T-2057-72
Alcan Aluminium Limitée (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald—
Ottawa, les 12 et 18 février 1974.
Impôt sur le revenu—La filiale de la demanderesse est
fournisseur de matières premières—Augmentation de l'impo-
sition du revenu de la compagnie filiale—La demanderesse
rembourse volontairement la filiale—La demanderesse dédui-
sit cette somme de son revenu—Déduction rejetée par le
Ministre comme dépense à compte de capital—Appel
accueilli—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 12(1)a).
La compagnie demanderesse produit de l'aluminium à
partir d'alumine fournie par la Alcan Jamaica Limited
(Aljam), une compagnie jamaïquaine qui est une filiale en
propriété exclusive de la compagnie demanderesse depuis
1958. A la suite de la résiliation d'un accord conclu entre la
demanderesse et la compagnie C relatif à l'approvisionne-
ment en alumine, la compagnie C fut tenue de payer à la
demanderesse la somme de $3.6 millions à titre de dédom-
magement, en versements successifs. Le gouvernement de
la Jamaïque, estimant qu'il avait droit à une part du dédom-
magement, exigea que l'Aljam lui verse cette part par le
biais d'une augmentation des impôts sur le revenu. La
demanderesse remboursa à l'Aljam ces impôts supplémen-
taires, suite à une «décision fondée sur des considérations
pratiques et commerciales* et non une obligation juridique.
Le Ministre a rejeté la déduction de la somme ainsi versée
par la demanderesse, au motif qu'il s'agissait d'une dépense
à compte de capital.
Arrêt: l'appel est accueilli; il s'agissait d'une dépense
consentie au cours de l'exploitation d'une organisation lucra
tive, constituant donc une dépense à compte de revenu,
déductible à ce titre.
Arrêts examinés: British Insulated and Helsby Cables,
Ltd. c. Atherton [1926] A.C. 205 et Associated Inves
tors of Canada Ltd. c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 103;
arrêts appliqués: Canada Starch Co. Ltd. c. M.R.N.
[1969] 1 R.C.E. 96 et Hallstrom's Pty. Ltd. c. Federal
Commissioner of Taxation (1946) 72 C.L.R. 634; arrêts
suivis: Pigott Investments Limited c. La Reine [1973]
C.T.C. 693 et Olympia Floor & Wall Tile (Québec) Ltd.
c. M.R.N. [1970] R.C.E. 274.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
Bruce Verchère et Marc A. Leduc pour la
demanderesse.
Alban Garon, c.r., et Louise Lamarre-
Proulx pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott & Cie, Montréal, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
LE JUGE HEALD—La demanderesse exploite
notamment une entreprise de production et de
vente d'aluminium et de produits en aluminium.
C'est une compagnie d'aluminium entièrement
intégrée. On utilise le procédé de l'électrolyse
pour extraire l'aluminium de l'alumine. L'alu-
mine (oxyde d'aluminium) provient du raffinage
d'un minerai qui, à l'état brut, est appelé
bauxite.
La Jamaïque (Grandes Antilles), est un des
principaux producteurs mondiaux de bauxite.
Afin d'étudier les possibilités commerciales de
la bauxite provenant de la Jamaïque, la compa-
gnie Alcan Jamaica Limited (ci-après appelée
Aljam) fut constituée en 1943 en vertu des lois
de la Jamaïque. Depuis 1958, Aljam est une
filiale en propriété exclusive de la demande-
resse. Aljam a par la suite prospecté et obtenu
en concession à la Jamaïque d'importants gise-
ments de bauxite d'une teneur permettant une
exploitation rentable. Aljam exploite également
à la Jamaïque deux usines de transformation
permettant d'extraire l'alumine de la bauxite.
En avril 1954, la demanderesse et Aljam ont
conclu un accord en vertu duquel celle-ci devait
fournir de l'alumine à la demanderesse en
échange de l'aluminium que cette dernière ven-
drait pour le compte d'Aljam. Dans les années
60, Aljam était devenue un très important four-
nisseur de la demanderesse en alumine.
