51 /74
In re la Loi sur la citoyenneté canadienne et in
re George Cyrille Laprade (Appelant)
Cour d'appel de la citoyenneté, le juge Walsh—
Montréal, le 14 mai; Ottawa, le 4 juin 1974.
Citoyenneté—Domicile, intention et établissement—Signifi-
cation du mot résidence—Les exigences de présence physique
n'ont pas été remplies—Demande rejetée—Loi sur la citoyen-
neté canadienne, S.R.C. 1970, c. C-19, art. 10(1)b) et g).
L'appelant est né aux États-Unis, mais il est venu au
Canada en 1945 l'âge de 14 ans pour faire ses études
classiques. Par la suite, il a été admis au Canada en tant
qu'immigrant reçu en 1951 et il a étudié à Montréal et à
Washington en vue de devenir prêtre; il s'est joint à l'Ordre
en 1957. Il a fait une autre année d'études à Paris, puis il a
été envoyé comme missionnaire au Bangladesh pendant sept
ans. Il est revenu à Montréal en 1966 pour un congé
sabbatique de six mois et est retourné au Bangladesh pour
revenir au Canada en juin 1973. Il a demandé la citoyenneté
le 29 juin 1973 et il a déclaré avoir toujours considéré le
Canada comme sa demeure bien que ses voeux l'aient obligé
à se rendre oh il était envoyé. Le tribunal de la citoyenneté a
refusé de recommander sa demande de citoyenneté au motif
qu'il ne satisfaisait pas à deux exigences fondamentales: (1)
en vertu de l'article 10(1)b), il devait avoir résidé au Canada
pendant au moins douze des dix-huit mois qui précèdent
immédiatement la date de sa demande et (2) en vertu de
l'article 10(1)g), il devait se proposer d'avoir de façon per-
manente son lieu de domicile au Canada.
Arrêt: l'appel est rejeté. Bien que l'appelant ait convaincu
la Cour qu'il a effectivement abandonné son domicile améri-
cain lorsqu'il a obtenu le statut de résident permanent au
Canada et est devenu membre d'un Ordre dont la maison
mère se trouve dans la province de Québec, acquérant ainsi
un domicile québécois, il n'a néanmoins pas satisfait à
l'exigence de résidence prévue à l'article 10(1)b) parce qu'il
n'a pas résidé au Canada pendant au moins douze des
dix-huit mois qui précèdent immédiatement la date de sa
demande.
Arrêts suivis: Blaha c. Le ministre de la Citoyenneté et
de l'Immigration [1971] C.F. 521 et In re Goldston
[1972] C.F. 559.
AVOCATS:
G. Tremblay amicus curiae.
G. C. Laprade personnellement.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliot & Cie, Montréal, pour
l'amicus curiae.
G. C. Laprade personnellement.
LE JUGE WALsx—Il s'agit d'un appel d'une
décision du juge Françoise Laporte, datée du 9
octobre 1973, rejetant la demande de citoyen-
neté de George Cyrille Laprade pour deux
motifs; d'une part, il ne satisfaisait pas aux
dispositions de l'article 10(1)b) de la Loi sur la
citoyenneté canadienne et, d'autre part, il n'avait
pas l'intention d'avoir son lieu de domicile per
manent au Canada.
