Edgar Nader (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 26 juin; Ottawa, le 27 juillet 1973.
Douanes—Confiscation de marchandises passées en con-
trebande et de la voiture les transportant—Acquittement de
l'inculpé—Saisie confirmée par le Ministre—Compétence de
la Cour—Loi sur les douanes, art. 165, 166(1).
Le demandeur fut acquitté de l'accusation portée en vertu
de l'article 192(3) de la Loi sur les douanes, soit d'avoir
passé en contrebande ou introduit clandestinement au
Canada des bijoux valant plus de $200, mais fut trouvé
coupable d'avoir introduit de la sorte d'autres objets valant
moins de $200. La voiture et les bijoux du demandeur
furent saisis par les douanes lors de son passage et la saisie
fut ultérieurement confirmée par le Ministre conformément
à l'article 163 de la Loi sur les douanes. Le demandeur a
alors intenté la présente action pour obtenir la restitution de
la voiture et des bijoux.
Arrêt: (1) L'action doit être rejetée. D'après les faits, la
voiture et les bijoux pouvaient à bon droit faire l'objet d'une
confiscation pour violation des dispositions de la Loi sur les
douanes, même si le demandeur ne les avaient pas passés en
contrebande.
(2) Le droit de la Cour d'examiner la question n'est pas
influencé par le fait que le demandeur, pour s'opposer à la
décision du Ministre, n'a pas procédé de la façon prescrite
par l'article 165, mais a intenté la présente action.
Arrêt suivi: Le Roi c. Bureau [1949] R.C.S. 368.
ACTION.
AVOCATS:
Claude Deneault pour le demandeur.
Robert Cousineau pour la défenderesse.
PROCUREURS:
C. Deneault, St-Jean (P.Q.), pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
LE JUGE WALSH—Par la présente action, le
demandeur réclame qu'on lui restitue les articles
suivants:
1. une automobile Peugeot 1962;
2. 170 articles variés de bijouterie compre-
nant des boucles d'oreille, des colliers, des
bracelets, des boutons de manchette, des
médaillons, etc.;
3. 11 montres avec des bracelets de cuir;
4. 41 bagues;
saisis le 10 décembre 1971 au bureau de douane
de Blackpool (Québec) avec d'autres objets,
notamment une paire de bottes, un manteau et
un disque, le tout énuméré dans l'acte de saisie
des douanes du 26 avril 1972 et portant le n°
21741/2261 et évalué par le ministre du Revenu
national (pour les douanes et l'accise) à la
somme de $9,328.51. Subsidiairement, si l'on ne
peut lui rendre les objets saisis, le demandeur
réclame que la défenderesse soit condamnée à
lui payer la somme de $9,328.51 avec intérêt à
compter du 24 mars 1972, date à laquelle il a
dûment demandé qu'on lui restitue les articles
saisis. Le 11 décembre 1971, soit le lendemain
de la saisie, des procédures pénales ont été
engagées contre lui en vertu de l'article 192(3)
de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, c. Ç-40
qui se lit ainsi:
192. (3) Quiconque passe en contrebande ou introduit
clandestinement au Canada des marchandises frappées de
droits, d'une valeur imposable de plus de deux cents dollars,
est coupable d'un acte criminel et passible, sur déclaration
de culpabilité, en sus de toute autre peine à laquelle il est
assujetti pour une infraction de cette nature, d'une amende
d'au plus mille dollars et d'au moins deux cents dollars, ou
d'un emprisonnement d'au plus quatre ans et d'au moins un
an, ou à la fois de l'amende et de l'emprisonnement, et ces
marchandises, si elles sont trouvées, sont saisies et confis-
quées sans faculté de recouvrement, ou, si elles ne sont pas
trouvées, mais que la valeur en ait été constatée, la personne
ainsi coupable doit remettre la valeur établie de ces mar-
chandises sans qu'il lui soit possible de la recouvrer.
Finalement, par jugement du 6 mars 1972, il a
été acquitté de l'inculpation d'avoir passé en
contrebande ou introduit clandestinement au
Canada les bijoux en question bien que la Cour
l'ait par ailleurs trouvé coupable d'avoir intro-
duit de la sorte des marchandises valant moins
de $200, savoir, la paire de bottes, le manteau et
le disque. C'est par suite de son acquittement
qu'il a dûment demandé, le 24 mars 1972, qu'on
lui restitue la voiture et les bijoux ainsi saisis.
