T-2523-71
Canadian Glassine Co. Ltd. (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Division de première instance, le juge Heald—
Ottawa, le 20 décembre 1973 et le 7 janvier
1974.
Impôt sur le revenu—Dépenses engagées pour la construc
tion de conduites—Elles sont déductibles, d titre de dépenses
engagées pour produire un revenu—Loi de l'impôt sur le
revenu, art. 12(1)a).
La compagnie appelante conclut un accord avec la compa-
gnie A en vertu duquel cette dernière construisit des condui-
tes de vapeur et de pâte à papier, qui restaient la propriété
de la compagnie A et étaient utilisées par la compagnie
appelante dans l'exploitation de son entreprise. La compa-
gnie appelante versa à la compagnie A, sur une période de
25 ans, la somme de $268,623, au titre du coût de construc
tion et, chaque année, déduisit de son revenu 1/25° de ladite
somme. Le Ministre a rejeté ces déductions.
Arrêt: 1. Le fait que la compagnie A ait conservé la
possession des conduites en cause, prive l'appelante du droit
de demander une allocation à l'égard du coût en capital
fondée sur une tenure à bail, conformément à l'article
11(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu et de l'article
1100(1)b) des Règlements.
2. Il ne s'agissait pas de dépenses pour obtenir une con
cession au sens des dispositions de l'article 11(1)a) de la Loi
de l'impôt sur le revenu et de l'article 1100(1)c) des Règle-
ments, en vertu desquels la compagnie pourrait demander
une allocation à l'égard du coût en capital. Arrêt suivi:
M.R.N. c. Kirby Maurice Co. [1958] C.T.C. 41.
3. Les dépenses imputables aux contrats en cause avaient
pour but de faire économiser à l'appelante des sommes
importantes sur le coût des matières premières, ce qui fut le
cas, et relèvent donc de l'exception prévue à l'article 12(1)a)
de la Loi de l'impôt sur le revenu. Rien n'a été ajouté aux
immobilisations de l'appelante, auquel cas il ne pourrait y
avoir de déduction en vertu de l'article 12(1)b). Arrêts
suivis: British Insulated and Helsby Cables, Ltd. c. Ather-
ton [1926] A.C. 205; Anglo-Persian Oil Co. c. Dale [1932] 1
K.B. 124; La Reine c. F. H. Jones Tobacco Sales Co. [1973]
C.F. 825.
4. L'amortissement des dépenses en cause sur un nombre
raisonnable d'années est conforme aux usages de la compta-
bilité. Arrêt suivi: M.R.N. c. Tower Investment Inc. [1972]
C.F. 454.
Les cotisations de l'appelante pour les années d'imposi-
tion 1966 1969 furent déférées au Ministre pour qu'il
établisse de nouvelles cotisations.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
R. de Wolfe MacKay, c.r., et Brian A. Crane
pour l'appelante.
André Gauthier pour l'intimé.
PROCUREURS:
Duquet, MacKay & Cie, Montréal, pour
l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
LE JUGE HEALD—Le présent appel porte sur
les cotisations à l'impôt sur le revenu de l'appe-
lante établies par l'intimé pour les années d'im-
position se terminant en février 1966, 1967,
1968 et 1969.
La seule question à trancher dans le présent
appel porte sur la nature d'une dépense effec-
tuée par l'appelante en 1953 et se chiffrant à
$268,623.48; dans ses déclarations d'impôt sur
le revenu, l'appelante a amorti ses dépenses sur
une période de vingt-cinq ans, en déduisant
donc de son revenu 1/25e de ladite somme pen
dant les années d'imposition susmentionnées.
L'intimé affirme que de telles déductions ne
sont pas admissibles et les a donc rejetées en
fixant l'imposition sur la base des déclarations
de l'appelante pour les années en cause.
Au début du procès, les avocats des deux
parties ont déposé un exposé conjoint des faits
auquel fut annexé un certain nombre de pièces.
L'exposé conjoint des faits se lit comme suit:
[TaADucrioN] En ce qui concerne l'appel interjeté des
cotisations d'impôt de l'appelante pour les années d'imposi-
tion 1966, 1967, 1968 et 1969, l'appelante et l'intimé, aux
fins de cet appel seulement, admettent les faits suivants:
1. La compagnie appelante fut constituée en corporation en
1952 en conformité de la Loi sur les corporations
canadiennes.