La preuve présentée par le révérend Père
Laprade lors de l'audition de son appel a révélé
qu'il est né le 23 octobre 1931 au Massachusetts
(É.-U.), son père étant Américain, et qu'il a la
citoyenneté américaine. En 1945, à l'âge de 14
ans, on l'envoya au collège St-Laurent à Mont-
réal pour y faire ses études classiques et il
poursuivit ses études au Canada jusqu'en 1954,
bien que, de 1945 à 1951, il retournât chez ses
parents, aux États-Unis, pour les vacances. Le 5
août 1951, il fut admis au Canada en tant qu'im-
migrant reçu comme il ressort du certificat qu'il
a produit. A cette même époque, il devint
novice de l'ordre des Pères de la Sainte-Croix à
Montréal et, après deux ans d'études de philoso-
phie dans la région de Montréal, il fut envoyé
pour quatre ans à Washington, par le Supérieur
provincial de l'Ordre pour y étudier la théologie,
soit de 1954 à 1958; l'Ordre lui payait ses
études. Pendant ses deux premières années
d'études, il suivit des cours d'été à Washington,
mais, en 1957 et 1958, il revint à Montréal
pendant l'été. Il reçut la prêtrise au sein de
l'Ordre en 1957. En 1958, l'Ordre l'envoya à
Paris pour une année d'études en sociologie,
puis il partit directement de Paris, affecté en
mission à Chittagong au Bangladesh. Il avait
droit à un congé sabbatique après sept années
passées dans ce pays et revint à Montréal d'avril
à octobre 1966. De cette date à juin 1973, il fut
envoyé de nouveau au Bangladesh.
A son retour au Canada, il fit une demande de
citoyenneté canadienne le 29 juin 1973. Il
affirma que, depuis son arrivée au Canada en
1951 en tant qu'immigrant reçu, il avait toujours
considéré Montréal comme sa demeure et qu'il
souhaitait y rester; il admet cependant qu'étant
dans un ordre missionnaire, il doit, en raison de
ses voeux, se rendre où on l'envoie. L'Ordre
auquel il appartient a quelques missions à Mont-
réal, notamment l'Oratoire Saint Joseph; mais il
ne peut aucunement savoir où sera sa prochaine
mission. Il fait présentement des études de théo-
logie pastorale à Montréal. Il ne perçoit aucun
salaire, mais on lui fournit les vêtements et ses
frais de subsistances, de sorte qu'il n'est aucu-
nement question de déduction d'impôts. Lors-
qu'il part pour le Bangladesh, il laisse ses habits
noirs à la maison mère de l'Ordre à Montréal
puisqu'il porte des habits blancs au Bangladesh
et reprend ses vêtements noirs à son retour à
Montréal où on les lui garde. Lorsqu'il part en
mission, il emporte avec lui tous les livres lui
appartenant personnellement. Excepté ses
livres, il ne possède aucun effet personnel et vit
à la maison mère de l'Ordre lorsqu'il se trouve à
Montréal; on peut donc dire qu'il n'a aucune
résidence personnelle à Montréal bien que lui-
même se considère résident de cette ville, même
pendant les longues périodes où il séjourne
ailleurs.
Le tribunal de la citoyenneté a refusé de
recommander sa demande de citoyenneté au
motif qu'il ne satisfaisait pas aux exigences de
l'article 10(1)b) portant qu'il doit avoir «résidé
au Canada pendant au moins douze des dix-huit
mois qui précèdent immédiatement la date de sa
demande» et de l'article 10(1)g) exigeant qu'il
«se propose d'avoir de façon permanente son
lieu de domicile au Canada».
«Résidence» et «domicile» correspondent à
deux concepts distincts en droit et ne sont pas
synonymes. Puisque les deux termes sont
employés dans la Loi sur la citoyenneté cana-
dienne, il est essentiel de donner à chacun leur
sens plein. Dans la Loi, «lieu de domicile» est
défini de la manière suivante:
2. Dans la présente loi
«lieu de domicile» signifie l'endroit où une personne a son
logis, ou dans lequel elle réside, ou auquel elle retourne
comme à sa demeure permanente, et ne signifie pas un
endroit où elle séjourne pour une fin spéciale ou tempo-
raire seulement;
Le terme «résidence» n'y est pas défini. En
droit international, le domicile d'origine d'une
personne reste le même où que cette personne
réside, à moins qu'elle ne procède à un change-
ment effectif de domicile, et jusqu'à ce moment.
