Robert Maxwell Lingley (Demandeur)
c.
La Commission d'examen du Nouveau-Brunswick
(Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald —
Fredericton, le 18 juin; Ottawa, le 11 juillet
1973.
Droit criminel—Criminel acquitté et placé sous garde pour
cause d'aliénation mentale—Commission d'examen—Déci-
sion portant que le prisonnier n'est pas «rétabli», mais s'est
amélioré—Code criminel, art. 16, 547(5)d).
Le demandeur fut jugé non coupable de meurtre pour
cause d'aliénation mentale et placé sous garde dans un
hôpital conformément à l'article 545 du Code criminel. Con-
formément à l'article 523, son cas a été examiné par une
Commission trois fois en 1970 et deux en 1971. Chaque
fois, dans son rapport, la Commission a exposé que, vu la
preuve, l'état du demandeur s'était amélioré, mais qu'il était
encore psychopathe et dangereux sexuellement, qu'il n'était
pas rétabli et qu'il n'était ni dans son intérêt ni dans celui du
public de recommander sa libération. Le demandeur a
intenté une action pour obtenir un redressement par voie
déclaratoire au motif qu'il est rétabli de son aliénation
mentale telle que définie à l'article 16(2) du Code criminel.
Arrêt: son action est rejetée. La Commission d'examen
est en droit de décider que même si le demandeur n'est plus
aliéné mental du point de vue légal, ainsi que le définit
l'article 16, il n'est néanmoins pas «rétabli» au sens de
l'article 547(5)d) quand il est démontré qu'il souffre toujours
de désordres psychopathiques qui le rendraient dangereux
pour le public.
ACTION.
AVOCATS:
David C. R. Olmstead pour le demandeur.
Hazen Strange pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Appleby, Olmstead & Quinn, Fredericton,
pour le demandeur.
Hazen Strange, Fredericton, pour la
défenderesse.
LE JUGE HEALD—Le 15 avril 1963, le deman-
deur fut inculpé de meurtre à St-Jean (Nouveau-
Brunswick). Au procès, il fut jugé non coupable
pour cause d'aliénation mentale. Conformément
aux dispositions des articles 523 (l'actuel article
542) et 526 (l'actuel article 545) du Code crimi-
nel et sur ordonnance du lieutenant-gouverneur
en conseil du Nouveau-Brunswick en date du 22
avril 1963, le demandeur fut placé sous garde et
l'est encore, conformément aux dispositions de
ladite ordonnance. Le demandeur est resté à
l'Hôpital provincial de St-Jean jusqu'en 1972,
puis il fut transféré dans une unité spéciale pour
les malades mentaux criminels à l'Hôpital pro
vincial à Campbellton (Nouveau-Brunswick), où
il est resté jusqu'à ce jour.
Par les Statuts du Canada 1968-69, ce qui est
maintenant l'article 547 du Code criminel a été
adopté pour assurer l'examen des incarcérations
de ce genre. Les parties pertinentes de l'article
547 sont les suivantes:
547. (1) Le lieutenant-gouverneur d'une province peut
nommer une commission pour examiner le cas de chaque
personne qui est sous garde dans un lieu de ladite province
en vertu d'une ordonnance rendue en conformité de l'article
545....
(2) La commission mentionnée au paragraphe (1) doit
comprendre au moins trois et au plus cinq membres.
(3) Au moins deux membres de la commission doivent
être des psychiatres dûment qualifiés et autorisés à exercer
la médecine en conformité des lois de la province pour
laquelle la commission est nommée et un membre au moins
de la commission doit appartenir au barreau de la province.
(4) Trois membres de la commission d'examen, dont au
moins un psychiatre visé au paragraphe (3) et un membre du
barreau de la province, constituent un quorum de la
commission.
