T-2054-71
Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft, vormals
Meister Lucius & Bruning (Demanderesse)
c.
Halocarbon (Ontario) Limited, et Halocarbon
Products Corporation (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Collier—
Toronto, les 13 au 16, 20, 21 novembre 1973;
Ottawa, le 27 mai 1974.
Brevets—Contrefaçon—L'action contre la compagnie
canadienne important et utilisant de l'isohalothane est
accueillie—L'action contre les compagnies canadienne et
américaine, relativement à la production d'halothane par la
compagnie canadienne est rejetée—Loi sur les brevets,
S.R.C. 1970, c. P-4, art. 36(1) et 58.
La demanderesse, une compagnie allemande, détentrice
d'un brevet canadien, a intenté une action en contrefaçon de
deux procédés de fabrication contre une compagnie cana-
dienne (la première défenderesse) et une compagnie améri-
caine (la seconde défenderesse).
Arrêt: en ce qui concerne l'isohalothane (revendication 10
du brevet): la demanderesse a gain de cause contre la
défenderesse canadienne dans l'action en contrefaçon de
cette revendication. Les défenderesses admettent que si le
procédé utilisé aux États-Unis pour produire de l'isohalo-
thane l'était au Canada aux mêmes fins, il y aurait contrefa-
çon de la revendication en cause. La défenderesse cana-
dienne est responsable puisqu'elle a importé au Canada et y
a utilisé un produit fabriqué ailleurs, mais selon un procédé
constituant une contrefaçon des brevets de la demanderesse.
Cette défenderesse n'a pas réussi à s'acquitter de la charge
de la preuve que, selon la prépondérance des probabilités, la
divulgation de techniques et expériences antérieures justi-
fiait sa défense fondée sur le défaut de nouveauté ou
antériorité, ou que la technique antérieure justifiait sa
défense fondée sur le caractère manifeste ou le défaut
d'invention; elle n'a pas su démontrer non plus qu'elle bénéfi-
ciait de l'immunité prévue à l'article 58 de la Loi sur les
brevets. Mais, en ce qui concerne la défenderesse améri-
caine, la demanderesse n'a pas su démontrer que cette
compagnie était à l'origine, directement ou par ses ordres, de
l'acte dommageable commis par la défenderesse canadienne.
Arrêt: en ce qui concerne l'halothane (revendication 2 du
brevet): l'action fondée sur cette revendication doit être
rejetée puisque l'invention décrite dans cette revendication,
compte tenu des publications antérieures, manquait d'ingé-
niosité inventive.
Re le brevet relatif à l'isohalothane:
Arrêts suivis: Union Carbide Ltd. c. Trans-Canadian
Feeds Ltd. [1966] R.C.É. 884; Société des Usines Chi-
miques Rhone-Poulenc c. Jules R. Gilbert Limited
(1967) 35 Fox Pat. C. 174, confirmé [1968] R.C.S. 950;
Lovell Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd. (1964)
41 C.P.R. 18; Peterson Electronic Die Co. Inc. c. Pias-
tiseal Inc. (arrêt non publié, A-273-72). Arrêts appli-
qués: Picard c. United Aircraft (1942) 53 U.S.P.Q. 563;
Burns & Russell of Canada c. Day & Campbell Ltd.
[1966] R.C.É. 673. Arrêts examinés: Re Alsop's Patent
(1907) 24 R.P.C. 733; Johns -Manville Corporation's
Patent [1967] R.P.C. 479; British Thomson-Houston
Company Ltd. c. Sterling Accessories Ltd. (1924) 41
R.P.C. 311; Performing Right Society c. Ciryl Theatrical
Syndicate [1924] 1 K.B. 1; Libbey-Owens-Ford Glass
Co. c. Ford Motor Co. of Canada Ltd. [1969] 1. R.C.É.
529, confirmé [1970] R.C.S. 833.
Re le brevet relatif à l'halothane:
Arrêts examinés: Appliance Service Co. Ltd. c. Sarco
Canada Limited (arrêt non publié, T-339-71); Ernest
Scragg & Sons Limited c. Leeson Corporation [1964]
R.C.É. 649; Hewlett-Packard (Canada) Ltd. c. Burton
Parsons Chemicals, Inc. [1973] C.F. 405.
ACTION.
AVOCATS: 1
H. Lorne Morphy et David Rogers, c.r.,
pour la demanderesse.
Donald F. Sim, c.r., et Roger T. Hughes
pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Tory, Tory, DesLauriers & Binnington,
Toronto, pour la demanderesse.
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour la
demanderesse.
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour les
défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE COLLIER: Il s'agit d'une action en
contrefaçon de deux brevets de procédés de
fabrication. La demanderesse est une compa-
gnie allemande et détient le brevet canadien. Le
brevet 692,039 (ci-après appelé «039» ou «le
brevet relatif à l'isohalothane») fut délivré le 4
août 1964. La date de la délivrance de l'autre
brevet, le brevet 652,239 (ci-après appelé «239»
ou «le brevet relatif à l'halothane») est sans
importance.
Dans ses plaidoiries, la demanderesse prétend
qu'il y a eu contrefaçon des revendications 1 à
12 du 039. Au procès, elle s'en est tenue à la
revendication 10. Toujours dans ses plaidoiries,
la demanderesse prétend qu'il y a eu contrefa-
çon des revendications 1 à 3 du 239. Lors du
procès, elle s'en est tenue à la revendication 2.
La déclaration mentionne la contrefaçon d'un
troisième brevet, le brevet 650,600. Cette partie
de l'action fit l'objet d'un désistement ou aban
don à l'ouverture du procès.
La compagnie défenderesse, Halocarbon
(Ontario) Limited (ci-après appelée «la compa-
gnie canadienne») est sise en Ontario et fut
«créée», si l'on en croit la preuve, le 8 juillet
1969. L 'autre défenderesse, la Halocarbon
Products Corporation (ci-après appelée la «com-
pagnie américaine») est une compagnie améri-
caine exploitant son entreprise dans l'État du
New Jersey.
Je vais examiner chaque brevet ainsi que les
prétentions dont ils ont respectivement fait
l'objet.
Brevet 692 ,039—isohalothane
L'invention revendiquée en l'espèce consiste,
si je comprends bien, dans un procédé permet-
tant de produire de l'isohalothane en faisant
réagir en phase liquide un «monomère» avec du
bromure d'hydrogène. La réaction se produit
dans des conditions favorables à la formation de
radicaux. Je reprends les mots de Sim comme
description fidèle de la revendication 10:
[TRADUCTION] Un procédé de fabrication d'isohalothane par
la réaction d'un monomère en phase liquide, et dans des
conditions favorables à la formation de radicaux, avec du
bromure d'hydrogène, suivie de l'isolation de l'isohalothane
obtenu.
La compagnie américaine produit de l'isohalo-
thane selon ce procédé, dans le New Jersey.
Elle fournit à la compagnie canadienne de l'iso-
halothane ainsi fabriqué; pour reprendre les
termes employés lors du procès, on peut dire à
l'inverse que la compagnie canadienne importe
de l'isohalothane au Canada. La compagnie
canadienne utilise alors de l'isohalothane («pro-
duit d'addition») pour fabriquer de l'halothane
dans son usine ontarienne. Elle commercialise
alors son produit—l'halothane. Sans qu'il
s'agisse à proprement parler d'une filiale de la
compagnie américaine, cette dernière dirige les
activités et procédés de fabrication de la compa-
gnie canadienne et lui donne aussi des instruc
tions et des données expérimentales à cet égard.
Selon la preuve soumise, les deux défenderesses
sont sous le contrôle d'une autre compagnie
américaine, la Halocarbon Laboratories Incor
porated (interrogatoire de Ferstandig, 11 avril
1972, questions 17 à 21).
Avant décembre 1962, la compagnie améri-
caine défenderesse fabriquait de l'isohalothane
en phase gazeuse. En décembre 1962, elle com-
mença à utiliser un procédé de fabrication en
phase liquide. La compagnie canadienne ne
commença à produire de l'halothane, en utilisant
l'isohalothane importé, qu'en octobre 1970.
Les défenderesses ont admis que, si le pro-
cédé utilisé aux États-Unis pour la fabrication
de l'isohalothane l'était au Canada aux mêmes
fins, il y aurait alors contrefaçon de la
revendication 10.
La demanderesse affirme que la compagnie
canadienne défenderesse est passible de pour-
suites puisqu'elle importe au Canada et y utilise
un produit fabriqué à l'étranger selon un pro-
cédé de fabrication qui constitue une contrefa-
çon de son brevet. Elle s'appuie sur l'arrêt
Union Carbide Canada Ltd. c. Trans-Canadian
Feeds Ltd. [1966] R.C.É. 884 et Société des
Usines chimiques Rhone-Poulenc c. Jules R. Gil-
bert Limited (1967) 35 Fox Pat. C. 174'. Dans
l'arrêt Union Carbide, le président, maintenant
juge en chef, déclarait aux pages 888 à 890:
[TRADUCTION] Je vais d'abord traiter du point de droit
suivant: l'importation au Canada, l'utilisation ou la vente de
marchandises fabriquées hors du Canada selon un procédé
de fabrication qui fait l'objet d'un brevet canadien consti-
tuent-elles une contrefaçon de ce brevet?
... dans l'arrêt The Auer Incandescent Light Manufacturing
Company c. O'Brien ((1897) 5 R.C.É. 243), le juge Burbidge
examinait une demande d'injonction fondée sur un brevet de
fabrication dans laquelle certaines des contrefaçons allé-
guées se rapportaient à l'importation et à la vente de mar-
chandises alors que d'autres se rapportaient à la fabrication
(voir les pages 262 et 263) et, après avoir entendu les
plaidoiries sur ce point, il appliqua (p. 292) les deux arrêts
anglais que j'ai mentionnés et décida que des articles, fabri-
qués dans un pays étranger selon un procédé pour lequel un
brevet a été délivré en vertu de la Loi canadienne, ne
pouvaient être importés pour être utilisés ou vendus au
Canada sans qu'il y ait violation du monopole d'exploitation
canadien.
