A-192-73
Les Commissaires du havre d'Hamilton
(Appelante)
c.
Le navire A.M. German et son propriétaire
(Intimés)
Cour d'appel, les juges Thurlow et Ryan, le juge
suppléant Mackay —Toronto, les 10 et 11 sep-
tembre 1974.
Droit maritime—Commissaires du havre d'Hamilton—
Pouvoirs statutaires—Réclamation de droits de quai à trois
navires—Demande reconventionnelle pour saisie illégale des
navires—Trois actions en appel—Modification du montant
accordé—Loi sur les commissaires du havre de Hamilton,
S.C. 1912, c. 98.
La corporation appelante a intenté trois actions in rem
contre les remorqueurs A.M. German, Frank Dixon et
Strathmore et leur propriétaire commun, afin de recouvrer
dans chaque cas un tiers de la somme de $1,475, à titre de
droits de quai pour l'utilisation d'un quai de l'appelante. En
première instance ([1973] C.F. 1254), il fut décidé que
l'appelante n'avait pas le droit de recouvrer des droits de
quai, car elle n'avait pas adopté de règlement en vertu de
l'article 20 de la Loi; mais elle eut droit à la somme de $345
pour l'utilisation de ses installations portuaires. On accorda
au propriétaire $1 par navire par suite de sa demande
reconventionnelle pour saisie illégale des navires. En appel,
l'appelante demande le plein montant de sa réclamation.
Arrêt: qu'un règlement ait ou non été adopté, le proprié-
taire des navires était tenu de payer un montant raisonnable
pour l'utilisation du quai; l'appelante fut autorisée à modifier
sa déclaration pour que ce point précis soit plaidé. Le
montant total exigible par l'appelante fut fixé à $900 et le
jugement adjugeant ce montant doit être rendu dans celle
des actions que l'appelante choisira de modifier. Ce montant
exclut la réclamation portant sur le déplacement des navires,
qui ne peut s'appuyer sur l'article 14 du règlement 84 de
l'appelante, adopté en vertu de l'article 20 de la Loi. Juge-
ment sur les demandes reconventionnelles sera prononcé
dans la même action, pour la somme totale de $3.
APPEL.
AVOCATS:
A. J. Stone, c.r., pour l'appelante.
Andrew Stabins pour les intimés.
PROCUREURS:
MacKinnon, McTaggart, Toronto, pour
l'appelante.
Andrew Stabins, Streetsville, pour les
intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW: L'appelante est une cor
poration créée par la Loi sur les commissaires
du havre de Hamilton, S.C. 1912, c. 98. Le 7
novembre 1972, elle introduisit trois actions in
rem: la première contre le remorqueur A.M.
German, la deuxième contre le remorqueur
Frank Dixon et la troisième contre le remor-
queur Strathmore, ainsi que contre leur proprié-
taire commun à toute l'époque en cause, la
Trans Continental Steel and Salvage Incorporat
ed. Elle réclamait, dans chaque action, les frais
suivants: le tiers de $1,475.80, montant pré-
sumé dû pour les droits de quai consécutifs à
l'utilisation de son quai n° 23 et de la zone
avoisinante par les trois navires, du 10 juillet au
3 novembre 1972; le montant de $90.00 pour le
déplacement du navire du quai n° 23, le 6
novembre 1972; «toutes autres sommes dues à
compter du 3 novembre 1972, plus les intérêts
afférents, au titre de droits de quai et autres
frais.» Pour le Frank Dixon, la réclamation
incluait un montant supplémentaire de $40.00
présumé dû pour le sauvetage du navire qui
avait rompu ses amarres alors qu'il était à quai.
Trois mandats furent délivrés et les navires
saisis le 9 novembre 1972.
Dans chaque cas, la défense présenta plu-
sieurs moyens invoquant notamment le carac-
tère excessif des droits de quai et niant toute
responsabilité pour les frais de déplacement du
navire. Elle contesta aussi la réclamation de
$40.00 pour le Frank Dixon et présenta trois
demandes reconventionnelles en dommages-
intérêts pour la saisie illégale des trois remor-
queurs par l'appelante, le 6 novembre 1972.
