T-647-74
Sigma Explorations Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier—
Calgary, le 20 janvier; Ottawa, le 3 avril 1975.
Impôt sur le revenu—Déductions—La demanderesse cher-
che à déduire des dépenses relatives à l'achat de données—
S'agit-il d'un subterfuge?—S'agit-il d'une dépense de capital
qui n'était pas faite dans le but d'obtenir ou de produire un
revenu?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art.
137(1).
La demanderesse a payé $60,000 pour des données sismiques;
elle est une filiale de la compagnie américaine, G.T.S., qui a
mis sur pied un système de diagrammes chiffrés. La demande-
resse ne réalisa que $33,565 sur la vente des données, chiffre
très inférieur à ses prévisions. Le deuxième poste de dépense
était relatif à des diagrammes de puits chiffrés provenant de
G.T.S. On croyait que la demanderesse, compagnie bien connue
au Canada, pourrait réaliser de plus grands bénéfices par sa
participation à titre principal, plutôt qu'à titre d'agent de
G.T.S., à la commercialisation des données. La demanderesse
conclut une entente avec sa compagnie mère pour l'achat de
5,000 de ces diagrammes au prix de $214,000. La demande-
resse pourrait choisir les 5,000 diagrammes selon les besoins de
ses clients éventuels. Elle avait surestimé l'ampleur des bénéfi-
ces. Trois ans plus tard, la demanderesse mettait fin à l'entente
et déduisait à titre de perte commerciale le coût des diagram-
mes qu'on avait considéré comme un coût différé en 1970 et
1971. Le Ministre établit une nouvelle cotisation à l'égard du
revenu de la demanderesse pour 1969, rejetant la déduction de
$60,000 parce qu'il s'agissait d'une dépense de capital non
déductible en vertu de l'article 12(1)b) de la Loi de l'impôt sur
le revenu; il fit cependant droit à une allocation à l'égard du
coût en capital. Il rejeta également une déduction relative aux
diagrammes au motif qu'il s'agissait (1) d'un subterfuge ou (2)
d'une dépense non déductible parce qu'elle réduisait indûment
ou de façon factice le revenu (article 137(1)) ou (3) d'une
dépense de capital qui n'était pas faite dans le but d'obtenir ou
de produire un revenu. La demanderesse interjeta appel.
Arrêt: l'appel est accueilli; les deux montants sont déducti-
bles. (1) Pour qu'on puisse conclure au subterfuge, les parties
doivent avoir l'intention de ne pas créer les droits et obligations
juridiques qu'elles semblent créer; il n'y avait en l'espèce ni
dissimulation, ni déguisement, ni absence de bonne foi. (2) Le
critère prévu à l'article 137(1) est objectif; par contre la preuve
est souvent subjective. Même si une dépense réduit l'impôt, à la
condition qu'elle soit raisonnable et faite à des fins commercia-
les légitimes, sans être avant tout un moyen de réduire l'impôt
et ce, quelle que soit l'importance de la réduction du revenu, on
ne peut la considérer comme factice. La dépense faite dans le
but d'obtenir les droits sur les diagrammes n'a pas réduit
indûment ou de façon factice le revenu de la demanderesse pour
l'année 1969. (3) Il faut considérer les aspects pratiques et
commerciaux de l'opération; le fait que les deux postes de
dépense se soient avérés peu profitables n'interdit pas leur
déduction si elles avaient pour but d'obtenir ou de produire un
revenu. Les sommes dépensées n'avaient pas pour but de créer
un avantage pour le bénéfice durable de la demanderesse mais
plutôt d'inclure dans ses stocks les renseignements qu'elle pen-
sait raisonnablement vendre rapidement de manière à produire
un revenu.
Arrêt approuvé: Snook c. London and West Riding Invest
ments Limited [1967] 1 All E.R. 518. Arrêts suivis:
M.R.N. c. Cameron [1972] C.T.C. 380; Shulman c.
M.R.N. [1961] R.C.E. 401; Algoma Railway c. M.R.N.
[1968] R.C.S. 447; British Columbia Electric Railway
Company Limited c. M.R.N. [1958] R.C.S. 133 et La
Reine c. Jones Tobacco Sales Co. Ltd. [1973] C.F. 825.
