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A-426-74
Angelos Litas (Requérant) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Thurlow et Ryan et le juge suppléant MacKay—Toronto, les 18 et 19 février 1975.
Examen judiciaire—Immigration—Admission à titre de visiteur—Immigrant obtenant un document dans le but de prendre un emploi—Prolonge irrégulièrement son séjour— Faux—Expulsion—Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 2, 7 et 18—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Le requérant a été admis au Canada à titre de visiteur non immigrant, pour une période de trois mois se terminant le 11 novembre 1973. Le 1" novembre 1973, une personne, dont l'identité n'est pas tout à fait établie, lui a vendu un document sur une formule du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immi- gration; il s'agissait d'une carte d'admission et d'un permis de travail signés par un fonctionnaire à l'immigration qui autori- saient le requérant, conformément à l'article 7(1)h) de la Loi sur l'immigration, à rester au Canada jusqu'au 31 octobre 1974 et à prendre un emploi temporaire. Le requérant a travaillé jusqu'en novembre 1974 pour le compte de l'em- ployeur mentionné dans le document et, à cette date, il demanda au Ministère une prorogation du délai. On découvrit qu'il s'agissait d'un faux. A la suite d'une enquête, une ordon- nance d'expulsion a été émise à l'encontre du requérant, en tant que personne décrite à l'article 18(1)e)(vi) de la Loi sur l'immigration, d'une part, puisqu'il était entré au Canada à titre de non-immigrant et qu'il y est demeuré après avoir perdu ce statut et, à l'article 18(1)e)(viii) d'autre part, puisqu'il y est demeuré avec un visa délivré irrégulièrement. Le requérant a introduit, en vertu de l'article 28, une demande d'examen judiciaire et d'annulation de cette décision.
Arrêt: la demande doit être rejetée.
Le juge Thurlow: En plus d'avoir dépassé la période pour laquelle il avait été admis à titre de non-immigrant, en vertu de l'article 7(1)c) de la Loi sur l'immigration, l'appelant est resté non pas à titre de visiteur, mais à titre de personne admise en vertu de l'article 7(1)h) pour occuper un travail temporaire et a pris un emploi comme une personne appartenant à cette catégo- rie. Il ne relevait plus de la catégorie des visiteurs ni n'était plus un non-immigrant, au sens de l'article 2 de la Loi sur l'immi- gration. Faute de se conformer à l'article 18(1)e)(vi) de la Loi, le requérant pouvait, à bon droit, faire l'objet d'une ordonnance d'expulsion. Quant au second motif fondé sur la première partie de l'article 18(1)e)(viii) de la Loi, la simple possession par le requérant d'un faux satisfaisait à l'une des exigences de la Loi. L'autre exigence, savoir que le document devait porter sur l'admission du requérant, s'est trouvée remplie du fait que ledit document était censé être une carte d'admission du requérant au Canada, comme non-immigrant relevant d'une catégorie déterminée, et aussi comme personne pouvant prendre un emploi.
Le juge Ryan: l'ordonnance d'expulsion devrait être confir- mée sur la base du premier motif. Il n'est pas nécessaire de trancher le point de savoir si elle était justifiée au regard du second.
Arrêts suivis: De Marigny c. Langlais [1948] R.C.S. 155 et Brooks c. Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immi- gration [1974] R.C.S. 850. Arrêt appliqué: In Re Morri- son [1974] 2 C.F. 115.
EXAMEN judiciaire. AVOCATS:
