La Reine (Demanderesse)
c.
F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd.
(Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Noël—Montréal, le l er mai; Ottawa, le
29 mai 1973.
Impôt sur le revenu—Personne garantissant le prêt d'un
client en échange de droits de vente exclusifs—Non-paiement
du prêt—Endosseur appelé à payer—Paiement effectué par
la compagnie contrôlée par l'endosseur—Est-ce déductible
dans le calcul du revenu de la compagnie?
Jones a garanti un prêt de $200,000 consenti à une
compagnie vendant des cigarettes pour lui permettre d'ac-
quérir une compagnie fabriquant des cigarettes. En échange
de la garantie, Jones reçut le droit exclusif de fournir du
tabac à la compagnie manufacturant le tabac. Par la suite, la
compagnie vendant des cigarettes cessa de rembourser le
prêt et l'on fit donc appel à Jones pour payer $115,369. Ce
ne fut cependant pas Jones qui paya ce montant, mais la
compagnie qu'il contrôlait. La compagnie défenderesse
cherche à déduire ce montant à titre de dépenses d'entre-
prise dans le calcul de son revenu.
Arrêt: la compagnie a droit à la déduction. Du point de
vue commercial, l'obligation découlant du prêt incombait à
la compagnie défenderesse et non à Jones à titre personnel.
En outre, le paiement visait l'augmentation des ventes de la
compagnie défenderesse et donc ses profits, et non l'obten-
tion d'un avantage de longue durée.
Arrêts mentionnés: L. Berman & Co. Ltd. c. M.R.N.
[1961] C.T.C. 237; M.R.N. c. Freud [1969] R.C.S. 75.
APPEL d'une décision de la Commission de
révision de l'impôt.
AVOCATS:
Jean Potvin et Gaétan Drolet pour la
demanderesse.
Michel Gilbert et Maurice Paquin pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
la demanderesse.
Lemay, Paquin et Gilbert, Montréal, pour la
défenderesse.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NOEL —Appel est
interjeté de la décision de la Commission de
révision de l'impôt sur le revenu, du 28 avril
1972, accueillant l'appel de l'appelante d'une
cotisation du Ministre pour l'année 1966, par
laquelle ce dernier refusait un montant de
$115,369.33 que le contribuable prétendait
avoir droit de déduire et ajoutait à son revenu
déclaré ledit montant prélevant ainsi un revenu
de $65,666.02.
Depuis 1961 la défenderesse, F. H. Jones
Tobacco Sales Co. Ltd., exploite une entreprise
de culture et de vente du tabac. F. H. Jones en
est le président et le principal actionnaire puis-
qu'il en possède 99% des actions.
En 1963, la Société des Tabacs Québec Inc.,
corporation distributrice de cigarettes, désirait
acquérir le contrôle de Tabacs Trans -Canada
Ltée, une corporation exploitant une entreprise
de fabrication de cigarettes. A cette fin, un
emprunt de $200,000 était nécessaire, de même
que l'endossement d'une personne solvable.
Le 27 septembre 1963, une entente est inter-
venue entre, d'une part, la Société des Tabacs
Québec Inc., (ci-après appelée la compagnie) et,
d'autre part, F. H. Jones en vertu de laquelle
(1) F. H. Jones accepta de signer une garantie
pour remboursement d'un emprunt de $200,-
000 fait par la compagnie dans le but d'acqué-
rir le contrôle de Tabacs Trans -Canada Ltée,
remboursable à un M. Pilonnière, agissant
comme agent de la Corporation du Richelieu,
la compagnie prêteuse, à raison d'environ
$5,000 par mois;
(2) la compagnie nommait M. F. H. Jones et
s'engageait à le faire nommer par Tabacs
Trans -Canada Ltée, agent exclusif pour
l'achat et l'approvisionnement de tabac en
feuilles, au meilleur prix possible, selon les
conditions du marché;
(3) F. H. Jones, tant personnellement qu'en
sa qualité de président et actionnaire majori-
taire de F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd.,
s'engageait à approvisionner la compagnie et
Tabacs Trans -Canada Ltée de tabac en feuil-
les, au meilleur prix possible, selon les condi
tions du marché;
(4) la garantie ci-haut mentionnée devait être
fournie par l'endossement d'un ou de plu-
sieurs billets promissoires pour un montant
total de $200,000.