2. Par un accord, en date du 15 août 1951, entre la Deer-
field Glassine Company Inc. et la Anglo Canadian Pulp and
Paper Mills Ltd. (pièce n° 1), la Deerfield Glassine Company
Inc. a notamment convenu de faire constituer l'appelante en
corporation et la Anglo Canadian Pulp and Paper Mills Ltd.
a convenu de:
a) fournir 10% des sommes nécessaires à l'occasion à
l'appelante pour terminer la construction de son usine et
acquérir tout l'outillage et l'équipement indispensables à la
fabrication de papier cristal semi -sulfurisé et autres caté-
gories de papier léger;
b) vendre à l'appelante un certain terrain situé dans la
ville de Québec;
c) conclure un accord (ci-après appelé «accord de cons
truction») avec l'appelante, en vertu duquel la Anglo
Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. s'engageait à termi-
ner, à ses propres frais, la construction de deux conduites
souterraines la reliant à l'usine de l'appelante, l'une pour
le transport de la pâte humide que la Anglo Canadian Pulp
and Paper Mills Ltd. devait livrer à l'occasion à l'appe-
lante, l'autre pour le transport de la vapeur que la Anglo
Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. devait livrer à l'occa-
sion à l'usine de l'appelante;
d) conclure un accord (ci-après appelé «contrat relatif à la
pâte à papier») avec l'appelante en vertu duquel elle
devait fournir à cette dernière de la pâte humide pendant
une période de 20 ans, à certaines conditions énoncées
plus en détail dans ledit accord;
e) conclure un accord (ci-après appelé le «contrat relatif à
la vapeur») avec l'appelante en vertu duquel elle devait
fournir à cette dernière de la vapeur pendant une période
initiale de 5 années, renouvelable pour des périodes suc-
cessives d'une année chacune.
4. Le 25 avril 1952 (pièce 2), l'appelante conclut un accord
(accord de construction) avec la Anglo Canadian Pulp and
Paper Mills Ltd.; cet accord stipulait notamment que:
a) la Anglo Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. s'enga-
geait à terminer, à ses propres frais, la construction de
deux conduites souterraines allant de l'usine de la Anglo
Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. à l'usine de l'appe-
lante, l'une d'elles pour le transport de la pâte humide que
la Anglo Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. devait livrer
à l'usine de l'appelante et l'autre pour le transport de la
vapeur que la Anglo Canadian Pulp and Paper Mills Ltd.
devait livrer à l'usine de l'appelante;
b) la Anglo Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. devait
avoir, sans frais supplémentaire, tout droit d'accès néces-
saire à la propriété de l'appelante pour procéder à la
construction, à la réparation et à l'entretien des deux
conduites mentionnées à l'alinéa précédent;
c) la Anglo Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. devait
rester propriétaire desdites conduites;
d) il n'incombait pas à l'appelante de rembourser à la
Anglo Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. le coflt de la
conduite destinée au transport de la pâte; les frais de
dépréciation des conduites de vapeur et de pâte à papier
n'étaient pas à la charge de l'appelante;
5. Le même jour (pièce 3), la Anglo Canadian Pulp and
Paper Mills Ltd. a convenu de vendre et de livrer à l'appe-
lante toute la pâte au bisulfite et toute la pâte à papier
humide pour répondre aux besoins de cette dernière pendant
une période de 20 ans, sous réserve de la prorogation
automatique dudit accord pour des périodes successives de
5 années chacune. (Contrat relatif à la pâte).
6. Le 25 avril 1952 (pièce 4), la Anglo Canadian Pulp and
Paper Mills Ltd. a convenu de vendre et de livrer à l'appe-
lante la vapeur pour répondre aux besoins de cette dernière,
à un prix à déterminer, pendant une période de 5 années,
sous réserve d'une prorogation automatique dudit accord
pour des périodes successives d'une année chacune. (Con-
trat relatif à la vapeur).
7. Le 22 juin 1952 (pièce 5), la Anglo Canadian Pulp and
Paper Mills Ltd. souscrivit:
a) 100,000 actions du capital-actions de l'appelante, entiè-
rement libérées et non évaluables, de classe B, sans valeur
nominale, aux prix total de $171,518.22;
b) des billets à 5% de l'appelante pour la somme en
capital totale de $281,250.00; l'ensemble représentant la
contrepartie de la somme de $452,768.22, soit: $150,-
922.74 correspondant à toutes les avances déjà faites par
la Anglo Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. à l'appelante
et $301,845.48, correspondant à la valeur:
i) d'uii terrain sis dans la ville de Québec transféré à
l'appelante par la Anglo Canadian Pulp and Paper Mills
Ltd.;
ii) de l'accord conclu par la Anglo Canadian Pulp and
Pape: Mills Ltd. en vertu duquel elle s'engageait à
terminer, à ses propres frais, la construction d'une
«conduite de vapeur» et d'une «conduite de pâte à
papier», à la condition que l'appelante rembourse à la
Anglo Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. le coût de la
conduite de vapeur, et
iii) de l'exécution par la Anglo Canadian Pulp and
Paper Mills Ltd. du «contrat relatif à la pâte» et du
«contrat relatif à la vapeur».