' Cette décision fut confirmée [1968] R.C.S. 950, mais ce
point particulier n'a pas été discuté.
Je ne néglige pas le fait que la doctrine de stare decisis ne
s'applique pas de la même manière dans cette cour, qui a
compétence dans la province de Québec ainsi que dans les
provinces de common law, que dans un tribunal de common
law; à mon avis néanmoins lorsque cette cour a tranché une
question après l'avoir discutée, il est dans l'intérêt de la
bonne administration de la justice que cette décision soit
suivie lorsque la même question est à nouveau soulevée
devant cette cour, en l'absence de circonstances particuliè-
res dont je ne suis pas disposé, pour le moment, à définir la
nature. Je devrais aussi ajouter que pour autant que je
sache, il n'existe aucune différence pertinente entre la légis-
lation canadienne considérée dans l'affaire Auer Incandes
cent Light et la législation actuelle.
Bien que la question, comme je l'envisage, puisse donner
lieu à un nouvel examen par la Cour suprême du Canada, je
compte, eu égard aux opinions déjà émises, suivre la déci-
sion rendue par le juge Burbidge en 1897 aussi longtemps
que cette jurisprudence ne sera pas modifiée par une déci-
sion de la Cour suprême du Canada. En adoptant cette
position, je ne souhaite pas que l'on considère que j'exprime
une opinion sur la procédure à suivre lorsqu'un problème
semblable se pose devant la présente cour à un moment où
elle est constituée de façon différente.
Me Hughes m'a demandé d'établir une distinc
tion, pour un certain nombre de raisons, entre
l'affaire présente et l'arrêt Union Carbide ainsi
que les arrêts mentionnés par le président Jac-
kett. Je ne vois aucun motif raisonnable pour le
faire. Je reprends les commentaires du juge
Thurlow dans l'affaire Rhone-Poulenc, aux
pages 221 et 222:
[TRADUCTION] On a fréquemment soulevé devant la pré-
sente cour (cette) question ... et la prétention des défen-
deurs n'a pas été acceptée dans bon nombre de cas, dont le
dernier a été un jugement du président de cette cour dans
l'affaire Union Carbide Canada Limited c. Trans-Canadian
Feeds Limited et autres où le principe ainsi que la jurispru
dence sur la question ont été discutés. En l'absence de toute
formulation d'opinion à l'effet contraire par la Cour
suprême, je considère en tout état de cause cette question
comme réglée devant la présente Cour et je rends mon
jugement à l'encontre de la prétention des défendeurs.
La défense a cependant soulevé d'autres
moyens relativement à la validité de la revendi-
cation 10: a) le défaut de nouveauté, ou antério-
rité; b) le caractère manifeste appelé parfois
défaut d'invention ou d'objet.
a) Défaut de nouveauté ou antériorité. Les
principes généraux à ce sujet ont été énoncés à
plusieurs reprises, bien qu'en des termes diffé-
rents 2 . Je ne veux pas imposer aux parties à
l'action de longues répétitions. Tout comme
leurs avocats, elles sont au fait de ces principes.
La preuve soumise dans cette action à l'appui
de la défense consiste dans un article publié en
1954 dans une revue scientifique. Dans la
preuve, les deux parties ont mentionné cet arti
cle sous le nom de «Haszeldine», qui était l'un
des expérimentateurs et auteurs. Haszeldine
décrivait un procédé expérimental dans lequel il
faisait réagir un monomère avec du bromure
d'hydrogène et l'exposait à la lumière ultravio-
lette (page 3750 de la revue). Les parties ne
contestent pas le fait que l'exposition à la
lumière ultraviolette constitue, pour une réac-
tion chimique, ce que l'on appelle «des condi
tions favorables à la formation de radicaux». La
controverse à cet égard réside dans la question
de savoir si la réaction dans le procédé utilisé
par Haszeldine se produisait en phase gazeuse
ou en phase liquide. Haszeldine ne mentionne
expressément aucune des deux. Le détenteur du
brevet présume que ladite réaction se produisait
en phase gazeuse. La description du brevet, se
référant ouvertement à Haszeldine, indique:
[TRADUCTION] «En outre on sait faire réagir des
fluoroéthylènes avec du bromure d'hydrogène
en zone gazeuse sous irridiation ultraviolette».
L'opinion du détenteur du brevet n'est cepen-
dant pas probante. Un autre auteur et expéri-
mentateur, mentionné dans la preuve sous le
nom de Hudlicky, présumait aussi à mon avis
que la réaction se produisait en phase gazeuse.
Son ouvrage datant de 1964 est postérieur à la
date de priorité revendiquée ici et ne fait donc
pas partie de la technique antérieure que l'on
invoque à l'appui de l'allégation d'antériorité et
de caractère manifeste. Cependant il peut être
utile de déterminer en quoi consistent les révéla-
tions de Haszeldine.
Schmutzler, expert appelé à témoigner au
nom de la demanderesse, et Wright, expert
appelé à témoigner au nom des défenderesses,
ont tous les deux donné leur point de vue sur les
révélations d'Haszeldine, et leur opinion sur la
Voir Blanco White, Patents for Inventions (3° éd. 1962)
pp. 98 à 102; Fox, Canadian Patent Law and Practice (4*
éd. 1969) pp. 71 et 72, 101 et 102, 124, 126 à 130; Lovell
Manufacturing Co. c. Beatty Bros. Ltd. (1964) 41 C.P.R. 18
aux pp. 43 à 48 (le président Thorson).
question de savoir si la réaction dans ledit pro-
cédé se produisait en phase liquide ou en phase
gazeuse. Bien que ces opinions soient admissi-
bles et doivent être prises en considération,
c'est à la Cour qu'il appartient de déterminer en
quoi consistent les révélations de Haszeldine.
Schmutzler pense que la réaction se produi-
sait en phase gazeuse, mais déclare qu'Haszel-
dine reste ambigu sur ce point. Wright est, d'avis
contraire. A mon avis, Wright a été influencé
dans une large mesure par le fait qu'il a procédé
lui-même à des expériences qui, selon lui, repro-
duisaient celles de Haszeldine et par le fait qu'il
avait produit de l'isohalothane en faisant réagir
le monomère et le bromure d'hydrogène en
phase liquide. La preuve indique que Wright n'a
pas reproduit absolument exactement l'expé-
rience d'Haszeldine et qu'il a dû faire un certain
nombre d'hypothèses et procéder à des substitu
tions. J'estime donc que sa conclusion ou son
opinion sur cet aspect de l'affaire ne peut être
admise en preuve.
Ce problème particulier pourrait être résolu
en se fondant sur le fait évident qu'Haszeldine
n'a jamais indiqué précisément s'il s'agissait de
la phase gazeuse ou de la phase liquide et en
appliquant alors les règles relatives à la prépon-
dérance des éléments de preuve. Il incombe aux
défenderesses d'établir, en se fondant sur la
prépondérance des probabilités, qu'Haszeldine
décrit en fait l'invention de la demanderesse; vu
la preuve soumise à la Cour, on en est réduit
aux conjectures pour déterminer s'il s'agissait
de la phase liquide ou de la phase gazeuse;
aucune prépondérance des probabilités n'a été
établie à cet égard. Il me faut cependant aller
plus loin. Je suis convaincu, vu la preuve sou-
mise par Schmutzler à ce sujet, qu'Haszeldine
avait probablement procédé à son expérience en
phase gazeuse. Le moyen de défense fondé sur
l'antériorité échoue donc.
b) Caractère manifeste ou défaut d'invention.
Les avocats m'ont présenté de longs exposés
énonçant les principes généraux à appliquer à ce
moyen de défense et je leur sais gré de l'avoir
fait. Je ne me propose pas d'analyser à fond la
jurisprudence'. Dans l'affaire Peterson Electron
ic Die Co. Inc. c. Plastiseal Inc. (arrêt rendu
le 29 mars 1974, non publié, A-273-72); le juge
en chef Jackett déclarait:
de vais d'abord examiner la question de l'objet ou «inven-
tion». Ces deux termes, «objet» et «invention», s'emploient
tous deux par référence à un attribut essentiel du caractère
brevetable qui n'est pas exprimé dans la définition de la Loi
et qui est tout à fait distinct de la nouveauté ou de l'utilité.
Avant qu'on puisse breveter un procédé, un produit ou une
machine, sa conception ou mise au point doit comporter un
«degré d'ingéniosité» qui a échappé jusqu'alors à toute
définition précise. On peut cependant dire sans crainte que
ce «degré d'ingéniosité» n'existe pas lorsque ce qui est
revendiqué comme étant une «invention» aurait été évident
pour un homme du métier ou une autre personne du même
genre ayant l'avantage de connaître tout ce qui était connu
dans ce «domaine» particulier.
Le juge en chef faisait remarquer que «le
degré d'ingéniosité» avait échappé jusqu'ici à
«toute définition précise». Je suis reconnaissant
à Me Sim d'avoir mentionné l'opinion concur-
rente du juge Frank de la Cour d'appel,
deuxième circuit, dans l'arrêt Picard c. United
Aircraft (1942) 53 U.S.P.Q. 563. Dans l'affaire
présente, on invoque l'état de la technique et
l'on demande à la Cour de conclure qu'il n'y a
eu aucune «invention» dans l'exécution du pro-
cédé de fabrication d'isohalothane en phase
liquide, et que ce procédé aurait semblé évident
à une personne ordinairement compétente en la
matière, à l'époque en cause. Le juge Frank a
illustré beaucoup mieux que je ne pourrais le
faire, les difficultés auxquelles se heurte généra-
lement un tribunal lorsqu'on lui soumet un tel
problème (pp. 568 et 569):
[TRADUCTION] L'homme de la rue (ou du métro) penserait
sans doute, avec le juge de première instance, que le brevet
de Schink constitue une invention. Au tout début, j'étais très
enclin à partager cette opinion.
