T-2280-72
Le ministre du Revenu national (Demandeur)
c.
Richard E. Hastie (Défendeur)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 19 décembre 1973; Ottawa, le 10
janvier 1974.
Impôt sur le revenu—Déductions—Paiements à un créan-
cier hypothécaire en plus de la pension alimentaire versée à
l'épouse—Loi de l'impôt sur le revenu, articles 6(1)da),
11(1)la) et 16(1).
Le Ministre a rejeté la déduction des sommes de $1,440 et
$1,616 du revenu du défendeur pour les années 1967 et
1968 respectivement. Ces sommes représentaient une partie
des déductions réclamées pour la pension alimentaire qu'il
était tenu de verser pour l'entretien de sa femme et des
enfants issus de ce mariage, en vertu des jugements interlo-
cutoires rendus à l'occasion de l'action en séparation légale.
Les déductions rejetées représentaient les sommes versées
par le défendeur au créancier hypothécaire pour le domicile
conjugal qu'en vertu des jugements, le défendeur était tenu
de payer à son épouse et ses enfants à titre de modus
vivendi. L'appel du défendeur devant la Commission de
révision de l'impôt fut accueilli.
Arrêt: l'appel est rejeté; à la lecture des articles 6(1)da),
11(1)1a) et 16(1) conjointement, il semble que le but de la
Loi est de permettre au mari de déduire les versements
périodiques (par opposition à une somme globale) qu'il
effectue à titre de pension alimentaire au profit de sa femme
et de ses enfants à charge et de les imposer en tant que
revenu de l'épouse.
II revient au même que le défendeur verse ces sommes
directement au créancier hypothécaire ou qu'il les verse à sa
femme comme le prévoyaient explicitement les jugements.
Le fait que le défendeur a augmenté sa part de proprié-
taire est tout à fait accessoire au fait qu'en effectuant ces
versements au créancier hypothécaire, il entretenait un
domicile pour sa femme et ses enfants.
Même s'il est vrai que le défendeur était obligé d'effectuer
les versements hypothécaires, qu'il soit ou non séparé de sa
femme, ces paiements ont pour effet, en ce qui concerne
l'épouse, de lui donner une pension alimentaire supplémen-
taire d'une valeur équivalente, conformément à l'ordon-
nance du tribunal disposant qu'elle continuerait d'occuper le
domicile conjugal. Le fait que ce jugement ait été inscrit au
registre des hypothèques renforce les droits de la femme,
car son mari ne pourrait pas vendre la propriété sans lui
fournir un logement équivalent: art. 2036 du Code civil.
Arrêts examinés: Cussion c. M.R.N. 66 DTC 297; Trot-
der c. M.R.N. [1968] R.C.S. 728; Brown c. M.R.N. 64
DTC 812, confirmé [1966] R.C.É. 289; M.R.N. c. Pros-
ton [1970] R.C.É. 603; M.R.N. c. Armstrong [1956]
R.C.S. 446; Foxcroft c. M.R.N. (1963) 33 Tax A.B.C.
415.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
Hugues Richard pour le demandeur.
Daniel Phelan pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
le demandeur.
Stewart, McKenna & Cie., Montréal, pour
le défendeur.
LE JUGE WALSH—Par les présentes, le minis-
tre du Revenu national interjette appel d'une
décision de la Commission de révision de l'im-
pôt en date du 26 avril 1972 accueillant l'appel
que le défendeur avait interjeté des cotisations,
datées du 14 juillet 1970, relatives aux années
d'imposition 1967 et 1968 refusant respective-
ment la déduction des sommes de $1,440 et
$1,616 de son revenu. Le défendeur réclamait
une déduction de $2,915 pour l'année d'imposi
tion 1967 et de $3,380 pour l'année d'imposition
1968, conformément à l'article 11(1)(1a) de l'an-
cienne Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952,
c. 148 tel que modifié, au titre de pension ali-
mentaire qu'il était tenu de verser pour l'entre-
tien de sa femme et des enfants issus du
mariage en vertu des jugements interlocutoires
rendus à l'occasion de l'action en séparation
légale. Les sommes dont le Ministre a refusé la
déduction représentaient les paiements effec-
tués au créancier hypothécaire au titre de l'an-
cien domicile conjugal dont le défendeur est
propriétaire et que son épouse et ses enfants
continuent d'occuper conformément auxdits
jugements. Dans le premier jugement interlocu-
toire en date du 26 janvier 1967, l'injonction de
la Cour, en ce qui concerne la pension alimen-
taire, se lit comme suit:
[TRADUCTION] CONDAMNE l'intimé à verser à la requérante
à titre de pension alimentaire provisoire pour elle et les
enfants mineurs issus du mariage la somme de $83.50 par
semaine, soit $33.50 pour l'hypothèque, les taxes et l'entre-
tien du domicile et $50.00 à titre de «Modus Vivendi» pour
la demanderesse et ses enfants.
