T-4426-74
Vallorbe Shipping Co. S.A. (Demanderesse)
c.
Le N.M. Tropwave (Défendeur)
Division de première instance, le juge Heald—
St-Jean, le 1 e mai; Ottawa, le 5 mai 1975.
Pratique—Demande de suspension des procédures—Droit
maritime—Charte-partie contenant une clause compromissoi-
re—Loi sur la Cour fédérale, art. 50(1)—Loi sur l'arbitrage,
S.R.N.B. 1973, c. A-10, art. 7.
Nonobstant l'existence d'une clause compromissoire dans le
contrat de sous-affrètement conclu entre la demanderesse et la
Canadian Transport Ltd., fréteur du navire défendeur, contrat
prévoyant l'arbitrage des différends à New-York, la demande-
resse intenta une action en dommages-intérêts devant la pré-
sente cour et réclama une indemnité pour dommages-intérêts
futurs résultant du déchargement de la cargaison sans l'autori-
sation de la demanderesse. Celle-ci réclame maintenant une
suspension des procédures en invoquant l'existence de la clause
compromissoire.
Arrêt: la requête est rejetée; il ne serait pas dans l'intérêt de
la justice de suspendre les procédures. En intentant cette action,
la demanderesse a exprimé l'intention d'invoquer la compétence
de la présente cour et, en déposant sa défense et demande
reconventionnelle, le défendeur a exprimé une intention sembla-
ble. Les deux parties ont acquiescé à la compétence de la Cour
(certaines questions de fait au moins sont survenues au
Canada) et leurs réclamations sont garanties au Canada, dans
le champ de compétence de cette Cour.
Arrêts appliqués: Bomar Navigation Ltée c. Le N.M.
«Hansa Bay. [1975] C.F. 231 et Le syndicat de Norman-
din Lumber Ltd. c. Le navire «Angelic Power, [1971] C.F.
263. Arrêt approuvé: The Eleftheria [1970] P. 94.
DEMANDE.
AVOCATS:
M. B. Roderick pour la demanderesse.
M. R. Jette et P. W. Davidson pour le
défendeur.
PROCUREURS:
Palmer, O'Connell, Leger, Turnball et Turn-
ball, St - Jean, pour la demanderesse.
Clarke, Drummie et Cie, St - Jean, pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'une demande pré-
sentée par la demanderesse en vertu des disposi
tions de l'article 50(1) de la Loi sur la Cour
fédérale', visant à obtenir une suspension des pro-
cédures engagées dans la présente action. Les
motifs de la demande énoncés dans l'avis de
requête portent:
a) que la demande est en instance devant une autre juridiction
et (ou)
b) qu'il est dans l'intérêt de la justice de suspendre les
procédures.
La demanderesse est une compagnie pana-
méenne s'occupant d'affréter des navires et d'assu-
rer le transport de marchandises à bord des navires
en question. Le navire défendeur bat pavillon de
Singapour. Ledit navire entra au port de Saint-
Jean (Nouveau-Brunswick) le 3 novembre 1974,
et, le 4 novembre 1974, on commença à charger la
cargaison que la demanderesse avait convenu de
transporter pour différents expéditeurs et qui
devait être livrée à bord du navire défendeur dans
le port de Saint-Jean. Le 7 novembre, on interrom-
pit le chargement du navire et, le 8 novembre, on
commença à décharger la cargaison déjà à bord,
dans les deux cas sur les ordres du capitaine du
navire qui lui-même agissait sur les ordres de la
Canadian Transport Company Ltd., (ci-après
appelée la Canadian Transport) une compagnie de
Vancouver.