Antérieurement à cette entente, Tabacs
Trans -Canada Ltée achetait 80% de son tabac
chez d'autres fournisseurs que F. H. Jones
Tobacco Sales Co. Ltd.
Jacques Hurtibise, président de la Société des
Tabacs Québec Inc., fit valoir à F. H. Jones que
s'il signait comme endosseur pour un montant
de $200,000, tous les achats de tabacs seraient
dirigés vers F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd.
F. H. Jones considéra, à cause de la forte com-
pétition qui existait dans le marché de la vente
de tabacs, qu'il serait avantageux pour sa com-
pagnie d'assurer et d'augmenter ses ventes à un
client comme Tabacs Trans -Canada Ltée. Il
apposa donc son nom sur un document ou un
billet comportant l'emprunt du $200,000 requis
pour permettre à la Société des Tabacs Québec
Inc. d'acquérir le contrôle de Tabacs Trans-
Canada Ltée.
Après la signature de l'entente du 27 septem-
bre 1963, entre la Société des Tabacs Québec
Inc. et F. H. Jones, tout le tabac requis par
Tabacs Trans -Canada Ltée fut acheté de F. H.
Jones Tobacco Sales Co. Ltd.
Au cours de l'année 1966, la Société des
Tabacs Québec Inc. devint insolvable et l'on fit
appel à l'endosseur pour un montant de $115,-
369.33 sur l'emprunt de $200,000. F. H. Jones
Tobacco Sales Co. Ltd. paya ledit montant de
$115,369.33 et, comme nous l'avons vu, le
réclama comme dépense ou perte dans le calcul
de son revenu pour l'année 1966.
La demanderesse, Sa Majesté la Reine, s'ap-
puie sur deux propositions pour contester le
droit de la défenderesse à déduire le montant de
$115,369.33.
D'abord, dit-elle, il n'existait aucun lien légal
entre le créancier de la dette de $115,369.33 et
la défenderesse, de sorte que cette dernière
n'était sous aucune obligation de payer ledit
montant. Cette dette en était une, ajoute-t-elle,
personnelle de F. H. Jones et ne peut donc être
considérée comme une somme déboursée ou
dépensée par la défenderesse en vue de gagner
ou de produire un revenu tiré de l'entreprise de
la défenderesse.
Alternativement, si l'entente survenue le 27
septembre 1963 entre la Société des Tabacs
Québec Inc. et F. H. Jones liait légalement la
défenderesse, le montant de $115,369.33 ne
serait quand même pas déductible dans le calcul
du revenu de la défenderesse pour les motifs
suivants:
(1) le montant de $115,369.33 ne constituait
pas une mauvaise créance déductible dans le
calcul du revenu de la défenderesse au sens
de l'art. 11(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Il s'agissait ici d'un moyen qui avait
été retenu par le savant commissaire de la
Commission de révision de l'impôt mais que
les procureurs de la défenderesse déclarèrent
abandonner pour des raisons qui sont éviden-
tes. En effet, le montant de $115,369.33 ne
résultait pas de prêts consentis dans le cours
ordinaire des affaires de la défenderesse dont
l'entreprise ne constituait pas même en partie
le prêt d'argent et d'ailleurs, ce montant
n'avait pas été inclus par la défenderesse dans
le calcul de son revenu pour l'année 1966 ou
pour une année antérieure;
(2) le montant de $115,369.33 constitue une
somme déboursée, une perte ou un remplace-
ment de capital ou un paiement à compte de
capital et, en vertu des dispositions de l'article
12(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, il
ne peut être déduit dans le calcul du revenu
de la défenderesse.
Revenons maintenant à la première proposi
tion de la demanderesse, à savoir qu'il n'existe
aucun lien légal entre le créancier de la dette de
$115,369.33 et la défenderesse, de sorte que
cette dernière n'était sous aucune obligation de
payer le montant puisque le montant de $115,-
369.33 constituait une dette personnelle de F.
H. Jones et non de sa compagnie et qu'il ne peut
alors être considéré comme une somme débour-
sée ou dépensée par la défenderesse en vue de
gagner ou de produire un revenu tiré de son
entreprise.