Le terme «invention», en ce qui concerne les brevets, a
toujours été difficile à définir. Les tentatives de description
du concept par des mots sont tout autant vouées à l'échec
que celles de définition verbale du concept du «beau». On
ne peut s'empêcher de penser à propos des discussions
entourant le terme «invention» à la réflexion de Kipling
«c'est beau, mais est-ce l'Art?» et à l'aphorisme selon lequel
les débats en matière de goût n'ont aucun sens: Anatole
3 La question est examinée dans son ensemble dans l'ou-
vrage de Blanco White, Patents for Inventions (3' éd. 1962)
aux pages 120 à 135, et celui de Fox Canadian Patent Law
and Practice (4' éd. 1969) aux pages 60 à 70 et aux pages 98
à 99.
France définissait la critique littéraire comme le récit par le
critique des aventures de son âme au milieu des chefs-d'oeu-
vre. A l'observateur ordinaire, les décisions judiciaires en
matière de brevets apparaissent comme le récit par les juges
des aventures de leur âme parmi les inventions. Décider si
une chose est une invention ou pas relève du jugement de
valeur. Il en est de même pour d'autres décisions judiciaires
dans d'autres domaines du droit, mais l'Hinvention» s'avère
un critère particulièrement insaisissable.
L'état de la technique invoquée par les défen-
deresses est la suivante, si j'utilise les descrip
tions abrégées données lors du procès: Haszel-
dine (précité); L'antériorité russe (pièce 23, p.
9); Walling (pièce 23, p. 28); et Waters (pièce
23,p. 127).
Pour paraphraser ce que l'on appelle la «ques-
tion Cripps» 4 , aurait-il semblé, à toutes fins
utiles, évident à un chimiste compétent, consi-
dérant l'état de la chimie à la date de l'invention,
c'est-à-dire la documentation disponible à l'épo-
que et l'état de ses connaissances profession-
nelles générales, en particulier dans la chimie du
fluor, qu'il pouvait réussir à produire de l'isoha-
lothane en phase liquide (en supposant qu'il
utilise le même monomère et du bromure d'hy-
drogène)? Vu la documentation sur l'état de la
technique soumise en preuve, les commentaires
des experts à ce sujet et les analyses fort utiles
qu'en ont fait les avocats, j'ai conclu qu'il fallait
répondre à cette question par la négative.
Comme je l'ai signalé plus tôt, je suis con-
vaincu que le procédé de fabrication Haszeldine
provoquait la réaction en phase gazeuse et rien
dans la documentation sur l'état de la technique
ne pouvait permettre à un chimiste compétent
d'affirmer raisonnablement qu'il était évident
que ce procédé pouvait également entraîner la
réaction en phase liquide. L'expérience russe,
telle que je la comprends, concernait l'addition
de bromure d'hydrogène à des halo-alcènes, par
voie photochimique. En fait les expérimenta-
4 Les tribunaux anglais ont approuvé l'énoncé de la ques
tion mais les auteurs indiquent qu'il ne s'applique pas néces-
sairement à tous les cas et que la forme de la question doit
parfois être modifiée dans des cas individuels: Blanco
White, Patents for Inventions (3° éd. 1962) aux pages 126 et
127. Fox, Canadian Patent Law and Practice (4° éd. 1969)
aux pp. 71 et 73. Terrell, Law of Patents (12' éd. 1971)
paragraphes 307 et 308, aux pp. 125 et 126. Voir aussi les
commentaires du juge Gibson aux pp. 681 et 682 de l'arrêt
Burns & Russell of Canada Ltd. c. Day & Campbell Ltd.
[1966] R.C.É. 673.
teurs russes ne produisaient pas de l'isohalo-
thane, mais un produit apparenté. J'accepte et
adopte l'opinion exprimée par Schmutzler
(Wright n'ayant fait à ce sujet que la brève
déclaration à la page 14, du paragraphe 2 de son
affidavit sur l'expérience russe) selon laquelle le
procédé russe était différent, et selon laquelle,
bien que se produisant en phase liquide, les
résultats s'étaient avérés assez peu satisfaisants
et n'auraient probablement pas encouragé un
chimiste compétent à essayer de mettre en
œuvre en phase liquide le procédé de fabrication
d'isohalothane par réaction selon la méthode
d'Haszeldine. C'est à la page 294 de son
ouvrage, dans un chapitre intitulé «The Radical
Addition of Hydrogen Bromide to Olefins»
qu'apparaît la déclaration de Walling invoquée
à cet égard. A mon avis, il ne s'agit là que d'une
généralité, à savoir que les réactions peuvent
être provoquées aussi ` bien en phase liquide
qu'en phase gazeuse. L'auteur ne traite pas spé-
cifiquement dans ce passage des composés du
fluor. Schmutzler affirme que de nombreuses
réactions peuvent se produire dans une phase
ou dans l'autre, mais pas nécessairement dans
les deux, et son opinion sur ce point n'a pas été
contredite.
Me Sim a longuement discuté avec Schmutz-
ler, étudiant et défendant l'hypothèse selon
laquelle une personne compétente pouvait esti-
mer que l'utilisation du procédé en phase liquide
«méritait un essai» 5 . Il est facile de dire a poste-
riori, avec l'avantage du recul, qu'une expé-
rience dans des circonstances telles qu'on les
suppose ici, lorsque le temps et les dépenses
sont illimités, vaut ou valait la peine d'être
tentée. A mon avis, si l'on considère l'état de la
technique comme une sorte de mosaïque, il
n'était pas évident, à toutes fins utiles, à la date
de l'invention (le 15 juillet 1961), qu'une per-
sonne compétente en la matière pourrait réussir
à produire de l'isohalothane en phase liquide. Ce
moyen de défense doit donc être rejeté.
Les défenderesses ont invoqué un autre
moyen de défense, mais, avant de l'examiner, je
vais me pencher sur la théorie soutenue jus-
qu'ici par la demanderesse. J'ai déjà rejeté les
Voir les arrêts: Re Alsop's Patent (1907) 24 R.P.C. 733;
Johns -Manville Corporation's Patent [1967] R.P.C. 479.
différentes contestations portant sur la validité
de la revendication 10. Je souscris à la préten-
tion selon laquelle l'importation au Canada et
l'utilisation par la compagnie canadienne défen-
deresse de l'isohalothane (sous réserve de ce
que j'appellerai la défense fondée sur l'article
58 que j'examinerai sous peu) constituent une
contrefaçon dont la compagnie canadienne
défenderesse est responsable. La demanderesse
affirme que la compagnie canadienne défende-
resse a été constituée et mise en exploitation par
la compagnie américaine défenderesse; son per
sonnel dirigeant, qui fixe les lignes de conduite
et surveille ses activités, appartient au personnel
dirigeant de la compagnie américaine défende-
resse. La demanderesse affirme en outre que la
compagnie canadienne a fait importer l'isohalo-
thane et que, dans toutes ses actions, y compris
l'acte constitutif de contrefaçon en l'espèce, elle
a suivi les directives de la compagnie américaine
défenderesse qui la contrôle. La demanderesse
affirme que le principe de droit énoncé dans
l'affaire British Thomson-Houston Company
Ltd. c. Sterling Accessories Ltd. (1924) 41
R.P.C. 311, aux pp. 317 et 318, s'applique ici: 6
[TRADUCTION] Je suis conscient du fait que lorsqu'on
cherche à établir la responsabilité délictuelle du défendeur, il
faut établir qu'il est lui-même l'auteur de délit ou qu'il est
l'employeur ou le commettant de l'auteur en ce qui concerne
l'acte dont on se plaint ou, tout du moins, qu'il est la
personne sur les instructions de laquelle le délit a été
commis.
La chambre des Lords a également clarifié cette question
dans l'arrêt Rainham Chemical Works c. Belvedere Fish
Guano Co., (L.R. [1921] 2 A.C. 465 à la p. 475), où Lord
Buckmaster, critiquant l'opinion de l'un des juges de la Cour
d'instance inférieure, selon laquelle il était possible de déchi-
rer le voile de la compagnie, énonce le droit comme suit: «Il
arrive assez fréquemment dans le cadre de procédures judi-
ciaires que les parties, découvrant qu'elles ont comme débi-
teur une compagnie à responsabilité limitée dont tout le
capital versé est sous forme d'actions entièrement libérées
et qui n'a pas de fonds de roulement, suggèrent que la
compagnie n'est rien d'autre qu'un double des personnes qui
l'ont constituée en corporation et qui la contrôlent en fait.
Mais justement, les lois sur les compagnies prévoient
expressément qu'on peut substituer la responsabilité limitée
d'une compagnie à la responsabilité illimitée d'un particulier,
6 Voir aussi l'arrêt Performing Right Society c. Ciryl
Theatrical Syndicate [1924] 1 K.B. 1. Le juge Atkin men-
tionna l'affaire Rainham et affirma qu'à son avis, des ins
tructions données implicitement ou expressément par des
dirigeants entraînaient leur responsabilité.
dans le but d'encourager l'entreprise et l'initiative. Par con-
séquent, on ne peut pas refuser de tenir compte d'une
compagnie dûment constituée en corporation au motif que
c'est une façade, bien qu'on puisse prouver que, dans le
cadre de ses opérations, elle n'agit pas pour son propre
compte comme une unité commerciale indépendante, mais
simplement au nom et pour le compte de personnes qui l'ont
créée. Dans l'affaire Salomon c. Salomon & Co. (L.R.
[1897] A.C. 22), les parties qui cherchaient à ne pas tenir
compte de l'existence de la compagnie en se fondant sur ces
motifs, n'ont pas su établir ce fait et en conséquence ont
échoué dans leur action; les intimées affirment par contre
qu'en l'espèce la situation est très simple. Il semble que le
lord juge Scrutton l'ait considéré ainsi. Le maître des Roles
estima que le même résultat pouvait être atteint en considé-
rant que la compagnie était en fait sous le contrôle de MM.