Le 9 novembre, la demanderesse intenta la pré-
sente action contre le navire, invoquant un affrète-
ment à temps intervenu le 4 octobre 1974 entre la
demanderesse et la Canadian Transport, et allé-
guant que ledit affrètement à temps était en
vigueur, que le déchargement de la cargaison a été
effectué illégalement, sans le consentement de la
demanderesse et contrairement à son intention. La
demanderesse réclamait des dommages-intérêts en
raison du prétendu déchargement illégal de la
cargaison ainsi qu'une indemnité [TRADUCTION]
«représentant les dommages-intérêts qu'elle pour-
rait être tenue de payer pour défaut de livrer la
cargaison chargée à bord du navire défendeur et
(ou) qui a été ou sera déchargée dudit navire». Il y
eut saisie du navire, puis mainlevée de saisie sur
dépôt d'un acte de cautionnement au montant d'un
' 50. (1) La Cour peut, à sa discrétion, suspendre les procé-
dures dans toute affaire ou question,
a) au motif que la demande est en instance devant un autre
tribunal ou une autre juridiction; ou
b) lorsque, pour quelque autre raison, il est dans l'intérêt de
la justice de suspendre les procédures.
million de dollars (qui fut subséquemment réduit à
$500,000 en vertu d'une ordonnance rendue sur
consentement par le juge Kerr le 6 mars 1975).
Le 9 décembre 1974, la Canadian Transport
déposa une défense et une demande reconvention-
nelle «à titre de fréteur propriétaire du navire
Tropwave, le défendeur en l'espèce». La demande-
resse n'a pas encore répondu auxdites défense et
demande reconventionnelle. Dans sa plaidoirie, la
Canadian Transport invoque un affrètement à
temps d'une durée d'au moins 22 mois et d'au plus
26 mois, intervenu le 3 août 1973 entre elle-même,
à titre d'affréteur, et les propriétaires du navire
défendeur. La charte-partie consentie à la deman-
deresse par la Canadian Transport est en réalité un
contrat de sous-affrètement. La défense porte
essentiellement qu'en vertu dudit contrat de sous-
affrètement, la demanderesse devait, à l'avance,
deux fois par mois, payer comptant en monnaie
américaine à la Canadian Transport à Vancouver
(C.-B.), le prix convenu; à défaut du paiement
exact et régulier du fret ou advenant toute inexé-
cution dudit contrat de sous-affrètement, il était
loisible à la Canadian Transport de priver la
demanderesse de l'usage du navire, sans préjudice
des autres réclamations qu'elle pourrait avoir
contre elle; que le premier versement du fret est
devenu échu le 3 novembre 1974 mais ne fut pas
acquitté à cette date; qu'il y eût par la suite
différents pourparlers entre les parties sans qu'un
paiement ne soit reçu, la Canadian Transport
envoya finalement un message à la demanderesse
l'avisant que, si le montant n'était pas reçu avant
10h00 le matin du 7 novembre 1974, elle inter-
romprait toutes les opérations de chargement de la
cargaison et que, si la demanderesse persistait à ne
pas payer, elle serait privée de l'usage du navire.
La Canadian Transport allègue en outre que le 7
novembre à 13h45, n'ayant reçu aucun paiement
et aucune réponse à son dernier message, elle avisa
la demanderesse qu'elle la privait de l'usage du
navire et qu'elle interrompait le chargement. D'au-
tres discussions suivirent et il y eut échange de
messages entre les parties. Toutefois, le 8 novem-
bre, la Canadian Transport donna l'ordre au capi-
taine de commencer, à 13h00, à décharger la
cargaison déjà à bord. Le même jour, le montant
dû et exigible fut déposé dans une banque de
Vancouver au compte de la Canadian Transport
qui avisa la demanderesse qu'elle conserverait ledit
versement de quelque $250,000 en garantie de ses
demandes reconventionnelles pour les dommages
résultant de l'inexécution du contrat par la deman-
deresse. Le déchargement du navire se continua
pour se terminer le 11 novembre 1974 et le navire
quitta le port de Saint-Jean le 12 novembre 1974.