Arrêts appliqués: Algoma Railway c. M.R.N. [1967]
R.C.E. 88 et British Insulated Cables, Limited c. Atherton
[1926] A.C. 205.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
J. G. McDonald, c.r., pour la demanderesse.
F. J. Dubrule, c.r., et B. J. Wallace pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
McDonald & Hayden, Toronto, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER:/ La demanderesse («Sigma»)
interjette appel d'une nouvelle cotisation à l'impôt
sur le revenu établie par le ministre du Revenu
national pour l'année d'imposition 1969. Dans sa
déclaration, la demanderesse cherchait à déduire
de son revenu imposable deux postes de dépense.
L'un portait sur un montant de $60,000 versé pour
l'achat de certaines données sismiques à une com-
pagnie en faillite ci-après appelée «Angus». Le
second portait sur un montant de $214,000 versé
par la demanderesse à sa compagnie mère, G.T.S.
Corporation, en vertu d'un contrat portant sur
5,000 diagrammes géologiques chiffrés de puits de
pétrole canadiens.
En ce qui concerne l'achat de données à Angus,
le Ministre rejeta la déduction demandée au motif
qu'il s'agissait d'une dépense de capital non déduc-
tible, en vertu de l'alinéa 12(1)b) de la Loi de
l'impôt sur le revenu'. En établissant la nouvelle
cotisation, le Ministre fit, cependant, droit à une
allocation à l'égard du coût en capital pour cet
achat/Quant à la dépense résultant du contrat sur
les diagrammes chiffrés, le Ministre rejeta la
déduction demandée pour trois motifs:
a) La prétendue dépense était un subterfuge.
b) S'il ne s'agissait pas d'un subterfuge, la
dépense n'était pas déductible parce qu'elle
réduisait indûment ou de façon factice le revenu
de la demanderesse (paragraphe 137(1)).
c) Subsidiairement, il s'agissait d'une dépense
de capital qui n'était pas faite dans le but d'ob-
tenir ou de produire un revenu.
La demanderesse fut constituée en compagnie le
2 novembre 1966 sous le régime du droit de l'Al-
berta. Il s'agit essentiellement d'une compagnie de
géophysique. La plus grande partie de son revenu
(aux époques en cause) provenait de relevés sismi-
ques auxquels elle procédait d'elle-même en
Alberta et à d'autres endroits au Canada. Elle
vend à d'autres compagnies les renseignements
ainsi obtenus. En outre, la demanderesse établit
des relevés sismiques pour des particuliers. De
même, la compagnie tire un revenu de ses activités
de courtage: elle achète des renseignements d'or-
dre sismique et les vend aux compagnies ou aux
individus qui s'y intéressent.
La demanderesse n'a jamais possédé de conces
sions de pétrole ou de gaz ni exploité pour son
propre compte des gisements de gaz ou de pétrole.
Elle ne se livre pas à ces activités essentiellement
parce que l'on considère qu'il est, pour un géophy-
sicien, ou en l'espèce une compagnie de géophysi-
que, contraire au code d'éthique de se livrer effec-
tivement à l'exploitation de gaz ou de pétrole en
concurrence avec ses clients. La demanderesse ras-
semble et compile les données sismiques ou géo-
physiques (autres que celles établies sur com-
mande) en vue de les vendre éventuellement à
d'autres. I
Les états financiers pour l'année se terminant le
30 novembre 1968 (pièce 5) et la période de treize
mois se terminant le 31 décembre 1969 (pièce 6)
donnent un aperçu des activités de la compagnie
demanderesse. En 1968, elle enregistra un revenu
net d'environ $46,000 provenant de commissions
S.R.C. 1952, c. 148 et ses modifications.
sur la vente de données sismiques. Le revenu pro-
venant des ventes de données obtenues à la suite de
relevés sismiques établis par la demanderesse pour
son compte fut d'environ $410,000. Le coût
approximatif de ces relevés était de $303,000. En
1969, le revenu brut des ventes de données se
chiffrait approximativement à $632,000, leur coût
étant d'environ $545,000. Le revenu provenant des
ventes de données à la suite des relevés sismiques
établis par la compagnie s'élevait à environ $664,-
000, leur coût approximatif, y compris les dépenses
d'amortissement, étant de $282,000.