8. Le 25 juin 1953, les actions de la classe B et les billets à
5% de l'appelante représentant une valeur globale de $301,-
845.48, ont été émis au nom de la Anglo Canadian Pulp and
Paper Mills Ltd.
9. Le prix du terrain mentionné au sous-alinéa i) fut évalué
par l'appelante à $33,221.00; le coût de la conduite de
vapeur, soit $71,882.00, fut remboursé par l'appelante à la
Anglo Canadian Pulp and Paper Mills Ltd.
En outre, John W. Monaghan, vérificateur des
comptes de l'appelante, fit une déposition au
cours du procès. Il témoigna que la construction
de l'usine de l'appelante à Québec commença en
1952, fut achevée, y compris l'installation de
l'outillage et de l'équipement en 1953 et qu'elle
commença à fonctionner cette année là. Dans
cette usine, l'appelante s'est lancée dans la
fabrication et la vente de papier cristal, un
papier brillant et translucide, imperméable à
l'air, l'eau et l'huile.
Monaghan confirma que les divers contrats
mentionnés au paragraphe 2 de l'exposé des
faits furent conclus et observés par les parties.
Il déclara que les contrats relatifs à la pâte à
papier et à la vapeur étaient encore en vigueur
et continuaient d'avoir leur plein effet.
L'usine de pâte à papier de la Anglo-Canadian
Pulp and Paper Mills Ltd. (ci-après appelée
Anglo-Canadian) est située dans la ville de
Québec, à environ I de mille au sud de l'usine
de l'appelante. Le tunnel où passent les condui-
tes de vapeur et de pâte à papier, part du terrain
de la Anglo-Canadian, passe sous un boulevard
et aboutit à l'usine de l'appelante. Dans ce
tunnel, les deux conduites sont parallèles. Les
conduites furent terminées vers la fin de 1952.
La conduite de pâte à papier est reliée à une pile
laveuse se trouvant dans l'usine de l'appelante.
La pâte humide contenant environ 2% de fibre
pour 98% d'eau, est pompée par la conduite
jusqu'à l'usine de l'appelante où on la lave et où
on en extrait la fibre. La conduite de pâte à
papier sert tous les jours lorsque l'usine de
l'appelante fonctionne. Près de la pièce où se
trouve la pile raffineuse, dans l'usine de l'appe-
lante, une ligne de téléphone directe la reliant à
la Anglo-Canadian permet à l'appelante de faire
savoir à la Anglo-Canadian quand il faut com-
mencer ou cesser de pomper la pâte humide
dans la conduite. Ces opérations de pompage
ont lieu neuf ou dix fois au cours d'une journée
de fonctionnement normale. La conduite est
toujours remplie de pâte humide et l'appelante
en est la seule utilisatrice. La Anglo-Canadian
mesure' à la sortie de son usine la quantité de
pâte qu'elle vend à l'appelante.
La conduite transportant de la vapeur de
l'usine de la Anglo-Canadian à celle de l'appe-
lante est ouverte au début de la semaine de
travail et fonctionne sans interruption. L'usine
de l'appelante a besoin d'un approvisionnement
constant en vapeur, car tout son outillage fonc-
tionne grâce à des turbines à vapeur. La quan-
tité de pâte à papier est mesurée lorsqu'elle
quitte l'usine de la Anglo-Canadian; par contre,
la quantité de vapeur est mesurée lorsqu'elle
entre dans l'usine de l'appelante.
La Anglo-Canadian facture mensuellement
l'appelante pour la pâte à papier et la vapeur. La
quantité de pâte à papier étant mesurée à sa
sortie de l'usine de la Anglo-Canadian, l'appe-
lante paie donc aussi toute la pâte humide se
trouvant dans la conduite à la fin du mois.