La Canadian Transport allègue qu'elle était fondée
en droit et en fait à priver la demanderesse de
l'usage du navire. Ledit montant de $250,000 est
gardé en dépôt à Montréal dans un compte ban-
caire portant intérêt, au nom des avocats de la
Canadian Transport agissant à titre de fiduciaires
[TRADUCTION] «...qui doivent les remettre selon
les directives de cette honorable cour». Enfin, la
Canadian Transport allègue l'inexécution de con
ditions essentielles du contrat de sous-affrètement
par la demanderesse. La demanderesse reconven-
tionnelle reprend les faits allégués dans la défense
résumée ci-dessus et réclame le montant de $250,-
000 à titre de dommages-intérêts représentant les
pertes, dépenses et dommages que la compagnie a
subis et subira par suite de la prétendue
inexécution.
Le seul document que l'on m'ait soumis, abs
traction faite des plaidoiries résumées ci-dessus,
est l'affidavit de Me Roderick, l'avocat de la
demanderesse. Ledit affidavit reprend le paragra-
phe 17 du contrat de sous-affrètement intervenu
entre la demanderesse et la Canadian Transport et
il se lit comme suit:
17. Si un différend survient entre les propriétaires et les affré-
teurs, l'affaire en litige sera soumise à trois personnes siégeant
à New York; chaque partie en nommera une, et les deux
personnes ainsi choisies, la troisième; leur décision ou celle de
deux d'entre elles sera définitive, et, pour les fins de l'exécution
forcée d'une sentence arbitrale, cet accord pourra devenir
ordonnance du tribunal. Les arbitres devront être des
commerçants.
L'affidavit de Me Roderick reprend également
l'article 7 de la Loi sur l'arbitrage du Nouveau-
Brunswick 2 , puis expose son opinion suivant
2 S.R.N.B. 1973, c. A-10.
7. Si une partie à un compromis ou ses ayants droit
entament des procédures judiciaires devant un tribunal
contre une autre partie au compromis ou contre les ayants
laquelle, en raison de cette disposition de la loi, la
suspension d'instance n'est pas contraire à l'intérêt
public dans la province du Nouveau-Brunswick
lorsque, dans une action, des procédures d'arbi-
trage portant sur les questions en litige sont en
cours. Ledit affidavit énonce en outre [TRADUC-
TION] «... que les arbitres ont été choisis et que
l'arbitrage prévu au paragraphe 17 du contrat
d'affrètement à temps susmentionné doit avoir lieu
dans la ville de New York, au bureau des avocats
américains de la Canadian Transport Company
Ltd., à midi le 6 mai 1975.»
Les deux plus récentes décisions de cette cour
que je connaisse, dans lesquelles on a demandé une
suspension de procédures en invoquant l'existence
d'une clause compromissoire dans une charte-par-
tie, sont ma propre décision rendue dans l'affaire
Bomar Navigation Ltée c. Le N.M. «Hansa Bay» 3
et la décision du juge Pratte dans l'affaire Le
syndicat de Normandin Lumber Ltd. c. Le navire
«Angelic Power» 4 . Dans ces deux cas, la demande
de suspension fut présentée par les défendeurs à
l'action. La présente demande revêt un caractère
particulier dans la mesure où elle est présentée par
la demanderesse après que celle-ci a décidé, en
toute connaissance de cause, d'invoquer la compé-
tence de la Cour en intentant la présente action
droit de celle-ci, en ce qui concerne une question dont le
renvoi est convenu, cette dernière partie peut, à toute époque
après la comparution et avant la présentation de plaidoiries
écrites ou toute autre procédure, demander à ce tribunal de
suspendre les procédures, après quoi ce tribunal ou l'un de
ses juges peut, s'il est convaincu qu'aucun motif suffisant ne
s'oppose à ce que l'affaire soit renvoyée conformément au
compromis, et que le requérant était au moment où les
procédures ont été entamées et est encore disposé et consen-
tant à faire tout ce qui est nécessaire pour la bonne marche
de l'arbitrage, ordonner la suspension des procédures. S.R., c.
