A-177-73
La Reine (Appelante)
c.
Gary Bowl Limited (Intimée)
Cour d'appel, les juges Thurlow et Ryan, le juge
suppléant Mackay —Ottawa, les 13 et 21 juin
1974.
Impôt sur le revenu—Cotisations portant la mention
«nil» —Aucun droit d'appel—Loi de l'impôt sur le revenu,
art. 46(4) et 58(4), adoptés par S.C. 1960, c. 43, art. 15(2),
17(2); art. 59, 60; S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 178(2)—Loi
sur la Cour fédérale, art. 28; Règles 341, 474.
Le contribuable interjeta appel à la Commission d'appel
de l'impôt (maintenant la Commission de révision de l'im-
pôt) des cotisations portant la mention «nil» pour les années
d'imposition 1967, 1968, 1969. La Commission rejeta la
demande du Ministre visant à infirmer l'appel qui fut
accueilli au fond. La Couronne, en qualité d'appel'ante
devant la Division de première instance, demanda l'annula-
tion de la décision de la Commission et, se fondant sur les
admissions contenues dans les plaidoiries, demanda que
jugement soit rendu conformément à la Règle 341. La
requête fut rejetée ([1973] C.F. 1052). La Couronne inter-
jeta appel.
Arrêt: il fut admis que l'appel interjeté par le contribuable
à la Commission de révision de l'impôt visait les cotisations
portant la mention «nil». Compte tenu de la décision rendue
dans l'affaire Okalta Oils Ltd. c. M.R.N. [1955] R.C.S. 824,
il ne subsistait aucun point de droit assez défendable à
présenter en faveur du droit du contribuable à cet appel. Il
devenait évident que la Couronne était fondée à demander
l'annulation de la décision de la Commission et le rejet de
l'appel du contribuable. La Couronne pourrait faire valoir ce
droit en interjetant appel de la décision de la Commission,
en tant que décision au sens des articles 59, 60. L'appel de
la Couronne doit être accueilli et jugement inscrit, accueil-
lant l'appel interjeté contre la Commission et rétablissant les
cotisations portant la mention «nil».
Arrêts examinés: Libby-Owens-Ford Glass Company c.
Ford Motor Company of Canada (N 1) [1969] 1 R.C.É.
440; Thorp c. Holdsworth [1876] 3 Ch. D. 637; Gilbert
c. Smith [1876] 2 Ch. D. 686. Distinction faite avec
l'arrêt: Anjulin Farms Ltd. c. M.R.N. [1961] R.C.É.
381.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
N. A. Chalmers, c.r., pour l'appelante.
Morley Greene pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Buchwald, Asper, Henteleff et Associés,
Winnipeg, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE THURLOW: Par les présentes, appel
est interjeté d'une ordonnance de la Division de
première instance qui avait refusé une demande
de jugement fondée sur des admissions faites
dans les plaidoiries. Devant la Division de pre-
mière instance, la Couronne avait interjeté appel
d'une décision de la Commission de révision de
l'impôt qui avait accueilli un appel de cotisa-
tions qu'on désigne ordinairement comme des
«cotisations portant la mention nil» pour les
années 1967, 1968 et 1969 et qui les déférait au
Ministre pour un nouvel examen et une nouvelle
cotisation.
A l'appui de sa demande, la Couronne a invo-
qué la Règle 341, qui seli1comme suit:
Règle 341. Une partie peut, à tout stade d'une procédure,
demander un jugement sur toute question
a) après une admission faite dans les plaidoiries ou d'au-
tres documents déposés à la Cour, ou faite au cours de
l'interrogatoire d'une autre partie, ou
b) au sujet de laquelle la seule preuve est constituée par
des documents et les affidavits qui sont nécessaires pour
prouver la signature ou l'authenticité de ces documents,
sans attendre le jugement de tout autre point litigieux entre
les parties.
Après avoir cité un extrait de la décision du
président Jackett (tel était alors son titre) dans
l'affaire Libby-Owens-Ford Glass Company c.
Ford Motor Company of Canada', le savant
juge de première instance a rejeté la demande
aux motifs que le litige portait sur un ou plu-
sieurs points de droit, que la demande visait
l'obtention d'un jugement qui règlerait la ques
tion en entier et que, selon lui, tel n'était pas le
but de la Règle 341, qui, de ce fait, ne convenait
pas en l'espèce.
