobre il avait de nouveau la charge des
enfants plus âgés et il les a conduits aux services religieux.
L'employé s'estimant lésé a lui-même assisté aux services
bien qu'apparemment il n'y était pas obligé. En fait, il
semble que l'employé s'estimant lésé est assez religieux
lui-même. Il a communié à une ou deux occasions lors de
ces services, bien qu'il fût catholique et que les services
fussent de rite anglican. L'employé s'estimant lésé a par la
suite déclaré préférer aller aux services de rite anglican ou
catholique célébrés à la Tuque plutôt que d'aller à la cha-
pelle du foyer scolaire, parce que les enfants étaient obligés
d'assister à ces services et qu'il ne peut accepter aucune
coercition pour ce qui est des pratiques religieuses. Le
dimanche 15 octobre, le problème s'est posé pour la pre-
mière fois lorsque le rév. Bonnard s'est rendu compte qu'en-
viron un tiers seulement des garçons dont l'employé s'esti-
mant lésé avait la charge étaient à la chapelle. Il s'est ensuivi
une série de discussions et de disputes entre M. Fardella et
le rév. Bonnard au cours desquelles le rév. Bonnard rappe-
lait sans cesse à l'employé s'estimant lésé ses fonctions et ce
qu'on attendait de lui et l'employé s'estimant lésé réaffirmait
son point de vue sur le droit des enfants de prendre leur
propre décision au sujet de la participation aux services et
sa façon de concevoir la religion et la théologie. Évidem-
ment le rév. Bonnard a aussi fait valoir ses conceptions
théologiques sur le rôle de la religion dans l'éducation des
enfants et sur d'autres questions. Le rév. Bonnard a sans
cesse expliqué à M. Fardella qu'il considérait détenir un
mandat des parents pour obliger les enfants à assister aux
services alors que l'employé s'estimant lésé affirmait ne pas
pouvoir accepter que ces élèves soient obligés d'assister à
de tels services religieux. Aucun élément de preuve n'indi-
que que M. Fardella avait un autre motif pour s'opposer à
l'assistance aux services et l'obligation imposée aux enfants
d'assister aux services sans qu'ils aient d'autre choix semble
venir de l'hypothèse implicite, non contredite par un autre
élément de preuve, que les parents souhaitent que leurs
enfants assistent aux services religieux. Le rév. Bonnard a
déclaré que si quelqu'un s'opposait à l'assistance obligatoire
aux services, on modifierait immédiatement la ligne de con-
duite à cet égard afin de se conformer aux désirs des
parents. Dans le cas de la bande des Mistassini, un comité
scolaire permet aux parents de participer directement aux
prises de décisions relatives à la ligne de conduite et ils n'ont
jamais fait d'observations qui laisseraient croire à un désir
de leur part de modifier celle-ci. Dans le cas de la bande des
Waswanipi, comme on l'a déjà mentionné, le chef de la
bande a déjà fait des déclarations à l'appui de cette ligne de
conduite et a ajouté qu'il a l'appui des parents à cet égard.
Les élèves impliqués dans l'incident du 15 octobre étaient
les plus âgés, c'est-à-dire de 13 à 18 ans, avec une moyenne
d'âge de 15 ans. Les éléments de preuve laissent croire que
l'employé s'estimant lésé a peut-être eu plus de difficulté à
conduire les plus âgés à la chapelle ou qu'il a simplement
jugé que ces garçons pouvaient décider eux-mêmes s'ils
devaient y aller. De toute façon, nous disions que le 15
octobre la majorité des garçons les plus âgés n'ont pas
assisté aux services, après que l'employé s'estimant lésé leur
eut apparemment déclaré qu'il y avait un service auquel ils
pouvaient se rendre s'ils le souhaitaient. Le rév. Bonnard a
tracé à l'employé s'estimant lésé l'historique du foyer sco-
laire et lui en a rappelé les traditions; il lui a aussi rappelé le
point de vue des parents, le rôle de l'Église dans le passé, les
fonctions et responsabilités d'un préposé au soin des
enfants, etc., mais l'employé s'estimant lésé a continué à
répéter qu'il ne pouvait obliger des élèves à assister aux
services parce que c'était contraire à sa conscience et qu'il
estimait qu'il existait de très bonnes raisons morales pour
laisser le libre choix aux enfants. Il se peut même que
l'employé s'estimant lésé jugeait que les élèves devraient
avoir la liberté de choix dans d'autres domaines que la
religion, notamment l'assistance aux cours, etc. De toute
évidence, le rév. Bonnard ne pouvait accepter cette façon de
concevoir les choses et, lors de son témoignage à l'audience,
il a indiqué, qu'à son avis, l'assistance aux services ressem-
blait sous beaucoup d'égards à d'autres activités auxquelles
les garçons étaient plus ou moins obligés de prendre part,
par exemple faire du nettoyage, prendre une douche, etc., et
que des garçons souhaiteraient parfois ne pas avoir à faire
beaucoup de choses pour des motifs qui n'ont rien à voir
avec la religion. De l'avis du rév. Bonnard, tout ressentiment
que les élèves peuvent avoir eu à l'égard de l'assistance aux
services n'avait rien à voir avec la religion, mais traduisait
simplement le fait qu'ils auraient préféré demeurer au lit ou
faire autre chose. Le rév. Bonnard était d'avis, sur la foi des
discussions qu'il avait eues avec d'anciens élèves, que les
élèves retiraient une nourriture spirituelle et beaucoup de
bien de l'assistance aux services, alors que l'employé s'esti-
mant lésé n'était pas du tout d'accord. Le rév. Bonnard a
finalement dit à l'employé s'estimant lésé que son opinion
méritait d'être respectée, mais qu'il devait néanmoins exécu-
ter les directives comme il l'avait fait les dimanches précé-
dents alors qu'il avait conduit les enfants aux services
religieux.
