T-4268-73
Donald G. Grant (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant
Bastin —Halifax, les 9 et 17 avril 1974.
Impôt sur le revenu—Le demandeur achète des actions de
la compagnie employeur aux termes d'une convention avec
l'employeur—Cotisation sur bénéfice conférée—Hausse du
cours des actions entre la convention d'achat et la libération
des actions—Date de la convention déterminante—Loi de
l'impôt sur le revenu, art. 85A(1)a) maintenant art. 7(1).
En 1968, suite à une résolution de son comité exécutif,
une compagnie de fiducie conféra à ses employés les plus
anciens une option d'achat à tempérament sur les actions de
ladite compagnie au cours actuel du marché, soit $35 l'ac-
tion. Le demandeur souscrivit à des actions en conformité
du plan qui fut immédiatement approuvé par le conseil
d'administration. En 1969, dans les délais impartis par le
plan, le demandeur libéra intégralement ses actions et reçut
un certificat pour les actions qu'il avait achetées. Dans
l'intervalle, le cours du marché avait atteint $70 l'action. La
cotisation établie par le Ministre sur le bénéfice attribué à
l'employé, en vertu de l'art. 85A(1)a) de la Loi de l'impôt sur
le revenu, était fondée sur la hausse du cours, au motif que
la souscription de l'employé restait une offre non acceptée
par la compagnie tant que cette dernière ne lui avait pas
délivré le certificat d'actions.
Arrêt: l'appel est accueilli et l'affaire déférée au Ministre
pour nouvelle cotisation. Le conseil d'administration de la
compagnie a reçu une souscription d'actions de l'employé en
vertu du plan et a confirmé le plan le 25 juillet 1968; c'est à
ce moment que le demandeur «a acquis» ses actions au sens
de l'art. 85A(1)a). Il faut considérer le cours du marché à ce
moment-là. Puisque les actions n'avaient pas une valeur
supérieure à celle que devait payer l'employé soit $35, la
compagnie ne lui a conféré aucune «prestation» en lui
vendant lesdites actions.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
K. E. Eaton et P. MacKeigan pour le
demandeur.
J. A. Weinstein pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Daley, Black et Cie, Halifax, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE SUPPLÉANT BASTIN: Il s'agit d'une
action intentée par un contribuable visant l'an-
nulation d'une nouvelle cotisation de son impôt
sur le revenu pour l'année d'imposition 1969;
elle augmentait son impôt de $8,247.71, avec
des intérêts s'élevant à $1,505.20, en se fondant
sur l'hypothèse qu'il était censé avoir reçu, au
cours de cette année d'imposition, une presta-
tion imposable aux termes de l'art. 85A(1)a)
égale au montant par lequel la valeur de certai-
nes actions qu'il a acquises de la Nova Scotia
Trust Company à cette époque excédait la
somme payée par lui à la compagnie à ce titre.
L'article 85A(1)a) se lit comme suit:
85A. (1) Lorsqu'une corporation a convenu de vendre ou
d'émettre de ses actions, ou des actions d'une corporation
avec laquelle elle en traite pas à distance, à un de ses
employés ou à un employé d'une corporation avec laquelle
elle ne traite pas à distance,
a) si l'employé a acquis des actions en vertu de la conven
tion, une prestation égale au montant par lequel la valeur
des actions au moment où il les a acquises excède la
somme payée ou à payer par lui à la corporation en
l'espèce, est censée avoir été reçue par l'employé en
raison de son emploi dans l'année d'imposition où il a
acquis les actions;
J'estime que le mot «acquérir» tel qu'utilisé à
l'article 85A(1)a) de la Loi de l'impôt sur le
revenu s'entend dans son acception ordinaire de
gagner ou d'obtenir et cela se produit lorsqu'on
achète quelque chose, que ce soit au comptant
ou à crédit. Le litige, en l'espèce, porte sur la
détermination de la, date de mise en vigueur
d'une convention exécutoire pour la vente des
actions en question au demandeur.
La défenderesse prétend que la souscription
d'actions écrite en date du 24 juillet 1968 cons-
tituait une offre que la compagnie n'a pas accep-
tée avant de délivrer au demandeur le certificat
de souscription le 24 juillet 1969. Je ne me
range-pas à cet avis.
Le demandeur était président directeur géné-
ral de la Nova Scotia Trust Company. Il témoi-
gna qu'en juillet 1968, les administrateurs de la
compagnie décidèrent de vendre à crédit des
actions de la compagnie aux employés les plus
anciens afin de renforcer les liens entre cette
catégorie d'employés et la compagnie et éviter
que ces derniers ne soient attirés par d'autres
compagnies. En 1963, on avait essayé de mettre
en oeuvre un plan comparable en offrant 3,000
actions dont 2,296 seulement furent vendues.