Au procès, le principal point en litige était le
montant des droits de quai et, à ce propos, le
savant juge de première instance décida [[1973]
C.F. 1254] que l'appelante n'avait pas droit au
montant réclamé parce qu'il s'agissait de
«droits» au sens où l'entend l'article 20 de la
Loi et qu'il n'existait aucun règlement adopté en
vertu de cet article pour les fixer. Toutefois,
compte tenu de l'intention exprimée par l'avocat
des défendeurs de payer selon ce qu'on a appelé
le tarif du navire désarmé, soit 1 cent par pied
de longueur et par jour, et du calcul accepté par
les avocats, selon lequel le montant dû s'élève à
$290.00, le juge de première instance divisa la
somme entre les trois navires selon leur lon-
gueur respective, en ajoutant pour chacun
$25.00 pour le pilotage afférent à leur déplace-
ment du quai n° 23, le 6 novembre 1972, et
condamna les défendeurs à payer $124.00 pour
le German, $125.00 pour le Dixon et $116.00
pour le Strathmore, dans les trois cas sans
dépens. Le savant juge de première instance
déclara aussi l'appelante responsable de la saisie
illégale des navires le 6 novembre 1972, mais,
aucun dommage n'ayant été prouvé, il ordonna
le versement de $1.00 à titre de dommages-inté-
rêts par demande reconventionnelle, sans
dépens.
Le propriétaire et l'appelante ont l'un et l'au-
tre donné avis d'appel du jugement pour les
trois réclamations et les trois demandes recon-
ventionnelles. L'appelante veut obtenir juge-
ment lui accordant le plein montant de ses récla-
mations (à l'exception des $40.00 contre le
Frank Dixon qu'elle a abandonnés au cours des
plaidoiries en appel) avec dépens et le rejet des
demandes reconventionnelles avec dépens.
Dans son exposé, le propriétaire, de son côté,
demande le rejet des appels et le rembourse-
ment de ses dépens afférents aux demandes
reconventionnelles. Toutefois, il ne présenta
aucun motif pour justifier une modification des
dispositions prises à cet égard par le savant juge
de première instance.
Personne n'a contesté (et nous ne pensons pas
que cela soit sérieusement contestable) qu'il
incombait au propriétaire des navires, qu'il
existe un règlement ou pas, de payer un montant
raisonnable pour avoir utilisé le quai de l'appe-
lante. Afin qu'il soit clair qu'il s'agissait bien du
fondement de la réclamation de l'appelante, à la
demande de son avocat et nous étant assurés
que le juge de première instance en avait eu
connaissance, nous avons autorisé la modifica
tion de la déclaration pour que ce point précis
soit plaidé.
Nous sommes d'accord avec le savant juge de
première instance qu'au vu de la preuve, les
tarifs qui ont servi à calculer la réclamation de
l'appelante, c'est-à-dire $12.00 par pied linéaire
et par an pour le droit d'amarrage au quai, et 6
cents par pied carré et par an pour la surface du
quai, sont en vigueur sur le marché et sont
raisonnables. Toutefois, à notre avis, la preuve
ne permet pas de conclure que la longueur de
quai utilisée était de 250 pieds; nous l'estimons
plutôt à environ 180 pieds. Nous ne sommes pas
non plus convaincus que le propriétaire a utilisé
la surface sur une profondeur de 100 pieds;
d'après la preuve, les calculs devraient se
fonder sur 50 pieds. Sur la base de ces chiffres,
le propriétaire ayant utilisé le quai environ un
tiers de l'année, nous estimons que l'appelante a
droit à $900.00.
Dans les trois causes, la réclamation afférente
aux frais de déplacement du navire du quai n°
23, le 6 novembre 1972, repose sur l'article 14
du règlement 84 de l'appelante, édicté en vertu
de l'article 20 de la Loi. Il est rédigé en ces
termes:
14. Lorsque le propriétaire ou la personne ayant le com-
mandement d'un bâtiment dans le port, ne peut être rejoint
ou qu'il refuse ou néglige d'obéir aux ordres du maître de
port lui enjoignant de déplacer le bâtiment, le maître de port,
peut, à sa discrétion et aux risques et dépens du propriétaire
du navire,
a) prendre possession du bâtiment et le déplacer;
b) recourir, à cet effet, aux moyens et à la force qu'il juge
raisonnables;
c) confier à un pilote la conduite du bâtiment;
d) ordonner à des remorqueurs de déplacer le bâtiment;
ou
e) amarrer le bâtiment ou le mettre au mouillage à tout
autre endroit qu'il juge satisfaisant.
