A-213-74
Joseph Fritz Edouarzin (Requérant)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intime)
Cour d'appel, le juge Pratte, les juges suppléants
Hyde et St-Germain—Montréal, les 29 et 30
octobre 1974.
Examen judiciaire et appel réunis—Immigration—Ordon-
nance d'expulsion—Le requérant n'est pas considéré être
«non-immigrant authentique»—Mariage du requérant après
l'ordonnance d'expulsion—Refus de la Commission d'appel
de l'immigration d'accorder un redressement spécial—Exclu-
sion de certains éléments de preuve—Erreur de droit—Renvoi
à la Commission pour nouvelle audition—Loi sur la Com
mission d'appel de l'immigration, art. 15(1) et 23—Loi sur la
Cour fédérale, art. 28.
Un appel, réuni à une demande d'examen judiciaire a été
interjeté de la décision de la Commission d'appel de l'immi-
gration qui avait rejeté un appel d'une ordonnance d'expul-
sion et refusé d'exercer son pouvoir lui permettant d'accor-
der un redressement spécial en vertu de l'article 1-5(1) de la
Loi sur la Commission d'appel de l'immigration pour des
motifs de pitié et des considérations d'ordre humanitaire.
A l'appui de sa demande, le requérant s'est fondé sur le
fait que la Commission d'appel de l'immigration refusa de
permettre à son épouse de faire état d'une rencontre surve-
nue entre le fonctionnaire à l'immigration, son épouse et
lui-même portant sur leur projet de mariage; il est avancé
que lors de cette rencontre, le fonctionnaire à l'immigration
leur déclara qu'ils pouvaient se marier sans craindre de
problème.
Arrêt: l'ordonnance d'expulsion est annulée et la question
renvoyée à la Commission pour une nouvelle audition. La
Commission d'appel de l'immigration a commis une erreur
de droit en refusant d'entendre le témoignage qui ne consti-
tuait pas de l'ouï-dire, mais était admissible. Si pareille
erreur n'avait pas été commise, il est possible que la déci-
sion de la Commission ait été différente et que celle-ci aurait
accordé le redressement spécial pour des considérations
d'ordre humanitaire et des motifs de pitié, en vertu de
l'article 15(1) de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration.
DEMANDE.
AVOCATS:
C. Hargreaves pour le requérant.
Georges R. Léger pour l'intimé.
PROCUREURS:
Hargreaves, Monette, Trudel et Leduc,
Montréal, pour le requérant. -_
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Voici les motifs du jugement prononcés orale-
ment en français par
LE JUGE PRATTE: Le 24 juillet 1974, la Com
mission d'appel de l'immigration a confirmé l'or-
donnance d'expulsion qu'un enquêteur spécial
agissant en vertu de la Loi sur l'immigration
avait prononcée contre le requérant et a
ordonné que cette ordonnance soit exécutée le
plus tôt possible. Le requérant a attaqué cette
décision de deux façons: d'abord, en la façon
prévue à l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale et, ensuite, en faisant appel suivant
l'article 23 de la Loi sur la Commission d'appel
de l'immigration. Par ordonnance du juge en
chef prononcée le 17 septembre 1974, les deux
procédures ont été réunies.
Le requérant est de nationalité haïtienne.
Arrivé à Dorval le 21 février 1973, il a demandé
à être admis au Canada à titre de visiteur. Le
fonctionnaire à l'immigration qui l'a alors inter-
rogé fut d'avis, qu'il ne pouvait être admis au
Canada et, suivant l'article 22 de la Loi sur
l'immigration, signala ce fait à un enquêteur
spécial. Le 23 février 1973, l'enquêteur spécial
tint une enquête au terme de laquelle il ordonna
l'expulsion du requérant au motif que celui-ci
n'était pas un «non-immigrant authentique». Le
même jour, le requérant déposa un avis d'appel
à la Commission d'appel de l'immigration.
L'affaire fut entendue par la Commission le
12 juillet 1974. A l'audience, il fut établi que le
28 mai 1973, après le prononcé de l'ordonnance
d'expulsion, le requérant avait épousé une de
ses compatriotes, immigrante «reçue» vivant à
Montréal, et que, de ce mariage, une enfant était
née à Montréal au mois de mai 1974.
Devant la Commission, le requérant n'a pas
contesté la validité de l'ordonnance d'expulsion.
Il a seulement fait état de son mariage et de la
naissance de son enfant pour demander que la
Commission exerce en sa faveur les pouvoirs
extraordinaires que lui accorde l'article 15(1) de
la Loi sur la Commission d'appel de l'immigra-
tion. Suivant cet article 15(1), la Commission,
lorsqu'elle rejette un appel d'une ordonnance
d'expulsion, peut néanmoins annuler cette
ordonnance ou en suspendre l'exécution,
compte tenu de «l'existence de motifs de pitié
ou de considérations d'ordre humanitaire qui, de
l'avis de la Commission, justifient l'octroi d'un
redressement spécial». La Commission a refusé
d'accorder un redressement spécial au requérant
et, dans les motifs de sa décision, elle s'est
exprimée comme suit à ce sujet:
L'appelant a épousé le 28 mai 1973, soit trois mois après
son arrivée, une citoyenne haïtienne, immigrante reçue, et ce
alors qu'il était sous le coup d'une ordonnance d'expulsion.