Le libellé de la Règle 341 est quelque peu
différent de celui de l'ancienne Règle 256B(2)
de la Cour de l'Échiquier et des Règles sembla-
bles qui sont depuis longtemps en vigueur en
Angleterre et dans les autres juridictions de
common law. Toutefois, l'objet de la Règle ne
' [1969] 1 R.C.É. 440, à la p. 444.
me semble pas différer fondamentalement de
celui des règles semblables. A mon avis, l'appli-
cation de la Règle 341 ne se limite pas aux cas
où il y a plusieurs causes d'action et où les
admissions justifient un jugement sur certaines
d'entre elles, mais non sur les autres, et je ne
crois pas que l'on doive interpréter les observa
tions du président Jackett dans l'affaire Libby-
Owens-Ford Glass comme limitant l'application
de la Règle à de telles situations.
Le maître des rôles Jessel dans l'affaire
Thorp c. Holdsworth 2 a commenté, à la page
640, la contrepartie anglaise de la Règle 341
dans les termes suivants:
[TRADUCTION] La règle 11 de l'ordonnance XL. permet au
demandeur ou au défendeur d'éliminer tout ce qui, dans
l'action, n'est pas sujet à controverse. Tel en est le sens. Il
se peut que l'ensemble du litige ne fasse pas l'objet de
controverse, ce qui peut permettre à l'une ou l'autre des
parties de demander jugement sur admission de fait dans les
plaidoiries.
Voici ce que le lord juge Mellish déclarait au
sujet de la même Règle dans l'affaire Gilbert c.
Smith' à la page 688:
[TRADUCTION] J'estime que la règle 11 de l'ordonnance XL.
fut expressément rédigée de façon que, s'il n'y a aucune
controverse entre les parties et s'il ressort des plaidoiries
une admission telle qu'elle montre clairement que le deman-
deur a droit à une ordonnance particulière, il lui soit permis
de l'obtenir immédiatement au moyen d'une requête. Cette
admission de faits doit cependant être telle qu'elle montre
que le demandeur a manifestement droit à l'ordonnance
réclamée, qu'il s'agisse d'un ordre, d'un jugement ou autre.
La règle n'a pas été conçue pour s'appliquer lorsqu'une
question de droit importante est en cause. Mais s'il ressort
des plaidoiries une admission qui accorde manifestement au
demandeur le droit à une ordonnance, il était prévu qu'il
puisse immédiatement obtenir toute ordonnance qui aurait
pu être rendue lors de l'audition de l'action.
Dans cette affaire, l'unique cause d'action
portait sur le partage de terrains; la réclamation
portait sur le partage et visait l'obtention d'une
ordonnance aux fins de recueillir des renseigne-
ments nécessaires. Le titre du demandeur
n'étant pas contesté, l'ordonnance en vue de
l'obtention de renseignements fut rendue en
vertu de la Règle.
Comme l'indiquent, me semble-t-il, les passa
ges que j'ai cités, la Règle se limite aux situa-
2 [1876] 3 Ch. D. 637.
3 [1876] 2 Ch. D. 686.
tions où, par suite des admissions etc., il n'y a
aucune controverse quant à l'action prise globa-
lement ou quant à l'une de ses parties. Même
lorsque tous les faits nécessaires ont été admis,
mais que leurs conséquences juridiques sont
toujours controversées, la Règle n'est pas appli
cable si la question de droit est importante ou
assez défendable. On ne peut valablement invo-
quer la Règle, telle que je la conçois, au lieu de
soumettre à la Cour un point de droit soulevé
par les plaidoiries, pour qu'il soit tranché avant
le procès en vertu de la Règle 474. Aux termes
de cette Règle, il appartient à la Cour de décider
si l'on doit statuer avant le procès sur un point
de droit sujet à controverse et les parties n'ont
pas le droit de tourner l'exercice de ce pouvoir
discrétionnaire en présentant une requête visant
l'obtention d'un jugement fondé sur les admis
sions pour que le point de droit soit débattu et
tranché à l'audition de cette requête. D'autre
part, lorsque les faits pertinents sont clairement
admis et que les conséquences de l'application
de la loi aux faits ne font pas de doute, de sorte
qu'un demandeur a manifestement droit ex
debito justitiae au redressement qu'il réclame
dans l'action ou qu'un défendeur a droit à un
jugement rejetant l'action intentée contre lui,
selon le cas, une requête en vertu de la Règle
341 est la façon appropriée d'obtenir un tel
redressement immédiatement plutôt qu'un
procès qui ne changerait rien au résultat.
En l'espèce, comme il fut admis que l'appel
interjeté par l'intimée à la Commission de révi-
sion de l'impôt visait des cotisations portant la
mention «nil» pour les années 1967, 1968 et
1969, il s'agit de déterminer si, compte tenu de
la décision de la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Okalta Oils Ltd. c. M.R.N. 4 , il subsiste
des points de droit importants ou assez défenda-
bles à débattre quant au droit de l'intimée d'en
appeler sur une telle question. A mon avis, ce
n'est pas le cas.