Cette démarche fut suivie d'un avis officiel de
saisie en date du 26 avril 1972 l'avertissant que
les marchandises étaient sous saisie, qu'il avait
30 jours pour s'y opposer et qu'il pouvait, s'il le
désirait, présenter sa preuve, le tout conformé-
ment à l'article 161 de la loi qui se lit comme
suit:
161. (1) Dès lors, le sous-ministre peut notifier au pro-
priétaire ou au réclamant de la chose saisie ou détenue, ou à
son agent, ou à l'individu censé avoir encouru l'amende ou
la confiscation, ou à son agent, les motifs de cette saisie,
détention, amende ou confiscation, et exiger de lui qu'il
fournisse, dans les trente jours de la date de l'avis, la preuve
qu'il désire apporter dans l'affaire.
(2) Cette preuve peut être faite par affidavit ou par affir
mation, devant un juge de paix, un receveur, un commissaire
autorisé à recevoir les affidavits dans toute cour, ou devant
un notaire public.
Le 25 mai 1972, le demandeur, par l'intermé-
diaire de son avocat, a avisé officiellement le
Ministre qu'il s'opposait à la décision et a pré-
senté sa preuve. Les articles 163 et 164 de la loi
se lisent comme suit:
163. (1) Dès lors, le Ministre peut rendre sa décision dans
l'affaire concernant la saisie, la détention, l'amende ou la
confiscation, et, s'il y a lieu, prescrire les conditions aux-
quelles la chose saisie ou détenue peut être restituée, ou
l'amende ou la chose confisquée remise, ou il peut déférer la
question à la décision de la cour.
(2) Le Ministre peut, par règlement, autoriser le sous-
ministre ou un autre fonctionnaire, selon qu'il l'estime
opportun, à exercer les pouvoirs conférés au Ministre par le
présent article.
164. Si le propriétaire ou réclamant de la chose saisie ou
détenue, ou la personne censée avoir encouru l'amende, ne
donne pas, dans les trente jours après que la décision du
Ministre lui a été notifiée, avis par écrit au Ministre que
cette décision ne sera pas acceptée, cette décision est
définitive.
Conformément à l'article 163, le 31 juillet 1972,
le Ministre a fait savoir au demandeur que les
effets saisis ne lui seraient restitués que s'il
versait un dépôt de $9,328.51, montant qui
serait alors confisqué. Il ne semble pas que le
demandeur se soit conformé aux dispositions de
l'article 164; au lieu de ce faire, il a intenté la
présente action le 27 décembre 1972, deman-
dant que la décision du sous-ministre du Revenu
national en date du 31 juillet 1972 soit annulée
et que les marchandises en question lui soient
restituées.
Le principal argument du demandeur peut
être résumé comme suit: puisque l'avis du 26
avril 1972 fait état d'une accusation d'avoir
violé la Loi sur les douanes en passant en con-
trebande ou en introduisant clandestinement des
marchandises au Canada et que la voiture était
utilisée à cette fin, et que ledit avis l'informe
aussi que si cette saisie ou ces inculpations sont
confirmées les marchandises y mentionnées et
l'argent accepté à titre de dépôt à cet égard
seront passibles de confiscation, et qu'il a été
acquitté, il s'ensuit que la voiture et les mar-
chandises en question ne sont plus passibles de
confiscation. Toutefois, il convient de noter que
l'imprimé normalisé qu'on a utilisé mentionne la
saisie ou subsidiairement les accusations et
qu'en tout cas, c'est un lieu commun en droit de
dire qu'un acquittement d'une inculpation
pénale n'implique pas nécessairement que l'ac-
cusé ne peut être tenu responsable dans des
procédures civiles relatives aux mêmes faits.