Le jugement déclare également:
[TRADUCTION] OCTROIE à la demanderesse le droit d'occu-
per pendant l'instance le domicile conjugal sis 39, rue Alder-
crest à Dollard des Ormeaux (P.Q.).
L'avocat de la femme a fait inscrire ce jugement
au registre de la propriété. Un second jugement
interlocutoire augmentant la pension alimentaire
fut rendu le 31 mai 1967. En voici les
conclusions:
[TRADUCTION] PORTE la pension alimentaire provisoire sus-
mentionnée à la somme de $65.00 par semaine, à titre de
modus vivendi pour l'entretien de la demanderesse et des
quatre enfants mineurs des parties et dont elle a la garde; en
plus, le défendeur versera à la demanderesse la somme de
$33.50 pour l'hypothèque, les taxes et l'entretien du domi
cile, soit un paiement total de $98.50 par semaine que le
défendeur devra verser à la demanderesse au domicile de
cette dernière;
Le 28 octobre 1969, fut rendu un jugement
définitif qui n'a pas directement trait à la pré-
sente action qui porte seulement sur les années
d'imposition 1967 et 1968. Ledit jugement a
cependant son importance en ce qu'il indique
quelle nature les divers juges de la Cour supé-
rieure du Québec qui ont eu à connaître du
litige, ont attribué aux paiements effectués.
Voici la conclusion de ce jugement octroyant à'
la femme une séparation de corps:
[TRADUCTION] CONDAMNE le défendeur à verser hebdoma-
dairement à la demanderesse la somme de $85.00 pour son
entretien et celui de ses enfants mineurs. Cette somme est
payable à l'avance au domicile de la demanderesse;
ALLOUE à la demanderesse le droit d'occuper l'ancien
domicile conjugal sis 39, rue Aldercrest à Dollard des
Ormeaux et ordonne au défendeur de payer $33.50 par
semaine pour l'hypothèque et les taxes relatives à ladite
propriété, le tout avec dépens.
L'article de la Loi de l'impôt sur le revenu
qu'invoque le défendeur à l'appui desdites
déductions est le suivant:
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragra-
phe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être
déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une
année d'imposition:
la) un montant payé par le contribuable dans l'année, en
conformité d'une ordonnance d'un tribunal compétent, à
titre d'allocation payable sur une base périodique pour
l'entretien du bénéficiaire de ladite allocation, des enfants
issus du mariage, ou à la fois du bénéficiaire et des
enfants issus du mariage, si le contribuable vivait séparé
de son conjoint à qui il était tenu de faire le paiement à
l'époque où ce dernier a été effectué et durant le reste de
l'année;
Cet article doit être lu conjointement avec l'arti-
cle 6(1)da) qui dispose que:
6. (1) Sans restreindre la généralité de l'article 3, doivent
être inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour
une année d'imposition
da) un montant reçu par le contribuable dans l'année, en
conformité d'une ordonnance d'un tribunal compétent, à
titre d'allocation payable sur une base périodique pour
l'entretien du bénéficiaire de ladite allocation, des enfants
issus du mariage, ou à la fois du bénéficiaire et des
enfants issus du mariage, si le bénéficiaire vivait séparé
du conjoint tenu de faire le paiement à l'époque où ce
dernier a été reçu et durant le reste de l'année;
ainsi, d'une part on permet au mari de déduire
de son revenu le montant qu'il est tenu de payer
sur une base périodique en tant que pension
alimentaire pour l'entretien de sa femme dont il
est séparé et de ses enfants et, d'autre part, la
femme est tenue, aux fins de l'impôt, d'ajouter à
son revenu les montants ainsi reçus. Le montant
ainsi payé n'échappera donc pas totalement à
l'imposition, mais toutefois l'impôt payable à cet
égard sera légèrement inférieur s'il est acquitté
par la femme plutôt que par le mari, car, ayant
l'obligation de verser une pension alimentaire, il
se trouve probablement à un palier d'imposition
supérieur avant la déduction en question. L'avo-
cat pour le Ministre a déclaré que pour plus de
précautions, dans la présente affaire, on a
