T-1107-73
Irish Shipping Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine, Leslie Arthur Davis Jones, Arthur
Joseph Warren et l'Administration de pilotage du
Pacifique (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver, le 21 février; Ottawa, le 1er mars
1974.
Pratique—Interrogatoire préalable—Interrogatoire d'un
officier de la Couronne défenderesse—Désaccord quant à la
personne dont la demanderesse demande la comparution—
La Couronne en désigne une autre—La Cour désigne l'offi-
cier choisi par la demanderesse —Régie 465(1)c).
Dans une action en dommages-intérêts intentée à la suite
de l'échouement de son navire, la demanderesse souhaite
procéder à l'interrogatoire «d'un officier ministériel ou autre
officier» de la Couronne défenderesse. La Couronne refuse
de désigner l'officier choisi par la demanderesse et en
nomme un autre.
Arrêt: on ne peut présumer que la personne désignée par
le sous-procureur général est nécessairement l'officier
ministériel ou autre officier qui devrait répondre au nom de
la Couronne. Il s'agit essentiellement d'une question de fait.
Si la partie adverse peut convaincre la Cour qu'il est dans
l'intérêt de la justice de faire comparaître un autre officier,
au sens de la Règle, plus qualifié que la personne désignée et
occupant un poste comportant des responsabilités suffisan-
tes pour être en mesure de faire des déclarations engageant
la Couronne, la Cour doit alors désigner cette personne. En
l'espèce, la Cour a désigné la personne choisie par la deman-
deresse. La personne désignée par la Cour, bien que de
degré hiérarchique inférieur à la personne désignée par la
Couronne, était un officier supérieur, ayant une meilleure
connaissance personnelle de plusieurs des questions de fait
en litige que la personne nommée par la Couronne.
Arrêts suivis: Yarmolinsky c. Le Roi [1944] R.C.É. 85;
Central Canada Potash Co. Ltd. c. Le procureur général
de la Saskatchewan (1974) 39 D.L.R. (3°) 88; Canadian
Doughnut Co. Ltd. of Toronto c. Canada Egg Products
Ltd. of Saskatoon (1952) 5 W.W.R. (N.S) 428; Morri-
son c. G. T. Ry. Co. [1940] R.C.S. 325; Nichols &
Shephard Co. c. Skedanuk (1912) 2 W.W.R. 1002, 5
Alta L.R. 110; Leitch c. G.T. Ry. Co. (1888) 12 P.R.
671; La cité de Regina c. Robinson's Clothes Ltd.
(1922) 66 D.L.R. 820, [1922] 2 W.W.R. 807.
REQUÊTE.
AVOCATS:
J. Jessiman pour la demanderesse.
G. Eggertson pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Macrae, Montgomery, Spring & Cunning-
ham, Vancouver, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
LE JUGE COLLIER—La demanderesse sou-
haite procéder à l'interrogatoire préalable d'un
officier ministériel ou autre officier de la Cou-
ronne défenderesse. Elle a demandé la compa-
rution d'un certain capitaine C. E. Burrill. La
Couronne a refusé et, conformément à la Règle
465(1)c), c'est un certain Herbert Ogg Bucha-
nan que le sous-procureur général du Canada a
désigné.
La demanderesse a alors demandé à la Cour
de rendre une ordonnance désignant le capitaine
Burrill. Deux affidavits (du même déposant) ont
été déposés à l'appui de cette requête. Bucha-
nan s'y est opposé par un affidavit. On a pro-
cédé au contre-interrogatoire sur ces affidavits.
L'action intentée contre tous les défendeurs
est une action en dommages-intérêts faisant
suite à l'échouement du navire Irish Stardust
sur l'île de Haddington en Colombie-Britanni-
que, le 24 janvier 1973. Lors de l'échouement,
le navire a été endommagé et une nappe de
mazout s'est répandue sur l'eau. Entre autres
choses, des poursuites ont été engagées et je
sais qu'une autre action a été intentée devant
cette cour, dans laquelle une réclamation est
faite au nom de la Couronne contre le navire et
ses propriétaires au sujet des dommages causés
par la nappe de mazout et les dépenses qui en
ont découlé.
On m'a dit que les sommes impliquées dans
ce litige étaient considérables.