(5) La commission doit examiner le cas de chaque per-
sonne mentionnée au paragraphe (1),
a) au plus tard six mois après qu'a été rendue l'ordon-
nance visée dans ce paragraphe relativement à cette per-
sonne, et
b) au moins une fois au cours de chaque période de six
mois qui suit la date où le cas a été antérieurement
examiné, aussi longtemps que cette personne reste sous
garde en vertu de l'ordonnance,
et la commission doit, immédiatement après chaque examen,
faire un rapport au lieutenant-gouverneur énonçant en détail
les résultats de cet examen et indiquant,
d) lorsque la personne sous garde a été trouvée non
coupable, pour cause d'alinéation mentale, si, de l'avis de
la commission, cette personne est rétablie et, dans l'affir-
mative, si à son avis, il est dans l'intérêt du public et dans
l'intérêt de cette personne que le lieutenant-gouverneur
ordonne qu'elle soit libérée absolument ou sous réserve
des conditions que le lieutenant-gouverneur peut
prescrire, ... .
Conformément aux dispositions dudit article,
le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Bruns-
wick a nommé une commission d'examen. Cette
dernière a examiné le cas du demandeur le 14
mai 1970, le 30 octobre 1970, le 4 décembre
1970,1e 7 mai 1971 et le 10 novembre 1971.
A la suite de chacun de ces examens, la
Commission a décidé que le demandeur n'était
pas rétabli et qu'il ne serait ni dans l'intérêt du
demandeur, ni dans celui du public de recom-
mander sa libération.
Le demandeur prétend qu'il ressort des déci-
sions de la défenderesse, en particulier des déci-
sions du 14 mai 1970 et du 29 novembre 1971,
que la façon dont cette dernière a interprété le
mot «rétabli» à l'article 547(5)d) lui permet de
faire une enquête portant sur des points autres
que simplement celui de savoir si le demandeur
était rétabli de son aliénation mentale, telle que
définie à l'article 16 du Code criminel. Le
demandeur prétend en outre qu'à l'audience du
10 novembre 1971, la preuve présentée portait
que le demandeur n'était plus, à ce moment-là,
aliéné au sens de l'article 16 du Code criminel.
A ladite audience, le représentant du demandeur
aurait fait valoir que le mot «rétabli» à l'article
547(5)d) se rapporte nécessairement à l'aliéna-
tion mentale telle que définie à l'article 16 du
Code. Le représentant du demandeur souligne
que, dans sa décision, la défenderesse n'a mani-
festement pas accepté cette preuve ou cet argu
ment. En conséquence, le demandeur aux pré-
sentes sollicite le redressement suivant:
a) une déclaration portant que le mot «réta-
bli» à l'article 547(5)d) se rapporte à la guéri-
son de l'aliénation mentale définie à l'article
16 du Code criminel et telle qu'établie par le
jury au cours du procès du demandeur en
1963; et
b) une déclaration portant que, si la Commis
sion d'examen estime que le demandeur est
rétabli, elle doit recommander sa libération,
totale ou conditionnelle.
Dans sa défense, la défenderesse prétend que
le «rétablissement» et les dispositions de
l'article 16 ne sont pas les seuls critères d'exa-
men pertinents. La défenderesse nie aussi qu'on
lui ait présenté, lors de l'examen du 10 novem-
bre 1971, la preuve irréfutable que le deman-
deur n'était plus aliéné mental.
La défenderesse soutient en outre que la Cour
ne devrait pas faire la déclaration demandée
puisqu'à son avis, une telle conclusion ne servi-
rait à rien car les dispositions de l'article 16 se
rapportent à l'aliénation mentale au moment du
procès et les critères de libération en vertu de
l'article 547 doivent inclure les intérêts du
demandeur et ceux du public en plus du «réta-
blissement»; donc le simple «rétablissement» ne
suffit pas à justifier une recommandation de
libération.
La pièce P-1 est une copie du rapport de la
Commission relatif à l'audience du 14 mai 1970.
La partie essentielle de ce rapport se lit comme
suit:
[TRADUCTION] Ayant examiné le cas de cette personne, y
compris son dossier médical et les renseignements et rap
ports rassemblés par les responsables de l'Hôpital à son
sujet depuis son admission à l'Hôpital provincial sous
mandat du lieutenant-gouverneur ainsi que les dossiers anté-
rieurs à son admission, après son interrogatoire par les
membres de la Commission et après avoir lu les prétentions
écrites qu'elle a déposées en son nom propre, notre Com
mission est d'avis que même si ledit Robert Maxwell Lingley
a appris à se soumettre aux contraintes imposées par l'Insti-
tution, son état reste fondamentalement semblable; il n'est
pas rétabli de la maladie dont il souffrait au moment où il a
commis l'acte pour lequel il a été poursuivi et il ne serait pas
dans l'intérêt du public ni dans son intérêt que le lieutenant-
gouverneur ordonne sa libération.