Le comité exécutif, se composant du deman-
deur et de cinq autres administrateurs, adopta
une résolution le 11 juillet 1968 pour réaliser le
plan. La résolution fut rédigée de concert par le
demandeur et plusieurs autres administrateurs
et se lisait comme suit:
[TRADUCTION] Résolution adoptée au cours d'une réunion du
comité exécutif de la Nova Scotia Trust Company, le jeudi
11 juillet 1968:
Le comité exécutif a approuvé un plan qui sera soumis à
la prochaine réunion du conseil d'administration et qui con-
fère aux employés de la compagnie justifiant d'au moins 15
années de service une option sur les 704 actions de la
compagnie non souscrites lors de l'offre initiale de 3,000
actions en 1963, ainsi que sur une autre offre de 563
actions, pour un total de 1,267 actions. En conséquence, le
capital-actions total émis comprendra 76,500 actions.
Une proposition visant l'annulation de la résolution met-
tant fin au plan initial et adoptée par le comité exécutif le 7
janvier 1966 fut adoptée.
Les souscriptions doivent répondre aux conditions
suivantes:
1. Les personnes justifiant d'au moins 15 années de service
ont une option sur les actions au prix de $35 l'action, soit à
peu près au cours actuel du marché.
2. Le paiement sera effectué sur une période de trois années
à compter de la date de la souscription avec un versement
initial immédiat de 10% du prix d'achat et le solde au
rythme de 30% par an, le remboursement avant l'échéance
étant autorisé.
3. Aucun certificat d'actions ne sera délivré avant le paie-
ment intégral des actions souscrites et, en cas de paiement
avant la fin de la période de trois ans, elles ne pourront être
vendues ni transférées sur les registres de la compagnie
avant trois ans à compter de la date de la souscription,
excepté toutefois le cas de la vente ou de l'échange d'actions
par suite d'une quelconque fusion ou réunion approuvée par
les actionnaires.
4. En cas de décès d'un souscripteur avant la délivrance de
son certificat, un certificat sera délivré à sa succession à
concurrence du nombre d'actions entièrement libérées à la
date du décès.
5. Aucun dividende ne sera payé avant que les actions
souscrites ne soient entièrement libérées.
Immédiatement après l'adoption de cette
résolution, le demandeur prépara un bulletin de
souscription d'actions, entra en contact avec
cinq employés ayant passé plus de 15 ans au
service de la compagnie et leur fit remplir un
bulletin indiquant le nombre d'actions qu'ils
désiraient respectivement acheter. Comme les
cinq employés consentaient à acheter 520
actions en tout, le demandeur signa un bulletin
portant sur 847 actions, soit le reliquat des
1,267 actions qui devaient être offertes. Dans
chaque cas, on utilisa le même bulletin. Voici le
bulletin de souscription du demandeur:
[TRADUCTION]:
Le comité exécutif
Au: Conseil d'administration,
La Nova Scotia Trust Company
Par les présentes, je souscris à 847 actions du capital
social de la Nova Scotia Trust Company. Je consens à payer
$35.00 l'action et à me conformer aux conditions suivantes:
1. Le paiement sera effectué sur une période de trois années
à compter de la date de la souscription avec un versement
initial immédiat de 10% du prix d'achat et le solde au
rythme de 30% par an, le remboursement avant l'échéance
étant autorisé.
2. Je m'engage à ne pas vendre, céder ou transférer mes
droits afférents à une quelconque partie de la souscription
avant qu'un certificat d'actions me soit délivré une fois la
souscription intégralement libérée et, en aucun cas, avant le
15 mai 1971.
3. Je n'ai droit à aucun dividende pour les actions que j'ai
souscrites jusqu'à leur entière libération.
FAIT le 24 juillet 1968, à Halifax (Nouvelle-Écosse)
Donald G. Grant
A la réunion du conseil d'administration qui
s'est tenue le 25 juillet 1968, le demandeur
présenta les six bulletins de souscription d'ac-
tions. L'un des administrateurs fit remarquer
qu'un autre employé, L. C. MacKinnon, rem-
plissait la condition requise pour participer au
plan, à savoir, justifier d'au moins 15 années de
service. Comme MacKinnon était alors en
vacances, le demandeur s'engagea à lui réserver
sur les 847 actions qu'il avait souscrites le
nombre d'actions que MacKinnon pouvait vou-
loir acheter. A son retour de vacances, MacKin-
non accepta de souscrire à 12 actions.