Rabey, président de la compagnie demande-
resse, déclara que toutes ces données sismiques
n'avaient de valeur qu'à court terme. Il estimait
qu'après une période de cinq ans, elles ne vau-
draient probablement plus rien. Néanmoins, la
compagnie ne se défait d'aucune donnée en stock
et n'en détruit aucune même si, d'un jour à l'autre,
elles peuvent perdre leur valeur. Il est toujours
possible que les renseignements soient revalorisés
d'une manière ou d'une autre. Il est possible qu'un
jour, un client y fasse appel. Il était d'avis que les
données sismiques ne prennent de valeur que lors-
qu'il existe un client pour ces renseignements par-
ticuliers. J'ajoute foi à l'ensemble de ce
témoignage.
La défenderesse a qualifié la dépense de $214,-
000 de «subterfuge», avec arguments à l'appui. Par
conséquent, je pense qu'il est souhaitable, à ce
stade, de parler de crédibilité. A mon avis, Rabey
fut un témoin fiable et honnête. Les mêmes remar-
ques s'appliquent à Walsh. Leurs dépositions sur
les faits pertinents étaient, selon moi, plausibles et,
compatibles avec l'ensemble des conclusions et des
présomptions que l'on peut raisonnablement tirer
du reste de la preuve.
Je reprends l'exposé des faits. En janvier ou
février 1969, la compagnie américaine G.T.S., qui
s'occupe également de commercialisation de don-
nées sismiques, envisageait d'étendre ses opéra-
tions au Canada. Elle avait mis sur pied un sys-
tème pour chiffrer les diagrammes de puits. Ces
données apparaissaient sur des rubans magnéti-
ques chiffrés qui devaient être utilisés avec des
ordinateurs. La pièce 17 décrit ses opérations avec
exactitude:
[TRADUCTION] La compagnie GTS s'occupe essentiellement de
transposer d'anciennes données sismiques et diagrammes géolo-
gigues de puits sous une forme numérique compatible avec le
matériel et les techniques actuelles de l'informatique.
La demanderesse s'intéressait au système de dia-
grammes chiffrés à titre d'instruments d'explora-
tion. Elle avait discuté de fusion avec G.T.S., de
même qu'avec une autre compagnie qui exploitait
une entreprise semblable. Finalement, elles convin-
rent de fusionner. Le contrat en bonne et due
forme (pièce 38), fut signé le 6 août 1969. G.T.S.
acheta les actions émises et en circulation de la
compagnie demanderesse à leurs propriétaires,
Rabey et James Fowlie. En pratique, la demande-
resse devint une filiale de G.T.S.
En octobre 1969, la demanderesse acheta les
données d'Angus. Cette dernière avait dépensé
environ $3,000,000, sur une certaine période, pour
rassembler les renseignements. Elle fit faillite. La
demanderesse estimait qu'elle pouvait réaliser un
revenu de l'ordre de $100,000 en vendant les ren-
seignements d'Angus. Elle acheta les données pour
$60,000. A mon avis, si l'on considère cette opéra-
tion d'un point de vue commercial pratique, la
demanderesse a ajouté les données à ses stocks. Du
même point de vue, toutefois, ses prévisions de
ventes s'avérèrent fausses. En réalité, jusqu'à 1973
inclus, elle ne réalisa qu'un revenu brut de
$33,565.
/Je considère maintenant l'opération conclue
entre G.T.S. et la demanderesse. G.T.S. avait mis
sur pied une bibliothèque de diagrammes chiffrés,
dont 20,350 diagrammes portant sur des puits
canadiens. Ces puits étaient situés en Alberta, en
Colombie-Britannique et dans les territoires du
Nord-Ouest. Se fondant sur une étude de marché
et sur leurs propres enquêtes, G.T.S. et sa filiale en
vinrent à la conclusion qu'il était possible de réali-
ser auprès des compagnies canadiennes un large
volume de vente (12 millions de dollars) de don-
nées chiffrées provenant de ces diagrammes. Elles
décidèrent de laisser la demanderesse diriger l'opé-
ration de son propre chef plutôt qu'à titre d'agent.