Feldman et Partridge, seuls dirigeants effectifs, et le lord
juge Atkin conclut de la même manière en faisant une
analogie avec des arrêts tels que Penny c. Wimbledon Urban
District Council. Je ne peux accepter aucune de ces opi
nions. Si la compagnie fonctionnait vraiment indépendam-
ment et à son propre compte, le fait qu'elle ait été gérée par
MM. Feldman et Partridge ne rendrait pas ces derniers
responsables de ses actes délictuels à moins qu'il s'agisse
bien sûr d'actes expressément ordonnés par eux. Si une
compagnie est créée dans le but exprès de commettre un
acte délictuel ou si, une fois créée, les dirigeants ordonnent
expressément que soit commis cet acte délictuel, les indivi-
dus sont responsables au même titre que la compagnie des
conséquences de cet acte, mais la preuve soumise en l'es-
pèce ne permet aucunement d'établir leur responsabilité
sous l'un ou l'autre de ces chefs."
En l'espèce, nous n'avons pas à considérer la
question de la responsabilité des dirigeants pour
l'acte constitutif de contrefaçon d'une compa-
gnie, mais la question de la responsabilité d'une
compagnie pour les actes constitutifs de contre-
façon d'une autre compagnie. Je ne vois pas
pourquoi il y aurait des différences de principe,
mais je peux concevoir de nombreuses difficul-
tés en ce qui concerne la preuve. Je n'examine-
rai pas, pour le moment, la question du redres-
sement pouvant être obtenu le cas échéant à
l'encontre d'un défendeur étranger. Je suis
d'avis qu'en l'espèce, la demanderesse n'a pas
établi que la compagnie américaine défende-
resse est en fait celle qui, aux fins de cet argu
ment, est à l'origine de l'acte dommageable' ou
7 J'utilise cette expression qui inclut aussi la contrefaçon
en matière de brevets. La question de la responsabilité du
dirigeant a souvent été discutée dans les affaires de brevets.
Il semble qu'on n'ait jamais souligné dans ces affaires que
les droits protégeant un demandeur contre la contrefaçon,
du moins aujourd'hui, découlent de la législation et pas
nécessairement de la théorie classique relative aux actes
délictuels. L'avocat des défenderesses n'a aucunement sug-
géré une telle distinction.
a ordonné qu'il soit commis. D'après la preuve,
la compagnie canadienne a acheté l'isohalothane
à la compagnie américaine. Il est certain que le
personnel de la compagnie américaine exerce un
contrôle total sur les procédés de fabrication de
l'halothane par la compagnie canadienne. La
preuve ne vas pas jusqu'à démontrer cependant
que la compagnie américaine défenderesse
exerce un contrôle tel qu'il entraîne sa respon-
sabilité juridique comme on le prétend en l'es-
pèce. Je cite un passage de l'interrogatoire préa-
lable de Ferstandig:
[TRADUCTION] 14.
Q. Je remarque aussi que vous résidez dans le New
Jersey; combien de temps passez-vous ordinairement à
l'usine de la compagnie défenderesse qui, semble-t-il,
se trouve dans la région de Toronto?
R. En termes de pourcentage, assez peu de temps en fait;
mais je suis en contact téléphonique direct avec eux.
15.
Q. Combien de temps passez-vous en personne à l'usine
de Toronto?
R. Je m'y rends une fois par mois, une fois tous les deux
mois, disons un jour par mois.
16.
Q. Quel autre emploi occupez-vous hormis celui de direc-
teur technique de la compagnie défenderesse?
R. Je travaille aussi pour la Halocarbon Products
Corporation.
17.
Q. S'agit-il de la compagnie-mère de la compagnie
défenderesse?
M° SIM: Oui.
LE TÉMOIN: Non. Il y a en fait plusieurs compagnies en
cause et je suis employé par la Halocarbon Products et
ses filiales.
18.
Q. M° MORPHY: Vous êtes employé par la Halocarbon
Products Corporation et ses filiales?
R. Oui.
19.
Q. La compagnie défenderesse vous verse-t-elle un
salaire?
R. Pas directement.
20.
Q. Vous occupez cependant le poste de directeur
technique?
R. En effet.
Me MORPHY: Me Sim, la compagnie défenderesse accepte-
t-elle d'être liée par les réponses de ce témoin?
M e SIM: Elle accepte qu'il soit interrogé à titre de dirigeant
de la compagnie avec toutes les conséquences qui en
résulteraient s'il s'agissait d'un dirigeant.
21.
Q. Me MORPHY: Maintenant, quels sont les liens entre la
compagnie défenderesse et la Halocarbon Products
Corporation?
Me SIM: Nous pouvons dire qu'elles sont apparentées et
qu'elles sont toutes deux contrôlées par la même
compagnie.
M e MORPHY: De quelle compagnie s'agit-il?
M e HUGHES: La Halocarbon Laboratories Incorporated.
M e MORPHY: Il s'agit donc de la Halocarbon Laboratories
Incorporated? Elle a été constituée en vertu de quelle
législation?
M e HUGHES: Il s'agit d'une compagnie new-yorkaise.
Me MORPHY: Est-ce une compagnie publique?
M e HUGHES: NOn.
Me MORPHY: La compagnie défenderesse est-elle une filiale
en propriété exclusive de la compagnie new-yorkaise?
Me sIM: Excepté les actions d'éligibilité aux postes d'admi-
nistrateurs, oui.
M e MORPHY: Et la Halocarbon Products Corporation est-
elle une filiale en propriété exclusive si l'on excepte les
actions d'éligibilité aux postes d'administrateurs, de la
compagnie new-yorkaise?
Me sIM: Je ne vois pas quel rapport cette question peut
avoir avec le litige entre les présentes parties; voulez-
vous vraiment une réponse à cette question?
Me MORPHY: Oui.
Me SIM: Bien, je vais donc demander au témoin de ne pas
répondre.
M e MORPHY: Est-ce à dire que nous renonçons à une
décision sur ce point?
Me SIM: Il n'existe pas de telle procédure à la Cour
fédérale.
—Discussion ne figurant pas au procès-ver
bal.
M e MORPHY: Conseillez-vous à votre témoin de ne pas
répondre?
Me SIM: Oui.
Voilà en quoi consiste le témoignage présenté
à la Cour sur cet aspect de l'affaire. A mon avis,
il ne suffit pas pour attribuer la responsabilité
de la contrefaçon commise par la compagnie
canadienne à la compagnie américaine.
Les défenderesses prétendent qu'elles rélè-
vent de toute façon de l'article 58 de la Loi sur
les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4. L'article 58 se
lit comme suit:
58. Toute personne qui, avant la délivrance d'un brevet, a
acheté, exécuté ou acquis une invention pour laquelle un
brevet est subséquemment obtenu sous l'autorité de la pré-
sente loi, a le droit d'utiliser et de vendre à d'autres l'article,
la machine, l'objet manufacturé ou la composition de matiè-
res, spécifique, breveté et ainsi acheté, exécuté ou acquis
avant la délivrance du brevet s'y rapportant, sans encourir
de ce chef aucune responsabilité envers le breveté ou ses
représentants légaux; mais à l'égard des tiers le brevet ne
doit pas être considéré comme invalide du fait de cet achat,
de cette exécution ou acquisition ou utilisation de l'invention
par la personne en premier lieu mentionnée ou par des
personnes auxquelles elle l'a vendue, à moins que cette
invention n'ait été achetée, exécutée, acquise ou utilisée
durant une période de plus de deux ans avant la demande
d'un brevet couvrant cette invention, en conséquence de
quoi l'invention est devenue publique et disponible pour les
usages publics.
Voici ce que les défenderesses déclarent (au
paragraphe 8 de leur défense modifiée):
[TRADUCTION] 8. Subsidiairement au paragraphe 7 ci-des-
sus, si le procédé de fabrication de l'isohalothane utilisé par
la Halocarbon Products Corporation, défenderesse, relève.
des droits exclusifs accordés à la demanderesse par les
revendications 1 à 12 inclusivement en vertu des lettres
patentes canadiennes n° 692,039, ce qu'elle n'admet pas
mais au contraire conteste, ce procédé de fabrication a donc
été acquis par ladite défenderesse avant la délivrance dudit
brevet, et, en vertu des dispositions de l'article 58 de la Loi
sur les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4, ladite défenderesse a le
droit d'utiliser ledit procédé et de vendre l'isohalothane ainsi
fabriqué à d'autres afin qu'ils l'utilisent, y compris la Halo -
carbon (Ontario) Limited, défenderesse, sans que ni l'une ni
l'autre de ces défenderesses ne puisse en être tenue respon-
sable envers la demanderesse. En particulier, depuis le 17
décembre 1962 ou vers cette date et continuellement depuis
lors, la Halocarbon Products Corporation, défenderesse, a
fabriqué de l'isohalothane en utilisant ce procédé dans ses
usines sises à Hackensack (New Jersey) É.U.
Il faut rappeler que la compagnie américaine
défenderesse utilise depuis décembre 196'2, aux
États-Unis, un procédé de fabrication de l'isoha-
lothane qui, s'il avait été utilisé au Canada,
aurait constitué une contrefaçon de la revendi-
cation 10 du brevet délivré le 4 août 196'4. La
compagnie canadienne défenderesse ne com-
mença l'importation et l'utilisation de l'isohalo-
thane produit par la compagnie américaine
qu'en octobre 1970.