Le demandeur témoigna que les actions de la
compagnie avaient été largement réparties entre
500 actionnaires. Elles n'étaient pas cotées et
leur vente s'effectuait hors cote au prix de
$45.00 l'action avant la modification de la Loi
sur les banques, supprimant le plafonnement des
intérêts bancaires à 6% et autorisant les ban-
ques à charte à investir dans les hypothèques. A
la suite de cette modification législative, le
cours des actions est tombé à $35.00 l'action.
Le demandeur reconnut qu'il n'avait versé que
$1,000.00 dans le compte de dépôts. Le 24
juillet 1969, sa banque paya le montant intégral
du prix des actions. Dans l'intervalle, le cours
du marché avait atteint $70.00 l'action, suite à
une offre d'achat faite par une autre compagnie,
la Central Trust Company, qui visait une prise
de participation majoritaire et qui, au printemps
1969, fit paraître dans la presse une offre
d'achat d'un nombre déterminé d'actions de la
Nova Scotia Trust Company au prix de $70.00
l'action. Rien n'indique que le demandeur, le 25
juillet 1968, date à laquelle il remplit sa sous-
cription d'actions, savait ce qui allait se
produire.
Un employé de la compagnie, L. C. Cameron,
en qualité de secrétaire à la réunion du conseil
d'administration, le 25 juillet 1968, dressa une
liste des employés participant au plan et inscri-
vit sur cette liste le numéro du compte de
dépôts à utiliser pour le paiement des actions.
Aucun numéro ne fut attribué à MacKinnon.
Voici la liste dans sa forme définitive:
[TRADUCTION]
Épargne en actions des employés Compte de dépôts
847 835 D. G. Grant 20-0358
12 L. C. MacKinnon
100 R. B. Blight 20-0359
100 A. MacBean 20-0360
20 R. M. Gordon Winnifred Gordon 20-0361
100 E. K. Davison 20-0362
100 J. M. Camerson 20-0363
Les administrateurs ont adopté la résolution
suivante:
[TRADUCTION] Résolution adoptée au cours de la réunion du
conseil d'administration de la Nova Scotia Trust Company,
le 25 juillet 1968:
Le comité exécutif a approuvé un plan qui sera soumis à
la prochaine réunion du conseil d'administration et qui con-
fère aux employés de la compagnie justifiant d'au moins 15
années de service une option sur les 704 actions de la
compagnie non souscrites lors de l'offre initiale de 3,000
actions en 1963, ainsi que sur une autre offre de 563
actions, pour un total de 1,267 actions. En conséquence, le
capital-actions total émis comprendra 76,500 actions.
Les souscriptions doivent répondre aux con
ditions suivantes:
[TRADUCTION] 1. Les personnes justifiant d'au moins 15
années de service ont une option sur les actions au prix de
$35 l'action, soit à peu près au cours actuel du marché.
2. Le paiement sera effectué sur une période de trois années
à compter de la date de la souscription avec un versement
initial immédiat de 10% du prix d'achat et le solde au
rythme de 30% par an, le remboursement avant l'échéance
étant autorisé.
3. Aucun certificat d'actions ne sera délivré avant le paie-
ment intégral des actions souscrites et, en cas de paiement
avant la fin de la période de trois ans, elles ne pourront être
vendues ni transférées sur les registres de la compagnie
avant trois ans à compter de la date de la souscription,
excepté toutefois le cas de la vente ou de l'échange d'actions
par suite d'une quelconque fusion ou réunion approuvée par
les actionnaires.
4. En cas de décès d'un souscripteur avant la délivrance de
son certificat, un certificat sera délivré à sa succession à
concurrence du nombre d'actions entièrement libérées à la
date du décès.
5. Aucun dividende ne sera payé avant que les actions
souscrites ne soient intégralement libérées.
Sur proposition de Robertson, appuyée par Piercey, le
plan, tel que présenté, fut approuvé à l'unanimité.
La création d'un contrat n'exige aucune for-
malité stricte. Si les parties ont l'intention de
s'obliger mutuellement par un contrat et par-
viennent à un accord ad idem, la Cour lui don-
nera effet. Il convient d'examiner l'opération
dans son ensemble, tant le texte que la ligne de
conduite des parties, et l'ordre des différentes
étapes menant à l'accord n'a pas d'importance
si, compte tenu de tous les faits, on peut déter-
miner que le contrat était bien le but recherché.