Le dimanche 22 octobre, l'employé s'estimant lésé avait
de nouveau charge des garçons plus âgés et le rév. Bonnard
a remarqué qu'il en manquait un bon nombre au service
dans la chapelle. À la fin du service, le rév. Bonnard a
rencontré l'employé s'estimant lésé qui a de nouveau répété
qu'il ne pouvait pas faire ce qu'on attendait de lui, que lui
personnellement n'avait pas d'objection à assister aux servi
ces ni même à communier, mais qu'il ne devrait pas être
forcé d'y conduire tous les enfants. Puis l'employé s'esti-
mant lésé a formulé ce qui semblait être une suggestion
raisonnable, à savoir un échange de fonctions, avec un autre
préposé au soin des enfants, seulement pour la durée du
service du dimanche afin que quelqu'un d'autre accomplisse
les fonctions auxquelles il s'opposait et qui allaient à l'en-
contre de sa conscience. Le rév. Bonnard a déclaré que cela
n'était ni pratique ni raisonnable puisqu'il entrait dans les
fonctions de l'employé s'estimant lésé de conduire les
enfants aux services et qu'il faudrait faire travailler un autre
préposé au soin des enfants qui était en congé (jour de
repos) le dimanche matin. De nouveau le rév. Bonnard a
tenté de convaincre l'employé s'estimant lésé à l'aide de
motifs de nature théologique et éducative, avançant par
exemple l'argument que des enfants de l'âge de ceux en
cause avaient grand besoin de direction et qu'on ne pouvait
tout simplement leur dire qu'ils avaient la liberté de choix,
etc. À ce moment, l'employé s'estimant lésé a déclaré qu'il
devrait peut-être démissionner étant donné la situation et la
discussion a pris fin. On n'avait pas encore discuté de la
possibilité d'imposer une sanction disciplinaire à l'employé
s'estimant lésé.
Le lundi 23 octobre 1972, l'employé s'estimant lésé est
allé voir le rév. Bonnard pour lui dire qu'il ne changerait
d'aucune manière sa position, mais qu'il avait changé d'idée
au sujet de sa démission et qu'il continuerait à remplir ses
fonctions. Le rév. Bonnard a mentionné que la décision de
M. Fardella ne lui laissait d'autre choix que de recommander
de mettre fin à son emploi, compte tenu de l'attitude de
l'employé s'estimant lésé. Le 25 octobre, M. Fardella a de
nouveau réaffirmé sa position au rév. Bonnard qui lui a dit
que des démarches seraient entreprises pour le renvoyer en
cours de stage.
Après le 23 octobre, le mécanisme administratif pour
mettre fin à l'emploi de M. Fardella était bien sûr en branle.
D'autres discussions ont eu lieu entre l'employé s'estimant
lésé et le rév. Bonnard, discussions aux cours desquelles
l'employé s'estimant lésé a parfois pris un ton plus conci-
liant et à d'autres moments adopté une ligne plus dure où il
refusait de dévier de ce qu'il considérait comme une attitude
morale. Le 5 novembre 1972, un dimanche, l'employé s'esti-
mant lésé a été suspendu sans traitement pour le reste de la
journée pour avoir refusé de conduire son groupe de gar-
çons aux services à la chapelle ce matin-là, suspension qui a
été confirmée par une lettre en date du 7 novembre 1972
produite comme pièce 3. Le 6 novembre 1972, le rév.
Bonnard a envoyé au Ministère un autre rapport sur les
événements survenus depuis son rapport précédent. Cet
autre rapport, qui a été produit comme pièce 12, porte sur
l'attitude de l'employé s'estimant lésé, son intention de
contester, devant les tribunaux si nécessaire, toute décision
de le destituer, le fait que l'employé s'estimant lésé avait le
dimanche 5 novembre avisé le rév. Bonnard qu'il n'assiste-
rait pas au service à la chapelle et qu'il n'y conduirait pas
ses élèves, bien qu'il leur rappellerait qu'il y avait un ser
vice, etc. L'employé s'estimant lésé a été suspendu une
deuxième fois pour insubordination, pour avoir refusé de
conduire ses élèves à la chapelle le dimanche 12 novembre,
jour où seulement cinq des vingt-quatre garçons plus âgés
dont l'employé s'estimant lésé avait la charge ont assisté au
service. M. Fardella a de nouveau été suspendu la journée
du 19 novembre, lorsqu'il a avisé le rév. Bonnard avant le
service qu'il n'y conduirait pas les garçons dont il avait la
charge. Le dimanche 26 novembre étant un jour de repos
pour l'employé s'estimant lésé, il n'a fait l'objet d'aucune
suspension disciplinaire ce jour-là; le dimanche 3 décembre,
M. Fardella a de nouveau avisé le rév. Bonnard avant le
service qu'il ne serait pas présent à la chapelle avec son
groupe de garçons et il a de nouveau été suspendu pour le
reste de la journée. Bien sûr, l'employé s'estimant lésé
savait depuis environ le 10 novembre 1972 que son emploi
prendrait fin le 11 décembre suivant et toutes ces suspen
sions, sauf la première, lui ont été imposées après qu'il eut
été officiellement avisé de la cessation de son emploi; la
première suspension est survenue après qu'il eut appris que
le mécanisme administratif pour mettre fin à son emploi
avait été mis en branle. Le samedi 9 décembre, l'employé
s'estimant lésé a rencontré le rév. Bonnard et il semble qu'ils
sont convenus que puisque l'employé s'estimant lésé n'ac-
complirait pas ses fonctions relatives aux services à la
chapelle le dimanche 10 décembre et que son emploi pren-
drait fin le 11 de toute manière, le rév. Bonnard ne s'oppose-
rait pas à ce que M. Fardella partît ce même jour; l'employé
s'estimant lésé a donc quitté le foyer scolaire le samedi 9
décembre et ne s'est pas présenté au travail les 10 et-11
décembre.
Après avoir ainsi constaté les faits, l'arbitre
examina le grief du requérant dans lequel ce
dernier prétendait en fait que son refus d'obéir à
l'ordre de son supérieur était justifié parce que
cet ordre était illégal vu la partie de la Déclara-
tion canadienne des droits portant sur la liberté
de religion.
