T-3692-72
La Reine (Demanderesse)
c.
Canadian-American Loan and Investment Corpo
ration Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Catta-
nach—Vancouver, le 26 novembre 1973;
Ottawa, le 8 janvier 1974.
Impôt sur le revenu—La défenderesse exploite un port de
plaisance—Elle vendit des biens et des bâtiments qu'elle
reloua et poursuivit la même entreprise—Cession d'une part
du bail à la compagnie G (en déficit)—Lien de dépendance—
S'agit-il d'un revenu tiré de biens ou d'une entreprise—Loi de
l'impôt sur le revenu, art. 23.
La compagnie défenderesse a loué à la compagnie G
(alors en déficit) un terrain couvrant à peu près un quart des
lieux où la défenderesse exploitait un port de plaisance. Sur
ce terrain était sis un bâtiment servant d'entrepôt pour des
bateaux de petit gabarit. Le bail prévoyait la cession à la
compagnie G des revenus que tirait la défenderesse de
l'entreposage des bateaux.
Dans sa déclaration d'impôt pour son année d'imposition
1967, la défenderesse a fait figurer la somme de $4,500, soit
le loyer versé en vertu du bail, mais n'a pas fait figurer la
somme de $9,528.60, soit la différence entre les $14,028.60
versés à la défenderesse pour l'entreposage et cédés à la
compagnie G, et lesdits $4,500. La cotisation de la défende-
resse, établie par le Ministre, incluait ces deux sommes. La
Commission d'appel de l'impôt (appelée maintenant Com
mission de révision de l'impôt) rejeta la cotisation.
Arrêt: l'appel est accueilli; la compagnie défenderesse et
la compagnie G avait, dans leur transaction, un lien de
dépendance et, si ce n'était l'exception qui figure à la fin de
l'article 23 de la Loi de l'impôt sur le revenu «à moins que le
revenu ne provienne de biens et que le contribuable n'ait
également transporté ou cédé les biens», on aurait inclus les
montants ainsi cédés à la compagnie G dans le revenu de la
défenderesse.
Mais même s'il y avait transfert de biens, la compagnie G
s'est contentée de verser à la défenderesse un loyer et de
recevoir les sommes versées à la défenderesse par les clients
de l'entrepôt. Ces sommes représentaient le revenu tiré
d'une partie de l'exploitation du port de plaisance, sans que
l'exploitation en ait été modifiée après la signature du bail.
En cela, la défenderesse exploitait une entreprise d'entrepo-
sage. Le revenu en découlant était donc un revenu prove-
nant d'une entreprise et non «un revenu provenant de
biens».
Arrêt suivi: Wertman c. M.R.N. [1965] 1 R.C.É. 629.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
N. A. Chalmers, c.r., et C. H. Fryers pour la
demanderesse.
J. G. Smith pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
la demanderesse.
Russell et DuMoulin, Vancouver, pour la
défenderesse.
LE JUGE CATTANACH—Par les présentes, la
demanderesse interjette appel d'une décision en
date du 14 août 1972 par laquelle la Commis
sion d'appel de l'impôt (appelée maintenant
Commission de révision de l'impôt) a accueilli
l'appel que la défenderesse aux présentes avait
interjeté de la cotisation d'impôt sur le revenu
établie par le ministre du Revenu national pour
son année d'imposition 1967.
La défenderesse est une compagnie par
actions incorporée conformément aux lois de la
province de l'Alberta et elle est immatriculée en
Colombie-Britannique, conformément aux lois
de cette province, en tant que compagnie extra-
provinciale, cette immatriculation lui permettant
d'y exercer son entreprise.
La raison sociale de la compagnie défende-
resse donne une idée inexacte de son activité en
Colombie-Britannique. Elle exploite, sur les
bords du fleuve Fraser, un port de plaisance
appelé «Airport Marina».
