Montreal Trust Company, exécutrice testamen-
taire de feu John Stewart Donald Tory
(Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
suppléants St.-Germain et Bastin —Toronto, le
27 juin 1973.
Impôt sur le revenu—Cession au légataire des comptes à
recevoir dus au testateur—Comptes à recevoir d'un montant
supérieur au legs—S'agit-il d'une cession de comptes à rece-
voir à un bénéficiaire à titre de bénéficiaire—La succession
est assujettie à l'impôt sur l'excédent des comptes à rece-
voir—Loi de l'impôt sur le revenu, article 64(2) et (3).
Au moment de son décès en 1965, un avocat de Toronto
avait des comptes à recevoir s'élevant à $483,350. Sa fille a
reçu un legs de $100,000 aux termes du testament. On lui a
versé $10,000 et, en vertu d'un accord avec l'exécutrice, elle
dégagea celle-ci de l'obligation de lui payer le solde du legs
et lui paya la somme de $380,000 en contrepartie de la
cession des comptes à recevoir. Elle n'était pas résidente au
Canada.
Arrêt: confirmant le jugement rendu par le juge Walsh, la
succession de l'avocat est assujettie à l'impôt sur la somme
de $380,000, en vertu de l'article 64(2) de la Loi de l'impôt
sur le revenu. Les comptes à recevoir étaient «des droits ou
des choses» qui «si on les avait liquidés auraient été inclus
dans son revenu» pour l'année 1965, au sens de l'article
64(2). Interprété correctement, l'article 64(3) qui dispose
que l'article 64(2) ne s'applique pas aux droits ou aux choses
«cédées ou distribuées aux bénéficiaires», ne peut s'appli-
quer à la cession des comptes à recevoir au légataire. Il faut
suivre la règle noscitur a sociis, et le mot «cédé» à l'article
64(3) ne comprend pas les biens acquis par le bénéficiaire
non pas en tant que bénéficiaire mais en tant qu'acquéreur à
titre onéreux.
APPEL de la décision du juge Walsh [1971]
C.F. 248.
AVOCATS:
H. L. Morphy et D. Andison pour
l'appelante.
G. W. Ainslie, c.r., et W. J. A. Hobson pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Tory, Tory, Deslauriers et Binnington,
Toronto, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Le jugement de la Cour a été prononcé par
LE JUGE SUPPLÉANT BASTIN (oralement)—
Appel est interjeté d'une décision de la Division
de première instance qui avait rejeté l'appel
interjeté par l'appelante d'un avis de nouvelle
cotisation à l'égard de l'année d'imposition
1965. L'appel met en cause l'interprétation de
l'article 64 de la Loi de l'impôt sur le revenu et
plus précisément de son paragraphe (3) qui se lit
comme suit:
Droits ou choses transférés aux bénéficiaires
64. (3) Lorsque, avant l'expiration du délai accordé pour
le choix prévu au paragraphe (2), un droit ou une chose à
laquelle ledit paragraphe s'appliquerait autrement, a été
cédée ou distribuée aux bénéficiaires ou à d'autres person-
nes ayant un intérêt bénéficiaire dans la fiducie ou
succession,
a) le paragraphe (2) ne s'applique pas à ce droit ou à cette
chose, et
b) un montant reçu par l'un des bénéficiaires ou autres
semblables personnes lors de la réalisation ou de la dispo
sition de ce droit ou de cette chose doit être inclus dans le
calcul de son revenu pour l'année d'imposition dans
laquelle il l'a reçu.
