A-32-74
John Bay (Requérant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Thurlow et Pratte—Ottawa, le 30 avril et le l er
mai 1974.
Examen judiciaire—Refus du registraire d'ajouter un nom
d une liste de bande d'Indiens—Il ne s'agit pas d'une «déci-
sion» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale—
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, articles 5, 6, 7, 9 et
11.
Le requérant a demandé au registraire d'ajouter son nom
à une liste de bande, en vertu de la Loi sur les Indiens. Le
registraire a refusé au motif qu'à son avis, le requérant
n'avait pas droit d'y être inscrit. Le requérant a demandé
l'examen judiciaire de ce refus en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: la demande est rejetée; il faut faire une distinction
entre l'article 7 de la Loi sur les Indiens et l'article 9. En
vertu de l'article 9, le registraire peut faire tenir une enquête
en cas de protestation relative à l'addition ou au retranche-
ment d'un nom, en vertu de l'article 7, et peut rendre une
décision à cet égard. Mais lorsqu'on lui demande, comme en
l'espèce, d'ajouter un nom en vertu de l'article 7, le regis-
traire peut accueillir ou rejeter la demande, puis, par la suite,
il peut adopter une opinion différente et exercer son pouvoir
d'ajouter ou retrancher le nom. Il n'a pas rendu une «déci-
sion» au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêts suivis: Julius c. Bishop of Oxford [1880] 5 A.C.
214 (H.L.); In re Danmor Shoe Co. Ltd. [1974] C.F. 22.
DEMANDE.
AVOCATS:
D. W. Scott et George Hunter pour le
requérant.
Paul Betournay pour l'intimée.
PROCUREURS:
Scott & Aylen, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement) — Je
souscris aux motifs prononcés par les autres
membres de la Cour. Cependant, étant donné
que la question a de l'importance en ce qui
concerne la compétence de la Cour, je vais
essayer d'exprimer très brièvement et à ma
manière mon opinion sur cette question.
En ce qui concerne le registre des Indiens,
a) l'article 7 confère au registraire le pouvoir
d'ajouter à une liste de bande ou à une liste
générale le nom d'une personne qui a droit à
l'inclusion de son nom dans cette liste et de
retrancher de la liste le nom de toute per-
sonne qui n'a pas droit à l'inclusion de son
nom, et lorsqu'il y a lieu d'exercer ce pou-
voir,' celui-ci devient une obligation d'ajouter
ou retrancher le nom, selon le cas, et
b) en vertu de l'article 9, après avoir fait tenir
une enquête relative à la protestation contre
l'addition ou le retranchement d'un nom résul-
tant de l'exercice du pouvoir conféré par l'ar-
ticle 7, le registraire a le pouvoir de rendre
une décision concernant une telle protesta
tion, et cette décision est définitive et
péremptoire 2 .
Lorsqu'on demande au registraire d'exercer le
pouvoir conféré par l'article 7 d'ajouter ou
retrancher un nom, il doit bien sûr se faire une
opinion sur la question de savoir si la personne
en cause a ou n'a pas droit à l'inclusion de son
nom dans cette liste ce qui donne naissance à
l'obligation d'ajouter ou de retrancher ce nom. Il
y a cependant une différence nette entre l'opi-
nion que se fait le registraire lorsqu'on lui
demande d'exercer le pouvoir conféré par l'arti-
cle 7 et une décision rendue par le registraire
dans l'exercice de son pouvoir de rendre une
décision en vertu de l'article 9. Une fois que le
registraire a exercé son pouvoir de rendre une
décision en vertu de l'article 9, cette décision a
un effet juridique et son pouvoir à cet égard est
épuisé. Cependant, lorsque le registraire se fait
une opinion sur la question de savoir s'il a
l'obligation en vertu de l'article 7 d'ajouter ou
de retrancher un nom, cette «décision» n'a
aucun effet juridique. Dans un tel cas, rien n'a
été décidé en droit. Après s'être fait une opinion
dans un cas donné, le registraire lui-même, ou
son successeur, peut, à tout moment dans ce
même cas, adopter une opinion différente, et il
peut, par la suite, exercer son pouvoir en vertu
1 Julius c. Bishop of Oxford, [1880] 5 A.C. 214 (ILL.).
2 En vertu de l'article 9(2), une telle décision est définitive
et péremptoire sous réserve de la révision prévue à l'article
9(3).
de l'article 7 d'ajouter ou retrancher le nom, en
conformité de cette nouvelle opinion.
