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In re la Loi sur la citoyenneté canadienne,
S.R.C. 1970, c. C-19; in re un appel de la décision
du tribunal de la citoyenneté canadienne; et in re
Sydney Durward Tremayne (Appelant)
Cour d'appel de la citoyenneté, le juge Maho-
ney—Ottawa, le 25 mars 1974.
Citoyenneté—Appel d'un rejet d'une demande de citoyen-
neté—L'appelant est-il «de bonne vie et mceurs»—A-t-il «une
connaissance suffisante des responsabilités et privilèges de la
citoyenneté canadienne»—Déclaré coupable d'une infraction
criminelle—Condamné d une peine d'emprisonnement et mis
en liberté conditionnelle—Y a-t-il preuve de réhabilitation—
Loi sur la citoyenneté canadienne, art. 10(1)d) et f).
La question de savoir si la personne demandant la
citoyenneté est «de bonne vie et moeurs», au sens de l'article
10(1)d) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, doit être
déterminée en fonction de l'époque à laquelle la Cour exa
mine la question; une telle personne qui a été déclarée
coupable d'une infraction criminelle peut à bon droit être
déclarée de bonne vie et moeurs si elle a purgé sa condamna-
tion, en prison ou autrement, si elle a par la suite démontré
par sa conduite et sa manière de vivre qu'elle s'est réhabili-
tée et si elle présente à la Cour les témoignages de person-
nes, autres que des parents, sur sa manière de vivre en
citoyen respectueux des lois et utile à la société.
Arrêt approuvé: In re Dervishian [1968] 2 R.C.É. 384.
APPEL d'une décision du tribunal de la
citoyenneté.
AVOCATS:
P. D. Eberlie pour l'appelant.
P. Beseau amicus curiae.
LE JUGE MAHONEY—Le présent appel est
interjeté d'une décision du tribunal de la
citoyenneté canadienne, recommandant au
Secrétaire d'État de ne pas accorder de certifi-
cat de citoyenneté à l'appelant. Cette décision
était fondée sur la conclusion que l'appelant ne
répondait pas aux exigences des alinéas d) et f
de l'article 10(1) de la Loi sur la citoyenneté
canadienne.
10. (1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un
certificat de citoyenneté à toute personne qui n'est pas un
citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la
satisfaction du tribunal
cl) qu'elle est de bonne vie et moeurs et n'est pas sous le
coup d'une ordonnance d'expulsion;
f) qu'elle possède une connaissance suffisante des res-
ponsabilités et privilèges de la citoyenneté canadienne et a
l'intention d'observer le serment d'allégeance ... .
L'appelant est sujet britannique et est marié à
une citoyenne canadienne, infirmière diplômée.
Ils n'ont pas d'enfants, mais l'appelant subvient
partiellement aux besoins de sa fille agée de dix
ans, confiée à la garde de sa première femme
après leur divorce. La pension alimentaire a été
versée régulièrement. C'est après avoir été mis
en liberté conditionnelle que l'appelant a
divorcé et s'est remarié.
L'appelant est écrivain et réside au Canada
depuis plus de 13 ans; il s'est absenté un an en
1964 et 1965, alors qu'il tentait d'établir une
agence canadienne d'information à l'étranger.
Au Canada, avant 1969, il a été agent d'informa-
tion pour une université, rédacteur en chef
d'une revue professionnelle et a été employé
dans les services d'information et de rédaction
de quotidiens de deux villes canadiennes.
Au début de 1969, l'appelant, alors âgé de 35
ans, fut déclaré coupable de possession de stu-
péfiants en vue de faire du trafic et condamné à
14 ans de prison. En appel, la peine fut réduite à
sept ans. Il s'agissait de chanvre indien. Vers la
même époque, et par suite de ces circonstances,
une ordonnance d'expulsion fut émise contre
lui. L'appelant avait déjà été déclaré coupable
de vol à deux reprises à 18 et 19 ans, et avait
été condamné à une amende de £6 la première
fois et à deux années de probation la seconde.
L'appelant semble avoir été un prisonnier
exemplaire. Il devint en effet président d'une
branche d'une association nationale d'entraide
dans cette prison et, sous son impulsion, le
nombre des membres passa de 14 à plus de 40.
Il remit sur pied le journal de l'institution et
lorsqu'on l'invita à le faire, il présenta à un
groupe d'étude du gouvernement provincial
s'occupant de développement et de bien-être
social un exposé remarquable et de grande
envergure. Il prit une part active aux program
mes éducatifs et récréatifs de la prison, en tant
que participant et organisateur. On le considé-
rait donc comme un candidat valable à la libéra-
tion conditionnelle.
Par suite d'un appel interjeté à la Commission
d'appel de l'immigration, celle-ci décida de sur-
seoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion
tout en exigeant que l'appelant se présente tous
les quatre mois devant un fonctionnaire à l'im-
migration, sous réserve d'un nouvel examen de
l'appel par la Commission deux ans plus tard.