A ce stade, il convient de citer certains autres
articles de la loi qui me semblent se rapporter à
la décision à rendre en l'espèce. A l'article 2(1),
on trouve la définition suivante des termes
«saisi et confisqué»:
2. (1) Dans la présente loi ou toute autre loi relative aux
douanes,
«saisi et confisqué», «passible de confiscation» ou toute
autre expression qui pourrait par elle-même impliquer la
nécessité d'un acte quelconque postérieur à l'infraction,
en vue d'opérer la confiscation, ne doit pas s'interpréter
comme rendant cet acte postérieur nécessaire, mais la
confiscation résulte du fait même de l'infraction à l'égard
de laquelle la peine de confiscation est imposée, à-comp-
ter du moment où l'infraction est commise;
Les alinéas b) et c) de l'article 18 sont rédigés
ainsi:
18. Toute personne ayant la charge d'un véhicule, autre
qu'une voiture de chemin de fer, arrivant au Canada, comme
toute personne arrivant au Canada à pied ou autrement, doit
b) avant d'en effectuer le déchargement ou d'en disposer
de quelque façon, faire connaître par écrit au receveur ou
préposé compétent, à ce bureau de douane ou à ce poste,
tous les effets dont elle a la charge ou garde ou dans le
véhicule, et les garnitures, équipements et accessoires du
véhicule, et tous animaux qui le traînent ainsi que leurs
harnais et attelages, de même que les quantités et les
valeurs des effets, équipements, accessoires, harnais et
attelages en question; et
c) sur-le-champ répondre véridiquement à telles ques
tions, relatives aux articles mentionnés dans l'alinéa b),
que lui pose le receveur ou préposé compétent et faire à
ce sujet une déclaration en bonne forme ainsi que l'exige
la loi.
L'article 180(1) renvoie à l'article 18 et se lit
comme suit:
180. (1) Lorsque la personne ayant la charge ou garde de
quelque article mentionné à l'alinéa 18b) a omis de se
conformer à l'une des exigences de l'article 18, tous les
articles mentionnés à l'alinéa b) susdit et dont ladite per-
sonne a la charge ou garde, sont acquis légalement et
peuvent être saisis et traités en conséquence.
L'article 183(1) de la loi couvre la saisie de la
voiture. Il se lit comme suit:
183. (1) Tous les navires, avec leurs canons, palans,
agrès, apparaux et équipements, et les véhicules, harnais,
gréements, chevaux et bestiaux qui ont servi à importer,
décharger, débarquer ou enlever ou à transporter subsé-
quemment des effets passibles de confiscation en vertu de la
présente loi, doivent être saisis et confisqués.
L'article 205(1) prévoit que:
205. (1) Si quelque personne, propriétaire ou non, sans
excuse légitime dont la preuve incombe à l'accusé, a en sa
possession, recèle, garde, cache, achète, vend ou donne en
échange des effets illégalement importés au Canada, que ces
effets soient ou non frappés de droits, ou sur lesquels les
droits légitimes exigibles n'ont pas été acquittés, ces effets,
s'ils sont trouvés, sont saisis et confisqués sans faculté de
recouvrement, et, si ces effets ne sont pas découverts, la
personne ainsi coupable doit remettre la valeur de ces
marchandises sans qu'il lui soit possible de la recouvrer.
L'article 231(1) traite aussi de la confiscation. Il
est rédigé comme suit:
231. (1) Tous effets embarqués ou débarqués, importés
ou exportés, portés ou transportés, contrairement à la pré-
sente loi ou à un règlement, et tous effets ou véhicules, et
tous navires à l'égard desquels les prescriptions de la pré-
sente loi ou d'un règlement n'ont pas été observées, ou au
sujet desquels il y a eu tentative de violer dispositions de la
présente loi ou d'un règlement, peuvent être confisqués.
L'article 248(2) traite du fardeau de la preuve. Il
est rédigé comme suit:
248. (2) De la même manière, si des procédures sont
intentées contre Sa Majesté ou contre un préposé pour
recouvrer des marchandises saisies ou de l'argent déposé
sous l'autorité de la présente loi ou de quelque autre sembla-
ble loi, si une telle contestation se présente, le fardeau de la
preuve incombe à celui qui réclame ces marchandises saisies
ou cet argent déposé, et non à Sa Majesté ou au représen-
tant de Sa Majesté.