Afin de bien apprécier les questions à résou-
dre, il faut, je crois, établir les faits qui ont
donné lieu à l'endossement de Jones et les cir-
constances dans lesquelles cet engagement fut
pris. Il faut d'abord dire que la compagnie F. H.
Jones Tobacco Sales Co. Ltd. lui appartient en
quasi-totalité puisqu'il en possède 99% des
actions. Il s'agit donc d'une compagnie dont la
propriété est entre les mains d'un seul homme,
soit F. H. Jones et il en est le président. Cette
entreprise fonctionnait, cependant, antérieure-
ment à son incorporation, sous une raison
sociale dont F. H. Jones était le seul proprié-
taire. En fait, l'incorporation de sa compagnie
semble n'avoir rien changé aux agissements et
activités de F. H. Jones qui a continué à exploi
ter l'entreprise comme par le passé et à se
comporter comme s'il n'existait pas de
compagnie.
Cette entreprise, selon Jones, achète du tabac
et en fait la finition avant qu'il ne soit-roulé en
cigarettes.
Jones raconte que c'est vers 1960 que sa
compagnie a commencé à fournir du tabac à
Tabacs Trans -Canada Ltée. A cette époque,
10% des ventes de la compagnie Jones se faisait
à Tabacs Trans -Canada Ltée. Subséquemment,
la manufacture Tabacs Trans -Canada fut
vendue à M. Jacques Hurtibise et il créa une
compagnie sous le nom de Société des Tabacs
Québec Inc., qui devint le successeur de Tabacs
Trans -Canada Ltée puisque ladite société acheta
les actions de Tabacs Trans -Canada Ltée. Jones
déclare qu'en 1963 il fut approché par Hurtibise
ou d'autres représentants de sa compagnie qui
lui expliquèrent qu'ils avaient l'intention de se
procurer les actions de M. Brisebois dans la
compagnie et continuer à fabriquer la cigarette
Québécoise. Ils avaient besoin, lui ont-ils dit, de
beaucoup de tabac et Jones déclara alors «j'ai
trouvé que c'était une très belle chose pour
notre compagnie».
On lui demanda aussi son endossement jus-
qu'à concurrence d'un montant de $200,000
pour leur permettre d'acheter les actions de la
compagnie Tabacs Trans -Canada. On lui repré-
senta à ce moment que s'il ne voulait pas endos-
ser, ils iraient vers certains de ses compétiteurs
soit des compagnies ontariennes, filiales de
compagnies américaines. Jones déclara qu'il ne
voulait pas perdre l'opportunité de vendre le
tabac qu'il avait en mains à ce moment ainsi que
les ventes futures pour, dit-il, «le progrès de
notre compagnie d'abord». Il leur expliqua que
«$200,000 c'est beaucoup d'argent» et il leur
demanda s'ils avaient l'intention de rembourser
cet argent à brève échéance. Ils répondirent
qu'ils le feraient «d'ici trois mois», qu'ils avaient
l'intention de vendre des actions au public et
qu'il n'avait pas à s'inquiéter. Jones déclare qu'il
en a parlé à son bureau de direction qui lui a
donné, dit-il, l'autorisation de signer pour la
compagnie et c'est ce qu'il a fait. Un extrait des
minutes d'une assemblée des administrateurs de
F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd., en date du
26 août 1963, soit quelques jours avant que
Jones eut signé le contrat intervenu entre la
Société des Tabacs Québec Inc. et lui-même le
27 septembre 1963 par lequel il s'engageait à
garantir le remboursement de $200,000 fut pro-
duit. C'est ce document, dit-il, qui l'autorisait à
signer pour la compagnie. Il se lit comme suit:
[TRADUCTION] La proposition ayant été présentée et appuyée
de façon régulière, il fut décidé d'autoriser le président, M.
F. H. Jones, à agir au nom de la compagnie pour la signature
ou l'endossement d'accords conclus avec des clients éven-
tuels qui traitent le tabac dans la province de Québec.
Ces accords donneront à la F. H. Jones Tobacco Sales Co.
Ltd, les droits exclusifs d'acheter et de traiter le tabac, les
parties s'étant accordées sur le prix. La compagnie prendra
soin de s'assurer que le tabac acheté pour le compte de toute
compagnie est bien garanti et qu'il demeure, jusqu'au paie-
ment complet, la propriété de F. H. Jones Tobacco Sales Co.