En janvier 1957, la demanderesse a conclu un
accord avec la Canadian British Aluminum
Company Ltd. (ci-après Canbaco) en vertu
duquel la demanderesse s'engageait à fournir de
l'alumine à Canbaco qui en échange lui fourni-
rait de l'aluminium. L'accord prévoyait
l'échange de 6.285 unités de poids d'alumine
contre 1 unité de poids d'aluminium. Canbaco
était une filiale en propriété exclusive de la
British Aluminum Company et venait d'installer
une usine au Québec. La demanderesse et Can-
baco sont des compagnies concurrentes qui ne
détiennent pas d'actions en commun. Il s'agis-
sait donc d'une transaction effectuée à distance.
Les deux accords que nous avons décrits sont
des accords de troc. Vers la fin des années 50 et
le début des années 60, on a vu apparaître des
accords de troc dans l'industrie de l'aluminium,
car à cette époque aucun cours de marché offi-
ciel n'avait été fixé pour l'alumine. Les ache-
teurs d'alumine ne pouvaient déterminer le coût
de ce produit qu'en fonction de la valeur du
produit fini, c'est-à-dire de l'aluminium. C'est
pour cette raison qu'on avait recours à des con-
trats de troc. En général, à cette époque, les
contrats de troc prévoyaient un rapport de 6i ou
7 tonnes d'alumine pour 1 tonne d'aluminium
fini.
L'accord avec Canbaco devait entrer en
vigueur en 1958 et porter sur une période de 20
ans. Aux termes de cet accord, la demanderesse
s'engageait à fournir, et Canbaco à recevoir,
pour l'année 1958, 47,500 tonnes fortes (2,240
livres) d'alumine et pour chacune des années de
la période 1959 à 1977, 120,000 tonnes fortes
d'alumine. En cas de résiliation de l'accord ou
en cas de diminution de la quantité d'alumine
dont avait besoin Canbaco, celle-ci était tenue
de verser à la demanderesse pour chaque tonne
forte d'alumine en deçà de la quantité prévue,
$6 par an payable au 1 e7 janvier, et ce pendant
cinq ans commençant avec l'année d'annulation.
La Canbaco résilia l'accord en 1961 et,
comme convenu, versa à la demanderesse pen
dant les années 1962 à 1966 inclusivement, des
versements égaux de $720,000 à titre de dédom-
magement (selon le calcul décrit au paragraphe
ci-dessus). Dans le calcul de son revenu pour
ses années d'imposition 1962 à 1966 inclusive-
ment, la demanderesse a inclus les montants
reçus de Canbaco et, plus précisément, en 1966,
elle a inclus dans son revenu ledit versement de
$720,000.
Par lettres en date des 18 et 25 septembre
1964, des fonctionnaires du gouvernement de la
Jamaïque ont fait savoir à Aljam qu'à leur avis
cette compagnie avait droit à sa part des
$3,600,000 versés à la demanderesse à titre
d'indemnité par Canbaco à la suite de la résilia-
tion du contrat susmentionné et que le gouver-
nement de la Jamaïque était en droit de l'inclure
dans le calcul du revenu d'Aljam, et donc d'im-
poser conformément aux lois fiscales de la
Jamaïque une partie desdits $3,600,000 versés à
la demanderesse par Canbaco dans les années
1962 à 1966 inclusivement. Dans ces deux let-
tres, les fonctionnaires jamaïquains ont égale-
ment signalé la différence entre le prix auquel
Aljam s'était engagée à troquer son alumine
avec l'Alcan et le prix auquel la demanderesse
vendait de l'alumine provenant de la Jamaïque à
des entrepreneurs indépendants lors d'opéra-
tions effectuées sans lien de dépendance. Dans
leur lettre du 25 septembre 1964, ils déclarent
qu'à leur avis, la commission versée par Aljam
sur la vente de l'aluminium qu'elle recevait aux
termes du contrat de troc avec la demanderesse
paraissait excessive. Cette commission était
versée à des compagnies associées à la fois avec
la demanderesse et avec Aljam. La lettre fait
aussi valoir que les problèmes susdits ont été au
détriment des revenus de la Jamaïque et que le
gouvernement jamaïquain a l'intention de se
prévaloir des dispositions de l'article 32(3) de la
Income Tax Law de la Jamaïque afin de remé-
dier à cette situation. Ledit article 32(3) figure à
la page 35 du dossier versé en preuve avec
l'accord des avocats des parties. Voici ce que
dispose cet article:
[TRAnucrnoN] 32-(3) Lorsqu'un non-résident se livre à une
entreprise avec un résident, et qu'il semble au Commissaire
que le rapport étroit entre un résident et un non-résident leur
permet d'ainsi arranger leurs affaires, et qu'ils le font effec-
tivement, que l'entreprise auquel se livre le résident, par
suite de ses rapports avec le non-résident, soit ne produit
pour le résident aucun bénéfice soit produit un bénéfice
inférieur à celui que l'on pourrait prévoir normalement
d'après la nature de l'entreprise, le non-résident sera impo-
sable et redevable d'impôts au nom du résident comme si le
résident était mandataire du non-résident.