Je vais résumer la théorie des défenderesses
en ce qui concerne l'article 58: l'article s'appli-
que à un procédé et aux produits fabriqués
selon ce procédé; la défenderesse américaine
avait acheté, exécuté ou acquis ce procédé
avant la délivrance du brevet à la compagnie
demanderesse au Canada; la compagnie améri-
caine défenderesse a donc le droit, en vertu de
l'article 58, de vendre ses produits au Canada
sans encourir de ce fait de responsabilité envers
la demanderesse, pour contrefaçon; la protec
tion accordée par l'article 58 est applicable en
fait en dehors des frontières canadiennes. De
même, la compagnie canadienne défenderesse
est protégée; si l'importation de produits au
Canada peut entraîner la contrefaçon, l'article
58 doit accorder une protection lorsque ces
produits proviennent d'un étranger qui peut se
prévaloir de l'article en cause; il importe peu
que la fabrication de l'isohalothane utilisé au
Canada soit antérieure ou postérieure à la déli-
vrance du brevet à la demanderesse.
On ne peut rejeter ces arguments concernant
le défaut de nouveauté. Puisque je conclus que
la compagnie américaine défenderesse ne peut
être tenue responsable de la contrefaçon com-
mise par la compagnie canadienne défenderesse,
il n'est pas nécessaire, du point de vue techni
que, d'examiner l'argument fondé sur l'article
58 pour ce qui est de la compagnie américaine
défenderesse. En ce qui concerne la défense
fondée sur l'article 58, il est assez difficile de
dissocier complètement les deux défenderesses,
et je me propose donc d'examiner cet argument
dans sa totalité.
L'article 58 a été examiné dans l'arrêt Libbey-
Owens-Ford Glass Co. c. Ford Motor Co. of
Canada Ltd. [1969] 1 R.C.É. 529, confirmé par
[19701 R.C.S. 833. Les défenderesses s'ap-
puient dans une certaine mesure sur cette
affaire. Le juge Thurlow décida que l'article 58
fournissait une protection non seulement à l'ob-
jet tangible du brevet, mais aussi à l'utilisation
du procédé breveté. Aux pages 557 et 558, il
poursuivait ainsi:
[TRADUCTION] L'énoncé de l'article est assez maladroit,
mais son sens reviendrait à peu près à ceci:
Toute personne qui, avant la délivrance du brevet, a
acheté, exécuté ou acquis une invention (c: à-d., toute tech
nique, méthode de fabrication, machine, fabrication ou com
position d'une matière, nouvelles ou utiles) pour laquelle un
brevet est subséquemment obtenu sous l'autorité de la pré-
sente loi, a le droit d'utiliser et de vendre à d'autres la chose
spécifique qui a été brevetée et ainsi achetée, exécutée ou
acquise avant la délivrance du brevet s'y rapportant ... .
brevet s'y rapportant ... .
A mon avis, on peut soutenir une telle interprétation en
invoquant le fait que le terme «invention» ne s'accorde pas
bien avec l'adjectif «spécifique» qui remplace plusieurs
expressions utilisées à l'article 58. En effet il pourrait autori-
ser l'utilisation de l'invention brevetée de manière différente
de celle exploitée avant la délivrance du brevet. Cette inter-
prétation s'appuie aussi sur le fait qu'il n'y a apparemment
aucune raison de principe pour ne pas considérer les termes
«article, machine», etc., comme devant se rapporter à tout ce
qui relève du champ de l'objet du brevet, étant donné que
cet article est applicable à une personne qui a acquis «une
invention» avant la délivrance du brevet s'y rapportant. S'il
en était autrement, il serait alors curieux que le rédacteur
n'ait pas utilisé les mots «article, machine» etc., au lieu du
terme «invention» utilisé au début de l'article, ainsi que dans
la phrase où il apparaît une seconde fois.
Il faut ensuite remarquer que l'opportunité d'une telle
disposition dans la loi semble se faire sentir avec d'autant
plus de force dans le cas d'un brevet de procédé ou de
moyen nouveau que pour tout autre type d'invention. La
concession d'un droit exclusif à la propriété d'une invention
pour une période limitée récompense la personne qui a
conçu cette invention pour les avantages dont elle a fait
bénéficier les membres du public en leur révélant la teneur
de son invention dans les formes légales. Cependant, le tiers
qui conçoit par ses propres moyens ou achète tout ou partie
de l'invention avant que celle-ci ne soit divulguée au public,
n'acquiert aucun droit du fait de cette publication et, en
l'absence de l'article 58, il serait privé du bénéfice découlant
de ce qu'il a appris et fait lui-même avant que l'autre
personne ne publie et protège le renseignement. Le prési-
dent MacLean expliqua le but de cet article dans l'affaire
Schweyer Electric & Mfg. Co. c. N.Y. Central Railroad Co.
([1934] R.C.É. 31 à la page 65) de la manière suivante:
Cet article est assez confus et il convient d'en expliquer le
sens. Cette disposition législative apparaît au chapitre 34
des Statuts du Canada de 1859, ainsi qu'au chapitre 24
des Statuts du Canada de 1848-49; ces lois se rapportent
aux brevets; le sens et le but d'une telle disposition étaient
à mon avis exprimés plus clairement dans ces lois qu'ils
ne le sont à l'article 50 de la Loi sur les brevets. A mon
sens, cet article signifie que, et c'était le but recherché,
lorsqu'une personne a acquis de quelque manière que ce
soit une chose qui a fait l'objet d'une demande de brevet
par une autre personne supposée en être le premier inven-
teur, mais pour laquelle aucun brevet n'a encore été
délivré, la première continue d'avoir le droit d'utiliser et
de vendre cette chose nonobstant la délivrance du brevet
à la seconde. Telle est, à mon avis, la seule interprétation
possible de cet article.
Ces considérations me portent donc à conclure que les
expressions utilisées à l'article 58 s'appliquent à la fois à
tous les aspects de l'objet breveté, matériel et immatériel.
Dans l'affaire Libbey-Owens-Ford, la défen-
deresse exploitait son entreprise au Canada et
avait mis au point et utilisé les procédés de
fabrication par ailleurs constitutifs de contrefa-
çon au Canada.
A mon sens, la personne qui a «acheté, exé-
cuté ou acquis» l'invention [avant la délivrance
du brevet en cause] doit l'avoir achetée, exécu-
tée ou acquise au Canada pour bénéficier de
l'immunité accordée par article 58. Dans ce cas,
il a le droit d'utiliser cette invention et de la
vendre à d'autres.
Pour revenir aux faits particuliers de l'espèce,
si la compagnie américaine défenderesse avait
acquis l'«invention» ou le procédé au Canada
avant le 4 août 1964, elle aurait alors eu le droit
d'utiliser, en toute impunité, ce procédé au
Canada et d'y vendre les produits fabriqués par
ce procédé. Mais là n'est pas la situation en
l'espèce et, à mon avis, la compagnie américaine
ne peut invoquer l'article 58.
La compagnie canadienne défenderesse est à
mon avis dans une situation encore moins
défendable. En effet, elle n'a pas utilisé elle-
même au Canada le procédé de fabrication de
l'isohalothane, avant la délivrance du brevet
039. Elle n'avait donc pas «acheté, exécuté ou
acquis ... [1'] ... invention» au sens de ces
termes dans l'article en question. A mon avis,
acheter le résultat final du procédé de fabrica
tion en cause à une tierce personne ne revient
pas au même. J'estime ne pas avoir à donner
d'explications supplémentaires au rejet de la
prétention de la compagnie canadienne selon
laquelle elle a droit à l'immunité prévue à
l'article 58.
Brevet 652 652,23 9—halothane
Pour plus de commodité, j'utiliserai les termes
chimiques plus courants utilisés lors du procès
pour parler de ce brevet, au lieu de termes plus
techniques du brevet lui-même.
Halothane (2 ,2 ,2-trifluoro-l-chloro-l-bromé-
thane)
Isohalothane ou produit d'addition (1,1,2-tri-
fluoro-2-chloro- l -brométhane).
Le mémoire descriptif commence par le
rappel de la méthode courante de production
d'halothane (agent anesthésique). Les parties
ont admis qu'il s'agissait du brevet Bayer (pièce
23, page 1 et suivantes). Dans le brevet Bayer,
l'invention revendiquée porte sur la préparation
d'halothane pour un réarrangement moléculaire
de l'isohalothane (produit d'addition) à l'aide de
bromure d'aluminium: la réaction s'effectue à
une température d'environ 0°C, l'halothane
étant utilisé comme solvant pour les produits de
départ. La méthode Bayer, si je la considère aux
fins de cette affaire, consiste pour l'essentiel à
produire la réaction à une température d'environ
0°C. La divulgation relative au brevet Bayer
affirme: [TRADUCTION] «Des températures plus
élevées entraînent des réactions secondaires
indésirables et une diminution considérable du
rendement, même à une température de 40°C».
La description du brevet en cause se poursuit
de la manière suivante, compte tenu des substi
tutions qui j'ai indiquées plus haut:
[TRADUCTION] Nous avons alors été surpris de découvrir
que ... [l'halothane] ... pouvait être préparé par réarrange-
ment moléculaire de l'... [isohalothane] ... à l'aide de
bromure d'aluminium, même à une température supérieure à
0°C, et mieux encore à la température d'ébullition, soit
environ 50°C pour le composé de départ ainsi que pour le
produit final.
Voilà en quoi consiste l'invention selon le déten-
teur du brevet; c'est du moins ce que je conclus
être l'«invention» en supposant qu'elle rem-
plisse les critères de brevetabilité.
Le mémoire inclut ensuite la description d'un
moyen d'application du procédé:
[TRADUCTION] On peut produire la réaction de la manière
suivante: on ajoute au bromure d'aluminium, en mélangeant,
une petite quantité d'... [halothane] ... préparé auparavant
et le produit de départ ... [isohalothane] ... y est ajouté
lentement, goutte à goutte. Sous l'effet de la chaleur dégagée
lors de l'isomérisation, le mélange bout. L'addition du pro-
duit de départ est réglée de manière à ce que l'opération se
fasse toujours à reflux.
Vient alors la description d'un autre moyen
d'application du procédé; elle est sans intérêt en
l'espèce.
