A-207-73
Transocean Gateway Corporation (Appelante)
c.
Le N/M Weser Isle (Intimé)
Cour d'appel, le juge Thurlow, les juges sup
pléants Choquette et Mackay; Montréal, le 10
juin; Ottawa, le 18 juin 1974.
Droit maritime—Dépôt par l'appelante d'un caveat dans le
cadre d'une action antérieure contre le navire intimé—Cau-
tionnement déposé pour couvrir la réclamation de l'appelan-
te—Cautionnement irrégulier—Mainlevée de la saisie du
navire et retrait du caveat —L 'appelante devenant partie à
l'action antérieure—Existence d'un délai avant l'introduction
des présentes procédures—Les propriétaires du navire
n'avaient pas le droit de faire annuler le cautionnement—
Règles 1004, 1006(2), 1009 de la Cour fédérale.
Le navire intimé a été saisi sur mandat décerné à la
requête de la Sabb Inc.; dans cette action, l'appelante a
déposé un caveat qui s'opposait à la mainlevée de saisie du
navire en alléguant une réclamation de $71,000. Un caution-
nement couvrant cette dernière somme fut déposée et le
caveat retiré. L'appelante a alors obtenu la permission d'in-
tervenir comme défenderesse dans l'action intentée par la
Sabb. Dix-huit mois plus tard, au cours desquels l'appelante
n'a pris aucune autre mesure dans l'action intentée par la
Sabb, la Division de première instance, sur demande des
propriétaires du navire intimé, a rendu une ordonnance
annulant l'acte de cautionnement, en autorisant le retrait et
enjoignant l'appelante de payer les frais et les droits engagés
au titre du cautionnement par les propriétaires du navire
intimé.
Arrêt: l'ordonnance de la Division de première instance
doit être annulée. En vertu de la Règle 1004, la garantie
d'exécution ne pouvait pas être prise dans l'action intentée
par la Sabb, dans laquelle l'appelante n'était pas encore
partie. Le cautionnement ne correspondait pas au cautionne-
ment en garantie d'exécution visé par les Règles. Par contre,
une fois ce cautionnement fourni et le caveat retiré, sans
doute par suite de son dépôt, on ne pouvait le faire annuler
par voie de demande en référé. Comme le dossier ne con-
tient aucune indication des termes d'un accord conclu entre
les parties, on doit considérer que le cautionnement a été
fourni de façon inconditionnelle et sans indiquer le délai
pendant lequel il devait s'appliquer. Les parties qui l'ont
fourni n'avaient pas le droit, à ce stade, de le faire annuler.
APPEL.
AVOCATS:
E. Baudry pour l'appelante.
A. S. Hyndman, c.r., pour l'intimé.
PROCUREURS:
Brisset, Bishop & Davidson, Montréal, pour
l'appelante.
McMaster, Meighen, Minnion, Patch, Cor-
deau, Hyndman & Legge, Montréal, pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE THURLOW: Il s'agit d'un appel d'une
ordonnance de la Division de première instance
annulant un acte de cautionnement déposé le 24
mars 1972, autorisant les avocats des propriétai-
res du Weser Isle à retirer le cautionnement et
enjoignant l'appelante de payer les frais et les
droits afférents au cautionnement supportés par
les propriétaires du Weser Isle.
Le 29 février 1972, sur mandat décerné à la
requête de la Sabb Inc., le navire a été saisi à
Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) et, le 17 mars
1972, l'appelante a déposé un caveat qui s'oppo-
sait à la mainlevée de saisie s'inscrivant dans
l'action de la Sabb Inc. et qui alléguait une
réclamation de $71,028.51 contre le navire. Par
la suite, le 24 mars 1972, le cautionnement en
question était déposé et le caveat était retiré
sans que l'appelante n'ait intenté d'action pour
faire valoir sa réclamation.