B. North, c.r., pour le requérant. K. Braid, pour l'intimé.
PROCUREURS:
Phillips & Phillips, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW: Le requérant a été admis au Canada en vertu de l'alinéa 7(1)c) de la Loi sur l'immigration à titre de visiteur ou touriste non immigrant, le 12 août 1973, pour une période de trois mois se terminant le 11 novembre 1973. Le 1e` novembre 1973 ou aux environs de cette date, pensant qu'une personne qu'il connaissait sous le nom de «Takie» et qu'il avait rencontrée dans un restaurant, avait de l'influence auprès du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, il lui a versé $250.00 et en a obtenu un document sur une formule ministérielle; il s'agissait prétendument d'une carte d'admission et d'un visa de travail, prétendument signé par un fonctionnaire à l'immi- gration accordant au requérant l'admission au Canada en vertu de l'alinéa 7(1)h) de la Loi sur l'immigration jusqu'au 31 octobre 1974 et l'autori- sation de prendre un emploi. Le requérant a par la suite travaillé pour le compte de l'employeur men- tionné dans le document jusqu'en novembre 1974 date à laquelle, à l'instigation ou sur l'ordre de son employeur, le requérant se rendit à un bureau d'immigration pour demander une prorogation du délai. On découvrit alors qu'il s'agissait d'un faux document. Il s'ensuivit donc un rapport en vertu de l'article 18 et une enquête à l'issue de laquelle on ordonna l'expulsion du requérant pour les motifs suivants:
[TRADUCTION] (3) Vous êtes une personne décrite au sous-ali- néa 18(1)e)(vi) de la Loi sur l'immigration parce que vous êtes entré au Canada à titre de non-immigrant et y êtes demeuré après avoir cessé d'être un non-immigrant;
(4) Vous êtes une personne décrite au sous-alinéa 18(1)e)(viii) de la Loi sur l'immigration parce que vous êtes demeuré au Canada avec un visa délivré irrégulièrement;
Voici les dispositions de la Loi dont il est fait mention:
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secrétaire d'une municipalité au Canada, dans laquelle une personne ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonctionnaire à l'immigration ou un constable ou autre agent de la paix doit envoyer au directeur un rapport écrit, avec des détails complets, concernant
e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une personne ayant un domicile canadien, qui
(vi) est entrée au Canada comme non-immigrant et y demeure après avoir cessé d'être un non-immigrant ou d'appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise en qualité de non-immigrant,
(viii) est entrée au Canada, ou y demeure, avec un passe- port, un visa, un certificat médical ou autre document relatif à son admission qui est faux ou irrégulièrement délivré, ou par suite de quelque renseignement faux ou trompeur, par la force, clandestinement ou par des moyens frauduleux ou irréguliers, exercés ou fournis par elle ou par quelque autre personne,
Conformément au paragraphe 18(2), toutes ces personnes deviennent sujettes à expulsion.
En outre, il est établi depuis l'arrêt de Marigny c. Langlais' que si l'un ou l'autre des deux motifs sur lesquels se fonde l'ordonnance d'expulsion mentionnée précédemment est admissible en droit, l'ordonnance est valide.
Si j'ai bien compris, le requérant faisait valoir dans sa prétention, relativement à l'alinéa 18(1)e)(vi), que, en admettant la nullité du docu ment reçu de «Takie», il n'en était pas conscient et devait donc être considéré comme étant encore un visiteur ou touriste au Canada, quoiqu'il ait dépassé par inadvertance la période pour laquelle il avait été autorisé à demeurer au Canada, et qu'en outre il devait exister d'autres motifs tels que l'intention de demeurer irrégulièrement ou d'obte- nir un nouveau statut le plaçant dans la catégorie de personnes qui ont cessé d'être des non-immi-
1 [1948] R.C.S. 155, le juge Kellock à la page 160.
grants. L'avocat de l'intimé a répondu à cette prétention en soutenant qu'à la fin de la période initiale de trois mois pour laquelle le requérant avait été admis comme visiteur ou touriste, il avait cessé d'appartenir à la catégorie dans laquelle il avait été admis à titre de non-immigrant et que, puisqu'il n'était plus autorisé par la suite à entrer ou à demeurer au Canada à titre de personne appartenant à cette catégorie ou à toute autre catégorie de non-immigrants, il avait également cessé d'être un non-immigrant tel que défini par la Loi.
Voici les dispositions pertinentes de la Loi:
2. Dans la présente loi
«non-immigrant» signifie une personne qui est membre de l'une quelconque des catégories désignées aux paragraphes 7(1) et (2);
«entrée» signifie l'admission légale d'un non-immigrant au Canada, à une fin spéciale ou temporaire et pour un temps limité;
7. (1) Il peut être permis aux personnes suivantes d'entrer et de demeurer au Canada, à titre de non-immigrants, savoir:
c) les touristes ou visiteurs;
h) les personnes pratiquant une profession, un commerce ou une occupation légitime qui entrent au Canada ou qui, étant entrées, sont dans ce pays, pour l'exercice temporaire de leur état respectif.