Les prétentions à l'encontre de la Couronne
sont exposées au paragraphe 10 de la déclara-
tion, de la manière suivante:
[TRAnucTlox] Ledit échouement et les dommages subis par
la demanderesse résultent de la négligence des préposés de
Sa Majesté la Reine du chef du Canada (ci-après appelée «la
Couronne»), savoir, l'aménagement et le balisage inappro-
priés d'un dispositif de séparation du trafic pour le passage
de l'île de Haddington en venant de l'ouest, notamment,
l'installation inadéquate et inappropriée des feux, balises,
bouées et autres aides de navigation faisant partie dudit
dispositif, et du fait qu'ils ont omis d'installer des aides de
navigation appropriées audit dispositif.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire aux fins
du présent jugement de consulter la défense
déposée au nom de Sa Majesté la Reine.
Les parties pertinentes de la Règle en ques
tion se lisent comme suit:
Règle 465. (1) Aux fins de la présente Règle, on peut
procéder à l'interrogatoire préalable d'une partie, tel que
ci-après prévu dans cette Règle,
a) si la partie est un individu, en interrogeant la partie
elle-même,
b) si la partie est une corporation ou un corps ou autre
groupe de personnes autorisé à ester en justice, soit en
son propre nom soit au nom d'un membre de sa direction
ou d'une autre personne, en interrogeant un membre de la
direction ou autre membre de cette corporation ou de ce
groupe,
c) si la partie est la Couronne, en interrogeant un officier
ministériel ou autre officier de la Couronne désigné par le
procureur général du Canada ou le sous-procureur général
du Canada ou par ordonnance de la Cour, et
d) dans tous les cas, en interrogeant une personne qui,
avec son consentement, a été agréée par la partie qui
procède à l'interrogatoire et par la partie qui en est l'objet,
L'avocat de Sa Majesté prétend que, lors-
qu'une personne a été désignée (conformément
à la Règle) par le procureur général ou le sous-
procureur, la Cour ne devrait pas s'opposer à la
légère à cette désignation. Je ne crois pas que ce
soit là l'interprétation correcte de la Règle en
question. Il me semble plutôt que trois possibili-
tés se présentent dans le cas de l'interrogatoire
préalable d'un officier ministériel ou d'un autre
officier de la Couronne:
a) la partie adverse peut demander la compa-
rution d'une certaine personne et la Couronne
peut accéder à cette requête et faire compa-
raître ladite personne à titre d'officier minis-
tériel ou autre officier aux fins de l'interroga-
toire préalable;
b) la partie adverse peut ne pas connaître
l'identité de la personne qu'il serait le plus
souhaitable ou le plus approprié d'interroger
dans une affaire particulière, et elle peut
demander à la Couronne de désigner
quelqu'un;
c) en cas de conflit entre les parties au sujet
de l'officier ministériel ou autre officier à
faire comparaître pour l'interrogatoire préala-
ble, le procureur général peut se prévaloir de
tout droit que lui confère la Règle et désigner
,une personne au nom de la Couronne.
A mon avis, on ne peut présumer que la
personne désignée dans ce dernier cas est
nécessairement l'officier ministériel ou autre
officier qui devrait répondre au nom de la Cou-
ronne. A mon sens, il s'agit essentiellement
d'une question de fait et si la partie adverse
parvient à convaincre la Cour qu'il est dans
l'intérêt de la justice de faire comparaître une
autre personne, également «officier ministériel
ou autre officier» au sens de la Règle, plus
qualifiée que la personne désignée, et occupant
en même temps un poste comportant des res-
ponsabilités suffisantes pour être en mesure de
faire des déclarations engageant la Couronne, la
Cour doit alors désigner cette personne.
Cette façon de voir me semble conforme aux
vues générales exprimées par le président Thor-
son dans l'arrêt Yarmolinsky c. Le Roi [1944]
R.C.É. 85. A cette époque, la Règle de la Cour
était quelque peu différente. La Couronne ne
désignait pas un officier. Si les parties ne s'ac-
cordaient pas sur la personne à interroger, on
pouvait, par voie de requête, demander à la
Cour de rendre une ordonnance permettant l'in-
terrogatoire préalable d'«un fonctionnaire de
ministère ou autre officier de la Couronne».
Une autre Règle (la Règle 138) disposait que
l'ensemble ou une partie de cet interrogatoire
préalable pouvait être utilisé en preuve. Le pré-
sident Thorson déclara qu'il était souhaitable
que la partie adverse reçoive de la Couronne
une communication complète des faits et que sa
situation devait être la même que si elle plaidait
dans une action contre un particulier (que ce
soit une personne ou une corporation).