La preuve révèle que Nader, un Haïtien qui
réside à Brooklyn, (États-Unis) depuis douze
ans, travaille de jour dans un parc de stationne-
ment. Le soir et durant les fins de semaine, il
vend des bijoux comme travail d'appoint. Sa
femme travaille comme caissière dans un hôpi-
tal de New York si bien que, dans la journée, il
n'y a personne chez eux. Il achète ses bijoux
chez différents grossistes et les vend principale-
ment à des particuliers que d'autres clients lui
envoient. Il visite ses clients potentiels le soir
pour leur vendre ou leur livrer les bijoux. Il n'a
pas de magasin ni de place d'affaire et son stock
n'était pas assuré, bien qu'il se soit renseigné à
ce sujet, car il appert que les primes seraient
exorbitantes. Par sécurité, il transportait tou-
jours sa valise de bijoux avec lui où qu'il aille,
car il craignait de la laisser chez lui d'autant plus
qu'il y avait eu beaucoup de vols avec effraction
dans son quartier. D'après son témoignage, peu
de temps avant sa visite au Canada il avait
trouvé un coup de poing américain derrière chez
lui alors qu'il déposait les ordures et il l'avait
mis dans sa poche en pensant qu'il pourrait lui
servir pour se protéger. Apparemment, il ne lui
était jamais venu à l'esprit de louer un coffre à
la banque pour y déposer ses bijoux et peut-être
que, de toute façon, ce système n'aurait pas été
très pratique puisqu'il faisait le gros de ses
affaires le soir et en fin de semaine. De toute
façon, au cours des différents voyages qu'il
avait effectués au Canada, ce qu'il faisait envi-
ron une fois par an avec sa femme et ses
enfants au cours de l'été en rapport avec un
pèlerinage annuel à Notre-Dame du Cap près de
Trois-Rivières, il avait toujours apporté sa
valise de bijoux avec lui. Il avait toujours indi-
qué au préposé aux douanes qu'il n'avait .,rien
d'autre que ses effets personnels, il n'avait
jamais été fouillé et n'avait jamais eu de problè-
mes auparavant. Lors de ses voyages, il séjour-
nait chez différents amis, d'autres ex-Haïtiens
qui ont témoigné qu'il ne leur avait jamais
montré les bijoux ni essayé de leur vendre quoi
que ce soit. Tant sa femme que lui même ont
juré qu'il n'avait jamais rien vendu au Canada.
Il avait en fait quelques clients canadiens qui lui
achetaient des articles lorsqu'ils passaient par
New York. Lors de ce voyage du 10 décembre
1971, c'est la première fois qu'il venait au
Canada sans sa femme et la première fois en
hiver. Un de ses amis, Germain Bruneau, un
Haïtien qui habite aux États-Unis depuis 1969
et qui occupe un emploi permanent dans ce
pays, l'accompagnait; ce dernier, n'étant jamais
venu au Canada, avait indiqué à Nader qu'il
aimerait l'accompagner lorsqu'il y ferait un
voyage. Nader a déclaré qu'il avait beaucoup
travaillé et qu'il était fatigué et pensait qu'une
longue fin de semaine à Montréal avec des amis
le reposerait. A New York, un autre ami dont la
femme et l'enfant habitaient à Montréal lui a
demandé de leur apporter certains articles ce
qu'il a accepté de faire. Il s'agissait de vête-
ments pour le bébé, d'aliments pour le bébé,
d'un disque, d'un manteau d'enfant et de bottes
pour la femme. Il les avait mis dans le coffre de
sa voiture. La valise de bijoux était sur le siège
arrière et c'était apparemment la seule valise
qu'il emportait, mais il avait quelques vêtements
et chemises dans un sac de voyage, un complet
suspendu à un crochet le long de la porte arrière
et les autres pliés sur le siège arrière. Son ami
Bruneau avait posé sa valise sur le plancher de
la voiture du côté du passager. Il a témoigné que
les sacs de voyage pliés sur le siège arrière ne
recouvraient pas la valise de bijoux mais qu'il se
pouvait que le complet suspendu à l'arrière la
cache en partie.