Pour effectuer un changement de domicile, il
faut qu'il y ait un déplacement réel à l'endroit
où le nouveau domicile est établi ainsi que des
indications d'intention montrant que ce déplace-
ment est de nature permanente et que la per-
sonne en cause souhaite faire de ce pays, de
cette province ou de cet état sa demeure perma-
nente. L'«animus manendi» n'est pas déterminé
seulement par les déclarations de la personne en
cause, mais aussi par sa conduite qui vient con-
firmer ou contredire ses déclarations. Lorsque
l'animas manendi est évident, il n'est pas néces-
saire qu'une résidence soit de longue durée au
nouveau lieu de domicile pour opérer un chan-
gement de domicile, et c'est d'autant plus vrai
lorsqu'il est évident, au vu des déclarations de la
personne et de sa conduite, qu'elle a effective-
ment abandonné son domicile antérieur; en
effet, une personne doit avoir à tout moment un
domicile, mais elle ne peut en acquérir légale-
ment un nouveau que lorsque le domicile anté-
rieur a été abandonné.
Si j'applique ces principes aux faits de l'af-
faire présente, je suis convaincu que le Père
Laprade avait effectivement abandonné son
domicile américain lorsqu'il a demandé le statut
de résident permanent au Canada, et l'a obtenu,
et surtout lorsqu'il fut admis comme novice afin
de poursuivre des études devant le mener à la
prêtrise dans un Ordre dont la maison mère, du
moins en ce qui le concerne, se trouve dans la
province de Québec. J'estime donc qu'à ce
moment, il a valablement acquis un domicile au
Canada, ou, plus précisément, au Québec. A
cette époque, il avait déjà été pensionnaire, pen
dant six ans dans un collège classique du
Québec et savait parfaitement que l'Ordre dans
lequel il voulait entrer l'enverrait presque n'im-
porte où dans le monde comme missionnaire, et
qu'il ne reviendrait que de temps en temps à la
maison mère de l'Ordre au Québec. S'il a effec-
tivement poursuivi des études universitaires aux
États-Unis de 1954 à 1958 c'est seulement
parce que l'Ordre l'y envoya et non par choix
personnel, de sorte que rien n'indique qu'il ait
eu, depuis 1951, l'intention de retourner aux
États-Unis, son pays natal, pour y résider.
Ayant donc conclu qu'il est domicilié au
Canada, je n'admets pas l'exclusion fondée sur
l'article 10(1)g) de la Loi. En raison de la nature
de son emploi, il n'est pas aussi libre que d'au-
tres d'exprimer une intention en ce qui concerne
son lieu de résidence future et, si l'on a déjà
conclu qu'il est maintenant domicilié au Canada,
il faut une expression d'intention suffisamment
claire à l'effet contraire pour conclure alors qu'il
a abandonné ce domicile et établi ailleurs un
nouveau domicile. Même s'il pouvait le faire, il
est évident que ce ne serait pas là son intention.
Il souhaite non seulement être domicilié dans la
province de Québec, mais aussi y résider si c'est
possible et, bien qu'il soit prêt, en conformité de
ses voeux, à aller partout où on l'envoie, ce fait
en soi n'est pas suffisant pour invalider cette
intention. Dans la mesure où le rejet de sa
demande est fondé sur l'article 10(1)g) de la
Loi, j'accueillerais donc l'appel.
Le rejet de la demande fondé sur l'article
10(1)b) soulève cependant une question tout à
fait différente puisqu'il s'agit alors de la «rési-
dence» et non du «domicile». Interpréter l'ex-
pression «a résidé» comme l'appelant le vou-
drait, reviendrait à la rendre synonyme du terme
«domicile», ce qui n'est évidemment pas le cas
ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour
à cet effet. Je me réfère à la décision du juge
Pratte dans l'affaire Blaha c. Le ministre de la
Citoyenneté et de l'Immigration' , où il déclare:
La Loi sur la citoyenneté canadienne ne définit pas les
termes «résider» ou «résidence». On peut cependant noter
qu'elle définit l'expression «lieu de domicile» de la façon
suivante:
2. «lieu de domicile» signifie l'endroit où une personne
a son logis, ou dans lequel elle réside, ou auquel elle
retourne comme à sa demeure permanente, et ne signifie
pas un endroit où elle séjourne pour une fin spéciale ou
temporaire seulement;
Les mots «résider» et «résidence» n'étant pas définis par la
loi il faut, pour en préciser le sens, se référer à leur significa
tion ordinaire sous cette seule réserve qu'il semble évident
qu'on ne peut leur donner un sens qui soit identique à celui
que le législateur a donné à l'expression «lieu de domicile».