A cet égard, l'intimée s'est fondée en grande
partie sur la décision du juge Cameron dans
l'affaire Anjulin Farms Ltd. c. M.R.N. 5 où il fut
décidé que le mot «cotisation» utilisé au para-
4 [1955] R.C.S. 824.
5 [1961] R.C.É. 381.
graphe 46(4) avait un sens suffisamment étendu
pour s'appliquer à une cotisation portant la men
tion nil. Il ne s'agissait cependant pas d'une
décision portant sur l'étendue du droit d'appel
des cotisations conféré par l'article 59. Compte
tenu des distinctions entre la détermination de
l'impôt, de l'intérêt ou des pénalités et l'avis
qu'aucun impôt n'est dû, et un avis de première
cotisation et une notification qu'aucun impôt
n'est dû par suite de l'abrogation et du rempla-
cement du paragraphe 46(4) par les Statuts du
Canada de 1960, c. 43, et la mise en vigueur du
paragraphe 58(4) par la même loi modificatrice,
il est pour le moins douteux que le mot «cotisa-
tion» utilisé au paragraphe 48(4) modifié puisse
recevoir l'interprétation que l'on trouve à l'arrêt
Anjulin Farms, où le contexte était celui de
l'ancien paragraphe.
A mon avis, les faits ayant été admis et leurs
conséquences juridiques montrant clairement
que l'intimée n'était aucunement justifiée dans
son appel à la Commission de révision de l'im-
pôt, il devenait évident que la Couronne était
fondée à demander l'annulation de la décision
de la Commission de révision de l'impôt et le
rejet de l'appel des cotisations portant la men
tion nil.
Le seul autre problème en l'espèce est de
déterminer si la décision de la Commission doit
être cônsidérée comme nulle et non avenue et
ne pouvant faire l'objet d'aucun appel à la Divi
sion de première instance en vertu de l'article
60 de la Loi de l'impôt sur le revenu; il en
résulterait que le recours de la Couronne se
limiterait à une demande de bref de certiorari et
d'annulation ou à une demande faite en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
A cet égard, je pense que la Commission de
révision de l'impôt, qui est une cour d'archives
chargée d'entendre les appels en matières d'im-
pôt, a compétence pour connaître de l'appel aux
fins de décider si l'appelante a droit à un redres-
sement par suite d'une cotisation d'impôt. Bien
qu'il eût dû être manifeste que l'appelante
n'avait droit à aucun redressement ou que la
Commission ne pouvait lui en accorder à bon
droit et qu'on eût dû rejeter l'appel en se fon
dant sur le principe de l'arrêt Okalta, je ne
pense pas qu'en soi, ceci enlève toute compé-
tence à la Commission de statuer de cette façon
sur ce qui était censé être un appel en vertu de
l'article 59 de la Loi. Ce principe me semble
être établi par l'arrêt Okalta dans lequel le juge
Fauteux (alors juge puîné) déclarait à la page
825:
[TRADUCTION] Nous ne pouvons étudier cette question ou
toute autre question touchant au fond de l'affaire étant
donné qu'il n'y avait pas de droit d'appel de la décision du
Ministre à la Commission ni, par conséquent, à la Cour de
l'Échiquier. On aurait dû statuer sur l'objection que l'intimé
a formulée à cet égard, devant la Commission et à nouveau
devant la Cour de l'Échiquier et l'accueillir. [Soulignement
ajouté.]
Compte tenu du fait que la Commission a
statué sur l'objection en l'espèce et l'a rejetée
pour ensuite accueillir l'appel et déférer la coti-
sation pour un nouvel examen et une nouvelle
cotisation, il me semble qu'on doive considérer
sa décision comme un jugement d'appel en
vertu de l'article 59, au sens de l'article 60. Par
conséquent, la Division de première instance
avait compétence, à mon avis, pour connaître de
l'appel du Ministre de la décision de la Commis
sion de révision de l'impôt et pour entendre et
accueillir l'objection portant que l'intimée
n'avait pas le droit d'interjeter appel des «coti-
sations portant la mention nil».
J'accueille le présent appel et ordonne l'ins-
cription d'un jugement accueillant l'appel du
Ministre de la décision de la Commission de
révision de l'impôt et rétablissant les «cotisa-
tions portant la mention nil» en litige 6 . Cepen-
dant, l'intimée a droit aux dépens, tant en appel
qu'en première instance, conformément au para-
graphe 178(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu,
Statuts du Canada 1970-71-72, c. 11.
* * *
LE JUGE RYAN —Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY—Je souscris.
6 Voir l'arrêt Le Secrétaire de la Province de l'Île du
Prince-Édouard c. Egan [1941] R.C.S. 396.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.