imposé la femme sur le total des montants
reçus, y compris les paiements versés par le
mari au créancier hypothécaire. La femme a fait
appel de cette cotisation auprès de la Commis
sion de révision de l'impôt, mais l'audition de
cet appel est remise jusqu'à jugement de la
présente affaire. L'avocat a en outre déclaré
que le Ministère n'a pas l'intention de procéder
à une double imposition des montants en litige
et que, si le Ministre a gain de cause dans le
présent appel, le défendeur n'étant pas alors
admis à déduire de son revenu les paiements en
question, le Ministère annulera la cotisation de
ces montants à titre de revenu de la femme. Il
ne s'agit bien sûr en l'espèce que de l'imposition
du défendeur et le litige doit être tranché eu
égard à son assujettissement à l'impôt sur les
sommes en cause, quelles qu'en puissent être les
conséquences fiscales pour son épouse.
En plus de l'article 11(1)1a), le défendeur
invoque l'article 16(1) qui dispose que:
16. (1) Un paiement ou transport de biens effectué selon
les instructions du contribuable, ou avec son consentement,
à quelque autre personne à l'avantage du contribuable ou
constituant un avantage que le contribuable a voulu faire
conférer à l'autre personne, doit être inclus dans le calcul du
revenu du contribuable, dans la mesure où il le serait si le
paiement ou le transport lui avait été fait.
Je n'ignore pas que, dans la présente affaire,
c'est le mari défendeur qui est «contribuable»,
mais, vu les dispositions de l'article 6(1)da), la
femme est également «contribuable» et, si les
paiements au créancier hypothécaire étaient
effectués en son nom et avec son accord, l'arti-
cle 16 lui serait applicable et, réciproquement,
en vertu de l'article 11(1)1a), le défendeur pour-
rait faire lesdites déductions. La femme a témoi-
gné qu'elle n'avait aucune objection à ce que les
paiements soient directement versés au créan-
cier hypothécaire bien que les jugements en
question prévissent que les paiements lui
seraient faits en main propre. Elle n'en avait en
fait jamais tenu compte et il n'est pas déraison-
nable de dire que les versements ont été effec-
tués avec l'accord de la femme, bien que le mari
les ait acquittés directement au créancier hypo-
thécaire à qui il était de toute manière tenu de
les payer en vertu de l'hypothèque.
Le demandeur s'oppose par un double argu
ment à la déduction des paiements hypothécai-
res que le mari a faits au créancier hypothé-
caire. Il soutient en premier lieu que le mari n'a
pas fait ces paiements à sa femme à qui il était
tenu de les faire et, en second lieu, qu'il s'agit de
paiements que, de toute façon, le mari avait
l'obligation contractuelle de faire audit créancier
et que lesdits paiements lui confèrent un avan-
tage car une partie de ceux-ci a pour effet de
réduire le montant de l'hypothèque qui grève sa
propriété. L'avocat du demandeur m'a renvoyé
à certaines décisions de la Commission d'appel
de l'impôt et des tribunaux qui donnent une
interprétation étroite et restrictive de l'article
11(1)1) 1 . Je pense toutefois qu'un examen
approfondi des faits du litige fait ressortir les
différences suffisant à le distinguer de la plupart
des arrêts cités.
Dans l'affaire Brown c. M.R.N. 64 DTC 812,
la Commission d'appel de l'impôt a décidé que
le mari ne pouvait déduire la somme forfaitaire
de $1,170 qu'on lui commandait de payer au
père de sa femme en remboursement du loyer
que celle-ci devait à ses parents, ni la somme
globale de $10,000 qu'on lui ordonnait de verser
à sa femme. On lui a cependant permis de
déduire la pension alimentaire hebdomadaire
qu'il était aussi tenu de verser. Cette décision se
fondait sur le fait que le paiement de $10,000
n'était pas payable sur une base périodique au
sens de l'article 11(1)1) et que le paiement de
$1,170 versé au père de la femme n'était pas
une allocation payable pour l'entretien «du
bénéficiaire». La Cour de l'Échiquier [1966]
R.C.É. 289 a confirmé cette décision en admet-
tant les motifs et les conclusions de la Commis
sion d'appel de l'impôt.