A mon avis, une conclusion ou une opinion
qui n'a aucun effet juridique ne constitue pas
une «décision» pouvant être «annulée» en vertu
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Dans le contexte de l'article 28, l'annulation
d'une décision ne peut avoir de sens que lorsque
la décision annulée aurait eu autrement quelque
effet juridique 3 .
* * *
LE JUGE THURLOW (oralement)—Il s'agit
d'une demande présentée en vertu de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale visant à obtenir
l'examen et l'annulation de la décision du regis-
traire, en vertu de la Loi sur les Indiens, refu-
sant d'ajouter le nom du requérant à la liste de
bande des Iroquois de la bande de St-Régis. Le
registraire a fondé son refus sur le fait qu'à son
avis, le requérant n'avait pas droit d'y être ins-
crit et la contestation du requérant porte sur les
motifs de cette conclusion.
C'est l'article 7, un des articles relatifs à la
définition et à l'enregistrement des Indiens, qui
confère au registraire le pouvoir d'ajouter des
noms à une liste de bande. L'article 5 prévoit
que le ministère des Affaires indiennes et du
Nord canadien doit conserver des listes oll est
consigné le nom des personnes ayant droit
d'être inscrites comme Indiens. L'article 6 dis
pose que le nom de chaque personne qui est
membre d'une bande et a droit d'être inscrite
doit apparaître sur la liste de ladite bande et que
le nom de chaque personne qui n'est pas
membre d'une bande mais a droit d'être inscrite
doit être consigné sur une liste générale.
Les articles 7, 8 et 9 disposent que:
7. (1) Le registraire peut en tout temps ajouter à une liste
de bande ou à une liste générale, ou en retrancher, le nom de
toute personne qui, d'après la présente loi, a ou n'a pas
droit, selon le cas, à l'inclusion de son nom dans cette liste.
(2) Le registre des Indiens doit indiquer la date où chaque
nom y a été ajouté ou en a été retranché.
8. Les listes de bande dressées au ministère le 4 septem-
bre 1951 constituent le registre des Indiens et les listes
applicables doivent être affichées à un endroit bien en vue
3 Comparer avec le jugement de la Cour dans l'affaire Re
Danmor Shoe Company Ltd. [1974] C.F. 22 et les juge-
ments qui y sont mentionnés.
dans le bureau du surintendant qui dessert la bande ou les
personnes visées par la liste et dans tous les autres endroits
oh les avis concernant la bande sont ordinairement affichés.
9. (1) Dans les six mois de l'affichage d'une liste conf or-
mément à l'article 8 ou dans les trois mois de l'addition du
nom d'une personne à une liste de bande ou à une liste
générale, ou de son retranchement d'une telle liste, en vertu
de l'article 7,
a) dans le cas d'une liste de bande, le conseil de la bande,
dix électeurs de la bande ou trois électeurs, s'il y en a
moins de dix,
b) dans le cas d'une portion affichée d'une liste générale,
tout adulte dont le nom figure sur cette portion affichée,
et
c) la personne dont le nom a été inclus dans la liste
mentionnée à l'article 8, ou y a été omis, ou dont le nom a
été ajouté à une liste de bande ou une liste générale, ou en
a été retranché,
peuvent, par avis écrit au registraire, renfermant un bref
exposé des motifs invoqués à cette fin, protester contre
l'inclusion, l'omission, l'addition ou le retranchement, selon
le cas, du nom de cette personne, et il incombe à la personne
qui formule la protestation d'établir ces motifs.
Les autres paragraphes de l'article 9 pré-
voient que, dans ce cas, le registraire doit faire
tenir une enquête sur la base de laquelle il
pourra rendre une décision qui sera alors défini-
tive et péremptoire, sous réserve de nouvelles
procédures devant le juge d'une cour de comté
ou d'une cour supérieure afin de déterminer si
c'est à bon droit qu'il a rendu sa décision.