L'appelante règle les frais d'entretien, de répa-
rations et d'inspection hebdomadaire des con-
duites. En fait, tous les travaux d'entretien, de
réparations et d'inspection sont effectués par
des employés de la Anglo-Canadian, mais l'ap-
pelante rembourse à cette dernière le coût total
de ces travaux.
Le prix facturé à l'appelante pour la pâte à
papier a toujours été calculé conformément aux
dispositions du paragraphe 5 du contrat relatif à
la pâte; il s'agit du prix annoncé périodiquement
et appliqué aux ventes à l'est du Mississippi,
aux États-Unis, dont on soustrait une remise ou
une réduction égale à 50% du coût du transport
de la ville de Québec à Monroe Bridge (Massa-
chusetts) États-Unis, où est située l'usine de la
compagnie mère, ci-après appelée la Deerfield.
Monaghan déclara que «le prix annoncé
périodiquement» correspond au prix de vente
courant de la pâte à papier au bisulfite vendue
dans l'est du Canada et des États-Unis. Selon
l'usage de cette industrie, le vendeur ou le fabri-
cant de pâte à papier paie le coût total du
transport qui est donc inclus «dans le prix
annoncé». Vu le contrat conclu entre la Anglo-
Canadian et l'appelante, la Anglo-Canadian réa-
lise une économie de fret grâce à l'existence de
la conduite de pâte à papier dans le cas des
ventes à l'appelante par rapport à celles aux
autres clients. Cette économie de fret est en fait
partagée également avec l'appelante par le biais
de la réduction décrite plus haut. Il ressort clai-
rement de l'accord conclu entre l'appelante, sa
compagnie mère et la Anglo-Canadian que la
construction de l'usine de l'appelante dans la
ville de Québec comporte un avantage pour
toutes les parties; elle permet en effet de réali-
ser des économies sur le fret, car il n'est plus
besoin de faire transporter au Massachusetts la
pâte à papier brute nécessaire au fonctionne-
ment de l'usine Deerfield. Le contrat relatif à la
pâte prévoit le partage égal de cette économie
de fret entre l'appelante et la Anglo-Canadian.
Monaghan présenta un exposé détaillé des éco-
nomies effectuées par l'appelante grâce au con-
trat relatif à la pâte conclu avec la Anglo-Cana-
dian (pièce A-4).
La pièce A-4 montre que, de 1955 à 1972,
l'appelante a économisé quelque $802,000 grâce
au prix réduit qu'elle payait pour la pâte
humide, en vertu du contrat relatif à la pâte
conclu avec la Anglo-Canadian (c.-à-d., la
déduction de la moitié du fret). On arrive à ce
chiffre en calculant la quantité totale, en tonnes,
de pâte humide achetée à la Anglo-Canadian, en
prenant le prix du marché que l'appelante aurait
dit payer pour ladite pâte humide si elle l'avait
achetée à une autre que la Anglo-Canadian, et
en soustrayant de ce dernier le prix réel de la
pâte en vertu du contrat.
Le contrat relatif à la pâte avait à l'origine
une durée de 20 ans, renouvelable pour des
périodes de 5 années avec le consentement des
deux parties. Le contrat relatif à la vapeur avait
à l'origine une durée de 5 ans, renouvelable
pour des périodes successives d'une année avec
le consentement des deux parties. Les deux
contrats sont encore en vigueur et continuent
d'avoir leur plein effet, ayant été renouvelés
conformément aux conditions stipulées dans
chaque contrat respectivement.
On arrive au chiffre de $268,623.48, soit la
dépense présentement en cause, en prenant le
chiffre de $301,845.48 mentionné au paragra-
phe 7b) de l'exposé conjoint des faits et en en
soustrayant la valeur du terrain, $33,221, men-
tionné aux paragraphes 7b)i) et 9 dudit exposé.
D'après les contrats et d'après l'exposé con
joint des faits, l'appelante a donc versé à la
Anglo-Canadian ladite somme de $268,623.48
en contrepartie:
1. De l'accord conclu avec la Anglo-Canadian
en vertu duquel elle devait construire, à ses
propres frais, les conduites de vapeur et de
pâte à papier, à la condition que le coût de la
conduite de vapeur lui soit remboursé (elle a
effectivement été remboursée—voir le para-
graphe 9 de l'exposé des faits).
2. De l'exécution par la Anglo-Canadian du
contrat relatif à la pâte et du contrat relatif à
la vapeur.
Conformément aux contrats, les deux condui-
tes sont restées la propriété de la
Anglo-Canadian.