On était d'avis que la Sigma était bien connue en
Alberta auprès des principales compagnies de
pétrole et de gaz canadiennes et qu'elle pourrait
réaliser de plus grands bénéfices par sa participa
tion à titre principal, plutôt qu'à titre d'agent, à la
vente des diagrammes chiffrés. Une entente fut
signée le 13 novembre 1969. Elle fut modifiée et
abandonnée. Pour une raison ou pour une autre, la
première entente fut cependant conservée dans les
dossiers de la compagnie. Je ne vois là rien d'inha-
bituel. Il est courant dans le monde des affaires de
conserver, délibérément ou par inadvertance des
documents qui ont été annulés. L'entente en
vigueur porte la date du 24 novembre 1969 (pièce
13). En voici les dispositions:
[TRADUCTION] LA COMPAGNIE GTS (ci-après «GTS») vend
par la présente à SIGMA EXPLORATIONS LTD. (ci-après «Sigma»)
et Sigma achète par la présente des copies de 5,000 diagram-
mes de puits canadiens, chiffrés, appartenant à la GTS, confor-
mément aux stipulations suivantes:
1. Sigma pourra choisir les 5,000 diagrammes dans la biblio-
thèque où GTS conserve les diagrammes de puits canadiens
chiffrés.
2. GTS enregistrera les diagrammes choisis (de ruban à
ruban) et les expédiera à Sigma à Calgary, Alberta
(Canada), aux frais de GTS et Sigma devra payer tous les
frais d'assurance.
3. Sigma paiera à GTS la somme de $214,000 (prix de base)
pour lesdites copies, de la façon suivante:
a. $107,000 la signature de cette entente.
b. $107,000 après le 30 juin 1970, au choix de Sigma,
mais au plus tard le 31 décembre 1970.
c. Une redevance de 23 pour cent du prix de vente brut sur
les ventes des copies de ces diagrammes effectuées par
Sigma. Les redevances seront payables chaque quatrième
mois après la signature de cette entente, au 15 du mois, et
elle couvriront les ventes effectuées par Sigma au cours de
chaque période successive de trois mois.
FAIT ET SIGNE CE vingt-quatrième (241 jour de novembre
1969.
Le prix d'achat de $214,000 fut établi à partir
du coût approximatif de $40 le diagramme pour
l'enregistrement des renseignements. D'un point de
vue commercial pratique, on ne .vendait pas les
bandes elles-mêmes mais le droit de reproduire et
de vendre les renseignements ayant une valeur
commerciale qu'elles contenaient.
Avant de conclure l'entente, la demanderesse
n'avait précisément à l'esprit aucun des 5,000 dia-
grammes et immédiatement après la signature de
l'entente, elle n'en choisit aucun. Naturellement,
ce choix devait dépendre des demandes de ses
clients et des renseignements particuliers auxquels
ces clients éventuels pouvaient s'intéresser.
Malheureusement, les espoirs de la demande-
resse quant aux bénéfices considérables qu'elle
escomptait tirer de l'opération décrite à la pièce 13
ne réalisèrent jamais. Rabey déclara (et son témoi-
gnage ne fut pas contredit) que l'industrie du
pétrole connaissait une baisse. Les compagnies de
pétrole et de gaz étaient, dans une certaine
mesure, en régression. Plus important peut-être,
plusieurs compagnies ne disposaient pas des ordi-
nateurs permettant de tirer les renseignements
nécessaires des enregistrements de diagrammes.
Même si une étude de marché antérieure indiquait
qu'il pouvait exister des débouchés intéressants, la
triste réalité prouva le contraire.
Il importe peu, à mon avis, de déterminer si les
opérations conclues avec Angus et à l'égard des
diagrammes chiffrés, résultaient d'une mauvaise
décision ou de prévisions peu réalistes. Si l'on
examine et compare les témoignages de Rabey et
Walsh avec les autres preuves objectives (pour la
plupart documentaires), je suis convaincu que la
demanderesse et G.T.S. ont agi dans un but légi-
time et de bonne foi. Ces opérations avaient sim-
plement pour but la réalisation d'un bénéfice par
la vente de renseignements provenant des données
d'Angus et de la bibliothèque renfermant les dia-
grammes de puits de pétrole canadiens. Dans ce
dernier cas, si les débouchés existaient, la deman-
deresse avait le droit d'inclure occasionnellement
dans ses stocks, des renseignements particuliers.