Ltd.
Pour ce qui est de l'endossement proprement
dit, il ne sait pas trop quel genre de document il
a signé ajoutant «c'était un contrat». Il ne peut
le produire car il l'aurait confié, dans le temps, à
ses avocats qui n'ont pu le trouver. Ce docu
ment, d'ailleurs, a pu disparaître lorsque des
inspecteurs de l'impôt ont pris certains docu
ments en rapport avec un problème d'accise de
la compagnie Société des Tabacs de Québec
Inc. J'ai compris d'une déclaration du procureur
de la demanderesse à l'enquête, que des inspec-
teurs du ministère de l'Impôt, division de l'ac-
cise, avaient vu ce document à cette occasion et
qu'on admettait son existence. Tous les biens de
la société, y compris le tabac, furent à cette
occasion, saisis et vendus à bon marché. Jones
déclare qu'il resta pris avec l'endossement de
$200,000 sur lequel on lui réclamait paiement
d'un montant de $136,000. Un chèque pour ce
montant fut alors donné par sa compagnie en
règlement de cet engagement.
Jones prétend que ce fut toujours pour sa
compagnie qu'il s'engagea à endosser le paie-
ment du montant de $200,000 et que c'est fort
de la résolution de son conseil d'administration,
que nous avons mentionnée plus haut, qu'il l'a
fait.
Il ne s'agit pas ici pour moi de décider si une
action sur billet dirigée contre la compagnie
Jones réussirait ou non. Il s'agit tout simplement
de déterminer s'il ne s'agissait que d'une dette
purement personnelle de Jones ou d'une dette
que l'on peut et que l'on doit considérer comme
une dette de la compagnie.
Jones, comme nous l'avons vu, affirme qu'il
ne s'est toujours agi que d'une dette de son
entreprise ou de sa compagnie et il me semble
bien que la preuve révèle qu'il en fut ainsi non
seulement dans l'esprit de Jones mais aussi dans
celui de Jacques Hurtibise, le président de la
Société des Tabacs Québec Inc. A l'enquête
devant la Commission de révision de l'impôt
(preuve qui fut versée au dossier de cette cause
de consentement) Hurtibise déclara ce qui suit
en réponse à des questions du procureur de
Jones, au sujet de son endossement de $200,000
aux pages 35 et suivantes:
D. Est-ce que vous avez eu connaissance de cette tran
saction là?
R. Certainement.
D. Est-ce que vous avez vu le document?
R. Oui, de mémoire, oui, j'ai vu tous les documents.
D. Est-ce que c'est la compagnie ou M. Jones qui a
endossé?
R. De mémoire, F. H. Jones apparaissait partout.
D. F. H. Jones; c'est quoi ça F. H. Jones?
R. La compagnie.
Hurtibise déclara ensuite à la page 37:
Il est sûr qu'une fois cette transaction terminée, c'est-à-
dire celle qui consistait que la Société des Tabacs Québec
acquiert un bon jour Trans -Canada; il est sûr qu'en l'espace
de quelques mois les approvisionnements de tabac ont été
dirigés chez la compagnie F. H. Jones. Certainement que par
après, nos ex-fournisseurs sont venus en maintes occasions.
Moi-même je les ai reçus parce qu'il faut toujours se souve
nir qu'avant que la Société Tabacs Québec se porte acqué-
reur de Tabacs Trans -Canada, 70, 75, 80% des tabacs
fournis chez nous l'étaient par d'autres que M. Jones.
Il ajouta un peu plus loin que la compagnie
Jones a, en fait, fourni la plus grande partie du
tabac requis par la Société des Tabacs Québec
Inc.
Contre-interrogé par le procureur de la
demanderesse, Me Potvin, il réitère ce qu'il a
déclaré plus haut, soit que Jones pour lui était
toujours la compagnie Jones:
Mc Potvin:
D. En dernière question, M. Hurtibise, vous mentionniez
tout à l'heure que vous ne saviez pas trop avec qui
vous faisiez affaires lorsque M. Jones signait des docu
ments, si c'était avec lui personnellement ou sa
compagnie?
R. Ce que je veux dire, à notre avis, F. H. Jones était
présent partout, tout simplement.