L'affaire Cussion c. M.R.N. 66 DTC 297 se
rapproche plus de la présente espèce, car, en
plus d'une pension alimentaire de $250 par
mois, la convention de séparation intervenue
entre la femme et le mari prévoyait qu'elle con-
tinuerait à habiter le domicile conjugal et que le
mari continuerait à régler les versements hypo-
thécaires de $84 par mois. La maison était leur
propriété commune et le mari a essayé de
déduire la moitié des versements hypothécaires,
I L'article 11(1)0 est fondamentalement semblable à l'arti-
cle 11(1)1a) qui, à mon avis, s'applique mieux à la présente
affaire. Le premier a trait aux jugements ou aux conventions
écrites relatives à des pensions alimentaires lorsque les
parties sont séparées «en conformité d'un divorce, d'une
séparation judiciaire ou d'une convention écrite de sépara-
tion» alors que le second traite de la situation où les parties
vivent séparées, ce qui était le cas dans la présente affaire
avant que ne soit rendu le jugement de séparation de corps
en 1969. De même, l'article 6(1)d) prévoit l'imposition de la
femme sur les paiements qu'elle reçoit conformément à un
jugement ou à une convention écrite à la suite d'un divorce,
d'une séparation judiciaire, ou d'une convention écrite de
séparation alors que l'article 6(1)da), que nous examinons en
l'espèce, a trait à la situation où les parties vivent simple-
ment séparées en attendant le jugement définitif de divorce
ou de séparation de corps sans qu'il n'y ait de convention
écrite de séparation.
soit $42 par mois, en plus de la pension alimen-
taire. Le jugement lui a refusé cette faculté au
motif que les versements étaient effectués ni à
sa femme ni pour son entretien. mais afin de
protéger un bien de capital, à savoir, la maison
qui leur appartenait conjointement. Toutefois,
dans cette affaire, la convention de séparation
prévoyait que le mari acquitterait les verse-
ments hypothécaires au créancier hypothécaire.
Le jugement semble avoir attaché beaucoup
d'importance au fait qu'il n'aurait pas été juste
de demander à la femme de payer, en vertu de
l'article 6(1)4), un impôt sur une somme qu'elle
n'avait jamais reçue, la moitié des versements
hypothécaires étant en fait effectuée au béné-
fice du mari. Aucune de ces décisions n'a étudié
l'application possible de l'article 16 qui traite de
versements indirects et en vertu duquel un ver-
sement peut, avec l'accord du contribuable (en
l'occurrence la femme), être effectué à quelque
autre personne au profit du contribuable et ce
versement est alors inclus dans le revenu du
contribuable de la même manière qu'il l'aurait
été si le versement lui avait été fait directement.
Dans l'affaire M.R.N. c. Sproston [1970]
R.C.É. 603, aux termes d'une ordonnance du
tribunal lors d'une séparation judiciaire, le mari
devait faire à sa femme des versements périodi-
ques à titre de pension alimentaire et pour l'en-
tretien des enfants. Le mari émettait les chèques
de pension alimentaire au nom de sa femme et
les chèques d'entretien au nom de ses enfants.
Ces derniers endossaient ensuite les chèques à
leur mère qui les encaissait et utilisait les fonds
pour subvenir aux besoins du foyer. Le juge
suppléant Sheppard a refusé d'admettre la
déduction des versements touchés par les
enfants, mais il est clair qu'il en a décidé ainsi
car les versements n'étaient pas faits «confor-
mément à» une ordonnance d'un tribunal au
sens de l'article 11(1)0. Le mari était tenu de
payer la somme entière à sa femme et elle seule
pouvait l'obliger à payer. Ce jugement mention-
nait l'affaire Brown (précitée) ainsi que deux
décisions de la Cour suprême rendues dans les
affaires Trottier c. M.R.N. [1968] R.C.S. 728 et
M.R.N. c. Armstrong [1956] R.C.S. 446.