Je complète l'historique de la dépense de $214,-
000. La seule demande de données chiffrées fut
présentée en 1970 par Chevron qui en commanda
trois. En 1972, les vérificateurs de la demanderesse
lui conseillèrent de mettre fin à l'entente du 24
novembre 1969 et de déduire le coût des diagram-
mes. Ces conseils étaient justifiés en partie par la
position adoptée par la défenderesse, mais essen-
tiellement, à mon avis, par des principes compta-
bles et commerciaux valides. La dépense de $214,-
000 avait été considérée comme un coût différé en
1970 et 1971. Le système numérique constituait un
domaine nouveau et comportait des risques incon-
nus. Au cours de la troisième année, il fallut, en
l'absence de bénéfice, recourir à la procédure
comptable appropriée et reconnaître le fait d'une
perte commerciale.
Il convient d'examiner tout d'abord les deux
prétentions de la défenderesse portant précisément
sur la dépense de $214,000.
On prétend qu'il s'agissait d'un subterfuge, que
la demanderesse ne reçut aucune contrepartie, que
la compagnie mère et la filiale n'étaient pas sans
lien de dépendance, et que l'ensemble de la tran-
saction ne constituait qu'un moyen de transférer
les bénéfices à la compagnie mère. Je ne souscris
pas à cette prétention. Elle contredit les témoigna-
ges de Rabey et Walsh (auxquels j'ai ajouté foi) et
à mon avis, les autres faits objectifs ne permettent
pas de conclure raisonnablement à l'existence d'un
subterfuge. J'ajoute foi à la prétention de la
demanderesse selon laquelle il y avait suffisam-
ment de conditions restrictives dans le contrat de
fusion (pièce 38) pour garantir l'indépendance de
la Sigma en matière de dépenses, y compris bien
sûr la dépense en cause. Je renvoie en particulier
aux clauses 9 et 15.
Voici comment dans l'affaire Snook c. London
and West Riding Investments, Limitedz, le lord
juge Diplock avait décrit une opération financière
fictive:
[TRADUCTION] En ce qui concerne l'allégation, par le deman-
deur, que les transactions entre lui-même, Auto-Finance, Ltd.,
et les défendeurs étaient un «trompe-l'oeil», il me semble néces-
saire d'examiner quelle notion juridique peut renfermer ce mot
d'usage courant et de sens péjoratif. Je croirais que, s'il a
quelque signification en droit, il désigne ces actes faits, ou
passés par les parties au «trompe-l'oeil» et qui visent à simuler,
aux yeux des tiers ou du tribunal, la création de droits ou
d'obligations juridiques différents des droits ou obligations
juridiques que les parties ont véritablement entendu créer (dans
la mesure où elles ont voulu en créer). Cependant, il est, me
semble-t-il, clair en droit, en morale et dans la jurisprudence
(voir Yorkshire Railway Wagon Co. c. Maclure (1882) 21 Ch.
D. 309; Stoneleigh Finance, Ltd. c. Phillips [1965] 1 All E.R.
513; [1965] 2 Q.B. 537), que, pour que des actes ou documents
soient un «trompe-l'oeil», avec toutes les conséquences juridiques
qui peuvent en• découler, toutes les parties doivent avoir en
outre l'intention commune de ne pas créer par ces actes les
droits et obligations juridiques qu'elles paraissent y créer.
Cet extrait avait été cité et, semble-t-il,
approuvé par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire M.R.N. c. Cameron 3 .
L'opération conclue entre la demanderesse et sa
compagnie mère, y compris les documents, ne
visait pas à simuler, à mon avis, aux yeux de
quiconque, la création de droits et d'obligations
différents de ceux que les parties entendaient
créer. Il n'y avait en l'espèce ni dissimulation, ni
déguisement, ni absence de bonne foi.
2 [1967] 1 All E.R. 518 la page 528.
[1972] C.T.C. 380. Voici les autres décisions où il fut
question de «subterfuges»: Susan Hosiery Ltd. c. M.R.N.
[1969] 2 R.C.E. 408; Concorde Automobile Ltée c. M.R.N.
[1971] C.T.C. 246 et Simard-Beaudry Inc. c. M.R.N. [1974] 2
C.F. 131.