Une fois ledit sursis à l'exécution accordé, il n'y
avait plus d'obstacles à la libération condition-
nelle et, en moins d'un mois, on lui accorda la
libération conditionnelle de jour; il avait purgé
25 mois de sa peine, plus le temps passé en
prison entre son arrestation et sa déclaration de
culpabilité. Par la suite, dès qu'il fut déclaré
admissible, il fut mis en liberté conditionnelle
pure et simple.
L'appelant sortit de prison avec $23 en poche
et aucune dette. Après avoir vainement tenté sa
chance comme vendeur, il utilisa son talent
d'écrivain pour travailler à la fois comme jour-
naliste à la pige et comme expert-conseil en
communications. Entre autres choses, il rédigea
des articles pour une campagne provinciale
fructueuse, dont le but était d'encourager
l'adoption des enfants difficiles à placer, il écri-
vit des articles pour des revues spécialisées et
fonda un journal hebdomadaire. Avec l'appro-
bation de son agent de libération conditionnelle,
il avait entre-temps établi son crédit dans une
banque à charte et contracté une dette d'au plus
$7,000.
Le journal eut un certain succès, sauf sur le
plan financier; mais le succès grandissant, l'ap-
pelant disposait moins de temps pour s'adonner
à des occupations plus lucratives. Il vendit donc
sa part à un copropriétaire et trouva une place
dans un organisme gouvernemental à un salaire
annuel dépassant $14,000. Il s'agissait d'un tra
vail dans le domaine des services d'information.
L'appelant gagne présentement plus de $16,000
par année; sa dette envers la banque est infé-
rieure à $5,000 et il évalue son actif net à plus
de $6,000. Sa libération conditionnelle n'est
assortie d'aucune condition spéciale et il n'est
désormais plus tenu de se présenter devant la
police.
L'appelant révéla aux autorités gouvernemen-
tales concernées le fait qu'il était en liberté
conditionnelle et les circonstances de sa con-
damnation; le fonctionnaire qui effectua l'entre-
vue avant sa nomination et qui, en fait, devint
son supérieur immédiat, en était également
informé. L'appelant s'avisa que la citoyenneté
canadienne lui serait utile pour s'élever dans la
fonction publique. Il demanda alors à la Com
mission d'appel de l'immigration d'examiner à
nouveau son ordonnance d'expulsion quelques
mois avant l'expiration du délai de deux ans. La
Commission accéda à sa requête, et, finalement,
annula l'ordonnance d'expulsion. L'appelant
présenta immédiatement une demande de certi-
ficat de citoyenneté canadienne, demande qui
fut rejetée par le tribunal de la citoyenneté
canadienne.
Le représentant de l'appelant l'interrogea sur
tous les points de l'article 10(1) susceptibles de
justifier une décision défavorable. Il n'y a assu-
rément aucun point mentionné en faveur de
l'appelant dans la décision du tribunal avec
lequel je sois en désaccord.
L'appelant n'était pas sous le coup d'une
ordonnance d'expulsion à l'époque en cause et
la décision portant qu'il ne répondait pas aux
exigences de l'article 10(1)d semble donc
fondée uniquement sur la conclusion qu'il
n'était pas de bonne vie et moeurs. Par ailleurs, il
appert que l'appelant avait déjà prononcé le
serment d'allégeance et qu'il avait fermement
l'intention de l'observer. Vu son expérience et
ses activités journalistiques dans plusieurs
régions du Canada, vu aussi son long séjour au
Canada et son intelligence manifeste, c'est sans
doute en se fondant sur une insuffisance quali
tative de sa «connaissance des responsabilités et
privilèges de la citoyenneté canadienne» que le
tribunal a conclu qu'il ne répondait pas aux
exigences de l'article 10(1),O. Du point de vue
quantitatif, la connaissance de l'appelant à cet
égard n'est sûrement pas insuffisante, et si l'on
a décelé chez lui une insuffisance qualitative,
c'est sans doute en raison des circonstances qui
ont permis de conclure qu'il n'était pas de bonne
vie et moeurs. Il s'ensuit donc qu'il suffit de
déterminer si l'appelant est de bonne vie et
moeurs.