L'appelante a soumis alternativement trois
arguments concernant ladite dépense de $268;
623.48. Elle prétend tout d'abord que ladite
dépense correspond au coût du droit d'utiliser
les conduites de vapeur et de pâte humide et
constitue donc une tenure à bail, à l'égard de
laquelle elle peut demander des allocations du
coût en capital en vertu de l'article 11(1)a) de la
Loi et de l'article 1100(1)b) des Règlements.
Après avoir examiné le contrat relatif à la
vapeur et le contrat relatif à la pâte, je conclus
que ces accords ne contiennent pas toutes les
caractéristiques essentielles d'un bail de sorte
que l'appelante bénéficiât d'«une tenure à bail»
au sens usuel de ce terme.
Voici la définition de bail que donne le Living
Webster Dictionary:
[TRADUCTION] ... Contrat autorisant l'usage et la possession
d'un terrain et/ou d'immeubles pour une durée déterminée et
moyennant un certain prix, habituellement payable par ver-
sements successifs; ... [Les italiques sont de moi.]
The Shorter Oxford Dictionary définit le loca-
taire comme [TRADUCTION] «... celui qui a le
bien en sa possession». En outre l'article
1612(1) du Code civil de la province de Québec
fait de la délivrance de la chose louée une
caractéristique essentielle du bail. Il ressort des
faits que la Anglo-Canadian, aux termes des
contrats relatifs à la pâte à papier et à la vapeur,
doit livrer la pâte et la vapeur à l'usine de
l'appelante et que la possession continue des
conduites par la Anglo-Canadian est nécessaire
pour qu'elle soit en mesure de s'acquitter desdi-
tes obligations.
En conséquence je suis convaincu que la
Anglo-Canadian a conservé la possession des
conduites en cause, et que, puisque la déli-
vrance de la chose au locataire est une caracté-
ristique essentielle du bail, le bail n'existe pas et
l'appelante ne détient donc pas de tenure à bail.
J'estime donc que l'appelante n'est pas en droit
de demander une allocation à l'égard du coût en
capital fondée sur une tenure à bail.
En deuxième lieu, l'appelante prétend que
ladite dépense représente . la somme versée pour
obtenir une concession conformément aux dis
positions de l'article 11(1)a) de la Loi et de
l'article 1100(1)c) des Règlements et qu'elle
peut donc, à ce titre, demander une allocation à
l'égard du coût en capital.
L'article 1100(1)c) se lit comme suit:
1100. (1) En vertu de l'alinéa a) du premier paragraphe
de l'article 11 de la Loi, il est par les présentes alloué au
contribuable dans le calcul de son revenu d'une entreprise
ou de biens, selon le cas, des déductions pour chaque année
d'imposition égales
c) au montant qu'il peut réclamer à l'égard de biens de la
catégorie 14 dans l'Annexe B sans dépasser le moindre
(i) de l'ensemble des montants obtenus pour l'année en
répartissant ce que chacun des biens lui a coûté en
capital sur la durée utile restant aux biens au moment
où le coût a été encouru, ou
(ii) du coût en capital non déprécié, pour lui, des biens
de la catégorie à la fin de l'année d'imposition (avant
d'opérer quelque déduction en vertu du présent paragra-
phe pour l'année d'imposition);
La catégorie 14 de l'Annexe B se lit comme
suit:
Les biens constituées par un brevet, une concession ou un
permis de durée limitée à l'égard des biens ... .
Je suis d'avis que, vu les faits de l'espèce,
même si l'appelante avait une concession, ladite
concession n'avait pas été accordée pour une
«durée limitée» comme l'exige la catégorie 14
de l'Annexe B. En l'espèce, le contrat relatif à la
pâte avait une durée de vingt ans, et le contrat
relatif à la vapeur une durée de cinq ans.
Chaque contrat prévoyait des renouvellements
automatiques pour des périodes de cinq années
et d'une année respectivement à moins qu'une
des parties, par notification écrite à l'autre, ne
mette fin à la durée initiale ou prorogée. En fait,
il s'agit d'une durée' illimitée plutôt que limitée 1 .
Je conclus donc que l'appelante n'est pas en
droit de demander une allocation à l'égard du
coût en capital pour ladite dépense comme s'il
s'agissait d'une concession.
L'appelante prétend en troisième lieu que la
dépense en cause est une somme déboursée ou
dépensée par elle en vue de tirer un revenu de
son entreprise et est donc déductible à ce titre
en vertu de l'article 12(1)a) de la Loi, et amortie
à juste titre sur toute la durée des contrats
relatifs à la pâte à papier et à la vapeur en
conformité des usages comptables dans une
entreprise de la nature de celle du contribuable.