Dans ladite lettre du 25 septembre 1964, (une
longue lettre de 9 pages en tout) le gouverne-
ment jamaïquain énonce ensuite les motifs qui,
d'après lui, justifient l'application de l'article
32(3) aux circonstances de cette affaire. En
bref, la Jamaïque soutient que, même si Aljam
n'est pas partie à l'accord avec Canbaco, parce
qu'elle est une filiale en propriété exclusive de
la demanderesse et parce qu'elle a contribué de
manière considérable à l'exécution de l'accord
Canbaco avant l'annulation de celui-ci, le gou-
vernement jamaïquain a en fait le droit, en vertu
de l'article 32(3), de [TRADUCTION] «scruter» le
contrat, pour déterminer quels profits, le cas
échéant, provenant de l'annulation du contrat
avec Canbaco, revenaient à la Jamaïque. A la
page 4 de la lettre du 25 septembre 1964, le
Commissaire à l'impôt sur le revenu pour la
Jamaïque déclare:
[TRADucTTON] ... Je ne me sentirais pas lié par un contrat
entre une compagnie et sa filiale en propriété exclusive. Il
s'agit là de la main droite s'engageant envers la main
gauche... .
La lettre étudie ensuite dans quelle mesure l'an-
nulation du contrat avec Canbaco a fait subir un
préjudice à la Jamaïque, et tente d'évaluer
quelle part du contrat avec Canbaco aurait porté
sur l'alumine que la demanderesse s'était procu
rée à la Jamaïque. La lettre termine en déclarant
que cette proportion aurait été d'au moins 75%.
Par conséquent, la lettre fait savoir à Aljam que
le gouvernement de la Jamaïque a l'intention de
l'assujettir à l'impôt sur le revenu sur une
somme égale à 75% des $3,600,000 versés lors
de l'annulation du contrat, c'est-à-dire qu'il allait
considérer que la somme de $2,700,000 est la
partie des bénéfices revenant à Aljam et
qu'ainsi, cette somme est imposable entre les
mains de cette compagnie conformément à la loi
jamaïquaine.
Après réception de cette lettre, les dirigeants
d'Aljam ont consulté leurs avocats; ces derniers
leur ont répondu que le Commissaire à l'impôt
sur le revenu possède effectivement les pou-
voirs dont il fait état dans sa lettre du 25 sep-
tembre 1964 et qu'en outre, il a le droit d'exiger
qu'on produise les livres et registres d'une
société étrangère, compagnie mère d'une com-
pagnie jamaïquaine. Les fonctionnaires du gou-
vernement jamaïquain et les dirigeants d'Aljam
se rencontrèrent pour discuter de ces questions
à plusieurs reprises. Le problème fiscal à la
Jamaïque fut évidemment transmis à la haute
direction de la demanderesse à Montréal. En
août 1965, J. G. Stark, qui avait été trésorier
d'Aljam, résidant à la Jamaïque, rentra à Mont-
réal pour assumer de nouvelles fonctions au
sein de la compagnie demanderesse. A cette
époque, il fit savoir à ses supérieurs que,
d'après lui, si la demande initiale du gouverne-
ment jamaïquain était fondée sur des créances
fiscales précises et techniques, il lui était
apparu, au cours des négociations et des discus
sions, qu'en réalité le gouvernement jamaïquain
recherchait une augmentation générale de ses
rentrées fiscales. Il a déclaré que, chaque année,
leurs exigences fiscales augmentaient en
nombre et en valeur. Après discussions avec
d'autres membres de la haute direction de la
demanderesse à Montréal, Stark fut renvoyé à
la Jamaïque pour essayer de résoudre le problè-
me fiscal qui opposait sa compagnie au gouver-
nement jamaïquain. On aboutit en février 1966
à un règlement couvrant les années d'imposition
1963 1966 inclusivement. Aux termes de ce
règlement, on augmenta la cotisation à l'impôt
d'Aljam de 735,000 livres jamaïquaines. Dans
sa déposition, Stark justifia ce règlement de la
façon suivante:
1. Assurer l'approvisionnement d'une ma-
tière première essentielle. A son avis, le
problème aurait très bien pu s'envenimer et
compromettre les intérêts de la demanderesse
à la Jamaïque. A son avis, si Aljam avait
adopté des arguments trop strictement juridi-
ques et s'était opposée à la cotisation propo
sée, le gouvernement jamaïquain avait d'au-
tres moyens à sa disposition. Ainsi, adoptant
une position pragmatique fondée sur une déci-
sion justifiée du point de vue commercial, il a
recommandé le règlement.