A mon avis, une personne ne réside au Canada, au sens de
la Loi sur la citoyenneté canadienne que si elle se trouve
physiquement présente (d'une façon au moins habituelle) sur
le territoire canadien. Cette interprétation me semble con-
forme à l'esprit de la loi qui me paraît exiger de l'étranger
qui veut acquérir la citoyenneté canadienne, non seulement
' [1971] C.F. 521, aux pp. 524-25
qu'il possède certaines qualités civiques et morales et désire
se fixer au Canada de façon permanente, mais aussi qu'il ait
effectivement vécu au Canada pendant assez longtemps.
Ainsi, le législateur veut-il s'assurer que la citoyenneté cana-
dienne ne soit accordée qu'à ceux-là qui ont démontré leur
aptitude à s'intégrer dans notre société.
Cette interprétation, d'ailleurs, est confirmée par la com-
paraison que l'on peut faire des versions anglaise et fran-
çaise du sous-alinéa (1)c)(i) de l'article 10. L'expression
«each full year of residence in Canada» qui apparaît dans le
texte anglais de ce sous-alinéa a été traduite, dans le texte
français par les mots «chaque année entière passée au
Canada». [Les italiques sont de moi.]
Si, comme je le pense, il faut donner ce sens restreint au
mot «résider», il est évident que le tribunal a eu raison de
décider que l'appelant n'a résidé au Canada ni pendant cinq
des huit années, ni pendant douze des dix-huit mois, ayant
précédé immédiatement la date de sa demande.
Il est vrai que, dans l'affaire présente, comme
dans l'arrêt Blaha, l'article 10(1)c)(i), selon
lequel il faut avoir résidé au Canada au moins
cinq des huit années qui précèdent immédiate-
ment la date de la demande, ne s'applique pas,
car cette exigence est supprimée par les disposi
tions de l'article 10(8)b) puisque j'ai déjà conclu
que le Père Laprade avait acquis un domicile
canadien avant le 7 juillet 1967. Cela ne résoud
pourtant pas la difficulté résultant de l'article
10(1)b) puisque l'appelant n'a manifestement
pas résidé au Canada pendant au moins douze
des dix-huit mois précèdant immédiatement la
date de sa demande.
Dans l'affaire In re Goldston 2 , le juge Collier
a suivi l'arrêt Blaha.
Il est bien sûr regrettable que le Père Laprade
ait présenté sa demande de citoyenneté le 29
juin 1973, immédiatement à son retour au
Canada en rentrant du Bangladesh, car s'il avait
attendu jusqu'en juin 1974, il aurait satisfait aux
exigences dudit article alors que maintenant, en
vertu de l'article 14 de la Loi, il lui faudra
attendre deux ans à compter de la date du rejet
de sa demande avant de pouvoir en présenter
une autre. En outre, à cette date, il devra à
nouveau avoir résidé au Canada pendant au
moins douze des dix-huit mois précédant immé-
diatement la date de sa demande, afin de satis-
faire aux dispositions de la Loi. Tout cela est
d'autant plus regrettable qu'il serait certaine-
ment un excellent citoyen et il est malheureux
2 [1972] C.F. 559
de devoir rejeter son appel pour des raisons
techniques, mais la Cour n'est pas autorisée à
modifier le droit. Je tiens à remercier Gérald
Tremblay pour l'aide précieuse qu'il nous a
apportée en tant qu'amicus curiae.
Pour les motifs susmentionnés, l'appel est
rejeté.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.