Aucune de ces décisions n'est applicable aux
faits de la présente espèce. Au terme de sa
décision, le juge suppléant Sheppard déclarait à
la page 611:
Il s'ensuit que l'article exige que le paiement soit fait à
l'épouse, pour que l'intimé, en qualité de contribuable,
puisse le déduire. Puisque tel n'est pas le cas, en l'espèce
Toutefois, cette décision n'étudiait pas non plus
l'effet modificatif que pourrait avoir l'article 16
lu conjointement avec l'article 11(1)0. Dans l'af-
faire Trottier (précitée), il s'agissait d'un cas où
dans une convention de séparation, le mari avait
admis le droit de sa femme à la moitié de la
valeur d'un hôtel qu'ils avaient géré ensemble et
il avait convenu de lui verser la somme de
$45,000 à titre de règlement, somme garantie
par une hypothèque sur l'hôtel qui était en son
nom. Il devait verser des mensualités de $350 à
ce titre, y compris l'intérêt sur le solde. Le mari
s'est vu refuser le droit de déduire ces mensuali-
tés en tant que pension alimentaire, le juge
Cattanach ayant décidé qu'il s'agissait de paie-
ments au titre de l'hypothèque et non de pen
sion alimentaire. L'hypothèque n'avait pas été
consentie en tant que garantie subsidiaire des
versements périodiques effectués en vertu de la
convention de séparation, mais pour permettre
au mari de s'acquitter de l'obligation qu'il avait
d'entretenir sa femme, les termes de la conven
tion de séparation faisant ressortir que l'hypo-
thèque avait été consentie en [TRADUCTION]
«règlement complet de toute réclamation d'ali-
ments contre son mari». L'intimé était absolu-
ment tenu de verser la somme de $45,000 quels
que puissent être les changements de la situa
tion financière ou de l'état civil de sa femme,
qu'elle meure ou qu'elle reste en vie. C'est pour
cette raison qu'on ne pouvait considérer ces
paiements comme une pension alimentaire.
Cette décision de la Cour de l'Échiquier, publiée
dans le recueil [1967] 2 R.C.É. 268, fut confir-
mée par la Cour suprême dans l'arrêt Trottier c.
Le ministre du Revenu national (précité).
Il convient également de distinguer l'affaire
Armstrong (précitée), car il s'agissait là égale-
ment du versement d'une somme globale. Dans
cette affaire, le jugement de divorce prévoyait
le versement de mensualités de $100 à la femme
pour son entretien et celui de sa fille. Après
avoir accepté ces versements pendant deux ans,
la femme a alors accepté le paiement d'une
somme globale en règlement de tous les verse-
ments à échoir. En rendant sa décision, le juge
Kellock a déclaré à la page 448:
[TRADUCTION] Si, par exemple, l'intimé s'était entendu
avec sa femme pour lui acheter une maison contre quittance
de toutes les obligations qui lui incombaient en vertu du
jugement, le prix d'achat ne saurait, même en forçant le sens
des mots, être couvert par cet article. II convient d'appliquer
le même principe à une somme globale versée directement à
la femme pour toute quittance. Une telle somme versée au
lieu des versements périodiques exigés par le jugement est
de la nature d'un capital que la Loi n'englobe pas.
Dans la présente affaire, il ne s'agit pas du
versement d'une somme globale, mais de men-
sualités qui peuvent au bout de nombreuses
années, aboutir à l'achat du domicile commun,
mais qu'on ne peut pas assimiler à une somme
globale déboursée afin d'acheter une maison
que la femme habitera. L'avocat du demandeur
a admis lors des plaidoiries que, s'agissant d'un
logement loué dont le mari aurait continué de
payer le loyer auquel il était tenu par le bail,
alors que sa femme continuait d'habiter dans
l'ancien domicile conjugal conformément au
jugement du tribunal, le Ministre ne se serait
pas opposé à la déduction de ces versements
mensuels de loyer comme partie de la pension
alimentaire que la mari était tenu de verser à sa
femme et à ses enfants.