La défenderesse était propriétaire d'un terrain
en bordure dudit fleuve, sur lequel était cons-
truit un bâtiment à pans de bois de deux étages,
assez vaste pour contenir 250 bateaux de petit
gabarit ainsi qu'un gros engin de levage fixe
permettant de hisser les embarcations hors de
l'eau au moyen d'élingues, de les faire circuler
au moyen d'un moteur le long d'un rail aérien
jusqu'à l'endroit approprié où on les place sur
un chariot à moteur qui permet à un homme seul
de déplacer facilement le bateau à l'intérieur du
bâtiment pour l'entreposer. Afin de faciliter le
déplacement des bateaux à l'intérieur du bâti-
ment, on les laisse pendant toute la période
d'entreposage sur le chariot sur lequel on les a
placés au départ. Aucun bateau n'a de place
réservée et on les déplace afin d'assurer l'utili-
sation optimale du hangar.
Par acte en date du 6 février 1966, la défen-
deresse vendit le terrain, les bâtiments, les
appontements et l'équipement qu'elle avait utili-
sés pour exploiter le bassin, à une grande com-
pagnie pétrolière qui lui reloua immédiatement
le terrain, les bâtiments et autres équipements
pour une période de deux ans à partir du ler
mars 1966.
En outre, les commissaires du havre de North
Fraser avaient loué à la défenderesse un plan
d'eau longeant la propriété dans les terres. La
grande compagnie pétrolière qui avait acheté
ladite propriété à la défenderesse est aussi deve-
nue locataire de ce plan d'eau. Le bail consenti
à la défenderesse par la compagnie pétrolière,
daté du 7 février 1966, porte aussi sur la reloca
tion de ce plan d'eau.
Pour les locaux en question, la défenderesse
et le bailleur se sont entendus sur un loyer de
$125 par mois, pour une somme égale au loyer
que le bailleur payait au bailleur principal pour
le plan d'eau.
Après avoir reloué les locaux, la défenderesse
poursuivit l'exploitation du port de plaisance
comme elle le faisait précédemment. Cette
entreprise comprenait l'entreposage de bateaux
de petit gabarit dans le hangar ainsi que l'amar-
rage d'au plus mille bateaux à ses quais et
appontements sur le plan d'eau. La défende-
resse exploitait également deux pontons flot-
tants; l'un servait à la vente d'essence, d'huile et
de lubrifiant et l'autre était aménagé avec un
magasin que j'imagine du genre magasin de
fournitures de marine. Dans le cadre de l'exploi-
tation du port de plaisance, la défenderesse
louait ainsi l'équipement tel que des remorques
permettant aux propriétaires de bateaux de les
transporter afin de les ranger chez eux pendant
l'hiver ou de les transporter dans les eaux de
leur choix. La défenderesse assurait en outre le
lavage et l'entretien des bateaux et effectuait
certaines réparations.
La défenderesse fait partie d'un groupe de
compagnies ayant sensiblement les mêmes
actionnaires et administrateurs et une direction
et des vérificateurs communs.
La Georgia Marina Boat Works Ltd. (ci-après
parfois appelée la Georgia) est une des compa-
gnies de ce groupe. Cette compagnie avait
exploité un port de plaisance dans l'anse de
Burrard à Vancouver (Colombie-Britannique)
ou dans ses environs. La Georgia cessa son
activité en 1962, époque à laquelle elle vendit
son actif et fut mise en sommeil. La Georgia
accusait alors un déficit atteignant à peu près
$12,000.
Charles David Christie, comptable agréé et
ancien directeur de banque, était le directeur
général de la Western Business Management
Limited, compagnie affiliée au groupe, assurant
la comptabilité des compagnies membres, y
compris celle de la défenderesse, la Canadian-
American Loan and Investment Corporation
Limited, et de la Georgia Marina Boat Works
Ltd.
Christie savait que la Georgia était en déficit
aux fins de l'impôt et il a témoigné savoir qu'a-
près un certain temps, ses pertes ne pourraient
plus être déduites du revenu.
Il s'est donc mis à la recherche d'une solution.
Il a mis au point un accord en vertu duquel la
défenderesse louait à la Georgia pour une
période de deux ans, par acte en date du 30
septembre 1966, le terrain sur lequel était sis le
bâtiment servant à l'entrepôt des bateaux de
petit gabarit. Ce bail visait à peu près un quart
des lieux où la défenderesse exploitait son port
de plaisance.