Vers 15h30, ils arrivèrent au bureau de
douane et au premier arrêt, après avoir montré
leurs pièces d'identité, se virent demander ce
qu'il y avait dans la voiture et s'ils avaient des
cadeaux. Nader répondit qu'il n'avait que des
effets personnels et quelques «commissions»,
terme qu'il a apparemment utilisé pour désigner
les articles qu'il apportait à la femme de son
ami. La preuve est quelque peu contradictoire
sur le point de savoir s'il a fait cette déclaration
au premier arrêt ou s'il a seulement mentionné
les commissions au deuxième arrêt quand le
préposé aux douanes a entrepris d'examiner sa
voiture. Les préposés aux douanes ont déclaré
formellement qu'ils lui avaient demandé, de la
façon habituelle, s'il avait d'autres objets que
ses vêtements. Nader soutient qu'ils avaient uti-
lisé le terme effets personnels et qu'il considère
les bijoux comme faisant partie de ses effets
personnels. Quoiqu'il en soit, on leur a alors dit
de passer par la voie 2 qui est celle empruntée
par les voitures qui poursuivent leur route après
un examen superficiel. La voie 3 est celle desti
née aux voitures des Canadiens rentrant au
Canada avec quelque chose à déclarer, voitures
qui sont garées sur le côté et examinées. Ceci
dit, le préposé aux douanes n'était apparemment
pas immédiatement libre et, après avoir attendu
cinq minutes environ, Nader a stationné sa voi-
ture sur le côté et est entré dans le bureau de
douane. Il attira l'attention d'un préposé qui
sortit et, comme la voiture était maintenant dans
la zone où on les examine de plus près, lui
demanda d'ouvrir le coffre. La preuve est quel-
que peu contradictoire sur le point de savoir
exactement ce qui s'est alors produit; le préposé
aux douanes Lavoie a déclaré que Nader n'avait
pas mentionné qu'il avait des commissions jus-
qu'à ce qu'il l'ait questionné dans le bureau,
après avoir découvert les bijoux. Nader déclare
qu'avant d'ouvrir le coffre, il a retiré la valise du
siège arrière et l'a montrée au préposé aux
douanes après que ce dernier eut regardé les
articles dans le coffre. On lui a demandé d'ou-
vrir la valise, révélant les bijoux; il fut alors
amené dans le bureau et fouillé. C'est alors
qu'on découvrit la présence du coup de poing
américain et d'autres bijoux dans l'une de ses
poches; il déclara qu'il s'agissait de bijoux
cassés qu'un client lui avait donnés à réparer et
qu'il avait gardés dans sa poche pour ne pas les
confondre avec les bijoux de la valise. Le pré-
posé aux douanes déclare que la valise était
sous les vêtements dans le sac en plastique sur
le siège arrière et non dans la main de Nader et
qu'il lui a demandé de la sortir pour l'examiner.
Nader soutient qu'avant d'ouvrir la valise il a dit
au préposé des douanes qu'elle contenait ses
effets personnels.
Le demandeur Nader soutient qu'il n'avait
absolument pas l'intention d'entrer les bijoux en
contrebande au Canada ou de les y vendre, mais
qu'il les transportait simplement avec lui comme
d'habitude, par mesure de sécurité. Il a déclaré
que le prix des bijoux était plus élevé aux États-
Unis qu'au Canada, qu'il aurait de toute façon
été illogique d'essayer de les vendre au Canada
et qu'il n'avait jamais effectué de telles ventes.
En fait, rien dans la preuve indique qu'il l'a fait
par le passé ou qu'il avait l'intention de le faire à
cette occasion, même si le motif de ce voyage
au Canada peu de temps avant la saison des
Fêtes, époque où, normalement, les bijoux se
vendent le mieux, accompagné d'un ami au lieu
de sa femme comme à l'accoutumée, alors qu'il
n'avait jamais fait un voyage de ce genre à cette
saison les années précédentes, ne semble vrai-
ment pas convaincant puisqu'un voyage de trois
jours de New York à Montréal en voiture en
hiver ne semble pas vraiment être le meilleur
moyen de se reposer. De toute façon, je trouve
difficile de croire qu'un homme d'affaire qui
achète des bijoux dans la région de New York à
titre d'emploi à temps partiel depuis plusieurs
années et qui, du moins ces dernières années, a
obtenu le permis approprié, qui garde des docu
ments et des livres comptables bien tenus à cet
égard et qui achète les bijoux, en grande partie
d'origine italienne, à des grossistes et des impor-
tateurs à New York, ait été assez peu familier
avec les douanes pour croire qu'il pouvait entrer
légalement une valise contenant une quantité
importante de bijoux au Canada, sans droit de
douanes et sans les déclarer, même s'il n'avait
pas l'intention de les vendre au Canada. Il me
semble aussi difficile de croire qu'un homme
d'affaire puisse considérer une valise de bijoux,
constituant son stock de marchandises, comme
étant assimilable à ses effets personnels.