Il n'a jamais été question lors de l'enquête spéciale que
l'appelant connaissait une compatriote résidant à Montréal,
qu'il pouvait fournir une adresse et encore moins qu'il était
dans ses plans de l'épouser.
Son épouse a déclaré lors de l'audition de l'appel (p. 10 de
la transcription des débats) qu'elle était au courant que son
mari était sous le coup d'une ordonnance.
PRÉSIDENT
Vous saviez qu'il était sous le coup d'une ordonnance
quand vous l'avez épousé? c'est oui ou non?
J. F. EDOUARZIN
Oui.
On enfreint délibérément les lois pour demander ensuite
qu'on ait pitié de ses actes. Quand deux adultes posent, en
toute connaissance de cause, un geste qui engage leur
avenir, ils doivent être prêts à en subir les conséquences. Il
faut suivre et observer les lois et les règlements du pays
dans lequel on veut émigrer, le statut d'immigrant étant un
privilège et non un droit.
La Cour a déjà usé de sa compétence discrétionnaire en
faveur d'un conjoint, mais dans le cas qui nous intéresse, la
Cour ne serait pas justifiée d'agir ainsi comme d'ailleurs
dans les causes de Tsemanakis (1970 (III) - A.I.A. p. 133) et
Bastas (30-10-70, non publié, dossier: 69-1832) dans les-
quelles la Cour a refusé d'accorder un redressement spécial,
d'autant plus que la Loi sur l'immigration et le Règlement de
l'immigration pourvoient déjà un moyen de relever la
situation.
Madame Edouarzin peut subvenir aux besoins de son
enfant puisqu'elle travaillait déjà avant son mariage et que le
gouvernement verse une somme aux mères pour les frais de
garderie.
Pour ces motifs, la Cour ordonne que l'on procède à
l'exécution de l'ordonnance d'expulsion, conformément aux
dispositions de l'article 15(1) de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration.
Les motifs de la décision de la Commission
ne mentionnent pas que, lors de son témoignage,
l'épouse du requérant avait déclaré que, avant
de se marier, elle-même et son mari étaient allé
voir le fonctionnaire à l'immigration qui avait
ordonné l'expulsion du requérant et que cet
officier leur avait alors déclaré qu'ils pouvaient
se marier sans craindre de problème.
Si la Commission n'a pas fait état dans les
motifs de sa décision de cette partie du témoi-
gnage de l'épouse du requérant, c'est, semble-
t-il, parce que la Commission a considéré qu'il
s'agissait là d'une preuve qui n'était pas admissi
ble. Cela ressort des remarques suivantes faites
alors du témoignage de madame Edouarzin
devant la Commission:
PRÉSIDENT
Alors, c'est à la suite des conversations avec M. Meilleur'
que vous avez décidé d'épouser monsieur malgré l'ordon-
nance d'expulsion, si je comprends bien?
S. EDOUARZIN
Il avait dit qu'on aura pas de problème, qu'on peut se
marier. C'est ce qu'il m'avait dit.
PRÉSIDENT
C'est assez étrange qu'un ... .
Y. LEMAY 2
Madame la Présidente, je trouve très curieux qu'on ait fait
une réponse similaire. Devant la déclaration, je crois que la
meilleure chose à faire, de façon à s'assurer de ce qui a été
mentionné, ce serait que M. Meilleur soit ici présent et
détermine ce qu'il a déclaré.
PRÉSIDENT
Cela c'est du oui-dire. Je ne peux pas accepter cela
comme preuve de ce que vous avancé [sic]. Je n'ai absolu-
ment rien. M. Meilleur n'est pas ici.
Comme en a convenu l'avocat de l'intimé,
l'affirmation de l'épouse du requérant ne consti-
tuait pas du ouï-dire et, en conséquence, était
admissible en preuve. La Commission a donc
commis une erreur de droit en affirmant le
contraire. Si pareille erreur n'avait pas été com-
mise, il est possible que la décision de la Com
mission eût été différente. Pour cette raison, je
suis d'opinion que la décision de la Commission
ordonnant l'exécution immédiate de l'ordon-
nance de déportation devrait être cassée et que
l'affaire devrait être renvoyée à la Commission
pour qu'elle décide, après une nouvelle audition
si elle le juge à propos, s'il y a lieu pour elle
d'accorder au requérant un redressement spécial
en vertu de l'article 15(1) de la Loi sur la
I Monsieur Meilleur est le fonctionnaire qui avait ordonné
l'expulsion du requérant.
2 Monsieur Lemay était le représentant de l'intimé.
Commission d'appel de l'immigration. J'ordon-
nerais que la Commission prenne pour acquis en
rendant cette décision que cette partie du témoi-
gnage de l'épouse du requérant à laquelle j'ai
référé, constitue une preuve admissible.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE a souscrit à l'avis.
* * ■
LE JUGE SUPPLÉANT ST-GERMAIN a souscrit à
l'avis.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.