Quant à la prétention du requérant selon
laquelle on avait porté atteinte à son droit même
à la liberté religieuse, l'arbitre conclut que les
faits ne corroborent pas cette thèse parce qu'il
était simplement requis d'amener les élèves dont
il avait la charge aux services religieux sans
qu'il soit lui-même obligé d'y assister. La sanc
tion disciplinaire qu'on lui a imposée découle de
«son refus de conduire les élèves aux services»
et «non [de] son refus de participer aux services
eux-mêmes». Quant à la prétention du requérant
selon laquelle le fait de se conformer à l'ordre
de conduire les enfants aux services allait à
l'encontre de ses principes parce que «sa cons
cience l'empêchait de poser un acte qu'il consi-
dérait coercitif pour autant que les enfants
étaient concernés», l'arbitre adopta le raisonne-
ment suivant:
Ce qu'il veut vraiment dire, je suppose, c'est que ses croyan-
ces religieuses l'empêchent d'obliger qui que ce soit à assis-
ter à des services religieux contre son gré. Comme ligne de
conduite et comme principe, sa position est peut-être bien
fondée, mais je ne pense pas qu'on puisse dire ici qu'il est
question de violation de la Déclaration des droits ou de son
propre droit à la liberté de religion. Lorsque la Déclaration
mentionne la liberté de religion, je ne pense pas qu'elle
entend par là une liberté absolue, laquelle incontestablement
serait en contradiction avec les réalités de la vie si on en
étendait le sens à l'extrême. Si, par exemple, l'employé
s'estimant lésé pensait que ses croyances religieuses le
forcent à contraindre physiquement d'autres personnes à
faire certaines choses, la Déclaration des droits ne protége-
rait pas une telle attitude. La liberté de religion implique la
liberté pour un individu de rendre un culte de la manière
dont il l'entend et de croire à ce qui lui plaît, sans contrainte
extérieure qui le forcerait à rendre un culte ou à croire d'une
manière incompatible avec ses propres désirs. Elle implique
aussi la liberté de ne pas croire et de ne pas rendre de culte,
si c'est ce que l'on veut. Dans la présente affaire, les
éléments de preuve n'indiquent pas que le droit de l'employé
s'estimant lésé de rendre ou non un culte comme il l'entend
et de croire ou non comme il lui plaît ait été de quelque
manière supprimé, restreint ou enfreint. Tout au plus lui
a-t-on demandé de remplir des fonctions auxquelles il s'op-
pose moralement et s'il `avait raison en alléguant que cela
constituait une transgression de ses droits religieux prévus
par la loi au Canada, cela impliquerait que toute personne
qui est appelée à un moment donné à faire quelque chose à
laquelle elle s'oppose moralement pourrait refuser de le faire
et revendiquer la protection de la Déclaration canadienne
des droits. Je juge cette position non fondée et, dans cer-
tains cas, la personne qui s'appuie sur des principes moraux
peut devoir assumer les risques et les conséquences de ses
gestes, et peut-être de ce fait aura-t-on même de l'admiration
pour cette personne. D'autre part, elle peut ce faisant con-
trevenir à la loi. La loi n'est pas toujours ce qu'elle devrait
être et celle qui devrait être ne fait pas l'objet d'un consente-
ment unanime, mais elle est perçue différemment par
chacun. Ainsi, la loi morale à laquelle l'employé s'estimant
lésé se sent obligé d'obéir n'est pas nécessairement celle par
laquelle un autre individu se sentirait lié. De fait, aucun
autre préposé au soin des enfants ne s'est opposé en aucun
temps à conduire aux services religieux le dimanche les
enfants dont il avait la charge.
Se plaçant à ce sujet du point de vue des
enfants, l'arbitre fit une analyse de la question,
dont voici un extrait:
Étudions maintenant l'argument tendant à établir que l'on
a de quelque manière supprimé, restreint ou enfreint la
liberté de religion des enfants dont l'employé s'estimant lésé
avait la charge. Aucun élément de preuve n'indique que les
intéressés (élèves ou parents) ont formulé des objections
pour des motifs religieux. Des éléments de preuve non
contredits révèlent que si l'on avait formulé des objections
de cette nature auprès de l'administrateur, il aurait exempté
le ou les intéressés de l'enseignement religieux ou de l'assis-
tance aux services religieux. En l'absence de tels éléments
de preuve, on peut seulement faire des conjectures sur les
raisons qui ont poussé certains enfants à ne pas assister aux
services à certaines occasions, lorsque l'employé s'estimant
lésé leur en a laissé la liberté. On peut présumer qu'un
enfant qu'on laisse libre d'aller à un cours ou non, de jouer
au baseball ou non, de prendre un bain ou non etc., peut très
souvent décider de ne pas faire une chose plutôt que de la
faire, parce qu'il a à l'esprit un autre choix qui lui est plus
agréable. Je suis porté à penser que tel peut être le cas pour
bon nombre de ces enfants qui préfèrent, peut-être pas de
manière régulière, mais à l'occasion, participer à d'autres
activités au moment des services. Doit-on alors accorder à
l'enfant la liberté d'assister aux services du dimanche, de
sorte qu'il s'y rendra un dimanche et s'en abstiendra le
dimanche suivant, selon son état d'esprit? Si l'on refuse ce
genre de liberté aux enfants des foyers scolaires, est-ce
qu'on supprime, restreint ou enfreint leur liberté de religion
garantie par la Déclaration canadienne des droits? Je pense
qu'il faut faire une distinction entre les enfants plus jeunes
et ceux qui sont plus âgés. Dans le cas des plus jeunes, par
exemple, je serais enclin à penser que le désir des parents
constituerait un meilleur critère que le désir des enfants. Il
me semble que si un parent manifeste le désir que son
enfant ne reçoive pas d'enseignement religieux, ou n'assiste
pas aux services religieux, alors il faudrait assurément res-
pecter ce désir. Sinon, il y aurait violation de la Déclaration
des droits. Toutefois, rien ne prouve que ce fut le cas dans
la présente affaire.... Aucun élément de preuve ne démon-
tre que des parents ont demandé d'exempter leurs enfants
de cette obligation et les éléments de preuve indiquent que
le cas échéant on se conformerait à de telles demandes. Je
conclus donc qu'il n'y a eu aucune suppression, diminution
ou transgression des droits à la liberté de religion des
enfants indiens. Au sujet des enfants les plus âgés, dont le
plus vieux a 18 ans, on pourrait alléguer que dans leur cas ce
ne sont pas les parents, mais les enfants eux-mêmes qui
devraient pouvoir exercer un choix parmi les possibilités
énumérées plus haut. Mais là encore les éléments de preuve
produits à l'audition indiquent qu'aucune demande d'exemp-
tion n'a été produite.