Siégeant en Cour d'appel de la citoyenneté
lors d'un appel' interjeté par une personne
déclarée coupable de vol à l'étalage et condam-
née à $25 d'amende un peu moins de quatre ans
avant que le tribunal de première instance ne
conclue qu'elle n'était pas de bonne vie et
moeurs, le président Jackett, le juge Noël (tels
étaient alors leurs titres) et le juge Dumoulin
accueillirent l'appel. En rendant cette décision,
ils soulignèrent qu'il faut déterminer si une per-
sonne est de bonne vie et moeurs en fonction de
l'époque à laquelle la Cour examine la question
et non en fonction d'une époque antérieure où la
proximité d'un acte criminel prouvé ou avoué
entraînerait très certainement une conclusion
négative. Ils poursuivirent en disant [aux pages
385, 386]:
[TRADUCTION] Nous sommes d'avis que, lorsqu'une per-
sonne déclarée coupable d'une infraction criminelle a purgé
la peine d'emprisonnement qui lui a été imposée ou s'est
acquittée de quelque autre manière de toute condamnation
prononcée contre elle à l'égard de cette infraction, et que
lorsqu'elle a par la suite démontré par sa conduite et sa
manière de vivre qu'elle s'est réhabilitée aux yeux des
citoyens bien pensants, cette personne peut à bon droit être
déclarée de bonne vie et moeurs, au sens de l'article 10(1)(1).
Dans le présent appel, en plus des témoignages
de l'appelant et de son épouse, je dispose de
ceux de son directeur de banque, de l'agent de
libération conditionnelle à qui il rendait compte
au début de sa libération conditionnelle, de celui
à qui il rend compte présentement, du fonction-
naire qui devint son supérieur immédiat lorsqu'il
entra au service du gouvernement et de son
supérieur immédiat actuel. La décision du direc-
teur de prison d'accorder la libération condition-
nelle de jour, celle de la Commission nationale
des libérations conditionnelles d'accorder la
libération conditionnelle pure et simple et celle
de la Commission d'appel de l'immigration par-
lent d'elles-mêmes.
On a dit, peut-être facétieusement, que celui
qui n'a jamais été emprisonné ne possède
aucune preuve documentaire de sa santé d'es-
prit. De même, je doute que celui qui n'a jamais
été déclaré coupable puisse produire des preu-
ves manifestes qu'il est actuellement de bonne
vie et moeurs de façon aussi péremptoire que
l'appelant peut le faire.
In re Dervishian [1968] 2 R.C.É. 384.
Si l'appelant avait refusé la libération condi-
tionnelle et était resté en prison, il aurait fini de
purger sa peine au moment de l'audition de cet
appel, compte tenu de la pleine réduction de
peine pour bonne conduite dont il aurait sans
doute bénéficié. Puisque aucune réduction de
peine n'est accordée pendant la libération condi-
tionnelle, sa peine ne prendra en fait pas fin au
cours de l'année. Une telle situation soulève
nécessairement la question de savoir si l'appe-
lant a purgé ou non la [TRADUCTION] «peine
d'emprisonnement qui lui a été imposée ou s'est
acquitté de quelque autre manière de toute con-
damnation prononcée contre lui».
Le représentant de l'appelant a certainement
raison, du point de vue technique, lorsqu'il sou-
tient que cette cour n'est pas liée par le principe
du stare decisis, même si la décision précédente
a été rendue à l'unanimité par trois juges émi-
nents. Il faut cependant reconnaître que cette
dernière décision crée un précédent.
Dans l'affaire Dervishian, la Cour traitait
d'une condamnation à une amende, et, à mon
avis, en parlant de s'acquitter «de quelque autre
manière» d'une condamnation, elle visait les
condamnations autres que l'emprisonnement.
La libération conditionnelle n'était certainement
pas en cause et le jugement n'en fait pas men
tion. Je suis porté à croire que, dans sa décision,
la Cour n'a pas envisagé les cas de libération
conditionnelle.
On aboutirait à un résultat bien singulier si
l'appelant en l'espèce était parvenu, en refusant
la libération conditionnelle et en demeurant en
prison, à lever un obstacle empêchant de le
reconnaître comme étant de bonne vie et
moeurs, tout en se privant, selon toute vraisem-
blance, de la possibilité de démontrer d'un point
de vue pratique qu'il est de bonne vie et moeurs
dans des rapports ordinaires et quotidiens avec
autrui. Une bonne conduite en prison, même
solidement démontrée, ne suffirait certainement
pas pour satisfaire aux exigences de l'article
10(1)d).
A mon avis, au moment de sa libération con-
ditionnelle, l'appelant avait satisfait aux exigen-
ces de la loi en ce qui concerne sa peine d'em-
prisonnement. Il eut alors la possibilité de
démontrer qu'il était capable de vivre en citoyen
respectueux des lois et utile à la société. S'il
avait échoué, il serait retourné en prison et
l'issue de cet appel aurait été tout autre. Mais il
n'a pas échoué et, après trois ans de liberté
conditionnelle, l'appelant peut être reconnu à
juste titre comme étant de bonne vie et moeurs
au sens de l'article 10(1)d) et comme possédant
une connaissance suffisante des responsabilités
et privilèges de la citoyenneté canadienne au
sens de l'article 10(1),O.
L'appel est donc accueilli.
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