Dans l'affaire Foxcroft c. M.R.N. 33 Tax
A.B.C. 415, soumise à la Commission d'appel
de l'impôt et citée par le défendeur, le tribunal
familial avait ordonné à l'appelant de verser
mensuellement $40 pour l'entretien de sa
femme et de son enfant. Le mari avait en plus
convenu de verser une certaine somme à l'égard
des paiements d'hypothèque et de taxes relati
ves au domicile conjugal que la femme conti-
nuait d'occuper. On lui refusa le droit de
déduire cette somme de son revenu. Dans sa
décision, Maurice Boisvert c.r. a déclaré à la
page 418:
[TRADUCTION] II ne fait aucun doute que l'appelant a
accepté d'effectuer les versements périodiques afin de con-
server leur maison et d'assurer un domicile à sa femme et à
son enfant; on a pris cet engagement en considération
lorsqu'on a fixé la pension alimentaire à $40 par mois.
Une telle considération n'est ni un jugement ni une ordon-
nance d'un tribunal. La Cour n'avait pas ordonné à l'appe-
tant de payer la somme de $44.27 chaque mois. L'appelant
s'est montré disposé à assumer ces versements, mais la Cour
ne s'est pas prononcée à ce sujet; cette somme n'a donc pas
été payée «conformément à une ordonnance» et ne constitue
pas une «pension alimentaire» pour l'entretien de la personne
qui la reçoit. De plus, les versemeats ont été effectués à une
tierce personne et au profit réciproque de l'appelant et de sa
femme.
Dans la présente affaire, il existe une ordon-
nance du tribunal confirmant le droit de la
femme à habiter le domicile conjugal et enjoi-
gnant au mari de verser $33.50 par semaine
pour couvrir l'hypothèque, les taxes et l'entre-
tien dudit domicile, somme qui fut incorporée
au montant total à verser à l'épouse comme
pension alimentaire. Il me semble que ce serait
faire une distinction trop subtile que de déclarer
que, si le mari avait payé cette somme à sa
femme et qu'elle l'avait ensuite utilisée pour
effectuer des versements hypothécaires, on
aurait considéré le tout comme une pension
alimentaire qui lui était versée, mais simplement
du fait que le mari a effectué directement les
versements au créancier hypothécaire, on ne
devrait plus considérer cette somme comme une
pension alimentaire. Je pense que l'on peut
peut-être trouver à l'article 16 la justification du
refus de faire une distinction aussi subtile, arti
cle qu'aucun des arrêts cités ne semble avoir
considéré. Il est également intéressant de noter
la rédaction de l'article 11(1)1a) qui autorise la
déduction d'«un montant payé par le contribua-
ble dans l'année, en conformité d'une ordon-
nance d'un tribunal compétent» et dont la con
clusion porte que «si le contribuable vivait
séparé de son conjoint à qui il était tenu de faire
le paiement» (les italiques sont de moi). Le mari
n'a pas versé l'argent directement à sa femme,
mais on peut pourtant dire qu'il l'a implicite-
ment fait, avec son accord, en appliquant les
dispositions de l'article 16(1); personne ne con-
teste que la somme a effectivement été
«payée». Je ne peux par conséquent pas sous-
crire au premier argument du demandeur.
Son second argument est beaucoup plus com-
pliqué, car il ne fait aucun doute que les verse-
ments effectués confèrent aussi un avantage au
mari en tant que propriétaire. L'hypothèque a
pour origine l'achat de la propriété par le défen-
deur, le 18 mars 1963. A l'époque, celui-ci a pris
à sa charge le solde de $14,450, avec intérêt à
6i%, par mensualités de $96.79 versées au cré-
ancier hypothécaire, la London Life Assurance
Company, en vertu d'un prêt de la S.C.H.L. De
plus, le défendeur était tenu de régler par men-
sualités 1/12 du total estimatif des taxes. Bien
que l'on n'ait produit que le titre de vente établi
par la Belcourt Construction Company, le cons-
tructeur, et non le contrat de prêt de la London
Life, celui-ci imposait certainement l'obligation
d'assurer la propriété afin de protéger le prêt.