En ce qui concerne les enfants indiens en cause, il n'y a pas
de preuve de contrainte ou de violation de leurs droits, étant
donné qu'ils avaient indéniablement le droit de refuser d'as-
sister aux services, comme le rév. Bonnard l'a déclaré à
l'audition. De toute façon, même si on avait violé de quelque
manière les droits des enfants, je crois que je n'aurais pas
compétence pour corriger la situation et par conséquent il
faudrait s'adresser à un autre tribunal; je suis simplement
saisi de la plainte de l'employé s'estimant lésé à l'effet que
sa destitution n'était pas justifiée alors que son refus d'ob-
tempérer aux ordres l'était. Je ne suis pas du tout certain
que même s'il y avait eu violation du droit des enfants à la
liberté de religion, ce fait aurait pu autoriser l'employé
s'estimant lésé à refuser d'obtempérer aux ordres reçus,
bien que je crois que si l'on avait violé le droit à la liberté de
religion de l'employé s'estimant lésé, celui-ci aurait eu le
droit de désobéir aux ordres reçus. De toute façon, ainsi que
je l'ai déjà déclaré, rien ne prouve qu'on ait violé de quelque
manière que ce soit le droit (de M. Fardella ou celui des
enfants) à la liberté de religion garantie par la Déclaration
canadienne des droits. Dans le contexte de l'institution, si
l'on se fonde sur son passé, l'assistance aux services du
dimanche semble une activité normale, un peu comme la
présence aux cours donnés en classe, et je pense que
l'employé s'estimant lésé aurait tort de prétendre, comme il
semble l'avoir fait, qu'un enfant doit être libre de refuser
non seulement d'assister aux services religieux, mais même
d'assister aux cours donnés en classe, étant donné qu'un
enfant doit avoir la liberté totale de choix dans ces matières.
Par conséquent, l'arbitre conclut que _ les
«ordres ... étaient parfaitement légitimes». Sur
ce, il rendit la décision suivante:
1. Considérant les faits prouvés et les pièces produites à
l'audition, je conclus que les éléments de preuve démontrent
que, en fait, la question en est une de discipline entraînant le
congédiement pour insubordination et refus d'obtempérer à
des ordres, et que par conséquent l'article 91 de la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique me confère
la compétence nécessaire.
2. L'employé s'estimant lésé est par les présentes sommé de
produire au greffier, dans les dix (10) jours qui suivent la
date où il aura été informé de la présente décision, une
promesse écrite de se plier à l'avenir aux ordres reçus du
rév. Bonnard pour de ce qui est d'amener les enfants sous sa
responsabilité aux services religieux le dimanche matin. Il
est bien entendu qu'une telle promesse ne veut pas dire que
l'employé s'estimant lésé doit lui-même assister à de tels
services s'il ne le désire pas à cause de ses convictions
religieuses; mais si c'est le cas, il devrait demander à être
exempté de l'obligation d'assister aux services. Il est aussi
entendu qu'il n'est pas obligé de prendre des mesures coerci-
tives à l'égard de ceux qui ne désirent pas assister aux
services et que de tels problèmes devraient être réglés par
l'administrateur.
3. Si l'employé s'estimant lésé fait parvenir dans les délais
prévus la promesse susmentionnée, j'ordonne par les pré-
sentes qu'il soit réintégré dans ses fonctions précédentes au
foyer scolaire de La Tuque dans les dix jours (10) qui
suivent la réception d'une telle promesse par le greffier.
Dans ce cas, son congédiement sera ramené à une suspen
sion sans traitement prenant fin le jour de sa réintégration.
4. Si l'employé s'estimant lésé ne fait pas parvenir une telle
promesse dans les délais susmentionnés, le congédiement
reste en vigueur et le grief est rejeté.
5. Je demeure saisi de la présente affaire afin d'apporter
toute modification à la présente décision ou d'émettre d'au-
tres ordonnances qui seront peut-être nécessaires ou souhai-
tables en vue de remplir l'objet et d'atteindre les fins de la
présente décision.
Par un document en date du 30 mai 1973,
intitulé «exposé des questions de droit et de
compétence et plaidoiries», le requérant ren-
voya la question à la Commission des relations
de travail dans la Fonction publique en vertu de
l'article 23 de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique. L'article 23 se lit
comme suit:
23. Lorsqu'une question de droit ou de compétence se
pose à propos d'une affaire qui a été renvoyée au tribunal
d'arbitrage ou à un arbitre, en conformité de la présente loi,
le tribunal d'arbitrage ou l'arbitre, selon le cas, ou l'une des
parties peut renvoyer la question à la Commission, pour
audition ou décision conformément aux règlements établis
par la Commission à ce sujet. Toutefois le renvoi d'une
question de ce genre à la Commission n'aura pas pour effet
de suspendre les procédures relatives à cette matière à
moins que le tribunal d'arbitrage ou l'arbitre, selon le cas, ne
décide que la nature de la question justifie une suspension
des procédures ou que la Commission n'en ordonne la
suspension.
Le 7 novembre 1973, la Commission des rela
tions de travail dans la Fonction publique rendit
sa «Décision motivée».
Voici, dans les motifs de la Commission, les
paragraphes où elle expose les questions qui lui
ont été soumises:
9. Une fois émise la décision de l'arbitre, l'employé s'esti-
mant lésé n'a pas respecté les conditions de sa réintégration
et a par la suite produit le présent renvoi à la Commission.