Une compagnie d'assurance a souscrit devant
l'Administrateur de district de la Cour à Mont-
réal le cautionnement s'inscrivant dans l'action
intentée par la Sabb Inc. et dont le passage
pertinent se lit comme suit:
[TRADUCTION] ... par la présente nous nous soumettons à la
juridiction de cette cour et consentons, dans l'hypothèse où
les propriétaires du N/M WESER ISLE ne paieraient pas ce qui
pourra être adjugé contre le N/M WESER ISLE et ses proprié-
taires suite à la réclamation de la Transocean Gateway Corp.
sous forme d'avis de CAVEAT déposé le 17 mars 1972, à ce
qu'un mandat d'exécution soit décerné contre nous, nos
successeurs et ayants droit, pour une somme globale n'excé-
dant pas SOIXANTE-QUINZE MILLE ($75,000).
La soussignée accepte que le présent cautionnement s'ap-
plique à tout appel interjeté dans ladite action ainsi qu'à
toute forme de compromis ou de règlement intervenus entre
les parties sur l'objet de ladite réclamation ou encore à une
reconnaissance de responsabilité en l'espèce et à tout mon-
tant de dommages-intérêts, d'intérêt et de dépens que les
propriétaires du N/M WESER ISLE auront admis devoir payer
relativement à la réclamation ou que la Division de première
instance de la Cour fédérale du Canada aura établi après la
reconnaissance de cette responsabilité ou le compromis, de
sorte que, si les propriétaires du N/M WESER ISLE n'effec-
tuent pas le paiement, la soussignée sera redevable de ce
montant de la même façon que si la Cour avait procédé à
leur adjudication.
En avril 1972 l'appelante demanda la permis
sion d'intervenir dans l'action intentée par la
Sabb Inc., de déposer une déclaration contre le
navire et de prouver sa réclamation comme si
elle était partie à l'action. La majeure partie du
redressement demandé a été refusée; voici les
termes de l'ordonnance rendue à cet égard:
[TRADUCTION] La requérante est autorisée à intervenir
dans cette action et, aux termes de la présente ordonnance,
elle aura les droits suivants:
a) Il sera loisible à la requérante, dans les dix prochains
jours, de déposer une défense et, dans cette hypothèse, on
la considèrera comme partie défenderesse à la présente
action.
b) au cas où la requérante choisirait de ne pas déposer de
défense on ne la considèrera pas moins comme partie à
l'action et, à ce titre, elle aura le droit pendant l'instruc-
tion de l'action, de procéder au contre-interrogatoire des
témoins et d'être entendue au cours des plaidoiries; en
outre, la requérante aura le droit d'interjeter appel du
jugement rendu dans la présente action et, avec l'autorisa-
tion de la Cour, de prendre toutes autres mesures dans
cette action qu'elle pourrait estimer appropriées.
Quelque dix-huit mois plus tard, soit en octo-
bre 1973, les propriétaires du Weser Isle ont
introduit la requête qui a donné lieu à l'ordon-
nance faisant l'objet du présent appel. Dans
l'intervalle, l'appelante n'a pas intenté d'action
pour faire valoir sa réclamation ni pris d'autres
mesures dans le cadre de l'action de la Sabb Inc.
Le savant juge de première instance n'a donné
aucun motif justifiant l'ordonnance qu'il a
rendue.
Les Règles de cette cour en matière de saisie,
de garantie d'exécution et le caveat sont très
proches de celles contenues dans l'ordonnance
75 des règles britanniques et dans les anciennes
Règles de la Cour de l'Échiquier du Canada en
Amirauté. A propos du caveat, la Règle 1009
dispose entre autres:
Règle 1009.
(2) Toute personne désirant empêcher la mainlevée d'une
saisie de biens doit déposer un avis, et le greffe doit, sur ce,
enregistrer un caveat dans le registre des caveat -mainlevées,
mentionnés ci-après. (Formules 48 et 49).
(4) Si la personne qui fait enregistrer une opposition n'est
pas partie à l'action, l'avis doit indiquer son nom et son
adresse, ainsi qu'une adresse, dans un rayon de 3 milles de
l'un des bureaux du greffe, à laquelle il suffira de laisser
tous les documents devant être signifiés à cette personne.
(6) La partie qui fait enregistrer un caveat -mainlevée ou un
caveat -paiement doit être condamnée à tous les dépens et
dommages en résultant, à moins qu'elle ne fournisse, à la
satisfaction de la Cour, des motifs valables et suffisants
pour justifier une décision contraire.