Cependant, les dispositions prévoyant une
enquête à la suite de laquelle est rendue une
décision quant aux droits d'une personne à être
inscrite ne s'appliquent pas à la situation pré-
sente. Le requérant n'est pas une personne dont
le nom a été omis d'une liste affichée, comme le
prévoit l'article 8, et qui en conséquence a pro
testé dans le délai de six mois prévu au paragra-
phe 9(1). Le requérant a simplement demandé
que son nom soit ajouté à la liste conformément
à l'article 7 et cet article est la seule disposition
que son avocat a pu invoquer comme applicable
en l'espèce.
Il convient de remarquer que le paragraphe
7(1) ne confère aucunement au registraire le
pouvoir de décider qui a ou n'a pas droit d'être
inscrit. Ce paragraphe l'autorise simplement à
ajouter le nom d'une personne qui a droit d'être
inscrite ou à retrancher le nom d'une personne
qui n'y a pas droit; il ne prévoit aucune procé-
dure permettant de déterminer les droits en
cause ni ne décrit comment s'acquitter de cette
fonction. Si le registraire ajoute ou retranche un
nom conformément à l'article 7, on peut invo-
quer les procédures prévues au paragraphe 9(1),
déjà mentionné, dans le but de déterminer les
droits en cause. Mais si le registraire refuse
d'ajouter le nom d'une personne qui demande à
être inscrite, les procédures ne s'appliquent pas
excepté dans le cas expressément prévu (c.à-d.
lorsqu'un nom est omis sur une liste affichée
conformément à l'article 8 et qu'une protesta
tion est adressée au registraire dans les délais
fixés) et la Loi n'accorde à l'intéressé aucun
moyen d'obtenir un redressement même s'il a
droit d'être inscrit.
L'avocat du requérant prétend que, dans les
circonstances, le pouvoir de décider qui a ou n'a
pas droit d'être inscrit est implicitement prévu à
l'article 7(1) et que le refus du registraire d'ins-
crire une personne qui en fait la demande cons-
titue une décision susceptible d'examen en vertu
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
A mon avis, le paragraphe 7(1) ne prévoit ni
expressément ni implicitement le pouvoir de se
prononcer sur la question des droits en cause. A
mon avis, dans le cas où une personne a droit
d'être inscrite et se voit opposer un refus, le
moyen d'obtenir un redressement avant l'entrée
en vigueur de la Loi sur la Cour fédérale n'aurait
pas été de considérer ce refus comme une déci-
sion susceptible d'être révisée par voie de cer-
tiorari, mais il aurait fallu demander un redres-
sement par voie de mandamus, au moment où il
aurait eu à faire trancher la question de ses
droits, si elle faisait l'objet d'un litige, non au
registraire mais à la Cour connaissant de la
demande de mandamus.
De même, j'estime que le refus d'inscrire une
personne parce que, de l'avis du registraire, elle
n'a pas droit d'être inscrite ne peut être consi-
déré comme une décision au sens de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale pour la seule
raison qu'il fallait que le registraire se fasse une
opinion sur la question des droits de la personne
afin d'être en mesure de s'acquitter de ses fonc-
tions conformément à l'article 7. A mon sens,
lorsqu'il traite d'une question relevant de l'arti-
cle 7, le registraire n'est pas obligé de faire tenir
une enquête ou d'accorder à quiconque une
audition sur la question de savoir si la personne
a droit à l'enregistrement et une fois qu'il s'est
fait une opinion sur cette question, elle ne lie
personne, car il peut à tout moment en changer
et agir en conséquence.
On a aussi soutenu que le refus constituait du
point de vue pratique une décision. Sans être
insensible à la situation d'une personne dont la
demande d'inscription a été refusée, je ne pense
pas que des considérations relatives à l'effet
pratique de la décision peuvent servir à conférer
au registraire un pouvoir de décision que la Loi
ne lui donne pas expressément.
Ces conclusions suffisent à trancher la
demande et il est inutile d'examiner ou de traiter
du fond de la réclamation du requérant concer-
nant son droit à l'enregistrement et puisque la
question peut encore faire l'objet de procédures
devant la Division de première instance, il n'est
pas souhaitable d'ajouter de commentaires au
fait que je ne suis parvenu à aucune conclusion
définitive ou partielle à cet égard.
Je rejette donc la demande.
* * *
LE JUGE PRArTE—Il s'agit d'une demande
présentée en vertu de l'article 28 l'encontre du
refus du registraire d'ajouter le nom du requé-
rant au registre des Indiens en vertu de la Loi
sur les Indiens.