9, art. 7.
Cette disposition de la Loi du Nouveau-Brunswick n'est, à mon
avis, d'aucun secours à la demanderesse, puisqu'elle permet «à
cette dernière partie» de demander une suspension. Compte
tenu des faits en l'espèce, la «dernière partie» serait la défende-
resse et non la demanderesse.
3 [1975] C.F. 231.
4 [1971] C.F. 263.
devant la Cour fédérale. Je souscris à la déclara-
tion suivante du juge Pratte extraite de la page 271
de l'arrêt Normandin (précité):
La clause compromissoire est une convention; comme tout
contrat, elle peut donc être révoquée par la commune volonté
des parties. En intentant cette action, la demanderesse a claire-
ment manifesté son intention de révoquer la clause compromis-
soire qu'elle avait souscrite; et ce qu'il faut se demander c'est si
les défendeurs, eux, ont consenti, expressément ou tacitement, à
cette révocation.
Dans la présente affaire, la demanderesse a, en
intentant cette action, clairement exprimé son
intention de révoquer la clause compromissoire et
la défenderesse, en déposant sa défense et sa
demande reconventionnelle, a, elle aussi, claire-
ment exprimé une intention semblable (situation
qui n'existait pas dans l'affaire Normandin
Lumber (précitée)). Dès lors, la demanderesse, en
novembre 1974, et la Canadian Transport, en
décembre 197.4, ont intenté des actions qui indi-
quaient manifestement l'intention de chacune de se
pourvoir devant la Cour fédérale. Normalement,
ceci trancherait la question. Toutefois, il semble
que, nonobstant la présente action devant la Cour
fédérale dans laquelle les deux parties ont présenté
des plaidoiries, celles-ci ont également recours à
l'arbitrage qui doit débuter à New York le 6 mai
1975.
Dans l'affaire Hansa Bay (précitée), j'ai cité, en
les approuvant, les principes établis par le juge
Brandon dans l'affaire Eleftheria 5 , dont il faut
tenir compte dans l'exercice du pouvoir discrétion-
naire de la Cour dans un cas comme celui-ci.
Malheureusement, dans la présente affaire, l'exer-
cice de mon pouvoir discrétionnaire ne peut se
fonder que sur de très rares éléments de preuve.
Toutefois, ces éléments m'amènent à conclure que
je ne devrais pas accorder de suspension en l'es-
pèce. La prétendue inexécution dont la demande-
resse se plaint (c'est-à-dire l'interruption du char-
gement et le déchargement) est survenue au
Canada; la caution garantissant la réclamation de
la demanderesse (c'est-à-dire le cautionnement de
$500,000) et celle garantissant la demande recon-
ventionnelle de la défenderesse (c'est-à-dire le
dépôt bancaire de $250,000 auprès des avocats de
la défenderesse agissant à titre de fiduciaires) se
[1970] P. 94.
trouvent au Canada. Aucun élément de preuve
n'indique dans quel pays on peut trouver ou se
procurer facilement la preuve relative aux ques
tions de faits. Je ne dispose d'aucune preuve sur la
question de savoir si le droit étranger s'applique ou
non au présent litige. Il y a également très peu
d'éléments de preuve concernant les autres princi-
pes énoncés dans l'affaire Eleftheria (précitée).
Toutefois, vu que les parties ont acquiescé à la
compétence de la Cour fédérale, vu qu'au moins
certaines des questions de faits sont survenues au
Canada et vu que les réclamations des deux parties
sont garanties au Canada, dans le champ de com-
pétence de cette Cour, j'ai conclu, compte tenu des
faits de la présente affaire qui m'ont été soumis,
qu'il ne serait pas dans l'intérêt de la justice de
suspendre les procédures en cours.
La requête de la demanderesse est par consé-
quent rejetée. La Canadian Transport a droit aux
dépens de la requête, quelle que soit l'issue de la
cause.
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