L'intimé prétend par contre que la dépense en
' On trouve un point de vue similaire sur des faits sembla-
bles dans le jugement de la Cour de l'Échiquier, rendu par le
juge Cameron, dans l'affaire M.R.N. c. Kirby Maurice Co.
Ltd. [1958] C.T.C. 41.
cause représente la contrepartie de l'engage-
ment pris par la Anglo-Canadian de construire
des conduites souterraines pour la vapeur et la
pâte à papier et d'exécuter «le contrat relatif à
la pâte» et le «contrat relatif à la vapeur»; selon
lui, un tel engagement constitue un bien incor-
porel de capital pour lequel on ne peut déduire
aucune allocation û l'égard du coût en capital,
car une telle allocation n'est autorisée par aucun
des Règlements de l'impôt sur le revenu. L'in-
timé prétend en outre que, même si ladite
dépense est jugée déductible, elle aurait dû
l'être du revenu de l'année d'imposition pendant
laquelle elle fut effectuée, soit 1953, et que
l'appelante n'était pas autorisée, à des fins fisca-
les, à reporter aux années suivantes une
dépense effectuée en 1953.
Je vais examiner tout d'abord la question de
savoir si la dépense en cause est une somme
déboursée ou dépensée par l'appelante afin de
tirer un revenu de son entreprise et si, à ce titre,
il s'agit d'une dépense déductible de son revenu.
Il semble évident que la somme versée par
l'appelante à la Anglo-Canadian relève de l'ex-
ception prévue à l'alinéa a) de l'article 12(1) 2 ,
car il s'agit bien d'une somme déboursée en vue
de gagner ou de produire un revenu tiré de
l'entreprise de l'appelante. La preuve établit que
ladite dépense eut en fait pour résultat d'accroî-
tre le revenu net de l'appelante de $802,000 au
cours de la période 1955-1972, accroissement
qui n'aurait pu être réalisé sans l'existence du
contrat relatif à la pâte. Il reste donc à détermi-
ner si ledit paiement, comme le prétend l'avocat
de l'intimé, est une somme déboursée ou un
paiement à compte de capital et relève de l'ali-
néa b) de l'article 12(1) 3 .
Le critère habituellement appliqué afin de
déterminer s'il s'agit d'un paiement à compte de
capital dans une affaire comme la présente, fut
2 12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
a) d'une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la
mesure où elle l'a été par le contribuable en vue de gagner
ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise
du contribuable,
6) d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplace-
ment de capital, d'un paiement à compte de capital ou
d'une allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou
d'épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la
présente Partie,
exposé par le vicomte Cave dans l'affaire Brit-
ish Insulated and Helsby Cables, Ltd. c. Ather-
ton [1926] A.C.205 à la p. 213:
[TRADucnoN] Mais quand on fait des dépenses non seule-
ment une fois pour toutes, mais encore dans le but d'appor-
ter un élément d'actif ou un avantage pour le bénéfice
durable d'un commerce, je pense qu'il y a de très bonnes
raisons (en l'absence de circonstances particulières condui-
sant à une conclusion contraire) de traiter une telle dépense
comme si elle était à juste titre imputable non pas au revenu
mais au capital.
Appliquant ce critère à l'espèce présente, j'es-
time qu'on ne peut à bon droit déclarer que la
dépense en cause a apporté un avantage pour le
bénéfice durable du commerce de l'appelante,
au sens de cette expression dans le passage cité
ci-dessus. Les dictionnaires donnent ordinaire-
ment comme synonymes du mot «durable», les
mots «permanent» ou «constant» (The Living
Webster Dictionary, à la p. 325). Le sens de
ladite expression est analysé dans l'affaire
Anglo-Persian Oil Co. c. Dale [1932] 1 K.B. 124
par le Lord juge Lawrence à la page 142 où il
établit un parallèle entre les expressions [TRA-
DUCTION] «bénéfice durable» et [TRADUCTION]
«avantage permanent». Les faits de cette affaire
étaient très semblables à ceux de l'affaire pré-
sente. Dans cette affaire, la compagnie contri-
buable avait conclu un accord décennal avec
une autre compagnie lui donnant mandat de
gérer ses entreprises pétrolières en Iran et en
Orient. La rémunération de la compagnie man
datée s'avéra être plus élevée et plus coûteuse
que la compagnie contribuable ne l'avait prévu;
elle décida donc de mettre fin au mandat et de
se charger elle-même des travaux en question en
Orient. En conséquence, huit ans après la con
clusion de l'accord qui devait durer dix ans, la
compagnie contribuable et la compagnie manda
tée ont convenu de mettre fin au mandat et, en
retour, le contribuable paya à la compagnie
mandatée la somme de £300,000. La compagnie
contribuable a considéré que ce versement était
une dépense d'exploitation et la déduisit de son
revenu par tranches de £60,000 pendant cinq
ans. La Cour d'appel anglaise décida d'admettre
la déduction desdites sommes. A la page 139,
Lord Hansworth déclarait:
[TRADUCTION] Ce versement avait pour but de mettre fin à
une méthode d'exploitation trop coflteuse. L'entreprise reste
la même, que l'intimée se charge elle-même de la distribu
tion ou qu'elle confie cette tâche à ses mandataires.
