A-172-74
Butler Aviation of Canada Limited (Requérante)
c.
L'Association internationale des machinistes et
des travailleurs de l'aéro-astronautique (Intimée)
et
Le Conseil canadien des relations du travail
et
Le procureur général du Canada (mis-en-cause)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant Hyde—Montréal, les
20 et 22 mai 1975.
Examen judiciaire Relations du travail—La requérante
exploite une station-service pour avions—Le Conseil canadien
des relations du travail accrédite le syndicat intimé comme
agent négociateur pour la requérante—Le Conseil a-t-il com-
pétence?—S'agit-il d'une entreprise, affaire ou ouvrage de
compétence fédérale? Code canadien du travail, S.R.C. 1970,
c. L-1, art. 2, 108, et ses modifications—Loi sur les relations
industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail,
S. C. 1948, c. 54, art. 53.
La requérante, qui exploite une station-service pour avions,
demande l'examen et l'annulation d'une décision du Conseil
canadien des relations du travail par laquelle il accréditait le
syndicat intimé comme agent négociateur pour certains
employés de la compagnie travaillant à ses installations à
l'aéroport de Montréal. La requérante prétend que le Conseil
n'a pas compétence puisque les employés ne sont pas, aux
termes de l'article 108 du Code canadien du travail «employés
dans le cadre d'une entreprise, affaire ou ouvrage de compé-
tence fédérale».
Arrêt: la demande est rejetée; le Conseil a décidé à juste titre
qu'il avait compétence. La requérante s'occupe aussi, entre
autres, des avions d'Air Gaspé; l'argument selon lequel ladite
entreprise ne relève pas de la compétence fédérale est contredit
par la décision rendue dans l'affaire Johannesson. L'expression
«employés dans le cadre de» (article 108), selon des décisions,
inclut les entreprises dont les activités ou les services «font
partie intégrante ou sont nécessairement accessoires au fonc-
tionnement de l'ouvrage, affaire ou entreprise fédérale.» En
l'espèce, la fourniture de carburant à un avion, entre chaque
vol, est indubitablement «nécessairement accessoire» à une
entreprise de compétence fédérale comme d'ailleurs les travaux
d'entretien général fournis par la requérante.
Arrêts appliqués: Johannesson c. La municipalité rurale
de West St-Paul [1952] 1 R.C.S. 292; Renvoi sur la
validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les
enquêtes visant les différends du travail [1955] R.C.S.
529 et Union des facteurs du Canada e. Syndicat des
postiers du Canada [1975] R.C.S. 178. Distinction établie
avec l'arrêt: Murray Hill Limousine Service Limited c.
Batson [1965] B.R. 778. Arrêt discuté: Field Aviation
Company Limited c. Alberta Board of Industrial Rela
tions [1974] 6 W.W.R. 596.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
G. Dancasse pour la requérante.
Aucun pour l'intimée.
F. Mercier, c.r., pour les mis-en-cause.
PROCUREURS:
Pouliot, Mercure, LeBel, Prud'homme, Verdy
& Desrochers, Montréal, pour la requérante.
Aucun pour l'intimée.
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour les mis-en-cause.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: En vertu de l'arti-
cle 28, on demande l'examen et l'annulation d'une
décision du Conseil canadien des relations du tra
vail par laquelle il accréditait le syndicat intimé
comme agent négociateur pour les employés de la
compagnie requérante «[TRADUCTION] travaillant
à ses installations de l'aéroport international de
Montréal, à l'exclusion des contre-maîtres, des
personnes d'un rang supérieur à celui de contre-
maître, ainsi que du personnel du bureau, de sou-
tien et de vente».
La requérante prétend que le Conseil n'a pas
compétence en l'espèce ; puisque les employés en
cause ne sont pas, aux termes de l'article 108 du
Code canadien du travail:
... employés dans le cadre d'une entreprise fédérale ....
L'article 2 du Code canadien du travail prévoit
que:
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou
«entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou
affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du
Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui
précède:
e) tout aéroport, aéronef ou ligne de transport aérien ....
Les éléments de preuve dont disposait le Conseil
pour rendre une décision sur sa compétence ne
sont pas suffisants puisqu'ils se limitent au témoi-
gnage de Thomas F. Green, directeur général de la
compagnie requérante, filiale d'une compagnie
américaine du même nom. Par insuffisants, je veux
dire que la description des travaux effectués
manque de précision et ne donne pas suffisamment
de renseignements sur le contexte desdits travaux.
Lorsque l'avocat de la requérante lui demanda
de décrire quelles sortes d'activités «Butler Avia
tion voulait étendre au Canada à cette époque»,
Green apporta cependant quelques précisions:
[TRADUCTION] Ils voulaient organiser un service de lignes qui
inclurait l'approvisionnement en carburant, l'entretien et l'avio-
nique, ainsi que l'entretien au sol des avions de compagnies
privées et des avions commerciaux ....
En outre lorsqu'on lui demanda en quoi consistait
les activités de la compagnie à l'aéroport de Mont-
réal, il répondit:
[TRADUCTION] En bref, nous nous occupons des services au sol
pour les avions privés ou commerciaux, y compris le stationne-
ment, l'approvisionnement en carburant, la manutention des
bagages, et les services aux clients ....
Il déclara que la compagnie avait conclu une
entente avec la Shell Canada Limited pour les
approvisionnements en carburant, n'avait «aucun
lien contractuel direct» avec l'aéroport et louait les
hangars et ses locaux à la «Maritime Aviation and
Terminals». Les services ainsi décrits se faisaient
sous contrat passé par le commandant de bord ou
le propriétaire de l'avion. Les passagers ne
payaient rien pour les services qui leur étaient
offerts. Green résuma de la manière suivante la
nature de l'entreprise:
[TRADUCTION] Une station-service que vous utiliseriez pour
votre voiture, on peut dire que les avions nous utilisaient de la
même manière ....