A notre avis, la réclamation de frais ne peut
pas s'appuyer sur ce règlement, car il ne ressort
pas de la preuve qu'on ne pouvait pas rejoindre
le propriétaire pendant toute l'époque en cause
ni qu'il avait reçu un ordre explicite, prévu par
le règlement, de déplacer les navires du quai n°
23 et avait refusé ou négligé d'y obéir. Même
ceci mis à part, la détention des remorqueurs
par l'appelante, le lendemain et jusqu'à leur
saisie, nous paraît injustifiable. Pour les mêmes
raisons, on ne peut recouvrer à titre de dépense
en vertu du règlement les présumés frais de
l'appelante pour l'amarrage et l'entretien des
remorqueurs à son quai n° 10, après qu'ils ont
été enlevés du quai n° 23, et nous ne voyons
aucun autre fondement pour qu'ils le soient
dans le cadre des réclamations présentées par
l'appelante dans les trois actions. Nous sommes
aussi d'avis que l'indemnité de $25.00, accordée
dans chaque cause pour le pilotage, par le
savant juge de première instance, ne se justifie
pas, car ce montant n'a pas été réclamé et que
rien ne prouve qu'il y ait eu des dépenses de
pilotage.
Quant aux demandes reconventionnelles,
nous estimons que la saisie des navires par
l'appelante et la dépossession du propriétaire à
partir de cette date, sont illégales. Il ne convient
donc pas de modifier le montant de $3.00
auquel le savant juge de première instance a
fixé les dommages.
Il s'ensuit que l'appelante a seulement le droit
de recouvrer le montant de $900.00 déjà men-
tionné pour l'utilisation du quai n° 23 par le
propriétaire, mais un problème se pose quant au
jugement à prononcer. Doit-il y en avoir un seul
ou plusieurs et, dans ce cas, dans quelle action
doivent-ils intervenir? Une seule cause d'action
est alléguée concernant cette réclamation et elle
est répétée dans les mêmes termes dans cha-
cune des déclarations. En outre, à notre avis, il
ressort de la preuve que le propriétaire est res-
ponsable à un seul titre et non de la somme des
responsabilités distinctes relatives aux trois
navires. Bien que les règles permettent de réunir
deux causes d'action ou plus en une seule pour-
suite, nous ne voyons vraiment pas comment
l'appelante peut justifier l'introduction de trois
actions pour la même cause et réclamer, pour
chacune d'elles, une partie du montant auquel
elle a droit. Vu que les règles ne contiennent
aucune disposition permettant de joindre les
trois actions et de prononcer un seul jugement
pour l'ensemble, nous sommes d'avis que l'ap-
pelante doit choisir celle où elle réclamera les
$900.00 et, ceci fait, modifier la déclaration
correspondante en conséquence; jugement sera
alors rendu en faveur de l'appelante. Il convien-
dra alors de rejeter les deux autres actions. Pour
les mêmes raisons, nous estimons que rien ne
justifie trois demandes reconventionnelles pour
un seul préjudice. Le jugement doit couvrir le
montant total des dommages-intérêts du pro-
priétaire, tels qu'ils ont évalués, c'est-à-dire
$3.00, par suite de la demande reconvention-
nelle du propriétaire présentée dans l'action
choisie par l'appelante.
Nous maintenons le refus du savant juge de
première instance relatif aux dépens afférents
aux réclamations et aux demandes reconven-
tionnelles. En outre, compte tenu du fait que la
cause d'action où il est fait droit à l'appelante
n'a été correctement plaidée que par suite des
modifications autorisées au cours du procès à la
demande de cette dernière, et des particularités
de la procédure suivie par les parties, qui ont
divisé leurs réclamations et multiplié les pour-
suites, nous estimons qu'elles n'ont droit à
aucuns dépens dans ces appels.
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