D'après la preuve portée à ma connaissance, je
ne considère pas que les marchandises étaient
cachées ou dissimulées de quelque façon que ce
soit dans la voiture et il est très possible qu'il
n'y ait aucune intention coupable d'entrer les
marchandises en contrebande au Canada. Il
semble donc que son acquittement de toute
accusation criminelle portée contre lui en vertu
de l'article 192 de la loi soit tout à fait appro-
prié. Ceci ne veut toutefois pas dire, comme le
soutient le demandeur, que les marchandises et
la voiture ne sont pas susceptibles d'être saisies.
Pour interpréter la loi, on doit en examiner
toutes les dispositions et il ressort clairement
que le demandeur a contrevenu à certains autres
articles de la loi, tels que ceux cités ci-dessus. Il
a déclaré qu'il savait ne pas avoir le droit d'im-
porter des marchandises au Canada à titre de
cadeau à la femme de son ami pour rendre
service à cet ami et qu'il était prêt à payer tout
droit de douane imposé à cet égard. Il admet
avoir fait plusieurs opérations de ce genre à
d'autres occasions. Sans aucun doute, il a omis
de faire connaître par écrit toutes les marchan-
dises dont il avait la charge ou la garde ou qui se
trouvaient dans le véhicule, comme l'exige l'arti-
cle 18b) de la loi. Ainsi, les marchandises
deviennent passibles de confiscation en vertu de
l'article 181 et la voiture en vertu de l'article
183(1). Sans aucun doute, il avait en sa posses
sion des effets importés illégalement au Canada
sans excuse légitime au sens de l'article 205(1).
Invoquer la crainte d'être volé s'il laissait les
bijoux chez lui pour expliquer leur transport
peut être une justification raisonnable à son
point de vue, mais ce n'est certainement pas une
excuse légitime pour leur importation illégale.
Sans aucun doute, il avait des effets au sujet
desquels il y a eu tentative de violer les disposi
tions de la loi, les rendant par là-même passibles
de confiscation en vertu de l'article 231(1).
La prétention du demandeur selon laquelle,
s'étant limitée à l'article 192(1)a) de la loi dans
son avis de saisie du 26 avril 1972, la défende-
resse ne peut maintenant se prévaloir d'autres
dispositions de la loi, a été rejetée de manière
catégorique dans l'arrêt Le Roi c. Bureau [1949]
R.C.S. 368. Il est vrai que, dans ce cas-là, la
contrebande était plus évidente puisqu'après
avoir simplement déclaré un revolver, on a
trouvé dans la voiture de l'intimé une quantité
très importante de cigarettes qu'il importait au
Canada à une époque où il fallait un permis
spécial d'importation; l'intimé n'avait ni excuse
légitime ni justification pour ce faire. Il est aussi
vrai que, dans ce cas-là, le Ministre avait déféré
la question à la Cour pour faire trancher le litige
conformément aux dispositions de l'article 176
de la loi, tel qu'il existait alors, et, qu'en tran-
chant la question, la Cour s'est rapportée à
l'article 177 de la loi lui donnant des pouvoirs
étendus pour examiner l'affaire d'après les
documents et la preuve soumis et toute autre
preuve qui pouvait lui être présentée et pour
décider suivant le bien-fondé de l'affaire, mais
ces articles sont identiques aux présents articles
165 et 166(1) de la loi:
165. Si le propriétaire ou réclamant de la chose saisie ou
détenue, ou la personne censée avoir encouru l'amende,
donne au Ministre, dans les trente jours après que la déci-
sion du Ministre lui a été notifiée, avis par écrit que cette
décision n'est pas acceptée, le Ministre peut déférer la
question à la cour.
166. (1) Lorsque le Ministre a déféré pareille question à
la cour, cette dernière entend et examine l'affaire d'après les
papiers et témoignages soumis, et d'après toute autre preuve
que produit, sur les ordres de la cour, le propriétaire ou
réclamant de la chose saisie ou détenue, ou la personne
censée avoir encouru l'amende, ou la Couronne, et la cour
décide suivant le bien-fondé de l'affaire.