La prétention de l'avocat de l'intimé, quant à l'application de ces dispositions, me semble étayée par une note de renvoi dans le jugement de cette cour sous l'affaire In re Morrison 2 le juge en chef a déclaré à la page 123:
b) L'application à ces faits de l'article 7(3) de la Loi sur l'immigration résulte de la conclusion que, lorsque l'article 7(3) mentionne «la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise en tant que non-immigrant», «la période limitée» d'admission au Canada entre dans la définition de «catégo- rie», par opposition à la conclusion selon laquelle cet article se rapporte seulement aux catégories énumérées à l'article 7(1); ce deuxième point de vue ne peut résulter que d'une lecture superficielle de l'article 7(1) et (3). Ma conclusion sur ce point est fondée sur la définition du terme «entrée» à l'article 2 qui indique clairement qu'un non-immigrant peut être admis au Canada non seulement «à une fin spéciale ou temporaire», mais aussi pour «un temps limité»; en outre, les mécanismes de la Loi ne permettraient pas de faire appliquer les limitations de temps si elles n'entraient pas dans la
2 [1974] 2 C.F. 115.
définition de «catégorie particulière» aux fins de l'article 7(3).
Pour autant que je sache, on n'a exprimé aucune autre opinion sur la question mais, bien que je ne sois aucunement porté à désapprouver cette façon de voir, il ne me semble pas nécessaire, aux fins de la présente espèce, d'aboutir à une opinion tran- chée sur ce point. Indépendamment de la question de savoir si une personne cesse d'appartenir à la catégorie de non-immigrant dans laquelle elle a été admise, du simple fait qu'elle dépasse la période pour laquelle elle a été admise, il me semble s'agir en l'espèce d'un cas où, en plus d'avoir simplement dépassé la période déterminée, le requérant est demeuré non pas à titre de touriste ou visiteur mais à titre de personne admise en vertu de l'ali- néa 7(1)h) et a alors pris un emploi et continué à travailler comme une personne appartenant à cette catégorie. Toutefois, il n'appartenait pas à cette catégorie et, puisqu'il n'appartenait plus, selon moi, à la catégorie de touriste ou visiteur, il s'en- suit, d'après moi, qu'il n'était plus un non-immi grant tel que la Loi le définit. Par conséquent, j'estime que la contestation portant sur le paragra- phe 3 de l'ordonnance d'expulsion n'est pas fondée.
Quant au paragraphe 4 de l'ordonnance d'expul- sion, il faut d'abord noter qu'il s'agit d'une conclu sion fondée sur la première partie de l'alinéa 18(1)e)(viii) et non sur la deuxième partie de cet alinéa. Personne n'a fait valoir que le document obtenu par le requérant de «Takie» n'était pas un faux document mais l'avocat a prétendu (1) que la conclusion était entachée d'une erreur car le requérant avait agi en estimant en toute bonne foi que le document était valide et (2) qu'il ne s'agis- sait pas d'un visa ou autre document «relatif à son admission» au sens de l'alinéa 18(1)e)(viii).
Dans l'arrêt Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks 3 , le juge Laskin (main- tenant juge en chef), rendant le jugement au nom de la Cour suprême, a déclaré notamment, à propos de la seconde partie de l'alinéa 18(1)e)(viii), à la page 865:
Aussi, puisque l'exécution des politiques d'immigration et d'expulsion au moyen d'enquêtes spéciales n'entraîne pas de peines criminelles, je ne puis me convaincre que la tromperie intentionnelle ou volontaire devrait être considérée comme une condition préalable. Les avocats, de même que la Commission,
[1974] R.C.S. 850.
ont signalé que la mens rea est une condition de la culpabilité en vertu des al. b) et j) de l'article 50 [maintenant article 46] qui énumère les infractions criminelles, et est donc d'un ordre différent de ce qui est prescrit aux articles 19 et 26.
D'après moi, cette partie du raisonnement de la Cour est également applicable à la première partie de l'alinéa 18(1)e)(viii).