Dans son renvoi, l'employé s'estimant lésé allègue, inter
alia, que l'arbitre a commis une erreur en droit lorsqu'il a
conclu que l'exigence selon laquelle les enfants indiens
intéressés devaient assister au service à la chapelle le diman-
che matin ne constituait pas une violation de leur liberté
religieuse en contravention de la Déclaration canadienne des
droits. Il prétend en outre que l'arbitre a commis une erreur
en droit et a outrepassé sa compétence lorsqu'il a soutenu
que l'employé s'estimant lésé était légalement obligé d'ob-
tempérer à l'ordre du rév. Bonnard, savoir, conduire les
enfants au service religieux, et en ne réintégrant pas dans
ses fonctions précédentes l'employé s'estimant lésé, incondi-
tionnellement et avec rappel de traitement intégral pour tout
le temps qu'il a perdu par suite de son congédiement et des
suspensions précédentes que lui avait imposées le rév. Bon-
nard parce qu'il avait refusé de conduire les enfants à la
chapelle.
10. L'employeur soutient que le renvoi doit être rejeté
parce que l'arbitre n'avait pas compétence pour trancher le
grief, ou, dans l'hypothèse où il serait décidé qu'il avait
compétence, il n'a pas commis d'erreur en droit de la façon
alléguée dans le présent renvoi par l'employé s'estimant
lésé.
La Commission rejeta l'objection portant sur
la compétence de l'arbitre et trancha alors la
question au fond de la façon suivante:
38. L'avocat de l'employé s'estimant lésé a fondé sa préten-
tion à savoir 'que les éléments de preuve, dans certains cas,
n'appuyaient pas les constatations de faits formulées par
l'arbitre, sur certaines pièces de correspondance qui furent
produites comme pièces justificatives à l'audition devant
l'arbitre. L'avocat a toutefois admis qu'il n'avait pas eu
connaissance ni ne possédait d'enregistrement d'aucune
sorte en ce qui concerne les dépositions viva voce par
l'employé ou le rév. Bonnard qui, d'après la décision de
l'arbitre, sont les deux seules personnes à avoir témoigné à
l'égard des documents lors des procédures tenues devant lui.
Tenons comme établi, aux fins d'argumentation seulement,
que dans un renvoi aux termes de l'article 23 de la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique, la Com
mission a compétence pour contester ou revoir les constata-
tions des faits formulées par un arbitre. De toute évidence
dans des circonstances comme celles de la présente affaire
où on ne possède aucun procès-verbal sur lequel peut s'ap-
puyer la Commission (et même aucun enregistrement autre
que des preuves par ouï-dire) quant au témoignage donné
viva voce en ce qui concerne la correspondance, par l'em-
ployé s'estimant lésé et par le rév. Bonnard, la Commission
ne peut agir autrement que d'accepter l'interprétation qu'en
a fait l'arbitre. La Commission accepte par conséquent telles
quelles les constatations des faits formulées par l'arbitre
dans sa décision.
39. Compte tenu des observations présentées par les avo-
cats, nous faisons nôtre l'opinion de l'employeur à l'effet
que dans le présent renvoi, l'arbitre n'était pas tenu de
trancher la question de savoir s'il y avait eu violation de la
liberté de religion des enfants indiens dont l'employé s'esti-
mant lésé avait la charge, ou encore de celle de leurs parents
ou de tout autre employé du foyer scolaire, vu qu'aucune de
ces personnes n'était partie aux procédures. Par conséquent,
dans le présent renvoi la Commission n'est pas requise de
trancher la question de savoir s'il y a eu violation de la
liberté de religion des enfants intéressés, de leurs parents ou
de tout autre employé du foyer scolaire.
40. En ce qui concerne l'employé s'estimant lésé, nous
sommes convaincus que l'arbitre n'a pas commis d'erreur de
droit, découlant de ces constatations des faits, lorsqu'il a
décidé que l'ordre donné à celui-ci par son supérieur, le rév.
Bonnard, était légal et que l'ordre n'a en aucune façon
restreint, supprimé ou enfreint la liberté de religion de
l'employé s'estimant lésé.
La demande présentée en vertu de l'article 28
vise l'annulation de la décision de la Commis
sion des relations de travail dans la Fonction
publique susmentionnée.
En ce qui concerne la question de savoir si la
Commission a commis une erreur de droit en
décidant que l'arbitre ne s'était pas trompé au
fond, voici les dispositions pertinentes de la
Déclaration canadienne des droits:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits
de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés
ont existé et continueront à exister
c) la liberté de religion;
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement
du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera
nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'inter-
préter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, res-
treindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des
libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser
la suppression, la diminution ou la transgression ... .
La prétention du requérant que je suis disposé à
accepter tout au moins pour les fins de la pré-
sente demande, se fonde sur le fait que le foyer
scolaire de La Tuque est administré en vertu de
pouvoirs conférés par la Loi que l'on doit inter-
préter et appliquer, aux termes de la Déclaration
canadienne des - droits, «de manière à ne pas
supprimer, restreindre ou enfreindre ... ni à
autoriser la suppression, la diminution ou la
transgression» de «la liberté de religion». A
l'égard de la présente demande, cela signifie, si
je comprends bien, que rien dans la Loi et
aucun acte accompli sous son empire ne peu-
vent porter atteinte à «la liberté de pensée et de
pratique religieuse d'un citoyen» ou restreindre
de quelque façon «la possibilité d'affirmer sans
contrainte sa croyance religieuse et de la propa-
ger». Voir l'arrêt Robertson et Rosetanni c. La
Reine) Vu cette interprétation de la loi, la con
clusion de la Commission quant à l'exactitude
du point de vue de l'arbitre est, à mon avis,
inattaquable et rien ne sert de tenter d'améliorer
la façon dont l'arbitre a traité la question.
Selon mon interprétation des déclarations de
l'avocat du requérant, les seules propositions
sérieuses avancées devant cette Cour, en réalité,
portaient
1 [1963] R.C.S. 651.
a) que la célébration de services religieux
dans un foyer administré par le gouvernement
fédéral était, en elle-même illégale, et
b) que, en tout cas, on enfreignait la liberté
de religion d'un enfant en l'obligeant à y
assister.