2. Il a fait remarquer que, d'un point de vue
comptable et commercial, cette redevance fis-
cale imposée de manière imprévue par la
Jamaïque devait figurer dans les états finan
ciers annuels de la compagnie. Il a déclaré
que ces obligations fiscales imprévues sem-
blaient s'accroître chaque année suivant en
cela l'augmentation des exigences fiscales de
la Jamaïque. Il craignait que si ces impôts
imprévus continuaient de croître, on risquât
d'en arriver bientôt au point ot cela compro-
mettrait les opérations commerciales de la
demanderesse à l'étranger.
Robert J. Moyse, trésorier de la demande-
resse jusqu'au l er janvier 1966, déclara qu'il
avait donné son approbation à ce règlement, car,
en premier lieu, il pensait que le gouvernement
de la Jamaïque avait de très forts arguments
moraux sinon juridiques étant donné que l'alu-
mine jamaïquaine représentait une large partie
des stocks d'alumine dont disposait la demande-
resse à l'époque. Des quelques rencontres aux-
quelles il avait participé dans ce pays, il avait
retiré l'impression que [TRADUCTION] «les auto-
rités jamaïquaine étaient fermement décidées à
faire augmenter le prix de l'alumine». Il a eu
l'impression que, si la question de Canbaco ainsi
que les quatre autres problèmes fiscaux précis,
objets de discussion, étaient pour quelque chose
dans la position adoptée par la Jamaïque, la
situation s'est cristallisée au point qu'un fait est
ressorti, à savoir, la Jamaïque avait la ferme
intention, d'une manière ou d'une autre, de s'as-
surer qu'Aljam aurait un revenu imposable plus
élevé. D'après lui, l'indemnité versée par Can-
baco ainsi que les autres problèmes précis
n'étaient que des prétextes pour obtenir un prix
plus élevé pour l'alumine jamaïquaine. Moyse a
également déclaré que si le contrat d'approvi-
sionnement conclu entre la demanderesse et
Aljam avait été conclu sans lien de dépendance,
il est très probable que ce contrat aurait com
porté une clause d'indemnisation semblable à la
clause figurant dans l'accord conclu sans lien de
dépendance entre Canbaco et la demanderesse.
Il considérait, par conséquent, que la Jamaïque
était tout à fait fondée à réclamer une partie de
l'indemnité versée par Canbaco.
Le 31 mars 1966, Aljam envoya une lettre à
la demanderesse pour l'aviser du règlement
effectué avec le fisc jamaïquain et facturant à la
demanderesse [TRADUCTION] «votre quote-part
de ladite augmentation du prix de vente de
l'alumine ainsi que la part de l'indemnité versée
par Canbaco qui nous revient, aux termes de la
décision des autorités jamaïquaines que nous
avons acceptée aux fins du règlement». La fac-
ture qui était jointe à la lettre, contenait deux
rubriques; voici la seconde:
[TRADUCTION] La part de l'indemnité d'annulation que Can-
baco a versée à Aljam, telle que l'a fixée la Income Tax
Appeal Board de la Jamaïque, soit £480,055.
(On mentionne la Income Tax Appeal Board de
la Jamaïque, car elle avait en fait ratifié le
règlement intervenu entre les parties par une
lettre en date du 9 mars 1966, envoyée à l'avo-
cat d'Aljam et statuant ainsi sur l'appel qu'Al -
jam avait auparavant interjeté devant elle).