Le président n'a posé qu'une seule restriction
à cet égard, savoir, que l'officier ministériel ou
autre officier de la Couronne ait des responsabi-
lités suffisantes pour être en mesure de faire des
déclarations engageant la Couronne. On trouve
à la page 95 de l'affaire Yarmolinsky l'essence
des observations générales du président
Thorson:
[TRADUCTION] A mon avis, cette cour devrait adopter des
principes semblables aussi longtemps que les Règles 130 et
138 resteront dans leur forme actuelle. La Règle 130, por-
tant sur l'examen préalable d'un fonctionnaire de ministère
ou autre officier de la Couronne, prévoit que la personne
devant être interrogée en vertu d'une ordonnance doit occu-
per un poste d'un degré de responsabilité et d'autorité qui
l'habilite à représenter la Couronne au cours de l'examen, à
porter les faits pertinents à la connaissance de la Couronne,
et à faire en son nom toute déclaration qu'il peut faire à bon
droit. Je ne crois pas qu'il soit possible d'aller au-delà de cet
énoncé général. Je souscris aux remarques faites par le juge
d'appel Moss dans l'affaire Morrison (précitée) à la page 43:
La question de savoir quelles personnes seront interro-
gées, en vertu de la Règle, en tant que membres de la
direction d'une corporation doit toujours plus ou moins
devenir une question de fait, et il s'avérera généralement
plus facile de déterminer qui n'est pas un membre de la
direction au sens de la Règle, que d'énoncer une règle
générale à cet effet.
D'après les faits particuliers de cette affaire, on
a conclu qu'un soldat de première classe condui-
sant un véhicule de la Couronne impliqué dans
un accident de voiture n'était pas un «officier
ministériel ou autre officier».
Nos tribunaux ont eu tendance depuis quel-
ques années à assurer à tous les plaideurs un
interrogatoire préalable complet avant l'instruc-
tion et à faire obstacle autant que possible à ce
qu'on appelait communément les manoeuvres
«guet-apens» dans le système contradictoire.
C'est, à mon avis, le but des Règles de la Cour
fédérale. A titre d'exemple seulement, je veux
mentionner la Règle 482 portant sur le témoi-
gnage des experts cités comme témoins. C'est
une forme de communication faitè avant l'ins-
truction qui n'existe pas encore dans les Règles
de nombreuses provinces.
A mon sens, la démarche à suivre pour une
telle demande, présentée en vertu de la Règle
465(1)c) devrait être celle décrite dans l'arrêt
Central Canada Potash Co. Ltd. c. Le procureur
général de la Saskatchewan (1974) 39 D.L.R.
(3 e ) 88. Dans cette affaire, la demanderesse
voulait procéder à l'interrogatoire préalable du
ministre des Ressources minières de la Saskat-
chewan. Le défendeur, le gouvernement de la
Saskatchewan, voulait faire comparaître le
sous-ministre. Il est vrai que la législation et les
Règles de la Saskatchewan ne sont pas identi-
ques à la Règle en cause ici, mais, à mon avis,
les principes énoncés dans l'affaire Potash s'ap-
pliquent en l'espèce. Je cite le juge Disbery aux
pages 90 et 91:
[TRADUCTION] C'est en ces termes que le juge Thorson,
dans l'arrêt Canadian Doughnut Co. Ltd. of Toronto c.
Canada Egg Products Ltd. of Saskatoon (1952), 5 W.W.R.
(N.S.) 428 à la p. 430, exposa avec beaucoup de justesse la
méthode que devrait adopter la Cour pour désigner le
membre de la direction le plus apte à représenter une
corporation lors d'un interrogatoire préalable:
L'interrogatoire d'un membre de la direction d'une cor
poration en vertu de notre Règle 233(3) vise un double
but: d'abord, obtenir une communication complète des
faits et, en second lieu, obtenir des déclarations qui pour-
ront être utilisées contre la compagnie dont on interroge
un membre de la direction. Ordinairement, il convient
d'interroger le membre de la direction le plus apte à
donner des renseignements concernant les questions en
litige dans l'action et qui, en même temps, occupe un
poste d'un degré de responsabilités et d'autorité qui, dans
les circonstances de l'affaire, l'habilité à parler au nom de
la corporation qu'il représente. Sans être indispensable, il
est cependant souhaitable que le membre de la direction
devant être interrogé soit de quelque façon impliqué dans
l'opération ou l'événement qui a donné lieu à l'action ou
qu'il ait une certaine connaissance des faits ou des ques
tions en litige dans l'action. En règle générale, comme le
faisait remarquer le juge d'appel Moss (par la suite juge en
chef de l'Ontario) dans l'arrêt Morrison c. G. T. Ry. Co.,
précité, à la page 43, le membre de la corporation à
interroger, en premier lieu est celui qui, si aucune action
n'avait été intentée, serait considéré comme le membre de
la direction le plus apte à agir et parler au nom de la
corporation et à engager la responsabilité de cette dernière
dans le genre d'opération ou d'événement qui a donné lieu
à l'action. Voir également les déclarations du juge en chef
de l'Alberta Harvey dans l'arrêt Nichols & Shephard Co.
c. Skedanuk (1912) 2 W.W.R. 1002, 5 Alta L.R. 110, à la
p. 1004, ainsi que du juge en chef Armour dans l'arrêt
Leitch c. G.T. Ry. Co. (1888) 12 PR 671 à la p. 672.