La pièce P-2 est une copie du rapport de la
Commission relatif à l'audience du 30 octobre
1970. La partie essentielle de ce rapport se lit
comme suit:
[TRADUCTION] A l'unanimité, nous estimons que l'état de
cet homme n'a pas changé et qu'il n'est pas rétabli au sens
de l'article 527A du Code criminel.
La pièce P-3 est une copie du rapport de la
Commission relatif à l'audience du 7 mai 1971.
A l'audience, la Commission a entendu le rap
port détaillé du D- I. A. Kapkin, directeur géné-
ral de l'Hôpital, relatif à 12 séances de psycho-
thérapie qu'il a fait subir au demandeur depuis
la dernière audience. La décision de la Commis
sion se lit comme suit:
[TRADUCTION] A l'unanimité, la Commission est d'avis que
l'état de cet homme ne s'est pas amélioré et qu'il n'est pas
rétabli au sens de l'article 527(A) du Code criminel.
La pièce P-3 porte en annexe la transcription
des notes sténographiques des procédures
devant la Commission. Page 3, on lit que l'avo-
cat du demandeur a posé au Dr Kapkin la ques
tion suivante:
[TRADUCTION] Estimez-vous qu'il est dangereux?
et la réponse a été la suivante:
[TRADUCTION] Oui, il est détraqué. Le rapport psychologique
le définit comme étant détraqué. C'est tout à fait possible.
L'un des médecins, siégant à la Commission a
alors posé au Dr Kapkin la question suivante:
[TRADUCTION] Avanceriez-vous qu'il est possible qu'il
puisse, à un moment donné dans l'avenir, contraindre un
homme, une femme ou un enfant à avoir avec lui des
relations sexuelles contre leur gré?
question à laquelle le Dr Kapkin a répondu:
[TRADUCTION] C'est effectivement ce que je crains.
Le Dr Kapkin a aussi lu à la Commission le
rapport préparé par James Horgan, M.A., psy-
chologue de l'Hôpital. Ledit rapport révèle que
James Horgan a mis le demandeur à l'épreuve
les 26 et 27 mars 1971. Il conclut que le résultat
des épreuves confirme un diagnostic de psycho-
pathie. Il ajoute aussi:
[TRADUCTION] Le pronostic thérapeutique est faible.
La pièce P-4 est une copie du rapport de la
Commission relatif à l'audience du 10 novembre
1971. A ce dernier est joint une transcription
des notes sténographiques prises au cours des
procédures devant la Commission.
A l'audience, j'ai fait savoir aux avocats que
je ne pensais pas que la Division de première
instance soit compétente en ce qui concerne
l'audience de la Commission du 10 novembre
1971, car elle s'est tenue après le ler juin 1971.
J'ai renvoyé les avocats aux observations que
j'ai faites à cet égard dans mes motifs de juge-
ment relatifs à une requête dans cette affaire
(voir: Lingley c. Hickman [1972] C.F. 171) et,
plus précisément, à mes observations à la page
184 desdits motifs. J'estime toujours que la
Cour d'appel fédérale serait le tribunal compé-
tent pour examiner les procédures de la Com
mission du 10 novembre 1971, en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, et
qu'en conséquence, en vertu du paragraphe (3)
de l'article 28, quand la Cour d'appel est compé-
tente la Division de première instance ne l'est
pas. Je n'ai donc pas le pouvoir d'examiner
l'audience de la Commission du 10 novembre
1971.
Considérant maintenant les trois autres
audiences, il ressort clairement d'une lecture
attentive des pièces P-1 à P-3 que la Commis
sion s'est effectivement posé la question de
savoir si le demandeur était rétabli de la maladie
dont il souffrait au moment où il a commis l'acte
pour lequel il a été poursuivi. La rédaction de la
pièce P-1 est tout à fait explicite à cet égard. La
pièce P-2 réitère qu'il n'y a pas eu de change-
ment. La pièce P-3 déclare qu'il n'y a pas eu
d'amélioration et donc pas de rétablissement.