La première proposition ne s'appuyait que sur
la jurisprudence citée dans l'affaire Robertson et
Rosetanni (précitée). J'ai été incapable d'y trou-
ver un fondement juridique. Normalement, on
ne s'attendrait pas à ce que le gouvernement
finance ou fasse célébrer des services religieux
dans un pays comme le Canada. Toutefois, il y a
de toute évidence des exceptions comme par
exemple les services dans les Forces armées et
les institutions pénitentiaires et je n'ai aucune
peine à concevoir une justification du maintien
de telles activités lorsque le gouvernement
prend en charge un système de foyers scolaires
pour Indiens administrés par divers groupe-
ments religieux, comme il semble que ce fut le
cas en l'espèce. Si ces foyers étaient administrés
à partir du principe qu'ils assureront à leurs
occupants une direction et un enseignement reli-
gieux et spirituel, nul ne s'attendrait à un chan-
gement trop radical opéré soudainement à l'oc-
casion d'une prise en charge par le
gouvernement.
Quant à la prétention du requérant selon
laquelle c'était une transgression de la liberté de
religion d'un enfant que de l'obliger à assister à
un service à caractère confessionnel, j'estime
qu'il en serait ainsi seulement si une telle obliga
tion était contraire aux croyances ou idées reli-
gieuses, exprimées par l'enfant lui-même, s'il est
assez âgé, ou par ses parents ou tuteur en son
nom. Personne n'a prétendu que telle était la
situation en l'espèce et c'était au requérant qu'il
incombait d'en faire la preuve devant l'arbitre.
Quant à l'exception d'incompétence de l'arbi-
tre dans cette affaire, celle-ci n'aurait pu être
recevable, à mon avis, que si, du point de vue
du droit, vu la preuve qui nous fut soumise, il
était apparu que le requérant n'avait pas été
congédié, mais renvoyé en vertu de l'article 5 du
Règlement sur l'emploi des administrateurs et
des préposés au soin des enfants des foyers
scolaires pour Indiens, qui se lit comme suit:
5. (1) Une personne nommée au poste d'administrateur
de foyer scolaire ou de préposé au soin des enfants est en
stage pendant douze mois à compter de la date de sa
nomination.
(4) Le sous-chef peut, à tout moment au cours du stage,
prévenir une personne dont il est question au paragraphe (1)
qu'il se propose de la renvoyer pour un motif déterminé le
jour précisé dans le préavis, c'est-à-dire au moins trente
jours après la remise du préavis, et cette personne cesse
d'être un employé ce jour-là.
Bien que la question ne soit pas claire vu la
preuve en l'espèce, je suis disposé à souscrire
aux conclusions de l'arbitre et de la Commission
portant qu'il s'agissait d'un congédiement. En
concluant de la sorte, je ne veux pas qu'on me
fasse dire que, lorsqu'il y a effectivement renvoi
en vertu de l'article 5 ou en vertu de l'article 28
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique,
on peut le qualifier de congédiement pour
rendre applicable l'article 91 de la Loi sur l'em-
ploi dans la Fonction publique*. Il se peut que
l'insubordination au cours d'un stage„ seule ou
liée à d'autres problèmes, soit «cause» de
renvoi, tout comme elle pourrait donner lieu à
une action disciplinaire, même au cours d'un
stage. Si le problème est traité de la façon
appropriée, il ne devrait cependant pas y avoir
l'ombre d'un doute quant à la nature de la
mesure qui a été prise. En l'espèce, bien qu'il
soit fait mention de renvoi, j'estime que l'arbitre
n'a commis aucune faute en concluant que, tout
bien considéré, le requérant fut en réalité congé-
dié pour insubordination.
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris
aux motifs et conclusions du juge en chef.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET: Je désire ajouter
quelques commentaires personnels au sujet des
prétentions de l'avocat du requérant concernant
le droit à la liberté de religion.
Les faits relatifs aux questions qui font l'objet
de mes commentaires sont exposés ci-dessous.
Employé par le ministère des Affaires indien-
nes, le requérant était préposé au soin des
* [Il s'agit de toute évidence d'un renvo' à la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique—Éd.]
enfants dans un foyer scolaire Indien à La
Tuque (Québec). Le foyer était à l'époque en
cause un établissement relevant du gouverne-
ment canadien. Le supérieur immédiat du requé-
rant était l'administrateur du foyer, le révérend
Jean-Maurice Bonnard, pasteur anglican.
Les services religieux étaient célébrés au
foyer le dimanche. Il semble qu'il s'agissait de
services anglicans, vu leur déroulement et leur
nature. C'était les seuls services religieux célé-
brés au foyer.
A ce sujet, on retrouve les propos suivants
dans la décision de l'arbitre:
Il semble donc y avoir une situation où l'administrateur, les
parents, tous les autres préposés au soin des enfants (à
l'exception de M. Fardella) et les enfants considèrent et
acceptent l'assistance aux services comme un élément de
routine, une chose qui va de soi. Le degré de contrainte
appliquée semble être que les enfants au moins doivent
assister aux services, à moins qu'une demande formelle
d'exemption ne soit faite, vraisemblablement par les parents
des enfants plus jeunes et par les enfants eux-même dans le
cas de ceux qui sont plus âgés, par exemple les adolescents.
et
Le rév. Bonnard a déclaré que si quelqu'un s'opposait à
l'assistance obligatoire aux services, on modifierait immé-
diatement la ligne de conduite à cet égard afin de se confor-
mer aux désirs des parents.
Le requérant fit savoir au rév. Bonnard qu'il
ne pouvait obliger les élèves à assister aux ser
vices, ceci étant contraire à ses principes. Le
rév. Bonnard insista sur le fait qu'il était du
devoir du requérant d'y conduire les élèves dont
il avait la responsabilité. En dernier ressort, le
requérant signifia au rév. Bonnard qu'il ne
modifierait en rien sa position.
Voici le contenu d'une lettre du 10 novembre
1972 adressée au requérant par A. Blouin,
surintendant régional aux Affaires indiennes et
esquimaudes, district de Pointe-Bleue:
[TRADUCTION] Étant donné que votre surveillant et l'admi-
nistrateur du foyer ont signalé que vous aviez omis à plu-
sieurs reprises de remplir des fonctions qui faisaient partie
de votre travail, nous vous avisons que votre nomination au
poste que vous occupez présentement prendra fin le 11
décembre 1972.