La compagnie décida de mettre 1,267 actions à
la disposition de ses employés les plus anciens
et exécuta ensuite son plan en deux étapes. La
résolution adoptée par le comité exécutif le 11
juillet 1968 énonçait les conditions du plan. Au
cours de sa réunion du 25 juillet 1968, le conseil
d'administration reçut les souscriptions d'ac-
tions des employés faites en conformité du plan
et confirma la vente des actions. C'est à ce
moment que le demandeur acquit 835 actions et
il convient de considérer la valeur des actions
au cours du marché à cette date.
L'avocat de la défenderesse a fait valoir que,
pour qu'un contrat existe par suite de l'offre de
souscription d'actions et de l'adoption d'une
résolution par le conseil d'administration, les
deux documents doivent être rédigés exacte-
ment dans les mêmes termes. La condition n° 3
de la résolution se lit comme suit:
[TRADUCTION] 3. Aucun certificat d'actions ne sera délivré
avant le paiement intégral des actions souscrites et, en cas
de paiement avant la fin de la période de trois ans, elles ne
pourront être vendues ni transférées sur les registres de la
compagnie avant trois ans à compter de la date de la
souscription, excepté toutefois le cas de la vénte ou de
l'échange d'actions par suite d'une quelconque fusion ou
réunion approuvée par les actionnaires.
Dans le bulletin de souscription figure le para-
graphe suivant:
[TRADUCTION] 2. Je m'engage à ne pas vendre, céder ou
transférer mes droits afférents à une quelconque partie de la
souscription avant qu'un certificat d'actions me soit délivré
une fois la souscription intégralement libérée et, en aucun
cas, avant le 15 mai 1971.
La condition n° 4 de la résolution se lit
comme suit:
[TRADUCTION] 4. En cas de décès d'un souscripteur avant la
délivrance de son certificat, un certificat sera délivré à sa
succession à concurrence du nombre d'actions entièrement
libérées à la date du décès.
La souscription d'actions ne mentionne pas
cette condition.
En réponse à cet argument, il suffit de dire
que les souscriptions d'actions ont été effec-
tuées en conformité et sous réserve des condi
tions prévues aux deux résolutions autorisant ce
plan d'épargne d'actions des employés. Ces
deux conditions étaient donc implicites dans le
bulletin de souscription. On peut raisonnable-
ment supposer que le demandeur a inséré la
clause n° 2 dans le bulletin de souscription afin
de souligner que le plan avait pour but d'intéres-
ser les employés à la compagnie de façon per-
manente et non d'encourager une spéculation à
court terme. Selon moi, le fait que le demandeur
ait utilisé l'expression «le 15 mai 1971» au lieu
de l'énoncé exact de la résolution en rédigeant
le document, n'a aucune portée et n'a aucune
importance en droit. Cette différence n'a aucun
effet sur l'accord créant une obligation irrévoca-
ble de la vente des actions.
Il n'y a pas l'ombre d'un doute que, dans
l'esprit des administrateurs de la compagnie et
des employés qui ont participé à ce plan d'ac-
quisition d'actions, la présentation des souscrip-
tions écrites pour un nombre déterminé d'ac-
tions et leur acceptation par les administrateurs,
et l'adoption de la résolution approuvant ce plan
de vente de 1,267 actions auxdits employés,
constituaient une convention liant les parties,
n'importe laquelle pouvant en exiger l'exécu-
tion. Le 25 juillet 1968, le demandeur a acquis
un droit sur 847 actions et devint pour 12 J'en-
tres elles le mandataire de MacKinnon, sous
réserve du paiement du prix des actions par ce
dernier. La compagnie a reçu sa souscription
qui contenait une promesse exécutoire de payer
les actions. Si le cours des actions avait baissé,
le demandeur n'aurait pas pu revenir sur sa
promesse et la compagnie n'avait aucun droit
d'annuler la convention du fait que la valeur des
actions avait augmenté. Conformément à l'in-
tention de la compagnie et des employés, ces
derniers ont acquis les actions qu'ils avaient
souscrites lorsque le conseil d'administration
adopta la résolution confirmant le plan, le 25
juillet 1968.
Puisqu'à cette date, les actions n'avaient pas
une valeur supérieure à celle de leur prix
d'achat, la compagnie ne leur a conféré aucun
bénéfice en leur vendant lesdites actions.
Jugement est rendu en faveur du demandeur
avec les dépens taxés. La cotisation du deman-
deur pour l'année d'imposition en question est
déférée au Ministre pour nouvelle cotisation
conforme aux présents motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.