Les faits essentiels sont les suivants: l'appe-
lante est l'exécutrice testamentaire de John
Donald Tory, un avocat torontois, qui calculait
les bénéfices de son étude en utilisant la
méthode de la comptabilité de caisse. Il est
décédé le 27-août 1-965, laissant notamment ses
trois enfants, Mary Virginia Denton, John
Arnold Tory et James Maxwell Tory. Lors de
son décès, ses comptes à recevoir s'élevaient à
$483,350. Aux termes de son testament, Mme
Denton a reçu un legs en espèces de $100,000
dont on lui a versé $10,000. Le 8 février 1966,
elle a conclu un accord avec l'appelante aux
termes duquel on devait lui céder les comptes à
recevoir s'élevant à la somme de $483,350 en
contrepartie de quoi elle dégageait la succession
de l'obligation de lui verser le solde du legs
s'élevant à $90,000 et elle s'engageait à verser à
l'exécutrice la somme de $380,000 en monnaie
canadienne dans un délai d'un an.
Mme Denton a quitté le Canada le 11 février
1966 pour rejoindre son mari et ses enfants aux
États-Unis; elle n'a pas résidé au Canada depuis
cette date. Elle a recouvré le montant total des
comptes à recevoir qu'on lui avait cédés et, le
16 février 1967, elle a versé à l'appelante la
somme de $380,000.
L'appelante n'a pas inclus ces comptes à rece-
voir dans la déclaration sur le revenu de 1965
de la succession au motif que le droit de les
recouvrer avait été cédé à une bénéficiaire du
contribuable dans le délai stipulé à l'article 64(2)
de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ler juin
1966, l'intimé a établi la cotisation pour l'année
d'imposition 1965 en estimant que la somme de
$483,350 aurait dû être incluse dans le calcul de
l'impôt du contribuable pour 1965. L'appelante
s'est dûment opposée à la cotisation et, le 7 août
1968, l'intimé a établi une nouvelle cotisation
pour 1965 en estimant qu'en vertu de l'article
64(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le
montant inclus à bon droit pour 1965 à l'égard
des comptes à recevoir était de $380,000. L'ap-
pelante a alors interjeté appel à la Division de
première instance.
Dans ses motifs du jugement, [1971] C.F.
248, à la p. 261 datés du 25 juin 1971, le savant
juge de première instance a décidé ce qui suit:
L'article 64(3) s'applique aux cessions ou distributions de
droits ou de choses à un bénéficiaire ou à une autre per-
sonne ayant un intérêt bénéficiaire dans la succession ou la
fiducie, uniquement lorsque cette cession ou distribution lui
a été faite à titre de bénéficiaire et non à titre d'acquéreur à
titre onéreux. Si donc Mme Denton avait été légataire d'un
montant égal ou supérieur à $483,350 et avait accepté les
comptes en paiement de ce legs, aucun impôt n'aurait pu
être exigé de la succession du défunt au moment de leur
perception et, puisque Mme Denton n'était pas elle-même
assujettie à l'impôt au Canada, les comptes auraient été
perçus sans que personne n'ait à payer d'impôt à leur égard,
ce qui aurait d'ailleurs été une application tout à fait cor-
recte et légitime de l'art. 64(3) de la loi. Je ne puis cependant
interpréter cet article comme s'appliquant à tous les droits
ou choses pouvant être cédés ou distribués par vente à titre
onéreux à une personne qui est par ailleurs un bénéficiaire
ou a un intérêt bénéficiaire dans une succession ou fiducie,
quelle que soit la modicité de l'intérêt bénéficiaire qu'elle y
détient. Je conclus donc qu'à l'égard des droits ou choses
ainsi cédés, excédant le montant pour lequel l'acquéreur est
bénéficiaire ou pour lequel il détient un intérêt bénéficiaire
dans la succession, il est un simple acquéreur à titre onéreux
et que la succession ou fiducie sont assujetties à l'impôt sur
les montants ainsi cédés en vertu des dispositions de l'art.
64(2). L'appel est donc rejeté avec dépens.