Bien que deux jugements provisoires de 1967 et
1968 précisent que le versement hebdomadaire
de $33.50 était en règlement de l'hypothèque,
des taxes et de l'entretien du domicile, la femme
du défendeur a témoigné qu'aucun entretien n'a
été nécessaire durant cette période. On peut
supposer que la différence entre $1,742 par an,
soit le total des versements hebdomadaires de
$33.50 ordonné par la Cour, et la somme de
$1,161.48, soit le total des 12 versements men-
suels de $96.79 à compte de capital et de l'inté-
rêt, représente à peu près le montant de l'assu-
rance et des taxes. Étant donné que sur
$14,450, l'intérêt à 6i% se monte à $939.25 par
an, la différence entre ce chiffre et la somme de
$1,161.48, qui représente le total des douze
paiements mensuels sur l'hypothèque, nous
donne la diminution de capital dont profiterait le
défendeur. Après chaque versement mensuel de
$96.79, la part des intérêts sur le solde est
légèrement réduite et celle du capital augmentée
dans la même proportion, mais de 1963 à 1968,
soit les cinq premières années du prêt, la part
des versements mensuels attribuable au capital
sera relativement peu importante. Ni le contrat
de prêt ni les tableaux montrant la répartition
des versements n'ayant été produits, il est
impossible d'effectuer un calcul exact. Il est
cependant probable qu'il faudra au moins trente
ans pour amortir le prêt. On peut calculer très
approximativement que la part des versements
mensuels à compte de capital pour chacune des
années 1967 et 1968 se situe entre $250 et $300
et que c'est la seule partie des paiements qui
profite au défendeur et non à sa femme et à ses
enfants. Bien que la question n'ait pas été soule-
vée et qu'on ne m'ait pas demandé de la tran-
cher, ce que, de toute manière, je n'aurais pu
faire catégoriquement en l'absence de chiffres
exacts, il aurait peut-être été possible d'invo-
quer les dispositions de l'article 16(2). Ce texte
dispose comme suit:
16. (2) Aux fins de la présente Partie, un paiement ou
transport de biens effectué, pendant l'année d'imposition, au
contribuable ou à quelque autre personne à l'avantage du
contribuable et d'autres personnes conjointement, ou un
bénéfice réalisé conjointement par le contribuable et d'au-
tres personnes dans une année d'imposition, est censé avoir
été reçu par le contribuable dans l'année à concurrence de
son intérêt en l'espèce, même s'il n'y a pas eu division ou
distribution à cet égard pendant l'année en question.
Si l'on appliquait ce texte, la partie des verse-
ments effectuée en 1967 et 1968 à compte de
capital aurait pu être attribuée au défendeur qui
n'aurait pu la déduire de son revenu, alors que
les parties représentant l'intérêt et les taxes
auraient dans ce cas été attribuées à la femme.
Je ne pense cependant pas qu'il soit néces-
saire d'étudier l'affaire de ce point de vue. A la
lecture des articles 11(1)1a), 6(1)da) et 16 con-
jointement, il me semble que le but de la Loi est
de permettre au mari de déduire les versements
périodiques (par opposition à une somme glo-
bale) qu'il effectue à titre de pension alimentaire
au profit de sa femme et de ses enfants à
charge, et de les imposer ensuite en tant que
revenu de la femme. En_ fixant le montant de la
pension alimentaire qu'elle demandait, les tribu-
naux ont de toute évidence pris en considération
le fait qu'elle allait continuer d'occuper le domi
cile conjugal aux frais du défendeur, ce qui
représentait une pension alimentaire totale de
$83.50 par semaine aux termes du jugement du
26 janvier 1967 et de $98.50 par semaine aux
termes du jugement du 31 mai 1967. Il est bien
certain que le défendeur n'aurait pas pu fournir
une pareille résidence à sa femme et à leurs
quatre enfants mineurs pour moins de $33.50
par semaine, soit un loyer mensuel d'à peu près
$145. La femme avait demandé cette somme en
plus de la partie de la pension alimentaire qui lui
était directement versée en espèces. Le fait que
le défendeur a augmenté sa part de propriétaire
d'environ $500 ou $600 pendant les deux
années en question (en laissant de côté des
facteurs extérieurs tels que l'augmentation pos
sible de la valeur de la propriété à cause de
l'inflation, facteur que nous ne saurions prendre
en considération) est tout à fait accessoire au
fait qu'en effectuant ces versements au créan-
cier hypothécaire, il entretenait un domicile con-
forme au niveau de vie de sa femme et de ses
enfants.