LE PRÉSIDENT:
D. Pour vous M. Jones s'identifiait à F. H. Jones
Company?
R. Oui, c'est ça.
De plus, il semble bien, selon le témoignage
de Hurtibise, que le représentant du prêteur, un
dénommé Pilonnière, ne connaissait pas Jones
personnellement, qu'il lui fut présenté par le
témoin, ce dernier ajoutant, en réponse à une
question du procureur de la demanderesse, que
Pilonnière n'était nullement au courant du fait
que Jones avait de la fortune et que cela lui
permettait d'endosser le montant de $200,000.
Comment, dans ces circonstances, peut-on
dire que le montant de $115,369.33 (soit le
$136,000 moins certains montants payés par
des co-endosseurs) payé par la compagnie
défenderesse n'était qu'une dette personnelle de
Jones et non pas de sa compagnie. Il faut ici, me
semble-t-il, considérer la situation comme le
ferait un homme d'affaires et ne pas s'arrêter à
des technicalités qui pourraient peut-être avoir
leur raison d'être dans d'autres procédures où,
par exemple, la compagnie contesterait l'obliga-
tion, mais qui n'ont pas leur place ici. Le paie-
ment fait par la compagnie Jones du montant de
$115,369.33 l'a été sûrement pour les fins de
son commerce selon les principes ordinaires du
commerce. Voir à ce sujet l'arrêt L. Berman &
Co. Ltd. c. M.R.N. [1961] C.T.C. 237 par le
président Thorson à la page 247:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute, à mon avis, que
l'appelante a effectué les paiements en question comme
l'aurait fait un commerçant dans la poursuite de son com
merce et, par conséquent, ces paiements ont été effectués
selon les principes ou les usages commerciaux ordinaires. Je
ne peux trouver dans l'article 12(1)a) aucun motif de les
exclure.
Le seul fait que l'appelante n'ait pas eu l'obligation juridi-
que d'effectuer ces paiements ne veut pas dire qu'ils n'ont
pas été faits dans le cadre des principes commerciaux ordi-
naires. Cette déclaration s'appuie sur l'arrêt Usher's Wilt-
shire Brewery, Limited c. Bruce, [1915] A.C. 433. Dans cette
affaire, les locataires des débits de boisson appartenant aux
demandeurs et affiliés à leurs brasseries s'étaient engagés à
effectuer les réparations ainsi qu'à payer certaines taxes et
charges. Ils ne l'ont pas fait et les appelants, bien qu'ils
n'aient eu aucune obligation juridique ou morale de le faire,
ont payé les réparations ainsi que les charges et les taxes. Ils
ne l'ont pas fait par charité mais par intérêt commercial, afin
de ne pas perdre leurs locataires et, partant, un débouché
pour leur bière car c'est à ce titre qu'ils avaient acheté ces
maisons. Il a été décidé que, bien qu'ils n'aient pas été
obligés juridiquement ou moralement d'effectuer ces paie-
ments, ils avaient le droit, aux fins de la cotisation à l'impôt,
de déduire, dans le calcul de leurs bénéfices à titre de
dépenses nécessaires à leur commerce, toutes les sommes
versées.
Il me paraît donc que c'est à bon droit que la
défenderesse a soldé la réclamation provenant
de l'endossement du $200,000.
Examinons maintenant la dernière proposition
de la demanderesse soit que le montant de
$115,369.33 constitue une somme déboursée,
une perte ou un remplacement de capital ou un
paiement à compte de capital et qu'en vertu des
dispositions de l'art. 12(1)b) de la Loi de l'impôt
sur le revenu, il ne peut être déduit dans le calcul
du revenu de la défenderesse.
L'article 12(1)a) et b) se lit comme suit:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
a) d'une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la
mesure où elle l'a été par le contribuable en vue de gagner
ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise
du contribuable,
b) d'une somme déboursée et d'une perte ou d'un rempla-
cement de capital, d'un paiement à compte de capital ou
d'une allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou
d'épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la
présente Partie, ... .