La défenderesse se fonde en outre sur le para-
graphe 137(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Je conclus que l'interdiction qui y est prévue vise
non seulement les subterfuges mais aussi les cas où
la dépense, bien que réelle et apparemment de
bonne foi, réduirait indûment ou de façon factice
le revenu du contribuable. Je conclus en outre que
le paragraphe vise l'interdiction de déductions à
l'égard d'opérations plus frauduleuses que le fait
de dépenser ou débourser de façon déraisonnable
des sommes qui sont autrement déductibles (para-
graphe 12(2)) ou le fait d'acheter quelque chose à
une personne avec laquelle existe un lien de dépen-
dance (paragraphe 17(1)).
Le législateur n'a pas défini le sens de l'expres-
sion «réduirait indûment ou de façon factice le
revenu>. Dans l'exploitation de son entreprise, le
contribuable doit spéculer sur l'intention secrète
des législateurs et sur l'attitude ou l'opinion peut-
être imprévisible du Ministre pour chaque cas
particulier. Si je comprends bien le processus, k
Ministre 4 examine la preuve qui lui est soumise et
en établissant une cotisation ou une nouvelle coti-
sation, il indique qu'à son avis le débours en
question, s'il était permis, réduirait indûment ou
de façon factice le revenu. Si cette opinion incon-
testée du point de vue du droit était péremptoire
ou prédominante, le ministère du Revenu pourrait
indirectement contrôler la nature, le but et les
montants d'un grand nombre de dépenses commer-
ciales. A mon avis, il faut que le critère permettant
de décider si une déduction est interdite par l'arti-
cle 137(1) soit objectif. A cet égard, l'essentiel de
la preuve provient ordinairement du contribuable.
Par conséquent, la preuve est souvent de nature
subjective. Il est donc nécessaire de déterminer sa
portée et sa crédibilité, mais en dernière analyse, la
conclusion d'ensemble sur le caractère indû ou
factice (ou non) est un jugement de valeur fondé
sur tous les faits et circonstances. Indubitable-
ment, un grand nombre de dépenses réduisent
mathématiquement le revenu d'un contribuable et
c'est le cas pour les $214,000 en cause. S'il s'agit
toutefois d'une dépense raisonnable, dans le but
légitime de gagner un revenu et à d'autres fins
commerciales, sans être avant tout un moyen de
réduire l'impôt, je ne pense pas alors que l'opéra-
4 J'utilise le terme «le Ministre» dans un sens non pas prati-
que mais technique et législatif.
tion puisse, ou doive être, de ce fait qualifiée de
réduction déraisonnable, factice ou anormale' du
revenu, quelle que soit l'importance de ladite
réduction d'impôt. En l'espèce, je suis d'avis que
lorsqu'on considère d'une façon réaliste et objec
tive l'ensemble des faits versés au dossier (et ce
que l'on peut raisonnablement en déduire) et que
l'on évalue et accepte les dépositions des deux
témoins principaux de la demanderesse comme
dignes de confiance et convaincants (comme je l'ai
fait), on ne peut alors considérer la dépense faite
dans le but d'obtenir les droits sur certaines don-
nées chiffrées sur les puits de pétrole comme rédui-
sant indûment ou de façon factice le revenu de la
demanderesse pour l'année 1969.
Abordons la dernière question (applicable aux
deux dépenses), savoir, pour reprendre les termes
du juge en chef Jackett,
[TRADUCTION] Une telle dépense est-elle en fait «une dépense
imputable au revenu ou au capital»? 6
La définition célèbre de «dépense de capital»
nous vient du vicomte Cave L.C., dans l'affaire
British Insulated and Helsby Cables, Limited c.
J'emprunte ces termes aux motifs prononcés par le juge
suppléant Ritchie dans l'affaire Shulman c. M.R.N. [1961]
R.C.É. aux pages 424-425:
[TRADUCTION] Bien que le libellé de l'article 137(1) ne
soit pas aussi clair et explicite qu'il paraît à première vue, je
considère qu'aucun des termes utilisés n'est superflu.
A mon avis, «qui» se rapporte à «déduction». A mon sens, le
mot «indûment» se rapporte au montant et signifie «d'une
manière excessive» ou «d'une manière déraisonnable». Dans le
présent contexte, «de façon factice» signifie de façon «anor-
male», «contraire à ce qui est naturel» ou «qui n'est pas
normale».