(7) Un caveat cesse d'être en vigueur à l'expiration des 6
mois qui suivent la date de son dépôt; la présente disposition
n'a cependant pas pour effet d'empêcher le dépôt de caveat
successifs.
(8) Un caveat peut en tout temps être relevé par la partie
pour laquelle le dépôt a été effectué, sur dépôt de l'avis le
retirant. (Formule 52).
(9) La Cour n'est pas liée par un caveat.
Le pouvoir d'émettre une mainlevée de saisie
est prévu à la Règle 1006 dont voici l'extrait
pertinent:
Règle 1006.
(2) Une mainlevée peut être également émise par un proto-
notaire ou un fonctionnaire du greffe qui a été autorisé par
la Cour à décerner des mandats en vertu de la Règle 1003
(ci-après appelé «l'émetteur») sauf s'il y a opposition à la
mainlevée en vertu de la Règle 1009,
La Règle n'envisage aucune disposition parti-
culière pour la mainlevée d'une saisie de biens
lorsqu'un caveat s'oppose encore à la mainlevée
mais, à coup sûr, la Cour a le pouvoir d'ordon-
ner la mainlevée dans un cas approprié et, de
toute façon, cet aspect de la règle ne soulève
aucune controverse, puisque le caveat déposé
par l'appelante a été retiré après le dépôt du
cautionnement en question.
La Règle 1004 envisage la garantie d'exécu-
tion dans les termes suivants:
Règle 1004. Dans toute procédure en Amirauté, une garantie
d'exécution peut être prise pour assurer l'exécution de tout
jugement rendu et la Cour pourra s'abstenir de lever la saisie
sur les biens tant que la garantie n'est pas fournie.
C'est la seule règle qui prévoit le recours à
une garantie d'exécution et il apparaît très clai-
rement, aux termes de cette règle, qu'une garan-
tie d'exécution ne peut être prise que pour faire
appliquer le jugement rendu dans des procédu-
res faisant appel à une garantie d'exécution.
Après le dépôt de son caveat, l'appelante aurait
pu introduire une action pour recouvrer le mon-
tant de sa réclamation et aurait pu être fondée à
maintenir le caveat et empêcher ainsi la mainle-
vée de saisie du navire jusqu'à ce que la garan-
tie d'exécution soit fournie dans ladite action
pour faire appliquer tout jugement qu'elle pou-
vait obtenir en l'espèce. Cependant, l'appelante
n'était pas partie à l'action intentée par la Sabb
Inc. qui avait amené la saisie du navire et j'ai
peine à comprendre quel motif, à toutes les
époques en cause, permettait de penser que
l'appelante obtiendrait ou pouvait obtenir un
jugement faisant droit à sa réclamation dans
cette action. En outre, comme les propriétaires
du Weser Isle étaient prêts à déposer la garantie
d'exécution à concurrence du montant réclamé
par l'appelante contre leur navire, j'ai aussi
peine à comprendre quel intérêt l'appelante pou-
vait penser avoir dans l'action de la Sabb Inc.
ou quel jugement rendu dans le cadre de cette
action espérait-elle pouvoir faire appliquer par
la garantie d'exécution. Néanmoins, l'acte de
cautionnement a été admis dans cette action
vraisemblablement parce qu'il n'y avait à cette
époque aucune autre action pendante où il pou-
vait l'être et parce que les avocats de l'appe-
lante, et peut-être même à cette époque les
avocats des propriétaires du Weser Isle qui ont
déposé le cautionnement, estimaient à tort que
l'appelante pouvait prendre des mesures pour
faire valoir sa réclamation dans cette action.
Selon moi, l'admission du cautionnement dans
cette action était irrégulière et plus irrégulier
encore était le fait de l'assujettir au paiement
des frais du jugement de la Cour sur ce qu'on a
appelé une réclamation «par voie d'avis de
caveat», car les règles et en particulier la Règle
1004 ne font aucunement mention d'un tel juge-
ment. Dans mon esprit, le cautionnement a été
mal interprété et ne correspondait pas au cau-
tionnement en garantie d'exécution visé par les
Règles.
