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A-8-73
La Commission nationale des libérations condi- tionnelles (Appelante)
c.
Norman William Edmonds (Intime)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Pratte et Ryan —Ottawa, le 7 juin 1974.
Libération conditionnelle—Acte criminel commis pendant la libération conditionnelle—Condamnation entraînant la déchéance de la libération conditionnelle—Aucune suspen sion ou révocation de la libération conditionnelle—Aucun crédit pour le temps passé en détention avant la condamna- tion—Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, art. 6, 10, 13, 16, 17, 21 et amendement, S.R.C. 1970 c. 31 (1e' Supp.), art. 2.
L'intimé, détenu par le Service canadien des pénitenciers, fit l'objet d'une libération conditionnelle le 22 avril 1968, qui se terminait le 13 octobre 1970. Le 3 février 1970, il fut arrêté sous l'accusation d'usage de faux et replacé en déten- tion; il y demeura pendant 106 jours jusqu'à sa libération sous caution. Déclaré coupable d'usage de faux, il fut con- damné à une période d'emprisonnement de 15 mois, consé- cutive à sa condamnation antérieure. En vertu de l'article 17(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, sa condamnation pour un acte criminel punissable d'un empri- sonnement d'au moins deux ans a entraîné la déchéance de sa libération conditionnelle. L'intimé s'est plaint du fait que, dans le calcul de sa nouvelle période d'emprisonnement en vertu de l'article 21 de la Loi, on n'a pas tenu compte des 106 jours passés en détention. La Division de première instance a fait droit à cette demande et a rendu un jugement déclaratoire au motif que la déchéance entraînait la révoca- tion de la libération conditionnelle au sens de l'article 21(1)d), conférant à l'intimé le droit d'être crédité pour le temps passé en détention.
Arrêt: l'appel de la Commission est accueilli; il existe une différence entre la «déchéance» de la libération condition- nelle, applicable à l'intimé en vertu de l'article 17(1) et la «suspension ou révocation», formulée à l'article 21(1)d). La libération conditionnelle de l'intimé n'avait pas été «suspen- due» en vertu des pouvoirs décrits aux articles 16 et 20; elle n'avait pas non plus été «révoquée» conformément aux articles 10 et 16. En conséquence, l'intimé n'avait pas droit au redressement prévu à l'article 21(1)d).
APPEL. AVOCATS:
E. R. Sojonky pour l'appelante. K. E. B. Cartwright pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
Cartwright & Cartwright, Kingston, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: J'aimerais ajou- ter un commentaire aux motifs du jugement prononcés par mon collègue Ryan au nom de la Cour.
Je souscrirais entièrement au raisonnement du juge en chef adjoint au terme duquel il conclut en faveur de l'intimé, si ce n'était du fait qu'un examen de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus révèle, à mon avis, une utilisation prudente dans la Loi des termes «suspendue» et «révoquée» dans des sens incompatibles avec sa conclusion. Je partage également son avis selon lequel il semble y avoir une injuste sousjacente étant donné le point de vue que nous avons adopté. Il me semble cependant, que la faute, s'il en existe une, n'en est pas imputable à la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, mais plutôt aux dispositions législatives en vertu des- quelles une personne peut être sous garde en attente de son procès, pendant une longue période qui, semble-t-il, ne peut être inscrite à son crédit lorsque l'on calcule la période d'em- prisonnement qu'elle doit purger.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE RYAN: Appel est interjeté d'un juge- ment déclaratoire de la Division de première instance rendu en faveur de l'intimé.
L'intimé, Norman William Edmonds, était détenu de l'Institution Joyceville qui fait partie du Service canadien des pénitenciers, au moment la présente action fut intentée devant la Division de première instance de ce tribunal. Il fit l'objet d'une libération condition- nelle le 22 avril 1968, après avoir été condamné à une période d'emprisonnement de 4 ans. Sa libération conditionnelle avait effet jusqu'au 13 octobre 1970. Le 3 février 1970, il fut arrêté et accusé d'usage de faux. Il fut replacé en déten- tion et il y demeura jusqu'à sa libération sous caution le 19 mai 1970, soit une période de 106
jours. Le 26 juin 1970, il fut déclaré coupable de l'acte criminel dont il était accusé et fut condamné à une période d'emprisonnement de quinze mois, consécutive à sa condamnation antérieure. Il est admis que l'infraction dont il fut déclaré coupable est un acte criminel punis- sable d'un emprisonnement d'au moins deux ans.