Considérant toutes les preuves qui m'ont été
soumises, je suis convaincu que la Commission
a agi de manière tout à fait appropriée et justi
fiable étant donné les éléments de preuve portés
à sa connaissance. En fait, pour conclure autre-
ment il aurait fallu qu'elle ignore complètement
la preuve médicale qu'on lui soumettait.
Toutefois, l'avocat du demandeur cherche à
obtenir une déclaration de la Cour pour guider
la Commission défenderesse lors des examens
du cas du demandeur à l'avenir, c'est-à-dire
qu'en décidant du «rétablissement», la Commis
sion doit se limiter à la définition légale de
l'aliénation mentale telle qu'elle figure à l'article
16(2) du Code criminel que voici:
16. (2) Aux fins du présent article, une personne est
aliénée lorsqu'elle est dans un état d'imbécillité naturelle ou
atteinte de maladie mentale à un point qui la rend incapable
de juger la nature et la qualité d'un acte ou d'une omission,
ou de savoir qu'un acte ou une omission est mauvaise.
En d'autres termes, le demandeur désire que la
Cour ordonne qu'en examinant le rétablisse-
ment, la Commission considère seulement le
«rétablissement» d'une aliénation mentale d'un
point de vue légal, selon la définition de l'article
16(2), c'est-à-dire que si une personne dans la
situation du demandeur n'est plus aliéné mental
d'un point de vue légal, elle doit être considérée
comme étant «rétablie» au sens de l'article
547(5)d).
Il ressort clairement à la lecture des articles
545 et 547 que l'intérêt public et l'intérêt de
l'accusé lui-même étaient d'importance primor-
diale dans l'esprit du législateur quand il a
adopté ces articles. La lecture de l'article
547(5)d) me convainc qu'en se posant la ques-
tion de savoir si un accusé est rétabli, la Com
mission est fondée à interpréter le «rétablisse-
ment» comme étant le rétablissement total et à
décider que si l'on ne peut plus dire qu'un
accusé est aliéné mental d'un point de vue légal,
selon la définition de l'article 16, il n'est néan-
moins «pas rétabli» dans un cas comme celui-ci,
où des preuves solides démontrent que l'accusé
souffre de désordres psychopathiques qui le
rendraient «dangereux» pour le public si on le
libérait.
Il ressort clairement d'une comparaison entre
les alinéas c) et d) du paragraphe (5) de l'article
547 que le «rétablissement» envisagé à l'alinéa
d) est quelque chose de plus complet que le
«rétablissement partiel» envisagé à l'alinéa c).
L'article 543(1) sert à empêcher le procès
d'un aliéné mental. Se référant à une personne
dans cet état, l'article 547(5)c) demande à la
Commission de déterminer s'il «est suffisam-
ment rétabli pour subir son procès».
Toutefois, l'alinéa d) traite du «rétablisse-
ment» sans aucune réserve de ce genre.
Ce fait démontre clairement que le «rétablis-
sement» que la Commission est tenue de déter-
miner en vertu de l'alinéa d) est quelque chose
de beaucoup plus complet que l'aliénation men-
tale d'un point de vue légal envisagée à l'alinéa
c) et définie à l'article 16(2) du Code.
En conséquence, à mon avis, la Commission a
tout à fait le droit, en vertu de l'alinéa d), de dire
que quelqu'un qui est partiellement rétabli au
point de ne plus être aliéné mental d'un point de
vue légal, selon la définition de l'article 16(2),
mais qui est encore malade mental ou déficient
mental ou qui souffre de désordres psychopathi-
ques et qui est un danger tant pour lui-même
que pour la société par suite de son état, n'est
pas «rétabli» au sens où ce mot est utilisé à
l'article 547(5)d).
En conséquence, je dois refuser le redresse-
ment que le demandeur sollicite en l'espèce.
L'action est rejetée. Il n'y aura pas d'adjudi-
cation de dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.