Cependant, le cautionnement ayant été fourni
et le caveat de l'appelante retiré, probablement
en raison du dépôt du cautionnement, reste la
question de savoir s'il pouvait être annulé,
comme ce fut le cas, par voie de demande en
référé. Comme le dossier ne contient aucune
indication sur les termes d'un quelconque
accord conclu entre les parties, il me semble
qu'il faut considérer que le cautionnement a été
fourni de façon inconditionnelle et sans indica
tion du délai pendant lequel il devait s'appliquer
et, selon moi, il me semble en résulter que les
parties qui l'ont fourni n'avaient pas le droit, à
ce stade, de le faire annuler.
En outre, mises à part toutes les irrégularités
qui ont pu se produire lors du dépôt du caveat
dans l'action de la Sabb Inc. et lors de l'admis-
sion du cautionnement dans le cadre de cette
action, le cautionnement, de par ses modalités,
constitue un engagement destiné à garantir à
l'appelante le paiement de tout jugement ou
règlement de la réclamation contre le Weser Isle
dont il est fait mention dans le caveat. Jusqu'à
ce que cette réclamation ait été prouvée ou
réglée, on ne peut résoudre la question d'une
obligation envers le cautionnement, que ce soit
dans l'action de la Sabb Inc. ou dans toute autre
action, et il s'ensuit, semble-t-il, qu'on n'aurait
pas dû annuler le cautionnement au stade d'une
procédure en référé. On aurait dû laisser en
suspens la question de l'obligation et la trancher
uniquement après avoir jugé la réclamation de
l'appelante contre le Weser Isle.
Au cours de l'audition de l'appel, l'avocat des
intimés a adopté la théorie selon laquelle, pre-
mièrement, le cautionnement ne pouvait servir
de garantie que pour tout jugement que pouvait
obtenir l'appelante en présentant sa réclamation
dans l'action de la Sabb Inc., dans le cadre de
laquelle le cautionnement avait été déposé et
que, puisque l'appelante n'avait pas le droit de
présenter sa demande et d'obtenir ainsi un juge-
ment dans cette action, le cautionnement n'avait
aucune utilité et devait être annulé. A mon sens,
étant donné que les intimés avaient fourni ce
cautionnement sans condition et sans indication
de délai de manière à garantir la mainlevée
immédiate de leur navire, on ne peut répondre
qu'ils n'avaient pas le droit de le faire annuler
avant que cette action ne soit tranchée.
La seconde théorie faisait valoir qu'il y a eu
abus des procédures de la Cour car l'appelante,
après avoir obtenu le dépôt du cautionnement a
négligé d'intenter dans un délai raisonnable une
action par laquelle elle aurait pu faire confirmer
sa réclamation et que, pour ce motif, on aurait
dû annuler le cautionnement. Cette théorie n'est
pas compatible avec celle selon laquelle le cau-
tionnement ne constitue pas une garantie dans
une action autre que celle dans le cadre de
laquelle il a été déposé. Si c'est le cas, il ne peut
manifestement y avoir un abus de la procédure
qui donne aux propriétaires du Weser Isle le
droit de faire annuler le cautionnement parce
que l'appelante a négligé d'intenter une action
dans laquelle le cautionnement ne servirait pas
de garantie. Par ailleurs, si le cautionnement
peut servir de garantie dans n'importe quelle
autre procédure, il ne me semble pas que les
parties qui, en vue d'obtenir la mainlevée immé-
diate de la saisie de leur navire, ont décidé de
fournir un tel cautionnement sans condition et
sans indication quant au délai ou quant à l'intro-
duction d'une autre action pour juger la récla-
mation de l'appelante, soient admises à se plain-
dre d'un abus de droit et à demander son
annulation parce que l'appelante a négligé d'agir
promptement pour intenter une autre action
dans laquelle on pouvait juger sa réclamation.
En conséquence, j'accueille l'appel et annule
l'ordonnance de la Division de première ins
tance. L'appelante devrait recouvrer ses dépens
de l'appel et de la requête devant la Division de
première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE SUPPLÉANT CHOQUETTE: Je souscris
aux motifs du jugement de M. le juge Thurlow
et à ses conclusions sur l'appel.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY a souscrit à
l'avis.
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