Voici le passage du bail qui traite de ce point:
[TRADUCTION] NOUS ATTESTONS QUE ledit bailleur cède audit
locataire, ses agents, administrateurs et ayants droit, A TOUS
ET CHACUN, la parcelle de terrain et les locaux sis dans la
municipalité de Richmond et plus précisément désignés
comme lot A du lot 14 block A de la section 29 B.N. 5R.W 6
sur la carte n° 51813F et, en particulier, le bâtiment à pans
de bois qui s'y trouve aux fins d'entreposage de bateaux de
tous genres, en vertu des contrats de location conclus avec
les propriétaires des bateaux, pour des périodes de durée
diverse. Les revenus provenant de ces contrats de location
sont également cédés au locataire ainsi que le sont les
revenus provenant de l'exploitation des engins utilisés dans
le bâtiment susmentionné pour hisser et abaisser les bateaux
en les rentrant ou en les sortant dudit bâtiment.
Il était convenu que la Georgia verserait
chaque mois à la défenderesse un loyer de $500
pour l'occupation des lieux.
Pendant la période allant du 30 septembre
1966 au 30 juin 1967, c'est-à-dire pendant neuf
mois de l'année d'imposition 1967 de la défen-
deresse se terminant le 30 juin 1967, les reve-
nus provenant des contrats par laquelle la
défenderesse s'engageait à entreposer des
bateaux à moteur et d'autres types d'embarca-
tions s'élevaient à $12,653.60.
Pour cette même période, les paiements reçus
pour utilisation des engins de levage permettant
de rentrer et de sortir les bateaux du hangar se
montent à $1,375.
Le revenu ainsi touché s'élève à $14,028.60.
Dans sa déclaration d'impôt pour son année
d'imposition se terminant le 30 juin 1967, la
défenderesse n'a pas fait figurer le montant de
$14,028.60 en tant que revenu, mais elle a fait
figurer la somme de $4,500, soit les neuf mois
de loyer payés par la Georgia conformément à
l'accord susmentionné, conclu avec celle-ci le
30 septembre 1966.
Christie a franchement reconnu que son seul
but en mettant au point l'accord décrit plus haut
était de permettre le transfert du revenu de la
défenderesse à la Georgia afin que celle-ci
puisse en déduire ses pertes, de sorte que ce
revenu ne soit imposable ni entre les mains de la
défenderesse ni entre celles de la Georgia.
Nul ne conteste que le contribuable peut
arranger ses affaires de manière à réduire ses
charges fiscales du moment que la méthode
adoptée est conforme aux dispositions applica-
bles de la Loi de l'impôt sur le revenu.
La question que soulève cet appel est celle de
savoir si la défenderesse a réussi à ce faire.
Le ministre du Revenu national soutient que
la défenderesse n'a pas réussi.
En établissant la cotisation de la défende-
resse, le Ministre a inclus dans le revenu de
cette dernière la somme de $9,528.60 (soit la
différence entre $14,028.60 et $4,500) et, pour
ce faire, il s'est fondé sur l'hypothèse que:
[TRADUCTION] a) les sommes de $12,653.60 et $1,375.00
sont des sommes dues à la défenderesse par ses clients
conformément aux termes des contrats qu'elle a signés en
acceptant de prendre en charge leurs bateaux afin de les
entreposer;
b) la défenderesse n'a cédé aucun des contrats d'entrepo-
sage à la Georgia Boat Works Ltd.;
c) pendant la période allant du 30 septembre 1966 au 30
juin 1967, la défenderesse s'est présentée comme exploi-
tant une entreprise prenant en charge les bateaux et autres
biens afin de les entreposer et elle a effectivement exercé
ces activités pour son propre compte.
Le principal argument de l'avocat du Ministre
est que, pendant toute l'époque en question, la
défenderesse s'est présentée comme exploitant
une entreprise d'entreposage de bateaux, qu'elle
s'est effectivement occupée de cette entreprise
qui lui a rapporté un revenu de $12,653.60 et de
$1,375 pour l'entreposage et le levage des
bateaux pendant la période allant du 30 septem-
bre 1966 au 30 juin 1967 et que le total de ces
sommes, soit $14,028.60, constitue un revenu
que la défenderesse a tiré de son entreprise et
qu'à ce titre, cette somme doit être incluse dans
son revenu.