A mon avis, ce raisonnement s'applique également à la
désignation d'un fonctionnaire de la Couronne aux fins de
l'interrogatoire préalable tel que prévu à l'article 13 du
Proceedings against the Crown Act: voir également les arrêts
City of Regina c. Robinson's Clothes Ltd. (1922) 66 D.L.R.
820, [1922] 2 W.W.R. 807, et Yarmolinsky c. Le Roi [1944]
4 D.L.R. 217, [1944] R.C.E. 85.
Il ne fait aucun doute d'après les faits de
l'espèce que le capitaine Burrill participa active-
ment, mais en collaboration avec d'autres, aux
travaux et à la planification aboutissant aux
recommandations faites aux hauts fonctionnai-
res d'Ottawa au sujet du dispositif de séparation
du trafic destiné à faciliter le passage de l'île de
Haddington en venant de l'ouest. Il n'est pas
nécessaire d'exposer en détail la preuve à l'ap-
pui de cette affirmation. Le capitaine Burrill
était, selon les termes de Buchanan, son supé-
rieur immédiat, un «officier supérieur» lui ren-
dant compte directement. Buchanan à son tour
rendait compte à d'autres fonctionnaires d'Ot-
tawa. A l'époque en cause, il était directeur
régional des services de la marine pour l'ouest
du Canada. Quant à Burrill, il était surintendant
régional des services nautiques. (Son titre a
changé depuis, mais ses responsabilités n'en
sont que plus grandes.)
Buchanan était donc le supérieur hiérarchique
en ce qui concerne l'ouest du Canada, mais il a
admis lui-même qu'il s'occupait surtout de [TRA-
DUCTION] «l'administration et du contrôle». Les
rapports lui parvenaient à son bureau et les
recommandations étaient acheminées à Ottawa.
Ni Burrill ni Buchanan ne pouvaient de leur
propre chef décider en dernier ressort si l'on
devait mettre en place un dispositif de sépara-
tion de trafic à l'île de Haddington, pas plus
qu'ils ne pouvaient décider quelle sorte de dis-
positif il fallait adopter. L'avocat de la Cou-
ronne a reconnu que les décisions finales étaient
prises par le ministre concerné ou parfois par le
sous-ministre.
L'avocat de la Couronne a soutenu que l'offi-
cier désigné en l'espèce devait être un supérieur
du capitaine Burrill. Buchanan, selon lui, répon-
dait à cette exigence. Je suis convaincu d'après
les faits de l'espèce que Burrill relève de la
définition d'«officier ministériel ou autre offi-
cier» tout autant que Buchanan'. Comme je l'ai
indiqué, Burrill a sans aucun doute une meil-
leure connaissance personnelle de la plupart des
questions de fait en litige dans la présente
action. La connaissance personnelle n'est pas le
critère décisif quand il s'agit de savoir quel
officier doit être désigné, mais elle demeure un
facteur à considérer. Je suis en outre convaincu
que Buchanan et Burrill sont tous deux des
personnes «. .. occupant un poste d'un degré de
responsabilité et d'autorité» qui les habilite à
faire des déclarations au nom de la Couronnez.
Vu les circonstances de l'espèce, il semble
préférable de désigner Burrill et j'ordonne donc
qu'il en soit ainsi. Si Buchanan avait été investi
d'un pouvoir de décision à l'égard du dispositif
de séparation du trafic de l'île de Haddington, je
ne serais alors vraisemblablement pas intervenu
1 Je ne tiens pas compte de l'affidavit de Buchanan où il
déclare que Burrill n'est pas un officier ministériel. En
l'espèce, c'est à la Cour de trancher cette question.
2 Voir l'extrait de l'affaire Yarmolinsky cité plus haut.
dans la présente affaire. De même, si, par exem-
ple, le procureur général avait désigné en l'es-
pèce le sous-ministre concerné, je ne crois pas
que la demanderesse aurait pu avoir gain de
cause.
La demanderesse a droit à ses dépens dans
cette requête.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.