On donne ensuite deux exemples dans le but
[TRADUCTION] «d'illustrer l'invention». Il faut
remarquer bien sûr, qu'il s'agit de simples illus
trations. Je reprends un passage de l'exemple 1
qui fut cité à plusieurs reprises dans la preuve et
lors des plaidoiries:
[TRADUCTION] Exemple 1:
A une suspension de 100 grammes de bromure d'alumi-
nium dans 250 grammes d'... [halothane] ... on ajoute
goutte à goutte, tout en mélangeant, sur une durée de 11
heure 5000 grammes d'... [isohalothane] .... Dès le début
de cette addition, se produit un échauffement spontané du
mélange de réaction entraînant la dissolution du bromure
d'aluminium en une solution de couleur brun-rouge. On
ajuste la vitesse de l'addition au goutte à goutte d'.. .
[isohalothane] ... de manière à ce que le mélange de réac-
tion bouille spontanément .. .
L'action en contrefaçon ne porte maintenant
que sur la revendication 2. Cependant les avo-
cats ont aussi fait mention de la revendication 1.
Je les cite donc toutes les deux:
[TRADUCTION] 1) Un procédé de fabrication d'... [halo -
thane] ... par réarrangement d'... [isohalothane] ... à
l'aide de bromure d'aluminium dans lequel I'. [isohalo-
thane] ... est traité avec le bromure d'aluminium à une
température allant de 0°C à environ 50°C.
2) Un procédé tel que décrit dans la revendication 1 .. .
[pour la fabrication d'halothane par réarrangement d'isoha-
lothane à l'aide de bromure d'aluminium] ... dans lequel
l'... [isohalothane] ... est ajouté lentement, goutte à
goutte, à du bromure d'aluminium mélangé à une petite
quantité d'... [halothane] ... antérieurement préparé, le
réarrangement d'... [isohalothane] ... se produit à sa tem-
pérature d'ébullition d'environ 50°C; le produit de la réac-
tion est alors isolé.
Le seul problème d'interprétation de la reven-
dication 2, soulevé par les défenderesses, con-
cerne l'adjectif «petite» dans la description du
mélange auquel on ajoute l'isohalothane: bro-
mure d'aluminium mélangé à une petite quantité
d'halothane. L'avocat des défenderesses pré-
tend que cet adjectif est ambigu et qu'il con-
vient de se rapporter au mémoire descriptif
notamment l'exemple 1, pour en découvrir le
sens. Si l'on procède de cette manière, nous
dit-on, l'adjectif «petite» doit alors s'interpréter
comme un mélange d'une part de bromure d'alu-
minium pour deux parts et demie d'halothane. A
la pièce 5, la description du procédé utilisé par
la compagnie canadienne défenderesse pour la
fabrication d'halothane, jusqu'à la fin de 1971,
révèle que les proportions étaient une part de
bromure d'aluminium pour 140 parts d'halo-
thane. Cette quantité d'halothane ne constitue
pas une «petite» quantité au sens qu'il convient
de donner à la revendication 2. Je reviendrai sur
ce point lorsque j'examinerai la question de la
contrefaçon. A mon avis, l'adjectif «petite», tel
qu'il est utilisé ici, ne doit pas être pris au sens
de proportion presque mathématique, comme on
l'a suggéré. A mon avis, il est utilisé dans un
sens plus général et relatif. Le but du procédé
est la fabrication d'isohalothane. Il ne serait pas
raisonnable d'utiliser une grosse ou énorme
quantité du produit final recherché pour former
le mélange initial. Il me semble évident que
l'halothane utilisé dans le mélange initial a pour
but essentiel de dissoudre le bromure d'alumi-
nium. Schmutzler déclare qu'il remplit aussi une
autre fonction: le contrôle du dégagement de
chaleur. Un mémoire descriptif doit énoncer
clairement les diverses phases d'un procédé de
manière à permettre «à toute personne versée
dans l'art ou la science dont relève l'inven-
tion ... de l'utiliser» 8 . A mon avis, on doit
considérer que le destinataire d'un tel brevet est
un chimiste compétent, probablement en chimie
du fluor, mais c'est certainement un profession-
nel ayant de l'expérience, des connaissances et
une certaine compétence dans la préparation de
composés chimiques. Je ne pense pas qu'une
telle personne aurait des difficultés à compren-
dre le sens de l'adjectif «petite» utilisé à la
revendication 2.
Je vais examiner maintenant la prétention des
défenderesses selon lesquelles le caractère
manifeste de la revendication 2 la rend invalide.
A mon avis, ce moyen de défense doit être
accueilli: l'invention décrite dans la revendica-
tion 2, si l'on tient compte des publications
antérieures, manque d'ingéniosité inventive,
pour reprendre une expression courante. Le
brevet Bayer (pièce 23, page 1) et ce que l'on
appelle le brevet Hoechst (pièce 23, p. 7) repré-
sentent l'état de la technique auquel je me
réfère. Dans le brevet Bayer, on procède au
réarrangement moléculaire de l'isohalothane en
utilisant du bromure d'aluminium comme cataly-
seur à une température d'environ 0°C. Je cite à
nouveau la description du brevet Bayer: [TRA-
DUCTION] «Des températures plus élevées
entraînent des réactions secondaires indésira-
bles et une diminution considérable du rende-
ment même à une température de 40°C.»
La demanderesse prétend que l'invention ou
amélioration apportée au brevet Bayer est
d'avoir réussi à effectuer ledit réarrangement
(avec un bon rendement et sans aucun effet
e Voir le paragraphe 36(1) de la Loi sur les brevets.
secondaire indésirable) en utilisant du bromure
d'aluminium comme catalyseur à une tempéra-
ture supérieure à 0°C, et de préférence même à
environ 50°C. On doit donc conclure que le
facteur température constitue selon le détenteur
du brevet un élément essentiel de l'invention.
Le témoignage de l'expert de la demanderesse
montre que le facteur température ne constitue
pas un élément essentiel de l'invention ou de la
revendication. Schmutzler affirme que la vitesse
de la réaction dans ce procédé est fonction de la
température. A basse température, la réaction
est plus lente; des méthodes de refroidissement
différentes peuvent être nécessaires pour des
températures différentes; procéder à la tempéra-
ture d'ébullition constitue un moyen commode
de dissiper la chaleur. Il ajoute (pour l'essentiel)
qu'une température d'environ 50°C n'est pas
indispensable à l'utilisation du procédé de la
demanderesse; cette réaction n'exige pas de
température particulière; il n'est pas absolument
nécessaire de procéder à une température de
50°C.
J'accepte la déclaration de Schmutzler. Je
conclus qu'une température supérieure à 0°C, de
préférence aux environs de 50°C, ne constitue
pas un facteur essentiel de l'invention revendi-
quée. Si la température indiquée par la deman-
deresse dans son brevet ne constitue pas un
facteur essentiel de la prétendue invention, je ne
vois pas en quoi elle montre une ingéniosité
inventive par rapport au brevet Bayer.
Schmutzler, au paragraphe 15 de son affida
vit, chercha à faire valoir les divers avantages
du procédé technique faisant l'objet du brevet
en cause, par rapport au brevet Bayer. La plu-
part des points abordés dans ce paragraphe ne
sont que ouï-dire. Schmutzler reprend l'opinion
de Kuhn, un des inventeurs, et ne se fonde sur
aucune expérience effectuée personnellement.
Je n'accorde donc que peu d'importance au
paragraphe 15. (Je peux aussi signaler que d'au-
tres passages de l'affidavit de Schmutzler, en
particulier les passages relatifs au brevet 039,
sont fondés sur des renseignements donnés par
Kuhn, et ne sont que simples ouï-dire. Je ne leur
ai donc accordé que peu d'importance.)
Le brevet Hoechst décrit un procédé de fabri
cation d'halothane-éthane par le réarrangement
d'isohalothane à l'aide de chlorure d'aluminium
utilisé comme catalyseur, à une température
d'environ 50°C (température d'ébullition). Selon
la preuve, le bromure d'aluminium et le chlorure
d'aluminium sont connus depuis longtemps. Ils
ont souvent été utilisés comme catalyseurs, bien
avant la date pertinente en l'espèce, mais ne
sont pas nécessairement interchangeables.
Schmutzler a bien essayé de réfuter l'allégation
des défenderesses quant au caractère manifeste
de l'invention, en affirmant que lui-même,
malgré toutes ses qualifications, n'aurait jamais
pensé à essayer de fabriquer de l'halothane par
réarrangement de l'isohalothane à une tempéra-
ture d'environ 50°C, en utilisant comme cataly-
seur du bromure d'aluminium—sachant aupara-
vant qu'il pouvait réussir cette expérience à
cette température en utilisant du chlorure d'alu-
minium comme catalyseur. Il assure avoir un
certain nombre de préjugés en la matière qui
l'auraient empêché d'essayer une telle substitu
tion. Il admit finalement, lors du contre-interro-
gatoire, qu'il aurait envisagé d'utiliser comme
catalyseur du bromure d'aluminium à cette tem-
pérature ainsi que d'autres catalyseurs. Il fit
cette concession, non seulement en se fondant
sur le brevet Hoechst qu'il connaissait, mais sur
ses propres connaissances (qui, à mon avis,
représentent l'état des connaissances d'une per-
sonne versée à la matière) relativement à l'utili-
sation du chlorure d'aluminium et du bromure
d'aluminium comme catalyseurs dans ce
domaine. J'ai déjà mentionné dans ces motifs
l'hypothèse selon laquelle un procédé mérite
«d'être essayé.» En dernière analyse, cette
hypothèse revient à une question de fait.
Dans l'arrêt Appliance Service Co. Ltd. c.
Sarco Canada Limited (arrêt rendu le 1 e7 mars
1974 et non publié, T-339-71) le juge Urie
déclara:
Ceci étant, l'avocat de la demanderesse m'a demandé ins-
tamment de souscrire à la proposition selon laquelle, si l'on
avait confié à un homme possédant ces connaissances en
1954, au moment du dépôt de la demande du brevet Mid-
gette, la tâche d'améliorer les purgeurs thermodynamiques
déjà existants, ce dernier aurait dû logiquement expérimen-
ter un disque fixe pour pallier à la perte de vapeur particu-
lière à ces purgeurs. S'il en est ainsi, a-t-il soumis, le brevet
Midgette est nul et, à l'appui de cette proposition, il a cité
plusieurs arrêts. Cette proposition est illustrée par un extrait
de la décision du lord juge Diplock en Cour d'appel dans
l'arrêt Johns -Manville Corporation's Patent [1967] R.P.C.