L'avocat du Ministre a soutenu subsidiaire-
ment qu'il convenait également d'inclure ces
sommes dans le revenu de la défenderesse en
vertu de l'article 23 de la Loi de l'impôt sur le
revenu, car ces montants ne représentent pas un
revenu provenant de biens, mais des sommes
dues à la défenderesse en vertu de contrats
qu'elle a conclus avec les propriétaires des
bateaux pour le levage et l'entreposage desdits
bateaux et que lesdits contrats n'ont pas été
cédés à la Georgia.
L'avocat de la défenderesse soutient par
contre que l'arrangement mis au point par Chris-
tie pour le compte de la défenderesse et de la
Georgia relève précisément de l'exception
prévue à l'article 23 de la Loi qui dispose que:
23. Lorsqu'un contribuable a, en tout temps avant la fin
d'une année d'imposition (soit avant, soit après l'entrée en
vigueur de la présente loi), transporté ou cédé à une per-
sonne avec qui il ne traitait pas à distance le droit à un
montant qui serait inclus, si ce droit n'avait pas été ainsi
transporté ou cédé, dans le calcul de son revenu pour
l'année d'imposition parce que le montant aurait été par lui
reçu, ou susceptible de l'être, au cours ou à l'égard de
l'année, le montant doit être inclus dans le calcul du revenu
du contribuable pour l'année d'imposition, à moins que le
revenu ne provienne de biens et que le contribuable n'ait
également transporté ou cédé les biens.
En bref, il soutient que le droit au montant
que la défenderesse a cédé à la Georgia était un
revenu provenant de biens et que la défende-
resse avait également transporté ou cédé les
biens dont provient le revenu.
Au paragraphe 2 de la déclaration modifiée, il
est allégué que, pendant toute l'époque en ques
tion, la défenderesse n'a pas traité à distance
avec la Georgia. Au premier paragraphe de sa
défense, la défenderesse reconnaît le bien-fondé
de cette allégation.
D'après moi, le principal argument invoqué au
nom du Ministre veut qu'après avoir conclu
l'arrangement avec la Georgia, la défenderesse
ait continué d'exploiter son entreprise exacte-
ment comme elle le faisait avant la signature de
cet arrangement.
C'est un principe bien établi qu'aux fins de la
Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu, les
bénéfices provenant d'une entreprise consti
tuent le revenu de la personne qui exploite
l'entreprise et, à ce titre, ne constituent pas un
revenu pour une tierce personne à qui cette
somme pourrait éventuellement être transmise.
Par conséquent, il découle de l'argument du
Ministre que la somme de $14,028.60 consti-
tuait le revenu tiré d'une entreprise et que cette
entreprise était celle de la défenderesse.
Comme nous l'avons indiqué plus haut, on
soutient au nom de la défenderesse que ce
qu'elle a fait, relève précisément de l'exception
prévue par l'article 23 précité. La défenderesse
a cédé à la Georgia le droit de recevoir le total
des montants dûs pour le levage et l'entreposage
de bateaux. Si ces montants n'avaient pas été
ainsi transférés, ils auraient été inclus dans le
revenu de la défenderesse pour l'année d'impo-
sition, qu'il s'agisse du revenu tiré d'une entre-
prise ou du revenu provenant de biens. Il est
admis que la défenderesse ne traitait pas à dis
tance avec la Georgia. Il est établi, et les parties
ne contestent pas ce point, que, si ce n'était
l'exception qui figure à la fin de l'article 23 «à
moins que le revenu ne provienne de biens et
que le contribuable n'ait également transporté
ou cédé les biens», c'est à juste titre qu'on
devrait inclure le droit aux montants ainsi trans
portés ou cédés à la Georgia dans le revenu de
la défenderesse.
La défenderesse a transféré la propriété à la
Georgia par un bail en date du 30 septembre
1966. A mon avis, il y a eu «transfert» de
propriété par la défenderesse à la Georgia. Je
n'attache aucune importance au fait que le bail
principal entre l'acheteur de la propriété et la
défenderesse contenait une clause interdisant la
sous-location de la propriété sans l'autorisation
préalable du bailleur principal. Cette question ne
regarde que la défenderesse, à titre de locataire,
et le bailleur. Je n'attache pas non plus d'impor-
tance, vu les circonstances de cet appel, au fait
que la Georgia n'est pas entrée en possession.