Un détenu à liberté conditionnelle peut, comme le fit Edmonds, commettre une infrac tion et en être déclaré coupable pendant sa libération conditionnelle. Il en résulte, entre autres, que sa libération conditionnelle est frap- pée de déchéance si l'infraction est un acte criminel punissable d'un emprisonnement d'au moins deux ans. En outre, la déchéance est rétroactive à la date de la perpétration de l'in- fraction. Ceci est prévu par l'article 17(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus qui se lit comme suit:
17. (1) Lorsqu'un individu qui est ou qui a été à un moment un détenu à liberté conditionnelle est déclaré cou- pable d'un acte criminel punissable d'un emprisonnement d'au moins deux ans, commis après que la libération condi- tionnelle lui a été accordée et avant qu'il ait été relevé des obligations de cette libération conditionnelle ou avant l'expi- ration de sa sentence, sa libération conditionnelle est, de ce fait, frappée de déchéance et cette déchéance est censée dater du jour l'infraction a été commise.
Le détenu à liberté conditionnelle, déclaré coupable d'une infraction alors qu'il n'a pas purgé complètement sa condamnation anté- rieure, fait alors face à une nouvelle condamna- tion. L'article 21 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus régit son cas; cet arti cle prévoit que le détenu à liberté condition- nelle, qui a été déclaré coupable, est passible d'une période d'emprisonnement commençant lorsqu'il est condamné pour l'acte criminel en cause, et calculée selon une formule énoncée au paragraphe (1) de cet article. L'article 21(1) se lit comme suit:
21. (1) Lorsqu'une libération conditionnelle est frappée de déchéance par une déclaration de culpabilité d'un acte crimi- nel, le détenu à liberté conditionnelle doit purger un empri- sonnement, commençant lorsque la sentence pour l'acte criminel lui est imposée, d'une durée égale au total
a) de la partie de l'emprisonnement auquel il a été con- damné qui n'était pas encore expirée au moment de l'oc- troi de cette libération, y compris toute période de réduc- tion de peine inscrite à son crédit, notamment la réduction de peine méritée,
b) de l'emprisonnement, le cas échéant, auquel il est condamné sur déclaration de culpabilité de l'acte criminel, et
c) du temps qu'il a passé en liberté après que la sentence pour l'acte criminel lui a été imposée, à l'exclusion du temps qu'il a passé en liberté en conformité d'une libéra- tion conditionnelle à lui accordée après qu'une telle sen tence lui a été imposée,
moins le total
d) du temps antérieur à la déclaration de culpabilité de l'acte criminel lorsque la libération conditionnelle était suspendue ou révoquée et durant lequel il était sous garde en raison d'une telle suspension ou révocation, et
e) du temps qu'il a passé sous garde après déclaration de culpabilité de l'acte criminel avant l'imposition de la sen tence pour l'acte criminel.
Pour comprendre le but visé par cet article, il faut, croyons-nous, garder à l'esprit que la période d'emprisonnement d'un détenu à liberté conditionnelle est réputée, en vertu de l'article 13 de la Loi, rester en- vigueur jusqu'à son expiration conformément à la loi, tant que la libération conditionnelle n'est pas révoquée ni frappée de déchéance; par conséquent, chaque jour un individu est en liberté conditionnelle, la période non purgée de son emprisonnement s'en trouve réduite d'autant. Il semble que l'arti- cle 21 vise principalement à priver le détenu à liberté conditionnelle, qui a été déclaré coupa- ble, du bénéfice non seulement du temps qu'il a acquis alors qu'il était en liberté après la perpé- tration de l'acte criminel, mais aussi du temps acquis à partir du jour on lui a accordé la libération conditionnelle.
Dans son affidavit déposé le 20 octobre 1970 à l'appui de la requête introductive de la pré- sente action, Edmonds déclare avoir été avisé que sa réincarcération prenait effet le 26 juin 1970, pour une durée de «849 jours de libéra- tion conditionnelle restants» en plus des quinze mois résultant de sa condamnation pour usage de faux. Par «849 jours de libération condition- nelle restants», il voulait sans doute dire les 849 jours restant à purger sur la période d'emprison- nement qui a donné lieu à la libération condition- nelle. Nous ne pouvons interpréter ses paroles autrement. Il se plaint cependant du fait que, dans le calcul de cette période d'emprisonne- ment, on n'a pas tenu compte des 106 jours pendant lesquels il était sous garde, en attendant d'être jugé pour l'accusation d'usage faux et avant d'être libéré sous caution. Il fonde en fait
sa demande sur l'alinéa d) du paragraphe (1) de l'article 21. Peut-être conviendrait-il de citer à nouveau cet alinéa. Dans le calcul de la période d'emprisonnement, le détenu à liberté condition- nelle qui a été déclaré coupable a le droit de bénéficier «du temps antérieur à la déclaration de culpabilité de l'acte criminel lorsque la libéra- tion conditionnelle était suspendue ou révoquée et durant lequel il était sous garde en raison d'une telle suspension ou révocation.»