Il est clair que le paiement fait par la compa-
gnie Jones, comme je l'ai déjà dit, en fut un qui
tombe dans l'exception prévue à l'alinéa a) de
l'article 12(1). Il a été, en effet, déboursé en vue
de gagner ou de produire un revenu de l'entre-
prise de la défenderesse et, en fait, la preuve
révèle qu'effectivement, et jusqu'à la faillite de
la Société des Tabacs de Québec Inc., il lui
rapporta des revenus considérables par les
ventes de tabac faites par la compagnie à cette
dernière société.
La seule question à déterminer maintenant
c'est celle de décider si le paiement de ce mon-
tant tombe sous l'alinéa b) de l'article 12(1)
comme un déboursé ou comme un paiement, à
compte de capital ou perte de capital. Le procu-
reur de la demanderesse le soutient et il est
possible que dans certaines circonstances l'on
puisse considérer qu'il le soit.
Depuis quelques années, cependant, nos tri-
bunaux ont été enclins à accepter certaines
dépenses ou pertes comme déductibles en se
fondant, non pas tellement sur la transaction du
point de vue juridique mais bien plutôt du point
de vue pratique et commercial.
Il suffit, pour s'en rendre compte, de considé-
rer ce que disait le juge en chef de la Cour
suprême lorsqu'il rejeta l'appel de la décision du
président Jackett dans l'arrêt Algoma Central
Rly. c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É 88, dans laquelle
ce dernier avait permis la déduction de certains
montants dépensés pour une étude destinée à
permettre à des industries de s'établir dans la
région desservie par le chemin de fer d'Algoma
Central Railway et qui pouvait, par conséquent,
apporter des revenus à son entreprise
ferroviaire.
Le juge en chef Fauteux, à la page 449 de
l'arrêt de M.R.N. c. Algoma Central Rly. ([1968]
R.C.S. 447) se reportait en effet en y souscri-
vant à la déclaration suivante de Lord Pearce
dans l'arrêt B.P. Australia Ltd. c. Commissioner
of Taxation of Australia [1966] A.C. 224, à la
page 264:
[TRADUCTION] On ne peut pas trouver la solution du pro-
blème en appliquant un critère ou une description rigide.
Elle doit découler de plusieurs aspects de l'ensemble des
circonstances dont certaines peuvent aller dans un sens et
d'autres dans un autre. Une observation peut se détacher si
nettement qu'elle domine d'autres indications plus vagues
dans le sens contraire. C'est une appréciation saine de toutes
les caractéristiques directrices qui doit apporter la réponse
finale.
C'est cependant dans l'arrêt Hallstroms Pty.
Ltd. c. F.T.C. 8 A.T.D. 190 à la page 196 que
l'on déclara qu'il fallait pour la déduction de
dépenses ou de pertes, adopter une attitude
réaliste. Il y est, en effet, dit que la solution
dans de tels cas [TRADUCTION] «dépend de l'ef-
fet envisagé de la dépense d'un point de vue
pratique et commercial plutôt que de la classifi
cation juridique des droits, s'il en est, garantis,
employés ou épuisés en cours de route».
Certains arrêts de notre Cour ainsi que de la
Cour suprême furent cités à l'audience. Il me
paraît suffisant pour décider de la déductibilité
du montant de $115,369.33 payé par la défende-
resse, de citer largement une décision de la Cour
suprême par le juge Pigeon dans M.R.N. c.
Freud [1969] R.C.S. 75 aux pp. 81-84, dans
laquelle il avait accepté comme déductible des
sommes avancées à une compagnie pour la
construction d'un prototype d'automobile,
sommes qui avaient malheureusement été
englouties inutilement puisque l'aventure n'eut
pas de succès:
[TRADUCTION] L'appelant prétend aussi qu'il faut considé-
rer comme un prêt à la compagnie les versements effectués
par l'intimée. Ceci est discutable car, bien qu'on ait pu
prétendre que tout remboursement des sommes avancées à
la compagnie constituait une somme reçue, on pourrait très
bien dire que des sommes versées directement à des tiers
sont des versements volontaires et donc non récupérables.
(Halsbury's Laws of England, 3e éd., vol. 8, p. 231).