Pour interpréter les termes employés dans un
texte législatif, il faut tout d'abord en examiner
l'économie. Le but de l'article 64 est d'assurer
le paiement de l'impôt sur le revenu sur les
droits ou choses appartenant à un contribuable
décédé, qui, s'il les avait liquidés ou vendus,
auraient été inclus dans son revenu. Le but de
l'article était que ces droits ou choses soient
imposés dans les mains de l'exécuteur testamen-
taire ou de l'administrateur des biens du de
cujus ou dans celles des bénéficiaires. L'appe-
lante soutient qu'il faut interpréter le terme
«cédée» en dehors du contexte dans lequel on
l'utilise de façon à ce que le bénéficiaire d'un
legs, même minime, puisse acheter à l'exécuteur
les droits ou choses quelle que soit leur valeur.
Une telle interprétation ne se justifie pas.
On doit considérer la clause dans son ensem
ble: «Lorsque ... un droit ou une chose ... a
été cédée ou distribuée aux bénéficiaires ou à
d'autres personnes ayant un intérêt bénéficiaire
dans la fiducie ou succession ...» Les termes
«distribuée aux bénéficiaires» limitent nette-
ment la valeur des droits ou des choses à trans-
férer à chaque bénéficiaire à la partie du legs
auquel il a droit. Si ce que le législateur envisa-
geait était une vente des comptes à recevoir, ou
des choses semblables, à une personne qui se
trouve être bénéficiaire, le mot distribué serait
tout à fait inadéquat. Si telle avait été son inten
tion, il n'aurait pas inséré le mot «distribuée»
dans ce paragraphe.
En l'espèce, le transfert de $90,000 des
comptes à recevoir à Mme Denton était une
distribution conforme aux termes du testament
mais le transfert des soldes des comptes à rece-
voir était en fait une vente à Mme Denton pour
une contrepartie valable. Pour ce qui est des
$90,000, leur transfert soldait son legs. Le
terme «distribuée» est utilisé pour couvrir les
cas où la cession est répartie entre plusieurs
bénéficiaires. Le terme «cédée» a été inséré
pour couvrir le cas où la cession ne va qu'à une
seule personne.
La signification du terme «cédée» à ce para-
graphe est restreinte par son association au mot
distribuée. Cette règle est résumée par l'expres-
sion «noscuntur a sociis». Citons un extrait de
l'ouvrage de Maxwell on Interpretation of Statu
tes, 12e édition, à la page 289:
[TRADUCTION] Où deux ou plusieurs mots pouvant présen-
ter une analogie sont groupés, noscuntur a sociis, ils sont
utilisés dans leur sens parent. Ils prennent, pour ainsi dire,
une couleur commune, le sens du plus général étant restreint
à un sens analogue à celui du moins général.
Le sens des deux mots «cédée» et «distribuée»
est aussi coloré par leur lien avec l'expression
«bénéficiaires ou ... d'autres personnes ayant
un intérêt bénéficiaire dans la fiducie ou
succession».
La valeur des droits ou choses est donc limi-
tée au montant de l'héritage du bénéficiaire. S'il
en acquiert plus, il devient un acquéreur à titre
onéreux et la succession est imposable sur cette
partie de la cession.
Dans son exposé des faits et du droit, l'appe-
lante a souligné qu'en vertu du testament du de
cujus, Mme Denton n'était pas seulement bénéfi-
ciaire d'un legs de $100,000 mais qu'elle avait
aussi un intérêt direct dans le reliquat de la
succession ainsi que le stipule le paragraphe 3h)
du testament. Elle bénéficiait aussi d'un intérêt
différé dans le reliquat des fonds mis en réserve
en vertu des paragraphes 3f) et g). Il appert que
cet argument n'a pas été soulevé lors de l'appel
plaidé sur un exposé conjoint des faits devant la
Division de première instance. On n'a pas non
plus présenté de preuves démontrant la valeur
de son intérêt dans la succession hormis son
legs de $100,000 si bien qu'en appel, on ne peut
prendre en considération les intérêts différés de
Mme Denton. De toute façon, elle n'a pas acquis
ces comptes à recevoir en sus des $90,000 en
contrepartie de son intérêt différé dans la suc
cession mais à titre d'acquéreur.
L'appel est rejeté avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.