Cette comparaison ne me semble pas vraiment
exacte puisque la compagnie fournit des stationne-
ments sous hangar, des salles d'attente pour les
passagers et des services de manutention de baga-
ges, ce qui me semble être plus que de simples
services de manutention.
Il est manifeste, cependant, qu'elle ne rend ses
services qu'aux avions utilisant, pour leurs atterris-
sages et décollages l'aéroport de Montréal, et dont
les pistes principales sont adjacentes ou reliées aux
rampes de stationnement de la requérante. Alors
que la plupart des avions dont elle assure l'entre-
tien sont des avions privés, elle s'occupe aussi des
avions d'Air Gaspé qui offrent des vols réguliers de
Montréal à divers endroits situés dans l'est du
Québec, et Air Caravan, qui exploite un service de
vols nolisés; elle espère aussi avoir pour client
d'autres lignes aériennes.
L'argument selon lequel l'entreprise d'Air Gaspé
pourrait ne pas relever de la compétence fédérale
est contredit par la décision de la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Johannesson c. La munici-
palité rurale de West St-Paul [1952] 1 R.C.S.
292, où le juge Kellock déclarait à la page 314:
[TRADUCTION] ... il est impossible de faire la distinction entre
les vols intraprovinciaux et les vols interprovinciaux ... .
L'expression «employé dans le cadre d'une entre-
prise fédérale» à l'article 108 du Code canadien du
travail (précité) provient en fait de la loi anté-
rieure, la Loi sur les relations industrielles et sur
les enquêtes visant les différends du travail' et,
selon les décisions de la Cour suprême, inclut les
entreprises dont les activités ou les services fournis
par l'employeur [TRADUCTION] «font partie inté-
grante ou sont nécessairement accessoires au fonc-
tionnement de l'ouvrage ou entreprise fédérale»
(Voir le juge Estey dans le renvoi sur la validité de
la Loi sur les relations industrielles et sur les
enquêtes visant les différends du travail [1955]
R.C.S. 529, la page 566, et Union des facteurs
du Canada c. Syndicat des postiers du Canada
[1975] R.C.S. 178).
La requérante invoque la décision de la Cour
d'appel du Québec, rendue à la majorité, dans
l'affaire Murray Hill Limousine Service Limited
c. Batson [1965] B.R. 778, qui conclut que la
compagnie fournissait des porteurs à l'aéroport de
Montréal pour la commodité des passagers, et
comme le disait le juge Montgomery (page 785):
[TRADUCTION] Ces services n'étaient pas fournis aux passagers
par les lignes aériennes à titre de services accessoires à l'achat
d'un billet ....
Ce n'est pas le cas en l'espèce. Si l'on reprend la
description générale qu'a fait Green du service
fourni par sa compagnie—«une station service»
pour avions—il est difficile d'imaginer comment
ses clients pourraient faire fonctionner leurs avions
ou leurs entreprises de transport par air sans les-
dits services, qu'ils soient fournis par ladite compa-
gnie appelante ou par quelqu'un d'autre.
Il nous faut donc décider en l'espèce si une
activité locale particulière fait «partie intégrante
S.C. 1948, c. 54, art. 53.
de, ou est nécessairement accessoire à» (d'un point
de vue pratique et commercial) u n activité rele
vant du pouvoir législatif fédéral L'activité en
cause est globalement la même qi{e l'activité exa
minée par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'af-
faire Field Aviation Company Limited c. Alberta
Board of Industrial Relations [1974] 6 W.W.R.
596. Il faut cependant établir une distinction entre
les deux affaires, puisque, dans Field Aviation, il
ressortait des éléments de preuve que la compagnie
avait un certain statut en vertu du Règlement de
l'Air du ministère des Transports fédéral, ce qui
permettait de clarifier l'affaire, alors que nous ne
possédons aucun élément de preuve de ce genre en
l'espèce; Green a cependant témoigné que l'on
demandait à la compagnie certains travaux d'en-
tretien qui, sans aucun doute, exigent l'application
desdits règlements.
Il est bien évident qu'il n'existe aucun critère
bien éfini à appliquer dans chaque cas. Cepen-
dant'estime que la fourniture de carburant à un
avion, entre chaque vol, est indubitablement
«nécessairement accessoire» à son fonctionnement
comme d'ailleurs les travaux d'entretien général
fournis par l'appelante/Il n'est aucunement avancé
que les employés aidamt les passagers à transporter
leurs bagages sont des porteurs directement enga-
gés par lesdits passagers, bien au contraire, comme
le suggère l'expression «manutention des bagages»
utilisée par Green. La requérante embauche les
employés pour fournir aux passagers des services
accessoires à leur voyage par avion. Elle s'engage
pour sa part auprès du commandant de vol ou du
propriétaire de l'avion à assurer ces services. Ses
installations de salles d'attente sont aussi pour la
commodité des passagers arrivant ou quittant l'aé-
roport et sont comparables à l'aérogare utilisée
pour le trafic beaucoup plus important de l'aéro-
port principal—il s'agit seulement d'une question
de degré.
Je conclus donc que le Conseil a décidé à juste
titre qu'il avait compétence sur cette question, et je
rejetterais la demande.
* * *
LE JUGE EN CHEF JACKETT y a souscrit.
* * *
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
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