479 à la p. 493:
[TRADUCTION] Les intimés prétendaient simplement
qu'une «personne versée dans l'art» de fabriquer des
tuyaux de ciment à base d'amiante qui, (de nos jours, veut
dire un technicien que l'on suppose hautement qualifié
travaillant au service de recherches de fabricants de
tuyaux de ciment à base d'amiante) serait susceptible de
lire les deux publications mentionnées et que, ce faisant,
les renseignements qu'elles contiennent au sujet des
polyacrylamides lui feraient prendre conscience de l'exis-
tence d'un agent de floculation qui méritait d'être expéri-
menté dans le procédé de filtration utilisé dans son propre
domaine d'activité pour constater s'il pouvait avoir des
résultats heureux. S'ils avaient prouvé ce point, les inti-
més, à mon avis, auraient réussi à inculquer l'idée selon
laquelle l'utilisation de polyacrylamides comme agents de
floculation dans la fabrication de tuyaux de ciment à base
d'amiante avait, antérieurement à l'invention, «un carac-
tère d'évidence et ne constituait sûrement pas une étape
inventive».
Je pense, cependant, que ce point de vue doit être tempéré
par le genre de raisonnement expliqué dans l'arrêt Le Roi c.
Uhlemann Optical Co. (1952) 15 C.P.R. 99, décision de la
Cour suprême du Canada où le juge en chef Rinfret, à la
page 104, a examiné la jurisprudence portant sur le problè-
me de l'évidence, de la façon suivante:
[TRADUCTION] Déterminer si un nouvel objet est le fruit
d'une invention, est une question de fait «laissée au
jugement du tribunal qui doit trancher la question»
(dictum de Lord Moulton, cité par Terrell on Patents, 7e
éd., p. 71). Le savant auteur ajoute: «Il semblerait néces-
saire de choisir une certaine définition du mot invention,
mais ceci n'a jamais été fait, et à mon avis on ne peut
trouver aucune définition du mot invention qui puisse le
moindrement aider une personne qui rencontre une diffi
culté ... Lorsque vous atteignez la ligne de démarcation,
il est à ce point impossible de fixer un critère que cela
devient, plus ou moins, une question d'opinion person-
nelle. Quelques-uns des éléments d'une combinaison sont
modifiés de façon à améliorer son fonctionnement, mais
sans le changer essentiellement. Est-ce une nouvelle
invention? S'il s'agit seulement de la substitution d'élé-
ments mécaniques qui sont notoirement les équivalents
des anciens éléments, la loi est claire, mais dans tout autre
cas, cela est considéré comme étant une question de fait
laissée au jugement du tribunal qui doit trancher la
question.»
Comme l'a affirmé le juge Tomlin (tel était alors son titre)
dans l'arrêt Samuel Parkes & Co. c. Cocker Bros. (1929),
46 R.P.C. 241 à la p. 248: «Personne cependant ne m'a dit
et personne, je suppose, ne me dira jamais quelle est la
caractéristique ou qualité exacte qui permet de distinguer
une invention d'un perfectionnement en atelier. Le jour
est le jour et la nuit est la nuit, mais qui peut dire quand
finit le jour ou encore quand commence la nuit? ... En
vérité, pour peu que l'on ait découvert, comme je l'ai fait
en l'espèce, que le problème était sans solution depuis
plusieurs années, que l'appareil est en fait nouveau et
supérieur à ce qui existait auparavant et à ce qui a été
largement utilisé, de préférence aux appareils subsidiaires,
il est, je crois, pratiquement impossible d'affirmer qu'on
ne retrouve pas cette parcelle d'invention nécessaire au
brevet.»
Dans l'arrêt Br. Westinghouse Elec. & Mfg. Co. c. Braulik
(1910), 27 R.P.C. 209 à la p. 230, le lord juge Fletcher
Moulton a souligné que «l'analyse a posteriori de l'inven-
tion est injuste pour les inventeurs et, à mon avis, la loi
anglaise sur les brevets ne l'autorise pas».
Cela fut confirmé par la Chambre des Lords dans l'arrêt
Non -Drip Measure Co. c. Stranger's Ltd. (1943) 60 R.P.C.
135 à la p. 142, où lord Russell de Killowen a souligné:
«Rien n'est plus facile d'affirmer, une fois le résultat
obtenu, que la chose était évidente et n'était le fruit
d'aucune invention.»
Et lord Macmillan a dit (p. 143): «On pourrait dire a
posteriori de plusieurs inventions utiles et méritoires
qu'elles ont le caractère d'évidence. C'est bien le cas,
après qu'elles ont été inventées.»
Voir également les remarques du lord juge Fletcher Moul-
ton dans l'arrêt Hickton's Patent Syndicate c. Patents &
Machine Improvements Co. (1909) 26 R.P.C. 339 à la p.
347: «C'est, je crois, un principe très dangereux, irration-
nel et dépourvu de fondement, d'affirmer que la concep
tion peut être méritoire, être le fruit d'une invention, être
nouvelle et originale, et, simplement parce qu'il est facile
de mettre une idée à exécution pour peu qu'elle vous soit
venue à l'esprit, d'affirmer que cela lui enlève le titre
d'invention nouvelle suivant notre législation sur les
brevets.»
La mise en garde du juge Urie m'incite à
modérer mon opinion sur l'approche qui con-
siste à dire que l'expérience «mérite un essai»;
je garde aussi à l'esprit les mises en garde
examinées par le président Thorson sur la ques
tion de la valeur inventive dans l'affaire Ernest
Scragg & Sons Limited c. Leesona Corporation
[1964] R.C.É. 649 aux pages 737 et 744. Toute-
fois, en essayant de me mettre à la place d'un
homme de l'art et en tenant compte de l'état de
la technique, en particulier des brevets Bayer et
Hoechst, je dois conclure que la revendication
en cause ne révélait aucun esprit inventif.
Cette conclusion suffit à trancher la partie de
l'action fondée sur le brevet 239; vu les circon-
stances, j'estime cependant devoir examiner
l'autre moyen de défense. Les défenderesses
prétendent que la revendication 2 est invalide
parce qu'inutile, et que la revendication est
assez large pour comprendre des procédés inuti-
lisables. La revendication mentionne un
mélange initial de bromure d'aluminium et d'une
«petite» quantité d'halothane. Elle ne spécifie
pas la part du catalyseur par rapport au solvant.
Wright, l'expert de la défense, procéda à deux
expériences. Dans la première, il utilisa 36.5
grammes de bromure d'aluminium, 5.625 gram-
mes d'halothane et 0.625 grammes de produit
d'addition. Dans la seconde, il utilisa la même
quantité de bromure d'aluminium et 6.25 gram-
mes de produit d'addition. Avec ces propor
tions, il ne put produire d'halothane. Wright a
admis qu'il cherchait à trouver un procédé qui
ne marcherait pas. La proportion de catalyseur
utilisée par Wright était approximativement 44 à
1. Il admit qu'il s'agissait là d'une quantité très
élevée à utiliser par un chimiste compétent. Il
affirma (pour l'essentiel) qu'en tant que chi-
miste, il n'utiliserait ordinairement qu'une
«petite» quantité de catalyseur; les proportions
utilisées le plus souvent par les chimistes sont
de 1 à 10 ou de 1 à 100. On s'est appuyé sur
l'arrêt Hewlett-Packard (Canada) Ltd. c. Burton
Parsons Chemicals, Inc. [1973] C.F. 405, où le
juge en chef Jackett de la Division d'appel de
cette cour eut l'occasion d'énoncer le droit
applicable (pp. 409 et 410):
Ce qu'exige le paragraphe (1) de l'article 36, c'est que la
personne qui demande la délivrance d'un brevet décrive
dans le mémoire son invention de façon à permettre à un
homme de l'art d'utiliser l'objet de l'invention; l'auteur de la
demande doit aussi indiquer précisément et revendiquer
distinctement «la partie, le perfectionnement ou la combinai-
son» qu'il réclame comme son invention. Après avoir ainsi
décrit son invention et, comme l'exige l'article 36(1), avoir
indiqué et revendiqué, dans la partie du mémoire descriptif
d'ordinaire appelée la divulgation, la partie, le perfectionne-
ment ou la combinaison qu'il réclame comme son invention,
le demandeur, aux termes de l'article 36(2), doit ajouter à la
fin du mémoire descriptif une ou plusieurs «revendications»
exposant distinctement et en termes explicites «les choses
ou combinaisons» qu'il considère comme nouvelles «et dont
il revendique la propriété ou le privilège exclusif».
Il est bien établi en droit que les revendications formulées
à la fin d'un mémoire descriptif conformément à l'article
36(2) fixent les limites du monopole dont bénéficiera l'in-
venteur suite à la délivrance du brevet. Si ces revendications
sont rédigées de façon telle que leur portée soit plus res-
treinte que l'invention décrite dans le mémoire descriptif, le
brevet ne donnera au breveté aucun droit à l'égard de ce qui
a été omis dans les revendications. Si, d'autre part, une de
ces revendications est rédigée de façon à dépasser la portée
de l'invention décrite dans le mémoire descriptif, cette récla-
mation sera totalement invalide.
puis à la page 415:
Selon mon interprétation des principes de droit applica-
bles, même si une divulgation signale clairement qu'une
certaine caractéristique est une caractéristique essentielle de
l'invention, la revendication est invalide si cette caractéristi-
que n'y figure pas.
et enfin à la page 417:
Ayant examiné les arrêts postérieurs à l'affaire B.V.D. j'ai
constaté qu'on ne s'est jamais affranchi de cette exigence
fondamentale selon laquelle une revendication doit, d'une
façon ou d'une autre, donner toutes les précisions nécessai-
res pour en restreindre la portée à ce qui a été véritablement
inventé. Dans l'arrêt Minerals Separation North American
Corporation c. Noranda Mines Ltd. (1952) 69 R.P.C. 81,
Lord Reid, à la page 95, a de nouveau énoncé cette règle,
bien que dans un contexte différent:
[TRADUCTION] Un autre motif d'exclusion des xanthates
de cellulose a été proposé au cours de la présente affaire.