La somme de 480,055 livres jamaïquaines
équivaut à $1,447,078 dollars canadiens et la
demanderesse remboursa immédiatement cette
somme à Aljam. Nathaniel B. Davis, président
de la demanderesse à l'époque, a expliqué que la
demanderesse a remboursé Aljam afin [TRADUC-
TION] «de restituer le revenu d'Aljam». Il a dit
que la décision de la demanderesse était une
décision pragmatique. Il a déclaré estimer qu'il
était de l'intérêt de la demanderesse, à long
terme, de régler le litige, et qu'un long procès
devant les tribunaux aurait eu [TRADUCTION]
«tendance à nuire aux rapports» entre la deman-
deresse et le gouvernement jamaïquain. D'au-
tres dirigeants de la demanderesse ont confirmé
son opinion qu'il était tout à fait justifié que la
demanderesse rembourse Aljam. William J.
Reid, trésorier de la demanderesse après le ler
janvier 1966, a déclaré que les dirigeants de sa
compagnie ont considéré cette somme supplé-
mentaire principalement comme un ajustement
de prix. Il a ajouté que de pareils ajustements
rétroactifs n'avaient rien d'exceptionnel. Il cite
deux exemples de contrats que la demanderesse
avait conclus avec d'autres compagnies pour un
approvisionnement de coke de pétrole. Dans ces
exemples, les contrats furent renégociés, car les
prix fixés au contrat avaient par la suite accusé
une assez grande différence avec la juste valeur
marchande. D'après lui, si l'on considère le ver-
sement de $1,447,078 comme un ajustement par
rapport aux prix de l'alumine, ce versement a eu
pour effet de faire passer le prix de la tonne
courte de $58.81 $59.46 et que ledit prix de
$59.46 la tonne courte était tout à fait dans les
limites de la juste valeur marchande de l'alu-
mine pour la période en question. Il a ajouté que
ce prix était de loin inférieur aux prix que payait
la demanderesse pour de l'alumine achetée par
des transactions conclues sans lien de
dépendance.
Dans ses livres, la demanderesse a fait figurer
la somme de $1,447,078 en tant que coût de
vente, procédure qui fut approuvée par les
vérificateurs.
En établissant la cotisation de la demande-
resse pour l'année d'imposition 1966, la défen-
deresse a refusé d'admettre cette dépense de
$1,447,078.
La défenderesse soutient que cette dépense
constitue un paiement à compte de capital. A
l'appui de cette thèse, la défenderesse cite les
témoignages des dirigeants de la compagnie
demanderesse qui ont déclaré que ladite
dépense avait été effectuée afin de garantir un
approvisionnement en une matière première
essentielle ; que cette somme a été dépensée afin
de conserver un bien de capital et qu'il s'agit
donc d'une dépense à compte de capital. La
défenderesse cite à l'appui de cet argument les
arrêts British Insulated and Helsby Cables, Ltd.
c. Atherton 1 et Associated Investors of Canada
Ltd. c. M.R.N. 2 . Ce n'est pas de cette manière
que j'interprète ces deux arrêts. Dans l'arrêt
Associated Investors of Canada Ltd. (précité),
le président Jackett (tel était alors son titre)
déclare à la page 103:
[TRADUCTION] La signification générale est qu'une opération
où un élément d'actif permanent ou un avantage est acquis à
des fins commerciales est une opération portant sur le
capital. (Voir British Insulated and Helsby Cables, Ltd. c.
Atherton [1926] A.C. 205.)
Ces deux arrêts définissent une opération en
capital comme une opération où un élément
d'actif permanent ou un avantage est acquis à
des fins commerciales (les italiques sont de
moi). Ainsi je considère que ces précédents ne
peuvent pas servir à appuyer les arguments que
les sommes dépensées en vue de préserver une
immobilisation sont des dépenses à compte de
capital. De plus, d'après la preuve soumise, je
conclus que ladite dépense était en fait un ajus-
tement du prix d'achat des matières premières
achetées par la demanderesse et dont elle avait
besoin pour son entreprise de manufacture
d'aluminium. Ceci n'a rien d'exceptionnel dans
ce genre d'entreprise. Même après cet ajuste-
ment, le prix que la demanderesse payait la
matière première restait tout à fait dans les
limites de la juste valeur marchande. En tant
qu'ajustement du prix d'achat de la matière pre-
mière, cette opération n'entraînait aucun
accroissement ou diminution du capital fixe et
ne constituait ainsi à mon avis qu'une simple
dépense de fonctionnement.
C'est le président Jackett (tel était alors son
titre) qui a brièvement énoncé la distinction
' [1926] A.C. 205.