A cet égard, on peut citer l'article 12(1)b) de
la Loi qui dispose que:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
b) d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplace-
ment de capital, d'un paiement à compte de capital ou
d'une allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou
d'épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la
présente Partie,
Il convient de souligner que l'article 11(1)1a)
commence par les mots «Par dérogation aux
alinéas a), b) et h) du paragraphe (1) de l'article
12»; ainsi alors que, selon la règle générale, le
contribuable ne peut opérer aucune déduction à
l'égard d'un paiement à compte de capital, cette
disposition est écartée par l'application de l'arti-
cle 11(1)1a).
Le demandeur soutient que le défendeur était
obligé d'effectuer les versements hypothécaires
qu'il soit ou non séparé de sa femme, qu'il soit
ou non obligé de lui verser une pension alimen-
taire ou même qu'elle reste en vie ou non ou que
lui-même reste en vie ou non, car en cas de
décès, l'obligation retomberait sur la succession.
Bien que ce soit sans aucun doute vrai quant
aux rapports entre le mari et le créancier hypo-
thécaire, en ce qui concerne l'épouse, les paie-
ments ont pour effet de lui donner une pension
alimentaire supplémentaire d'une valeur équiva-
lente, conformément à l'ordonnance du tribunal
disposant qu'elle continuerait d'occuper le
domicile conjugal. Le fait que ce jugement ait
été inscrit au registre des hypothèques renforce
les droits de la femme, car son mari ne pouvait
pas, s'il voulait le faire, vendre la propriété sans
fournir à sa femme un logement équivalent. Le
troisième alinéa de l'article 2036 du Code civil
de la province de Québec dispose que:
Dans le cas de jugement pour pension alimentaire, la
Cour supérieure, sur requête à cet effet de la part de la partie
contre laquelle le jugement a été prononcé, pourra de temps
à autres fixer le ou les immeubles du débiteur sur lequel ou
lesquels l'hypothèque judiciaire pourra s'exercer, et ordon-
ner, aux frais du requérant, la radiation de toute telle hypo-
thèque prise et enregistrée suivant les dispositions du pré-
sent article.
Cet article a pour seul effet que le défendeur
aurait pu substituer une autre propriété contre
laquelle le jugement aurait été enregistré, mais
cela seulement avec la permission de la Cour. Il
est certain que la propriété ne trouvera aucun
acquéreur aussi longtemps qu'est enregistrée
contre elle une hypothèque judiciaire résultant
d'un jugement fixant la pension alimentaire.
Je ne suis pas sans savoir que, cette décision
va à l'encontre de celle rendue par la Commis
sion d'appel de l'impôt dans l'affaire Cussion
(précitée) et de certaines déclarations de la Cour
de l'Échiquier et de la Cour suprême dans les
arrêts rendus dans l'affaire Trottier (précitée).
Toutefois, il s'agissait plutôt d'obiter car, il était
clair dans cette affaire-là que le mari, au lieu
d'une pension alimentaire, avait donné à sa
femme une hypothèque sur sa propriété rem-
boursable par mensualités de capital et d'intérêt.
Il n'était aucunement question que la femme
continue à habiter ladite propriété, la seule
question étant de déterminer si les paiements
étaient à compte d'hypothèque, et c'est ce qu'à
bon droit les tribunaux ont décidé, plutôt qu'à
titre de pension alimentaire. De plus, nous
l'avons indiqué plus haut, aucun de ces arrêts
n'envisageait la possibilité d'appliquer l'article
16 de la Loi ou le fait que l'application de
l'article 12(1)b) est précisément exclue par l'ar-
ticle 11(1)1a), deux articles qui, à mon sens, sont
importants pour déterminer le but véritable de la
Loi. En rédigeant une ordonnance de pension
alimentaire, les tribunaux peuvent à bon droit
tenir compte des conséquences fiscales de cel-
le-ci. Si, par suite de ce jugement, le coût net,
pour le mari, des paiements qu'il est tenu de
faire et les avantages nets de ces versements
pour sa femme, y compris l'occupation de la
maison, sont inférieurs à ce qui était prévu,
compte tenu des incidences fiscales, une
requête peut être présentée au tribunal qui a
statué sur la pension alimentaire pour lui
demander de l'augmenter, mais ce n'est pas une
décision du ressort de cette cour. Par consé-
quent l'appel est rejeté avec dépens et la cotisa-
tion est déférée au Ministre pour qu'elle soit
modifiée en conséquence.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.