Voici des extraits de «L'exposé des points
présenté par le requérant»:
[TRADUCTION] Du fait que les foyers scolaires indiens (et
notamment celui de La Tuque) relèvent désormais du gou-
vernement fédéral, on ne peut dès lors utiliser des fonds
fédéraux pour imposer aux enfants indiens une religion ou
des pratiques religieuses et, plus précisément, pour les obli-
ger à se conformer aux pratiques d'une religion donnée,
savoir, celle de l'Église anglicane. Le foyer de La Tuque est
un foyer du gouvernement fédéral et ce n'est désormais plus
un établissement anglican. Par conséquent, l'obligation d'as-
sister à un service anglican célébré à la chapelle est illégale;
l'obligation imposée à Fardella d'y conduire tous les enfants
est illégale; le refus d'obéir à un ordre illégal ne peut donc
constituer un motif de congédiement.
et
Le requérant déclara qu'il tenterait de convaincre les
garçons d'assister au service, mais qu'il ne les y contrain-
drait pas ou ne le leur imposerait pas. On lui ordonna de le
faire et, comme il refusait on le congédia. Cette mesure
constitue une transgression de la liberté de religion des
garçons sous'la responsabilité du requérant et était en outre
contraire aux principes et à la croyance de ce dernier, ce
qu'il était pleinement justifié de soutenir et qu'il avait com-
muniqué à l'administrateur. Le requérant ne devrait pas être
obligé d'exécuter un ordre qu'il croit, en conscience, porter
atteinte à ses propres convictions quant à la liberté de
religion de tout individu au Canada ainsi qu'à la liberté de
religion des enfants indiens résidant au foyer, et qui, de fait,
y a porté atteinte.
L'avocat du requérant a cité l'article 1 de la
Déclaration canadienne des droits.
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits
de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés
ont existé et continueront à exister pour tout individu au
Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa
couleur, sa religion ou son sexe:
c) la liberté de religion;
Il est reconnu que les lois de cette nation
reconnaissent le droit de tout individu à la
liberté de religion dans ce pays.
Dans l'arrêt Saumur c. La cité de Québec
([1953] 2 R.C.S. 299 à la p. 327), le juge Rand
exprime ce principe en ces termes:
[TRADUCTION]: Par conséquent, depuis 1760 et jusqu'à nos
jours, la liberté de religion est reconnue, dans notre régime
juridique, comme un principe fondamental. Bien que nous
n'ayons rien qui ressemble à une Église d'État, il est hors de
doute que la possibilité d'affirmer sans contrainte sa
croyance religieuse et de la propager à titre personnel ou
grâce à des institutions, demeure, du point de vue constitu-
tionnel, de la plus grande importance pour tout le Dominion.
Dans l'arrêt Robertson et Rosetanni c. La
Reine ([1963] R.C.S. 651) le juge Ritchie pro-
nonçant le jugement au nom des juges Tasche-
reau, Fauteux, Abbott et Ritchie, cita [TRADUC-
TION] «les observations du juge Taschereau,
alors jugepuîné, parlant en son nom et au nom
du juge en chef Kerwin et du juge Estey dans
l'affaire Chaput c. Romain»:
[TRADUCTION]: Toutes les religions sont sur un pied d'éga-
lité, et tous les catholiques comme ailleurs tous les protes
tants, les juifs, ou les autres adhérents des diverses dénomi-
nations religieuses, ont la plus entière liberté de penser
comme ils le désirent. La conscience de chacun est une
affaire personnelle, et l'affaire de nul autre.
Toutefois, il faut avoir à l'esprit la mise en
garde du juge Ritchie dans l'affaire Robertson et
Rosetanni, savoir:
[TRADUCTION]: Il faut garder à l'esprit que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales reconnus par les
tribunaux canadiens avant l'adoption de la Déclaration
canadienne des droits et garantis par cette dernière étaient
les droits et libertés d'hommes vivant ensemble dans une
société organisée, soumise à un système juridique rationnel,
développé et civilisé, qui imposait des limites à la liberté
absolue de l'individu.
Dans le même arrêt, le juge Ritchie dit en outre:
Bien qu'il existe de nombreuses différences entre la Cons
titution de ce pays et celle des États-Unis d'Amérique, je
ferais mienne l'opinion exprimée par le juge Frankfurter
dans sa dissidence dans l'arrêt Board of Education c. Bar-
nette', car j'estime qu'elle est directement applicable à la
«liberté de religion» existant dans ce pays, tant avant l'adop-
tion de la Déclaration canadienne des droits que depuis.
La protection constitutionnelle de la liberté de religion a
mis fin à des incapacités, mais elle n'a pas créé de
nouveaux privilèges. Elle a accordé l'égalité devant la loi
nonobstant la religion et non l'immunité devant la loi. En
substance, on n'oblige personne à se conformer à une
religion donnée, ce qui ne veut pas dire qu'on puisse
invoquer sa religion pour échapper à la loi.
La liberté de religion fait partie des moeurs de
cette nation. C'est un élément vital et précieux
de notre culture. Toutefois, la méconnaissance
de sa signification et de sa portée noierait à son
concept et à sa réalité.
C'est à partir de ces données, si brièvement
présentées, qu'il convient de trancher la pré-
sente affaire.
2 (1943) 319 U.S. 624 à la p. 653.
A mon sens, les prétentions essentielles expo
sées oralement par l'avocat du requérant au
sujet de la Déclaration canadienne des droits,
peuvent se résumer comme suit:
1. Si un employé croit en conscience qu'un
ordre énamant de son employeur supprime, res-
treint ou enfreint sa liberté de religion ou celle
d'un autre, il peut impunément refuser de l'exé-
cuter sans s'exposer à être congédié en
conséquence.
2. Il est illégal de célébrer ou de faire célé-
brer ou de permettre de célébrer dans des éta-
blissements fédéraux au Canada un service reli-
gieux conforme aux croyances et pratiques
d'une seule religion donnée sans, au moins, as-
surer des services religieux conformes aux
croyances et pratiques de la ou des religions de
tous les résidants de cet établissement qui adhè-
rent à une religion différente.
3. Il est illégal d'ordonner à un employé tra-
vaillant dans un tel établissement d'obliger d'au-
tres personnes à assister à un service religieux
et, si cela se produit, il peut impunément refuser
d'obtempérer.