On a prétendu que, pour diverses raisons d'ordre pratique,
un homme de l'art ne tenterait jamais de se servir de ces
xanthates pour faire flotter une mousse et que, par consé-
quent, on n'avait pas à en tenir compte. Dans sa plaidoirie
devant leurs Seigneuries, toutefois, l'avocat des défende-
resses a renoncé à faire valoir cet argument. Il est bien
établi que, lorsque la portée d'une revendication s'étend à
une méthode non susceptible d'application, cette revendi-
cation ne peut être déclarée valide du seul fait qu'on
réussit à prouver qu'un homme de l'art ne chercherait
jamais à utiliser cette méthode.
Dans l'affaire Hewlett-Packard, un des com-
posants de la substance faisant l'objet d'un
brevet était un produit émulsionné ou une émul-
sion. On prétendit que les revendications ne
faisaient état d'aucune restriction quant aux
émulsions utilisables et que, comme toutes les
émulsions ne le seraient pas, les revendications
étaient invalides. Cette prétention fut accueillie.
Voici quelle était la théorie de l'intimée à l'appui
du brevet (pp. 411 et 412):
Si je comprends bien ce qu'affirment les intimées, c'est
qu'il faut lire le texte des revendications en regard de celui
du mémoire descriptif et qu'il devient dès lors manifeste à
un homme de l'art que le texte des revendications restreint
implicitement le type et la concentration du produit émul-
sionné susceptible d'être utilisé. Si c'est-là la façon correcte
d'interpréter les revendications et si les restrictions appor-
tées à l'éventail des types de produits émulsionnés utilisa-
bles et de leurs concentrations sont de nature à entraîner
nécessairement le choix d'un type et d'une concentration qui
ne peuvent produire que l'objet de l'invention décrite dans le
mémoire, les dispositions de l'article 36(2) sont respectées.
Dans l'affaire présente, il n'est aucunement
suggéré que l'un des composants utilisés dans ce
procédé comprend un élément inutilisable. Le
litige porte sur le fait que l'on a omis de fixer la
quantité d'un des composants nécessaires. Dans
les circonstances, j'estime qu'il convient d'abor-
der cette question de la manière suivante: [TRA-
DUCTION] «... en pratique, il ne suffit pas de se
demander si la revendication inclut certains élé-
ments inutiles; il faut se demander aussi si
l'énoncé de la revendication indique positive-
ment une application inutile» 9 . Rien dans la
revendication 2 n'indique une application inu-
tile, comme c'était le cas dans les arrêts Hewl-
ett-Packard ou Minerals Separation. Les exem-
ples fournis dans les mémoires descriptifs, qui
n'y figurent qu'à titre indicatif, donne des pro
portions raisonnables. Les défenderesses
admettent n'avoir jamais eu de résultats nuls ou
insuffisants en raison de mauvaises proportions,
dans l'utilisation de leurs procédés. A mon avis,
un homme de l'art utiliserait des proportions
raisonnables et non des proportions aussi extrê-
mes que celles des expériences de Wright. Je
conclus donc que, n'étant pas inutile, la revendi-
cation 2 n'est pas invalide.
Je vais examiner maintenant la question de
savoir s'il y a eu contrefaçon de la part de la
compagnie canadienne défenderesse. A cette
fin, je tiens pour acquis la validité de la revendi-
cation 2 et je présume aussi qu'une température
d'environ 50°C est un facteur essentiel de l'in-
vention ou revendication. La pièce 5 décrit pour
l'essentiel le procédé utilisé par la défenderesse.
Certains changements sont intervenus en 1971 à
peu près au moment de l'introduction de cette
action. Je ne pense pas que ce changement ait
une influence primordiale sur cet aspect particu-
lier de l'affaire. Le procédé commence avec une
quantité de 140 livres d'halothane. C'est ce que
l'on appelle couramment un «fond» 10 . L'halo-
thane est placé dans un réacteur et l'on y ajoute
alors une livre de bromure d'aluminium. On
ajoute ensuite graduellement le produit d'addi-
tion (isohalothane) en mettant un peu plus de
bromure d'aluminium avant chaque rajout de ce
produit. Pendant la production d'une fournée,
on enregistre les températures par intermittence.
Le changement intervenu dans le procédé en
1971 consistait à placer d'abord l'halothane
dans le réacteur et à y ajouter par la suite une
certaine quantité de produits d'addition puis du
9 Blanco White (précité) p. 155.
10 Un «fond», dans le langage des consommateurs d'al-
cool, peut avoir diverses significations, selon l'état, la soif et
la capacité du consommateur.
bromure d'aluminium. Il ressort clairement de la
preuve que l'ordre des ingrédients n'est pas
pertinent en ce qui concerne la contrefaçon.
Les défenderesses prétendent que leur pro-
cédé de fabrication à base d'halothane diffère
de la revendication 2 sur les points suivants:
a) Le mélange initial consiste en une livre de
bromure d'aluminium ajoutée à 140 livres
d'halothane. On affirme que ce n'est pas une
«petite» quantité d'halothane. Je n'hésiterai
cependant pas à dire qu'il est raisonnable de
considérer cette quantité comme «petite» si
l'on compare la quantité d'halothane utilisée à
celle du produit d'addition que l'on y ajoute
par la suite. Je suis convaincu que l'essentiel
de la revendication ainsi que le but pratique
d'un tel mélange est d'assurer la dissolution.
Le mélange utilisé par la défenderesse est à
mon avis très similaire au mélange décrit dans
la revendication 2.
b) Dans leur procédé, les défenderesses
n'ajoutent pas l'isohalothane «goutte à
goutte», mais en filet continu. C'est en effet le
cas du point de vue technique. La méthode
d'addition de l'isohalothane n'est pas essen-
tielle à mon avis. La méthode d'addition
dépend en fait de l'échelle de l'opération. Il
nous fait examiner à nouveau le fond de la
revendication. Le fait de ne pas ajouter l'iso-
halothane goutte à goutte ne signifie pas à
mon avis que les défenderesses n'ont pas
utilisé l'essence même de l'invention.
c) Dans leur procédé de fabrication, les
défenderesses ajoutent l'isohalothane en plu-
sieurs fois en intercalant d'autres additions de
bromure d'aluminium. On affirme que la
revendication 2 prévoit l'addition de l'isohalo-
thane en une seule fois. Je ne vois pas l'inté-
rêt d'une telle modification. L'essentiel en la
matière consiste en l'addition d'isohalothane.
d) Les défenderesses n'effectuent pas le réar-
rangement à la température d'ébullition d'en-
viron 50°C. Ferstandig affirma qu'à son avis
5% environ du réarrangement effectué par les
défenderesses l'était au point d'ébullition. A
mon avis, la seule conclusion raisonnable
découlant de l'ensemble des registres est que
le point précis de réarrangement se produit
probablement aux environs de 50°C. Ferstan-
dig admit que son opinion n'était fondée que
sur une déduction logique. Je ne suis pas
disposé à tenir compte de déductions logiques
dans une affaire aussi importante que la
présente.
Le procédé utilisé par la compagnie cana-
dienne défenderesse, considéré dans sa totalité,
et non fragmenté d'un point de vue technique,
constitue à mon avis une contrefaçon de l'es-
sence même de la revendication 2.
Avant de conclure, je tiens à mentionner une
fois encore la prétention de la demanderesse
selon laquelle, si la compagnie canadienne
défenderesse est responsable de la contrefaçon,
la compagnie américaine défenderesse, vu les
motifs déjà invoqués, l'est aussi. Pour les motifs
donnés en ce qui concerne le brevet 039, je
rejette cette prétention.
CONCLUSION
La demanderesse a gain de cause dans les
procédures engagées contre la compagnie cana-
dienne défenderesse en ce qui concerne son
action en contrefaçon fondée sur la revendica-
tion 10 du brevet 039. Elle a droit au redresse-
ment demandé. Elle réclame dans la demande
de redressement des dommages-intérêts se chif-
frant à $100,000, ou plus, ou le montant des
bénéfices réalisés, au choix de la demanderesse.
Cette question sera renvoyée à un arbitre. L'ac-
tion fondée sur le brevet 039, à l'encontre de la
compagnie américaine défenderesse est rejetée.
L'action en contrefaçon intentée par la
demanderesse relativement au brevet 239 est
rejetée en ce qui concerne les deux
défenderesses.
Cette décision soulève évidemment quelques
problèmes pour les dépens. Lors du procès, les
parties ont soumis des prétentions relatives aux
dépens sur un point différent—le désistement de
l'action fondée sur le brevet 650,600 et l'aban-
don de réclamations concernant la prétendue
contrefaçon d'un certain nombre de revendica-
tions. Je demande donc que les avocats me
présentent leurs prétentions quant aux dépens.
A ce stade des procédures, je ne rendrai pas
de jugement formel conformément à la Règle
337(2)a). Je demande à l'avocat de la demande-
resse de rédiger le projet de jugement approprié
couvrant tous les aspects de l'affaire excepté la
question des dépens. Le projet sera soumis à
l'avocat des défenderesses. Si, dans les 14 jours
de la date de ces motifs, les parties ne sont
parvenues à aucun accord sur les termes et la
forme du jugement, je fixerai moi-même les
termes de ce jugement. Je suggère aux avocats
de se mettre en rapport avec le greffe en ce qui
concerne leurs prétentions relatives aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.