A supposer que l'on puisse, à bon droit, considérer que
cette somme constitue une dette de la compagnie, cela
n'implique pas nécessairement qu'il s'agissait d'un place
ment. L'obligation d'effectuer un versement en espèces peut
être, au même titre que d'autres choses, considérée comme
un élément d'actif commercial (Scott c. M.R.N. [1963]
R.C.S. 223, [1963] C.T.C. 176; M.R.N. c. Maclnnes [1963]
R.C.S. 299, [1963] C.T.C. 311; M.R.N. c. Curlett [1967]
R.C.S. 280, [1967] C.T.C. 62). Il est vrai que si dans ces
affaires on a décidé que l'acquisition d'hypothèques au
rabais constituait une opération spéculative, et non un place
ment, c'est parce qu'en l'espèce un grand nombre de ces
opérations avaient été effectuées. Cependant, vu la défini-
tion du mot «entreprise» on peut trouver d'autres motifs à
cette décision. Comme nous l'avons déjà signalé, une seule
opération de nature commerciale constitue une entreprise au
sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, [TRADUCTION] «tant
dans le cas d'un particulier que dans le cas d'une
compagnie».
Il est clair qu'on devra en général qualifier de placement
un prêt consenti par une personne qui ne fait pas commerce
de l'argent. Ce n'est que tout à fait exceptionnellement
qu'une telle opération devrait être jugée de nature spécula-
tive. Toutefois, les circonstances de cette affaire font qu'elle
sort de l'ordinaire. Il est incontestable qu'au début l'opéra-
tion engagée était de nature commerciale. Ce caractère
commercial s'est maintenu jusqu'à la faillite de l'opération.
Au vu de ces circonstances, les sommes qui ont été enga
gées dans la dernière année de l'opération, alors que les
difficultés financières rendaient le caractère spéculatif de
l'entreprise encore plus évident, ne peuvent être considérées
comme un placement. Il importe peu que l'on considère ces
sommes comme le paiement anticipé d'actions à émettre ou
comme une avance remboursable au cas où le projet réussi-
rait. Visiblement, l'argent ne fut pas investi afin de produire
un revenu mais plutôt dans l'espoir de tirer un bénéfice de
l'opération toute entière.
Il importe ici d'examiner la décision de cette Cour dans
l'affaire M.R.N. c. Steer [1967] R.C.S. 34, [1966] C.T.C.
731. Dans cette affaire, il a été jugé que la caution donnée à
une banque en garantie de la créance d'une compagnie
constituait un prêt différé à cette compagnie et qu'une forte
somme versée à la banque afin de solder cette créance
constituait une perte de capital. Cette décision ne veut pas
dire que les prêts constituent toujours des placements mais
seulement que tel était le caractère de ce prêt particulier;
comme nous l'avons vu, dans au moins trois arrêts récents
cette Cour a jugé que des prêts constituaient des opérations
commerciales et que, par conséquent, les profits et pertes
étaient à compte de revenu et non à compte de capital. Il
faut ajouter que cet arrêt ne doit pas faire supposer que
toute dépense engagée afin d'acquérir une participation dans
une affaire de prospection pétrolière, telle que la compagnie
en cause dans l'affaire Steer, ne peut jamais constituer une
opération commerciale car, dans l'arrêt Dobieco Ltd. c.
M.R.N. [1966] R.C.S. 95, [1965] C.T.C. 506, on a jugé
qu'une telle participation constituait un actif commercial
d'une entreprise de courtage. Nous avons vu qu'il existe à
l'égard d'une opération isolée effectuée par un particulier
une présomption qu'elle n'est pas à caractère commercial,
mais cette présomption peut être réfutée et l'on peut faire la
preuve qu'une seule opération constitue en fait une opéra-
tion à caractère commercial et, par conséquent, une «entre-
prise» aux fins de l'impôt sur le revenu.
Dans la présente affaire, nous avons vu que le but premier
de l'entreprise n'était pas la construction d'une voiture de
sport afin de vendre des voitures et de produire un bénéfice
mais que l'idée était de tirer un bénéfice de la vente du
prototype. Par conséquent, le but de l'affaire dès sa mise sur
pied n'était pas de tirer un revenu d'un investissement mais
plutôt de tirer un bénéfice de la revente, ce qui, précisément,
caractérise les opérations de nature commerciale. Rien n'in-
dique de changement dans la nature de l'opération quand
furent effectuées les dépenses en question. Au contraire,
l'affaire avait acquis un caractère spéculatif encore plus
évident car il était tout à fait clair que l'intimé ne pouvait
pas espérer recouvrer quoi que ce soit à moins que le
prototype soit vendu. Les dépenses ne peuvent pas être
considérées hors du contexte de l'ensemble de l'affaire; elles
n'avaient rien d'un prêt ordinaire.