En l'espèce, les termes déterminants dudit alinéa sont «suspendue» et «révoquée».
La suspension de la libération conditionnelle est régie par l'article 16 de la Loi. Un membre de la Commission ou toute personne qu'elle désigne peut suspendre la libération condition- nelle pour l'un quelconque des motifs énoncés à cet article. La suspension s'effectue au moyen d'un mandat autorisant l'arrestation du détenu à liberté conditionnelle qui doit être amené devant un magistrat aussitôt que la chose est commodé- ment possible. Le magistrat doit alors le ren- voyer sous garde jusqu'à ce que la suspension soit annulée ou la libération conditionnelle révo- quée ou frappée de déchéance. La personne qui a décerné le mandat de suspension ou toute autre personne désignée par la Commission doit immédiatement examiner le cas et, dans les qua- torze jours du renvoi, soit annuler la suspension ou renvoyer l'affaire à la Commission. La Com mission doit alors examiner le cas et faire effec- tuer toutes les enquêtes qu'elle estime nécessai- res. Immédiatement après que ces enquêtes et cet examen sont terminés, la Commission doit annuler la suspension ou révoquer la libération conditionnelle. De toute évidence, le détenu dont la libération conditionnelle a été suspen- due, peut être placé sous garde pendant une longue période tandis qu'on procède à ces exa- mens et enquêtes, et le paragraphe (5) de l'arti- cle 16 prévoit que le détenu est censé purger sa sentence durant cette période. Aux termes de l'article 20 de la Loi, le temps passé sous garde par suite de la suspension de la libération condi- tionnelle doit être inscrit au crédit d'un détenu dont la libération conditionnelle est révoquée et qui est renvoyé au pénitencier. De même, aux termes de l'article 21(1)d), cette période doit être créditée dans le calcul de la durée d'empri-
sonnement d'un détenu dont la libération condi- tionnelle est frappée de déchéance en vertu de l'article 17. De toute évidence, Edmonds, dont la libération conditionnelle n'avait pas été sus- pendue, n'avait droit à aucun crédit en raison de la suspension de la libération conditionnelle.
En vertu de l'article 6 de la Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus, la Commission des libérations conditionnelles a compétence exclusive et jouit d'une discrétion absolue pour révoquer la libération conditionnelle. L'article 10(1)e) confère précisément à la Commission un pouvoir discrétionnaire à cette fin. Il se peut que la libération conditionnelle d'un détenu à liberté conditionnelle, qui est frappée de déchéance en vertu de l'article 17, ait été révo- quée en vertu de l'article 16 ou autrement en vertu de l'article 10 antérieurement à sa con- damnation. L'article 17 s'appliquerait à un tel cas parce qu'il s'applique non seulement à une personne qui est en liberté conditionnelle, mais aussi à quiconque était, à un certain moment, un détenu à liberté conditionnelle, si l'acte criminel est commis après que la libération condition- nelle lui a été accordée et avant qu'il ait été relevé des obligations de cette libération condi- tionnelle ou avant l'expiration de sa sentence. Ainsi, en vertu de l'article 21(1)d), on doit ins- crire au crédit d'un détenu dont la libération conditionnelle est révoquée avant sa déclaration de culpabilité de l'acte criminel, le temps passé sous garde en vertu de la révocation. A nou- veau, Edmonds n'entre pas dans cette catégorie parce que sa libération conditionnelle n'a jamais été révoquée.
En vérité, Edmonds est resté 106 jours sous garde, jusqu'à ce qu'il soit jugé de l'accusation d'usage de faux. Le temps qu'il a passé sous garde n'a rien à voir avec une suspension ou révocation de libération conditionnelle ni, en fait, avec sa déchéance.
Pour les motifs énoncés dans son jugement, le juge en chef adjoint a décidé que la déchéance frappant la libération conditionnelle d'Edmonds en vertu de l'article 17 produisait le même effet qu'une révocation aux termes de l'article 21(1)d). Nous sommes d'avis, cependant, que la Loi établit des distinctions entre suspension, révocation et déchéance, et ce n'est que lors-
qu'un individu, dont la libération conditionnelle est frappée de déchéance en vertu de l'article 17, a été mis en prison en vertu d'une suspen sion ou révocation, qu'on doit en tenir compte lors du calcul de sa période d'emprisonnement en vertu de l'article 21.
Ceci tranche la seule plainte avancée au nom de l'intimé. Nous avons par conséquent décidé d'accueillir l'appel, d'annuler le jugement de la Division de première instance et de rejeter la demande de jugement déclaratoire.
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LE JUGE PRATTE a souscrit à l'avis.
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