Pour mieux comprendre le contexte dans
lequel cette demande a été présentée ainsi que
la question de compétence soulevée, il est
nécessaire de rappeler les dispositions suivantes
de la Loi sur les Indiens relatives à l'enregistre-
ment des Indiens:
5. Est maintenu au . ministère un registre des Indiens,
lequel consiste dans des listes de bande et des listes généra-
les et où doit être consigné le nom de chaque personne ayant
droit d'être inscrite comme Indien.
6. Le nom de chaque personne qui est membre d'une
bande et a droit d'être inscrite doit être consigné sur la liste
de bande pour la bande en question, et le nom de chaque
personne qui n'est pas membre d'une bande et a droit d'être
inscrite doit apparaître sur une liste générale.
7. (1) Le registraire peut en tout temps ajouter à une liste
de bande ou à une liste générale, ou en retrancher, le nom de
toute personne qui, d'après la présente loi, a ou n'a pas
droit, selon le cas, à l'inclusion de son nom dans cette liste.
Il faut rappeler enfin que l'article 11 de la Loi
indique quelles personnes ont droit d'être inscri-
tes comme Indiens.
Le requérant, Bay, n'est pas inscrit comme
Indien. Il estime qu'il devrait l'être. Il a
demandé au registraire d'ajouter son nom à la
liste de bande des Iroquois de la bande de
St-Régis. A l'appui de sa demande, il a soumis
des preuves qui, selon son avocat, démontrent
que Bay avait droit à l'inclusion de son nom sur
cette liste de bande. Le registraire a décidé que
la preuve n'était pas suffisante. Il a donc rejeté
la demande de Bay.
C'est cette «décision» du registraire que Bay
demande à la Cour d'annuler en vertu de l'arti-
cle 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Puisque
je suis d'avis que cette cour n'est pas compé-
tente aux termes de l'article 28(1) pour annuler
la prétendue «décision» du registraire, je n'ai
pas l'intention d'exprimer d'opinion sur le fond
des prétentions de Bay.
Il ressort clairement de jugements antérieurs
rendus par cette cour que de nombreuses
expressions d'opinion, qui, dans le langage cou-
rant, sont appelées «décisions», ne constituent
pas des décisions au sens de l'article 28(1). A
mon avis le refus du registraire d'accéder à la
demande de Bay n'est pas une décision dont
l'annulation relève de la compétence de la Cour
en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour
fédérale.
Comme le déclarait le juge en chef dans l'ar-
rêt Danmor Shoe 4 ,
Une décision susceptible d'annulation en vertu de l'article
28(1) doit donc être une décision prise dans l'exercice ou le
prétendu exercice «d'une compétence ou des pouvoirs»
conférés par une loi du Parlement .... Une décision de ce
genre a pour effet juridique de régler l'affaire, ou elle
prétend avoir cet effet. Une fois que, dans une affaire
donnée, le tribunal a exercé sa «compétence ou ses pou-
voirs» en rendant une «décision», la question est tranchée et
même le tribunal ne peut y revenir... .
Dans l'affaire présente, la prétendue décision
du registraire a été rendue en vertu de l'article 7
de la Loi sur les Indiens. Cet article ne confère
pas au registraire le pouvoir de décider si une
personne a droit ou non d'être inscrite comme
Indien; cet article impose seulement au regis-
4 [1974] F.C. 22 à la page 28.
traire l'obligation d'ajouter ou de retrancher du
registre «le nom de toute personne qui ... a ou
n'a pas droit, selon le cas,» d'être inscrite. Si le
registraire refuse à tort de porter au registre le
nom d'une personne qui a droit d'être inscrite, il
manque à son devoir. Cependant, dans un tel
cas, la personne qui a droit d'être inscrite ne
perd pas, du seul fait de ce refus, son droit à
être inscrite. Le refus du registraire d'inscrire
une personne qui a droit d'être inscrite n'a
aucun effet juridique, quelle que soit l'impor-
tance des effets pratiques de sa décision; un tel
refus ne règle aucunement la question du droit à
l'enregistrement, ni ne prétend régler cette ques
tion; le refus ne lie personne. Il ne s'agit pas
d'une décision au sens de l'article 28(1).
Pour tous ces motifs, je rejette la demande.
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