Vu les circonstances, les versements effectués par l'inti-
mée ne pouvaient pas, à mon avis, être considérés comme
un investissement. C'était de la spéculation pure. Si elle en
avait tiré un bénéfice, celui-ci aurait été imposable nonob-
stant la manière dont il avait été réalisé. Ces sommes doivent
donc être considérées comme des dépenses engagées afin de
produire un revenu d'une entreprise de nature commerciale,
à savoir d'une entreprise au sens de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Elles ne peuvent pas être considérées comme des
pertes à compte de capital.
Il me paraît aussi que la perte subie par la
défenderesse lorsqu'elle fut appelée à se porter
caution doit être considérée comme un déboursé
fait dans le but de gagner un revenu dans l'exer-
cice du commerce de son entreprise et non pas
un déboursé ou une perte à compte de capital.
En effet, la preuve révèle que depuis plu-
sieurs années, avant 1966, la défenderesse ven-
dait du tabac à la compagnie Tabacs Trans-
Canada Ltée pour des centaines de milliers de
dollars. Réalisant la mauvaise situation finan-
cière de la compagnie Tabacs Trans -Canada
Ltée, et que cette dernière ne pouvait payer et
prendre livraison d'importantes quantités de
tabac commandées la défenderesse par son pré-
sident, accepta de se porter caution en faveur de
la compagnie la Société des Tabacs Québec Inc.
pour un montant de $200,000 afin de permettre
à cette dernière de se porter acquéreur des
actions de la compagnie Tabacs Trans -Canada
Ltée sans quoi la société obtiendrait la caution
de compétiteurs ontariens de la défenderesse et
la défenderesse perdrait ainsi une bonne cliente.
La défenderesse a voulu, en effet, par cette
caution, maintenir la croissance de ses ventes à
la compagnie Tabacs Trans -Canada Ltée et s'as-
surer en même temps que cette dernière pour-
rait donner suite aux importantes commandes
de tabacs passées.
Il est clair, en effet, que les actes posés par
Jones pour sa compagnie étaient de nature à
bénéficier à cette dernière pour un temps du
moins. Ils avaient uniquement pour but d'aug-
menter ses ventes et, par conséquent, ses profits
et c'est d'ailleurs ce qui en est résulté pour une
certaine période de temps du moins, soit jusqu'à
ce que la Société Tabacs Québec Inc. cesse ses
opérations.
Il est vrai qu'en signant la convention du 27
septembre, la compagnie défenderesse obtenait
une certaine priorité dans l'approvisionnement
de tabac de la Société des Tabacs Québec Inc.
mais c'était toujours «au meilleur prix possible
selon les conditions du marché» tel que men-
tionné à la clause un de la convention.
Le procureur de la demanderesse y voit là
une exclusivité qui donnait à la défenderesse un
actif permanent et soutient que pour cette
raison, le paiement de $115,369.33 devrait être
considéré comme un paiement capital.
Cette exclusivité pour la fourniture de tabac
au prix du marché est d'abord bien relative
puisque la défenderesse n'y a droit que si elle
vend son tabac au meilleur prix du marché. Elle
est, par conséquent, à la merci de ses compéti-
teurs. Quant à la période durant laquelle cette
exclusivité doit exister, elle me paraît être, si
l'on s'en tient aux circonstances décrites dans la
preuve, d'assez courte durée. Jones déclare
qu'elle ne devait durer que quelques mois soit
comme on le lui avait déclaré, le temps néces-
saire pour rembourser le montant de $200,000
par le produit de la vente d'actions de la Société
des Tabacs Québec Inc. D'ailleurs, cette période
en fait n'a duré que jusqu'à la déconfiture de la
société, soit quelques mois après la convention.
Je ne puis, dans ces circonstances, y voir une
exclusivité ou une permanence suffisante pour
qu'on puisse déclarer que la défenderesse obte-
nait par sa caution un avantage de longue durée.
L'appel est par conséquent rejeté avec les
dépens.
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