Le fait que le demandeur, au lieu d'aviser le
Ministre dans les trente jours que sa décision du
31 juillet 1972 ne serait pas acceptée, confor-
mément à la procédure établie à l'article 165,
permettant par là-même au Ministre de déférer
la question au tribunal s'il le désirait, a décidé
plutôt d'intenter directement une action contre
la défenderesse pour obtenir la restitution des
marchandises ou le paiement de leur valeur telle
que fixée par le Ministre, n'influe pas, à mon
avis, sur le droit de la Cour d'examiner à fond la
question conformément à l'article 166(1) sans se
limiter à l'examen du seul article de la loi en
vertu duquel on a effectué la saisie. Une fois la
question déférée à la Cour, soit par le Ministre
soit, comme en l'espèce, par le demandeur lui-
même, on ne peut limiter le droit de la Cour
d'examiner la question dans son ensemble. En
conséquence, je ne pense pas qu'on puisse dis-
tinguer l'affaire Bureau (précitée) de l'affaire
actuelle. Dans cette affaire-là, après avoir men-
tionné les différents articles de la loi que l'in-
timé avait violés, outre l'article 217(3), après
son acquittement de l'accusation portée en vertu
de cet article, le juge en chef Rinfret a déclaré,
aux pages 377 et 378:
[TRADUCTION] Revenons à nouveau à l'alinéa p) de l'arti-
cle 2; les expressions «saisi et confisqué», «passible de
confiscation» ou «frappé de confiscation», ou toutes les
autres expressions qui pourraient en elles-même impliquer
qu'il est nécessaire de faire quelque chose à la suite de la
contravention pour qu'il puisse y avoir confiscation, ne
doivent pas s'interpréter de façon à rendre cette chose
subséquente nécessaire. La confiscation s'impose dès que
l'infraction a été commise et résulte du fait même de l'in-
fraction à l'égard de laquelle la peine de la confiscation est
imposée. En conséquence, en agissant comme il l'a fait,
l'intimé s'est rendu passible de saisie et de confiscation des
cigarettes et de l'automobile, même s'il n'a pas été par la
suite au-delà du bureau de douane avec ses marchandises.
En conséquence, il n'est pas nécessaire de chercher si
l'action de l'intimé relève de la définition de «contrebande».
Le fait de contrevenir aux différents articles que j'ai men-
tionnés suffisait à justifier la saisie des cigarettes et de
l'automobile et leur confiscation. En vertu de l'alinéa p) de
l'article (2)—«la confiscation s'impose dès que l'infraction a
été commise et résulte du fait même de l'infraction»—il
n'est pas besoin d'action ultérieure de l'intimé. Toute action
ultérieure devient inutile et la confiscation s'impose même
en son absence et donc même s'il n'est pas réellement allé
au-delà du bureau de douane avec les cigarettes en sa
possession.
Et à nouveau, aux pages 378 et 379:
[TRADUCTION] Et, en toute déférence, je ne suis pas d'ac-
cord avec le savant président ([1948] R.C.É. 257) selon
lequel, devant la Cour de l'Échiquier du Canada, on devait
trancher la question exclusivement d'après les motifs
donnés par le Ministre quand il a ordonné la saisie et la
confiscation des cigarettes et de l'automobile. En vertu de
l'article 177, qui porte que, dès que le Ministre a déféré
pareille question à la Cour, cette dernière doit examiner
l'affaire d'après les documents et témoignages soumis, et
d'après toute autre preuve que le propriétaire ou réclamant
de la chose saisie ou détenue, ou la personne censée avoir
encouru l'amende, ou la Couronne, produisent sur les ordres
de la cour. Ensuite, elle «décide suivant le droit et la
justice». A mon avis, cet article autorise la Cour de l'Échi-
quier à étudier l'ensemble de la question et les circonstances
qu'on lui a exposées. En l'espèce, c'est précisément ce que
la preuve soumise à cette Cour présentait et l'intimé ne s'y
est pas opposé. Dans les circonstances, la Cour de l'Échi-
quier avait la compétence voulue pour déclarer la saisie et la
confiscation valables au vu de toutes les contraventions à la
loi qui ont été prouvées en l'espèce.