J'interprète le paragraphe (1) comme s'il se lisait:
Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi, aucune
déduction qui, si elle était permise, réduirait indûment ou
de façon factice le revenu ne peut être faite à l'égard d'un
débours ou d'une dépense contractée relativement à un
affaire ou opération.
Si l'on étudie l'application de l'article 137(1) toute déduc-
tion de revenu, il faut aussi tenir compte de la nature de la
transaction ayant donné lieu à la déduction. Tout artifice
surgissant au cours d'une transaction peut vicier une dépense
s'y rapportant et l'empêcher d'être déductible du calcul du
revenu imposable.
6 Algoma Central Railway c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 88 à
la page 91.
Atherton':
[TRADUCTION] Mais quand on fait des dépenses non seulement
une fois pour toutes, mais encore dans le but d'apporter un
élément d'actif ou un avantage pour le bénéfice durable d'un
commerce, je pense qu'il y a de très bonnes raisons (en l'ab-
sence de circonstances particulières conduisant à une conclu
sion contraire) de traiter une telle dépense comme si elle était à
juste titre imputable non pas au revenu mais au capital.
La Cour suprême du Canada approuva cette
définition dans l'affaire British Columbia Electric
Railway Company Limited c. M.R.N. 8 . Le juge
Abbott fit le commentaire suivant:
[TRADUCTION] L'objectif essentiel présumé de toute entre-
prise commerciale étant la recherche d'un profit, toute dépense
consentie «dans le but de gagner ou de produire un revenu»
s'inscrit dans le cadre de l'article 12(1)a), qu'il s'agisse d'une
dépense de revenu ou d'une dépense de capital.
Voici ce que la Cour déclara dans l'affaire
Algoma 9 , portée en appel devant la Cour suprême
du Canada:
[TRADUCTION] Le Parlement ne définit pas les expressions
«dépense ... de capital» ou «dépense à compte de capital».
Comme il n'y a pas de critère législatif, appliquer ou non ces
expressions à toutes dépenses particulières doit dépendre des
circonstances propres à l'affaire. Nous ne pensons pas qu'un
critère unique permette d'élaborer cette définition et nous
approuvons l'avis exprimé dans une décision récente du Conseil
privé rendue par lord Pearce dans l'affaire B.P. Australia Ltd.
c. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Aus-
tralia [1966] A.C. 224; [1965] 3 All E.R. 209. En mentionnant
la question de savoir si une dépense était de capital ou ordi-
naire, il déclarait à la page 264:
On ne peut pas trouver la solution du problème en appli-
quant un critère ou une description rigide. Elle doit découler
de plusieurs aspects de l'ensemble des circonstances dont
certaines peuvent aller dans un sens et d'autres dans un
autre. Une observation peut se détacher si nettement qu'elle
domine d'autres indications plus vagues dans le sens con-
traire. C'est une appréciation saine de toutes les caractéristi-
ques directrices qui doit apporter la réponse finale.
Comme le disait le juge en chef adjoint Noël dans
l'affaire La Reine c. F. H. Jones Tobacco Sales
Co. Ltd. 10 , il faut considérer les aspects pratiques
et commerciaux de l'opération en question et non
simplement son aspect juridique.
En l'espèce, le fait que les deux dépenses en
question aient été une erreur sur le plan économi-
que n'interdit pas leur déduction si en fait et en
droit, elles avaient pour but d'obtenir ou de pro-
duire un revenu. A mon avis, les sommes dépensées
[1926] A.C. 205 aux pages 213 et 214.
s [1958] R.C.S. 133 à la page 137.
9 [1968] R.C.S. 447 aux pages 449 et 450.
10 [1973] C.F. 825à la page 834.
n'avaient pas pour but de créer un avantage pour
le bénéfice durable de l'entreprise de la demande-
resse. D'un point de vue pratique et commercial,
l'intention ou le «but» de la demanderesse était
d'inclure dans ses stocks les renseignements qu'elle
pensait raisonnablement vendre rapidement de
manière à produire un revenu.
On aurait donc dû permettre la déduction des
deux montants dans le calcul du revenu de la
demanderesse. L'appel est accueilli. La nouvelle
cotisation à l'impôt de la demanderesse pour les
années en question est renvoyée au Ministre qui
devra lui permettre de déduire les deux montants.
La demanderesse a droit à ses dépens.
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