La Georgia avait un droit à la possession en
vertu du bail qu'elle avait signé avec la
défenderesse.
Le principal argument de la défenderesse
porte que le montant qu'elle a cédé à la Georgia
était un revenu provenant de biens.
Je vais donc traiter ce point en premier.
La preuve démontre clairement que la Geor-
gia n'avait aucune activité et aucun employé. La
défenderesse poursuivait ses activités exacte-
ment comme elle le faisait avant de louer le
terrain et le bâtiment à la Georgia. La défende-
resse se présentait auprès de ses clients comme
exploitant l'entreprise. Ses employés effec-
tuaient tous les travaux, le levage des bateaux,
leur installation sur des chariots et les déplace-
ments à l'intérieur du bâtiment afin de les entre-
poser de la manière la plus pratique. Les con-
trats de levage et d'entreposage avaient été
conclus entre la défenderesse et les clients.
C'est elle qui recouvrait les paiements des
clients. La défenderesse n'a pas cédé à la Geor-
gia les contrats pour l'entreposage et les opéra-
tions accessoires de levage.
La Georgia s'est contentée de verser à la
défenderesse un loyer mensuel de $500 et de
recevoir chaque mois les sommes versées à la
défenderesse par les clients, ce qui, dans les
neuf mois de l'année d'imposition de la défende-
resse, fait un total de $14,028.60.
Christie, en tant que comptable des deux
compagnies, inscrivait soigneusement ces
sommes dans les livres comptables de la compa-
gnie défenderesse et de la Georgia.
Le simple fait que l'argent n'ait pas changé de
main et que ces opérations aient été simplement
constatées par des jeux d'écriture, n'en fait pas
moins l'équivalent de versement et d'encaisse-
ment d'argent. (Voir Lord Wright dans l'arrêt
Trinidad Lake Asphalt Operating Co., Ltd. c.
Commissioners of Income Tax for Trinidad and
Tobago 1 .)
Je ne peux pas m'empêcher de faire remar-
quer ici que la preuve précédente donne un
appui considérable à l'argument du Ministre
selon lequel les sommes reçues sont un revenu
tiré d'une entreprise par la défenderesse, entre-
prise que cette dernière a continué d'exploiter
sans changement apparent par rapport à la
manière dont elle agissait avant d'accorder le
bail à la Georgia. J'ai de la peine à comprendre
comment on pourrait isoler de l'ensemble de
l'exploitation de l'entreprise une partie des acti-
vités du port de plaisance, à savoir le levage des
bateaux et leur entreposage dans le hangar.
Dans l'arrêt Wertman c. M.R.N. 2 , le juge
Thurlow a eu l'occasion d'examiner la question
de savoir si l'on doit considérer les revenus
provenant de la location de biens immobiliers
comme des revenus provenant d'une entreprise
ou comme des revenus provenant de biens. Il a
soigneusement examiné et analysé les arrêts
canadiens et britanniques qui ont fixé la juris
prudence sur ce point. Il a prêté une attention
particulière au fait qu'en Grande-Bretagne, aux
fins de l'impôt, on calcule le revenu provenant
de biens immobiliers d'après une formule par-
ticulière que prescrit l'annexe A et qu'en consé-
quence, les affaires dans lesquelles le fisc a
tenté d'inclure les loyers provenant de biens
immobiliers dans le calcul des bénéfices aux
termes de l'annexe D en tant que bénéfices
' [1945] A.C. 1, aux pp. 10 et suiv.
2 [1965] 1 R.C.É. 629.
provenant d'un commerce, ne sont pas tout à
fait comparables; on ne peut donc pas les appli-
quer dans une affaire où les dispositions de la
Loi de l'impôt sur le revenu canadienne sont en
cause. Il a cependant conclu que ces affaires
jettent quelque lumière sur la question de la
distinction entre le revenu provenant de biens et
le revenu provenant d'un commerce.