Voici la déclaration du juge Kellock, aux pages
383 et 384:
[TRADUCTION] Le savant juge de première instance a
décidé que l'intimé n'avait pas entré les cigarettes en contre-
bande au Canada et il a ordonné la restitution des marchan-
dises et de la voiture. Il a refusé de suivre la prétention de la
Couronne selon laquelle, bien qu'on n'ait pas établi la
preuve de la contrebande, si la preuve établissait une infrac
tion à toute autre disposition statutaire la Couronne pouvait
trouver un fondement à la saisie effectuée en vertu de l'avis
donné. Le savant juge s'est aussi élevé contre la prétention
de l'intimé selon laquelle, vu son acquittement en vertu de
l'article 217(3), c'était maintenant chose jugée entre les
parties que les cigarettes n'avaient pas été «illégalement
importées» et qu'en conséquence, la saisie ne pouvait être
confirmée.
Considérant les derniers arguments en premier lieu, bien
qu'il puisse être valable de soutenir qu'un acquittement en
vertu de l'article 217(3) empêche par la suite de décider que
les cigarettes ont été «entrées en contrebande» au Canada
au sens de l'article 203, j'estime, pour les raisons que
j'exposerai, que ceci n'empêche pas la Couronne de justifier
la saisie en invoquant d'autres dispositions de la loi.
Voici ce que le juge Estey déclarait à l'égard des
articles 174, 176 et 177 (actuellement, les arti
cles 163, 165 et 166(1)), à la page 391:
[TRADUCTION] Il ressort donc clairement que ces articles
n'imposent pas que le renvoi porte seulement sur un examen
des motifs du Ministre et qu'ils ne prévoient pas non plus
que, si sa décision est fondée sur un article précis de la loi,
on doit la confirmer, la modifier ou l'infirmer sur ce même
article. En l'espèce, le Parlement prévoit un renvoi à la Cour
pour faire trancher la question au fond. Il envisage un
procès de novo devant la Cour de l'Échiquier «d'après toute
autre preuve que ... (l'une quelconque des parties peut
produire) ... sur les ordres de la cour» (art. 177) et, à cet
égard, la rédaction de la conclusion prend une signification
particulière «et (la cour) décide suivant le droit et la justice»
(art. 177).
J'estime donc que, d'après les faits de la pré-
sente affaire, les marchandises en question et
l'automobile qui les transportait, ont été confis-
quées à bon droit. En confirmant cette décision,
il ne semble pas que le Ministre ait agi en vertu
de l'article 205(1), auquel cas les marchandises
en question auraient été saisies «sans faculté de
recouvrement» ni qu'il se soit prévalu de l'arti-
cle 204(2) qui est rédigé comme suit:
204. (2) Est coupable d'une acte criminel et passible de
dix ans d'emprisonnement tout individu qui, portant sur lui
des armes offensives, est trouvé en possession d'effets
sujets à saisie ou à confiscation en vertu de la présente loi
ou de toute loi relative aux douanes, et sachant qu'ils y sont
sujets.
bien qu'on ait trouvé un coup de poing améri-
cain dans la poche de Nader. Le Ministre a
adopté une position plus modérée, prévue à
l'article 163(1) de la loi, en exposant dans son
avis du 31 juillet 1972 les conditions permettant
de recouvrer les marchandises saisies ou déte-
nues, soit le versement d'un dépôt de $9,328.51,
montant qu'il estime représenter la valeur des
marchandises, dépôt qui sera alors confisqué.
Au cours de sa déposition, le demandeur a mis
ce montant en doute déclarant qu'il devait s'agir
du prix de détail puisqu'il n'aurait pas payé plus
de $4,000 pour les bijoux saisis. Je n'estime
toutefois pas que cette preuve non étayée suf-
fise à contredire l'évaluation du Ministre et, en
fait, les dispositions de l'article 164 prévoient
catégoriquement que, si dans les trente jours le
Ministre n'est pas avisé par écrit que sa décision
ne sera pas acceptée, cette décision devient
définitive. Or le demandeur a omis de le faire,
bien qu'il ait effectivement donné un avis sem-
blable en réponse à l'avis officiel de saisie signi-
fié en vertu de l'article 161. De toute façon, la
question du montant que le demandeur doit
payer pour récupérer les marchandises ne m'a
pas été soumise au cours de ces procédures.
Il y a donc lieu de rejeter l'action du deman-
deur avec dépens.
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