Le Lord juge Lawrence déclare ensuite aux
pages 139 et 140:
[zxnnucnoNj Il ne fait aucun doute que dans le cas
ordinaire oh une entreprise, afin de limiter ses dépenses
d'exploitation, se passe des services d'un mandataire ou
d'un employé et effectue un paiement en contrepartie de la
résiliation du mandat ou contrat de louage de services, un tel
paiement peut être déduit à bon droit du revenu; il n'y a en
effet aucune augmentation ou diminution des immobilisa-
tions; il s'agit simplement d'une dépense d'exploitation.
Dans l'affaire présente, l'appelante avait
effectué la dépense en cause dans le but d'éco-
nomiser des sommes importantes sur le coût des
matières premières, ce qui s'avéra être le cas.
L'entreprise de l'appelante consiste dans la
fabrication et la vente de papier cristal. Une des
matières premières nécessaires à cette fabrica
tion est la pâte à papier brute. Sans les contrats
relatifs à la pâte et à la vapeur, l'appelante
aurait été obligée de débourser des sommes plus
importantes pour payer la pâte brute. La conclu
sion desdits contrats a permis à l'appelante
d'économiser $802,000 de «dépenses d'exploi-
tation» en plusieurs années. L'entreprise de
l'appelante reste la même, que la pâte provienne
de la Anglo-Canadian ou d'une autre source. La
dépense en cause n'a rien ajouté aux immobili-
sations de l'appelante. Les faits de la présente
affaire relèvent clairement, à mon avis, des prin-
cipes énoncés à l'arrêt Anglo-Persian (précité).
Il faut aussi souligner que les contrats en
cause avaient des durées limitées et pouvaient
être renouvelés avec l'accord des deux parties.
Jusqu'à cette heure, ils l'ont effectivement été.
Cependant, la Anglo-Canadian est chaque année
en mesure de mettre fin au contrat relatif à la
vapeur et pourra le faire en 1977 pour le contrat
relatif à la pâte à papier, ainsi qu'à l'expiration
de toute autre période de 5 années consécutive.
Il est donc difficile de dire que de tels bénéfices
soient durables ou permanents au sens usuel de
ce terme.
Le juge en chef adjoint Noël a eu l'occasion
d'examiner une situation assez similaire dans
l'affaire La Reine c. F. H. Jones Tobacco Sales
Co. Ltd. [1973] C.F. 825. Dans cette affaire, la
compagnie défenderesse vendait du tabac traité
à des fabricants de cigarettes. En 1963, un des
clients importants de la défenderesse eut des
difficultés financières. Aux termes d'une série
d'ententes, une autre entreprise de fabrication
de cigarettes acheta les actions dudit client et la
défenderesse s'engagea à se porter garante de
l'emprunt nécessaire au financement de cet
achat en contrepartie de quoi l'acquéreur s'en-
gageait à lui acheter son tabac. Le nouveau type
de cigarettes lancé par le nouveau client de la
défenderesse eut un grand succès et cette der-
nière augmenta donc considérablement ses
ventes de tabac. Ce nouveau client cependant
omit de payer les droits d'accise requis et les
fonctionnaires du gouvernement fédéral saisi-
rent tous les biens de cette compagnie en 1966;
on demanda alors à la défenderesse de payer
environ $115,000 au terme de la garantie. Le
juge en chef adjoint décida que ladite perte était
déductible à titre de perte d'exploitation et qu'il
ne s'agissait pas d'un paiement à compte de
capital. Il décida que la garantie de l'emprunt
faisait essentiellement partie des opérations
habituelles de la défenderesse et qu'elle devait
lui permettre d'augmenter ses ventes de tabac.