Il a conclu que, lorsqu'on soulève la question,
il faut la trancher d'après les faits de l'affaire en
cause. Je suis tout à fait d'accord avec cette
conclusion ainsi qu'avec les motifs de sa
décision.
A mon avis, de prime abord, le propriétaire
qui encaisse les loyers n'exploite pas une entre-
prise, mais il peut arriver que le propriétaire,
conformément aux clauses d'un contrat de loca
tion, offre une telle gamme de services et y
consacre un tel temps et un tel travail que l'on
puisse considérer, dans une large mesure, le
loyer payé par le locataire comme le prix payé
pour ces services ainsi que pour l'occupation de
la propriété; le rapport entre l'occupation des
lieux et l'utilisation des services peut être telle-
ment étroit qu'on pourrait facilement considérer
la somme entière non pas comme simple loyer
de la propriété, mais comme véritable revenu
d'une entreprise qui consiste à fournir aux loca-
taires des appartements et des services. C'est
une question de fait que de déterminer à partir
de quel point le simple fait de posséder des
biens immobiliers et de les louer devient une
entreprise commerciale avec gestion commer-
ciale.
Pour revenir aux faits de la présente affaire, il
me semble important que les sommes facturées
aux clients l'étaient pour le levage et l'entrepo-
sage de leurs bateaux. Le levage des bateaux
était un service faisant partie intégrante des
opérations d'entreposage. Les bateaux ne pou-
vaient pas être entreposés dans le hangar sans
être levés et, à cette fin, on avait aménagé
d'importantes installations. L'équipement com-
prenait également des chariots. Les chariots
munis d'un petit moteur, qu'un seul homme
suffit à manoeuvrer, permettaient de déplacer les
bateaux à l'intérieur du hangar afin d'assurer
une utilisation maximale de l'espace. Il est à
mon sens encore plus important de noter que le
client ne se voyait pas attribuer un emplacement
donné et qu'il ne pouvait pas en demander un.
Le bateau du client était entreposé à l'endroit
que la défenderesse jugeait le plus pratique et
elle pouvait déplacer le bateau à sa discrétion.
La défenderesse était à mon avis un entrepo-
seur. On a défini l'entreposeur comme quel-
qu'un qui reçoit des marchandises à entreposer
moyennant rémunération. C'est également un
dépositaire à titre onéreux.
En tant qu'entreposeur, il incombe à la défen-
deresse d'exercer une diligence ordinaire dans la
garde et la conservation des biens qui lui sont
confiés. Elle n'est pas assureur. Si les marchan-
dises sous sa garde sont endommagées, c'est à
elle qu'il incombe de prouver que le dommage
n'est pas imputable à sa négligence.
En common law, l'entreposeur a un droit de
rétention des marchandises pour le recouvre-
ment des frais d'entreposage.
Il s'ensuit que l'entreposeur est celui qui
exploite une entreprise d'entreposage reconnue.
Dans le cadre de son entreprise, vu les normes
de diligence auxquelles il est tenu, il incombe
logiquement à l'entreposeur de s'assurer avec
une diligence raisonnable que les marchandises
sont placées dans un endroit qui leur convient.
En l'espèce, la défenderesse était tenue de four-
nir un bâtiment convenable. L'obligation de
fournir un bâtiment convenant à l'entreposage
intérieur des bateaux appartenant aux clients de
la défenderesse est essentiel, mais n'est qu'ac-
cessoire à l'entreprise de la défenderesse et ne
constitue pas en soi cette entreprise. Ce que la
défenderesse fournit à ses clients, c'est un ser
vice d'entreposage pour leurs bateaux.
A mon avis, le revenu en découlant est un
revenu provenant d'une entreprise et non un
revenu provenant de biens.
Vu ma conclusion, il ne m'est pas nécessaire
de trancher la question soulevée par le Ministre,
savoir, que le revenu en question n'a pas cessé
d'être un revenu gagné par la défenderesse,
même après la location des lieux à la Georgia et
je ne vais pas le faire.
Pour les motifs exposés plus haut, l'appel est
accueilli et Sa Majesté a droit à ses dépens
taxés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.