Je me référerai à ces prétentions suivant leur
numéro respectif.
1. A mon avis, si un ordre donné par un
employeur à un employé supprime, restreint ou
enfreint effectivement la liberté religieuse de
l'employé ou d'une autre personne, au sens de
«liberté de religion» dans la Déclaration cana-
dienne des droits, l'ordre est illégal et l'employé
peut impunément refuser d'y obéir. Un tel refus
ne justifierait pas le congédiement de l'employé.
C'est manifestement très différent de la préten-
tion de l'avocat.
Le facteur déterminant n'est pas ce que l'em-
ployé croit, même en conscience, être la liberté
de religion. Le facteur déterminant est ce en
quoi consiste effectivement la liberté de religion
au sens de la Déclaration canadienne des droits.
S'il en était autrement, un employé pourrait, en
se fondant uniquement sur sa propre croyance,
prendre des décisions unilatérales qui lieraient
son employeur.
S'il appartenait à chacun de décider pour lui-
même ce qu'est la liberté de religion, il pourrait
y avoir tellement de points de vue que cela
risquerait d'entraîner une grande confusion. Un
tel état de chose pourrait menacer l'existence de
la liberté de religion qui risquerait même de
disparaître.
Indubitablement, le législateur voulait que la
«liberté de religion» garantie par la Déclaration
canadienne des droits soit libre de toute entrave,
qu'elle ne soit pas restreinte ,par des règles rigi-
des, que son concept soit suffisamment flexible
pour que tous puissent en bénéficier et que,
pour parvenir à ces fins, on doive l'interpréter
de façon libérale. Toutefois, il voulait aussi sans
aucun doute que l'interprétation de ce principe
soit cohérente. Il serait impossible d'y parvenir
si chaque individu devait être son propre
interprète.
Si un employé refuse d'obtempérer à l'ordre
de son employeur parce qu'à son avis, cet ordre
transgresse le droit à la liberté de religion et si
son point de vue est justifié, l'ordre, alors illé-
gal, n'est pas exécutoire. Si l'employé refuse de
s'y conformer, il peut alors le faire impunément.
Si le point de vue de l'employé n'est pas justifié
et si ce dernier refuse d'obéir, il court le risque
de désobéir à un ordre légitime de son
employeur.
2. S'il était illégal de célébrer des services
religieux au foyer dans les circonstances de
l'espèce, l'ordre donné au requérant d'y con-
duire les enfants aurait, à mon avis, été illégal et
le requérant aurait eu le droit de refuser
d'obtempérer.
A l'appui de son argument selon lequel la
célébration du service était illégale, l'avocat du
requérant a cité les arrêts Robertson et Rose-
tanni c. La Reine (précité) et La Reine c. Dry -
bones [1970] R.C.S. 282.
L'affaire Robertson et Rosetanni souligne,
sans doute possible, que chacun est libre de
pratiquer la religion de son choix et d'adorer ce
que bon lui semble à sa façon. Il est tout aussi
manifeste que personne n'est en aucune façon
requis ou obligé de suivre ou de pratiquer la
religion d'un autre. C'est un droit accordé à tous
et non uniquement une faveur.
D'autre part, il ne ressort pas de la lecture de
l'arrêt Robertson et Rosetanni, qu'il est illégal de
célébrer un service religieux propre à une reli
gion donnée dans un établissement du gouverne-
ment canadien ou de financer un tel service
avec des fonds publics.
Si le législateur désire étendre la «liberté de
religion» à des domaines autres que ceux déjà
occupés, c'est à lui qu'il appartient de le faire.
Bien que l'arrêt Robertson et Rosetanni soit
cité à l'arrêt Drybones, ce dernier posait le pro-
blème du droit de l'individu à l'égalité devant la
loi au sens de la Déclaration canadienne des
droits.
3. On doit, de toute évidence, trancher
chaque cas en conformité du droit qui s'y appli-
que. On doit trancher les cas de même nature
que la présente espèce suivant les faits qui leur
sont propres.
A partir des documents dont on dispose, il
semble y avoir un commencement de preuve
selon lequel les parents de la plupart des enfants
se trouvant au foyer désiraient qu'un service
religieux soit célébré et que les enfants y
assistent.
En outre il se trouve que le foyer relevait
auparavant de l'Église anglicane et qu'on y célé-
brait des services religieux anglicans. Il semble
probable que les parents des enfants se trouvant
au foyer savaient qu'on y célébrait un service
religieux anglican et que c'était toujours la
pratique.
Le requérant n'a pas refusé d'assister au ser
vice. Il y a assisté volontairement et a apporté
sa participation.
Dans son témoignage, le rév. Bonnard a
déclaré que, si quelqu'un s'opposait aux servi
ces, il modifierait immédiatement la politique
dans le but de se conformer aux désirs dés
parents.
Je cite des extraits de la décision de l'arbitre:
Aucun élément de preuve n'indique que les intéressés
(élèves ou parents) ont formulé des objections pour des
motifs religieux.
et
Dans le cas des plus jeunes, par exemple, je serais enclin à
penser que le désir des parents constituerait un meilleur
critère que le désir des enfants. Il me semble que si un
parent manifeste le désir que son enfant ne reçoive pas
d'enseignement religieux, ou n'assiste pas aux services reli-
gieux, alors il faudrait assurément respecter ce désir. Sinon,
il y aurait violation de la Déclaration des droits. Toutefois,
rien ne prouve que ce fut le cas dans la présente affaire.
et
Aucun élément de preuve ne démontre que des parents ont
demandé d'exempter leurs enfants de cette obligation et les
éléments de preuve indiquent que le cas échéant on se
conformerait à de telles demandes.
Étant donné la situation révélée par les élé-
ments de preuve présentés dans cette demande,
j'estime que l'arbitre n'a pas commis d'erreur
lorsqu'il a conclu que le requérant avait « . . .
tort d'essayer de qualifier ces ordres comme
étant une violation de son droit à la liberté de
religion (ou de celui des enfants dont il avait la
charge) prévu par la Déclaration canadienne des
droits».
Je rejette donc la demande. •
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.