2 [1967] 2 R.C.É. 96.
entre les dépenses à compte de revenu et les
dépenses à compte de capital. Voici ce qu'il
déclarait dans l'arrêt Canada Starch Co. Ltd. c.
M.R.N. 3 :
[TRADUCTION] Autrement dit, à mon avis, on peut dire
qu'en général,
a) d'une part, une dépense engagée en vue de l'acquisition
ou de la création d'une entité, structure ou organisation
commerciale, dans le but de tirer un profit, ou en vue du
développement d'une telle entité, structure ou organisa
tion, constitue une dépense à compte de capital, et
b) d'autre part, une dépense consentie au cours de l'ex-
ploitation d'une entité, structure ou organisation lucrative
constitue une dépense à compte de revenu.
Appliquant ces critères aux circonstances de
la présente affaire, j'en conclus que ladite
dépense a été consentie au cours de l'exploita-
tion d'une organisation lucrative et qu'elle cons-
titue ainsi une dépense à compte de revenu. La
demanderesse est une compagnie intégrée pro-
duisant de l'aluminium; elle s'occupe activement
de toutes les étapes de la production, de l'ex-
traction du minerai brut (bauxite) jusqu'au stade
final où le produit fini, l'aluminium, est produit,
mis en vente et vendu. Sa filiale de la Jamaïque
devait faire face aux exigences du gouverne-
ment jamaïquain, qui ont entraîné un ajustement
vers le haut du prix des matières premières dont
avait besoin la demanderesse pour mener à bien
l'exploitation de son organisation lucrative.
Ainsi, la demanderesse et sa filiale, Aljam, ont
décidé, pour des raisons commerciales, d'accep-
ter la hausse du coût de ses matières premières.
Ainsi qu'il a été déclaré dans l'arrêt Hall-
strom's Pty. Ltd. c. Federal Commissioner of
Taxation 4 la solution «dépend de l'effet envi-
sagé de la dépense du point devue pratique et
commercial, plutôt que de la classification juri-
dique des droits, s'il en est, garantis, employés
ou épuisés en cours de route».
En l'espèce, la demanderesse a pris une
«décision fondée sur des considérations prati-
ques et commerciales», car la demande des
autorités jamaïquaines était raisonnable et justi-
fiée vu les circonstances et parce qu'elle tenait à
assurer le maintien de ses relations amicales
avec le pays-hôte.
[1969] 1 R.C.É. 96 à la page 102.
4 (1946) 72 C.L.R. 634 à la page 648.
La présente affaire ressemble un peu à la
situation qu'a eu à étudier le juge en chef
adjoint Noël dans l'affaire Pigott Investments
Limited c. La Reines. Dans cet arrêt, il a été
décidé que les dépenses engagées n'étaient
qu'un aspect d'une opération commerciale dont
l'objet était de tirer un revenu de l'entreprise de
construction de la demanderesse. En fait, la
filiale n'était devenue que le simpe mandataire
de la demanderesse et les dépenses du manda-
taire étaient celles du mandant.
L'avocat de la défenderesse a de plus fait
valoir que la demanderesse n'était aucunement
tenue en droit de verser à Aljam une partie de
l'indemnité payée par Canbaco et que cette
somme ne pouvait donc pas être déduite du
revenu de la demanderesse. La jurisprudence ne
confirme pas ces arguments. Il ressort claire-
ment des précédents qu'une dépense effectuée à
titre de «cadeau» ou par souci de probité com-
merciale pourra être déduite dans le calcul du
revenu 6 . Ladite dépense a été engagée par souci
de probité commerciale (à cause de la forte
position de la Jamaïque d'un point de vue moral)
et pour conserver la réputation de la demande-
resse en sa qualité de personne morale, bonne
citoyenne de la Jamaïque par l'entremise de sa
filiale jamaïquaine, Aljam.
Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus
que c'est à juste titre que, dans son année
d'imposition 1966, année du paiement, la
demanderesse a déduit de son revenu ladite
somme de $1,447,078.
L'appel est donc accueilli avec dépens. La
cotisation de la demanderesse pour son année
d'imposition 1966 sera déférée au Ministre pour
nouvelle cotisation conforme à ces motifs.
5 [1973] C.T.C. 693.
6 Voir: Olympia Floor & Wall Tile (Quebec) Ltd. c.
M.R.N. [1970] R.C.E. 274 et Pigott Investments Limited c.
La Reine (note 5 ci-dessus).
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.