Avant cela, le savant juge avait déclaré à la page 858 de ses motifs:
La Commission a paru d'avis que le sous-al. (viii) de l'al. e) du par. (1) de l'art. 19 ne visait que les documents «officiels» et qu'un document n'était «officiel» que s'il était expressément mentionné dans la Loi ou le Règlement. Le caractère officiel n'est pas une condition comme la Commission voudrait qu'il le soit. Les questions fondamentales sont de savoir si les docu ments sont autorisés, c'est-à-dire, si leur origine est légitime et s'ils se rapportent à l'admission au Canada. S'il y a quelque difficulté à placer le formulaire 471 sous le régime du sous-al. (viii) de l'al. e) du par. (1) de l'art. 19, elle consiste à l'appliquer aux termes «demeure [au Canada] avec un docu ment relatif à son admission qui est faux». A ce propos, le sens du mot «avec» ne se limite pas à «en possession de», mais, suivant le contexte, s'étend à «conformément à» ou «à cause de», ou à «en se servant de». Il est certain que Brooks n'était pas en possession de sa carte d'inscription des immigrants et malgré cela, la Commission a conclu qu'il s'agissait d'un document relatif à son admission.
Il me semble en découler que la simple posses sion par le requérant d'un document qui est faux relève bien du mot «avec» contenu dans la Loi et laisse sans réponse la seule question de savoir s'il s'agissait d'un document relatif à l'admission du requérant. Il ne s'agissait manifestement pas d'un document utilisé dans le cadre de son admission au Canada à son arrivée, puisque ce document n'exis- tait pas encore à cette époque-là. Mais il ne fau- drait pas oublier que, en tant que document, il est censé être une inscription de l'admission du requé- rant au Canada à titre de non-immigrant d'une catégorie particulière ainsi qu'une autorisation de prendre un emploi. Dans ce sens, il me semble se rapporter à l'admission du requérant. Ce docu ment, pendant la période qui y était fixée, autori- sait l'admission et la présence du requérant dans ce pays et remplaçait ou éliminait, comme il était censé le faire, sa première inscription portant le A5580621. C'est ce document qu'il produisit lors- qu'il demanda une prorogation.
Par conséquent, je suis porté à penser tout d'abord que la mens rea n'est pas nécessaire pour l'application de l'alinéa 18(1)e)(viii) et, ensuite, que le document en cause est un document relatif à
l'admission du requérant au Canada au sens de cet article et qu'en conséquence, la contestation por- tant sur le paragraphe 4 de l'ordonnance d'expul- sion n'est également pas fondée. Toutefois, d'après moi, il n'est pas nécessaire de parvenir à une opinion tranchée sur cette partie de l'affaire puis- que ma conclusion selon laquelle le paragraphe 3 de l'ordonnance d'expulsion est valide suffit à sta- tuer sur la demande.
Selon moi, la demande doit être rejetée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE RYAN: Selon moi, l'ordonnance d'ex- pulsion en cause est admissible en raison de ses trois premiers paragraphes. L'enquêteur spécial a conclu, à bon droit, que le requérant n'était pas un citoyen canadien, qu'il n'était pas une personne ayant un domicile canadien, et qu'il était une personne décrite à l'article 18(1)e)(vi) de la Loi sur l'immigration parce qu'il était entré au Canada à titre de non-immigrant et y était demeuré après avoir cessé d'être un non-immi grant.
Le requérant a dépassé la période de trois mois pour laquelle on avait autorisé son admission à titre de touriste ou visiteur. Pendant cette période, il est demeuré au pays et a pris un emploi régulier sur la foi du faux document censé être à l'origine de son admission à titre de personne visée à l'arti- cle 7(1)h) de la Loi. Cette conduite n'était mani- festement pas conforme au statut de touriste ou visiteur et suffisait à annuler le document même si, comme ce n'est probablement pas le cas, le dépas- sement de la période pour laquelle il avait été autorisé à demeurer ne constituait pas en lui même un motif suffisant pour mettre fin à ce statut. Je voudrais faire remarquer également que rien dans le dossier n'indique que le requérant a conservé son statut de non-immigrant à un autre titre que celui de touriste ou visiteur.
Il n'est pas nécessaire de trancher le point de savoir si l'ordonnance d'expulsion est également admissible pour le motif énoncé au paragraphe 4 qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] Vous êtes une personne décrite à l'article 18(1)e)(viii) de la Loi sur l'immigration parce que vous êtes demeuré au Canada avec un visa délivré irrégulièrement.....
Par conséquent, je m'abstiens d'exprimer une opi nion sur ce point.
Je rejetterais la demande.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY a souscrit à l'avis.
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