A la page 834 du jugement, il déclarait:
Depuis quelques années, cependant, nos tribunaux ont été
enclins à accepter certaines dépenses ou pertes comme
déductibles en se fondant, non pas tellement sur la transac
tion du point de vue juridique mais bien plutôt du point de
vue pratique et commercial.
Les faits en l'espèce sont analogues à ceux de
l'affaire Jones Tobacco (précitée), car les con-
trats relatifs à la pâte à papier et à la vapeur,
portant sur la livraison quotidienne de produits
bruts à l'usine de l'appelante, faisaient essentiel-
lement partie des opérations habituelles de la
défenderesse.
Je vais examiner maintenant la dernière ques
tion soumise—savoir, l'appelante est-elle autori-
sée, à des fins fiscales, à reporter la dépense en
cause sur les années suivantes, même si cette
dépense a été engagée en 1953. A l'appui de
cette prétention, l'appelante a cité un expert,
Jacques Gunn, comptable agréé et associé de la
firme Riddell, Stead & Co. résidant à Québec.
Gunn témoigna qu'à son avis, il était conforme
aux usages et aux principes de bonne comptabi-
lité d'amortir la dépense en cause sur un nombre
raisonnable d'années. Il déclara que son opinion
était fondée sur le fait qu'il y a normalement
une correspondance entre le revenu et les
dépenses et que, puisque la dépense en cause
avait permis à l'appelante de réduire son coût de
production au cours des années suivantes, cette
dépense avait été correctement amortie. Il
déclara aussi qu'à son avis, dans les circon-
stances, vingt-cinq ans constituaient une période
raisonnable d'amortissement étant donné que la
durée des contrats était de vingt ans, renouvela-
ble pour des périodes successives de cinq ans. Il
expliqua que l'usage en comptabilité voulait nor-
malement que les travaux d'amélioration d'une
tenure à bail ou les frais de concession soient
amortis sur la durée du bail ou de la concession
plus un renouvellement et qu'il fallait procéder
de la sorte dans le cas d'un contrat tel que le
contrat relatif à la pâte.
La plus récente décision traitant de la ques
tion est le jugement rendu par le juge Collier
dans l'affaire Le ministre du Revenu national c.
Tower Investment Inc. [1972] C.F. 454. Dans
cette affaire, le juge Collier décida que la Loi de
l'impôt sur le revenu n'interdisait aucunement le
système qui est en cause ici. Dans cette affaire
là, le contribuable avait organisé une campagne
publicitaire, en corrélation avec la construction
de plusieurs grands immeubles d'appartements
afin de trouver des locataires; il chercha à
reporter une partie des sommes ainsi dépensées
sur les années suivantes, en conformité des
principes commerciaux ordinaires ou des princi-
pes reconnus en affaires et en matière compta-
ble. Le juge Collier conclut que cette méthode
de report des dépenses donne une image plus
exacte de l'état des revenus du contribuable,
parce que les dépenses de publicité ne sont pas
des dépenses courantes au sens normal du
terme. Elles avaient été effectuées pour rappor-
ter un revenu non seulement dans l'année où
elles avaient été engagées, mais aussi pour les
années à venir. Il décida donc que cette
méthode était admissible.
Le raisonnement de l'arrêt Tower Investment
(précité) s'applique également à l'affaire pré-
sente. Le témoin expert, Gunn, affirma qu'à son
avis, vu les circonstances de l'espèce, la
méthode d'imputation utilisée ici était conforme
aux usages et principes de comptabilité recon-
nus. L'intimé n'a soumis aucune preuve à l'effet
contraire. Comme dans l'affaire Tower Invest
ment (précitée), les dépenses en cause n'étaient
pas des dépenses courantes en 1953, au sens
normal du terme; lesdites dépenses effectuées
en 1953 avaient pour but de réduire le coût du
produit brut acheté par l'appelante pour les
années à venir, et ce, pour toute la durée du
contrat.
Je conclus donc que la façon dont l'appelante
a traité les dépenses en cause était adéquate et
n'était pas interdite par la Loi de l'impôt sur le
revenu.
L'appel est donc accueilli avec dépens. Les
cotisations de l'appelante pour les années d'im-
position se terminant en février des années
1966, 1967, 1968 et 1969 sont déférées au
Ministre pour qu'il établisse de nouvelles cotisa-
tions compte tenu des présents motifs de
jugement.
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