A-188-73
Telesphore Demers (Requérant)
c.
Le procureur général du Canada (Intime')
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant Cameron—Ottawa,
les 18 et 19 février 1974.
Examen judiciaire—Fonction publique—Nomination ne
répondant pas à l'exigence de bilinguisme—Confirmation du
comité d'appel—Connaissance des deux langues non pres-
crite avant la décision du comité d'appel—Aucune erreur de
droit—Loi sur la Cour fédérale, art. 28—Loi sur les langues
officielles, S.R.C. 1970, c. O-2—Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 10, 12, 20 et
21; Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique, art. 7.
Un comité d'appel établi sous le régime de l'article 21 de
la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique a rejeté un
appel interjeté par le requérant de la nomination proposée
du candidat reçu. Dans une requête en vertu de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale demandant l'examen de la
décision, on a prétendu qu'une des exigences fondamentales
du poste en cause était que l'employé soit bilingue et que le
candidat reçu ne remplissait pas cette exigence.
Arrêt: lorsque le sous-ministre a présenté la demande de
nomination en vertu de l'article 10 de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique, l'exigence linguistique pour le
poste était la connaissance du français ou de l'anglais. En
l'espèce, cette exigence n'avait subi aucune modification
avant la décision du comité d'appel. Bien qu'un énoncé de
politique émanant du conseil du Trésor ait établi des princi-
pes qui, si on les avait appliqués lorsque le Ministère a
formulé les exigences du poste en cause, en auraient fait un
poste bilingue, cet énoncé de politique n'avait pas d'autorité
légale et sa simple existence n'avait pas d'effet exécutoire.
L'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique n'a pas pour effet d'invalider la nomination et
aucune disposition de la Loi sur les langues officielles n'a
pour effet, en l'absence de mesure ministérielle, de rendre
bilingue un poste donné. Comme aucune erreur de droit n'a
été démontrée en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la
Cour fédérale, la requête est rejetée.
Distinction faite avec l'arrêt Moreau c. Le comité d'ap-
pel de la Fonction publique [1973] C.F. 593; arrêt
appliqué: Bauer c. Le comité d'appel de la Commission
de la Fonction publique [1973] C.F. 626.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Le requérant personnellement.
R. G. Vincent pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le requérant, Ottawa, personnellement.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—La
présente demande introduite en vertu de l'article
28 vise à obtenir l'examen et l'annulation d'une
décision rendue le 31 octobre 1973 par G. E.
Swanson, à titre de président d'un comité d'ap-
pel établi sous le régime de l'article 21 de la Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique, aux
termes de laquelle il rejetait un appel interjeté
par le requérant de la nomination proposée de
R. J. L. Read au nouveau poste de «Chef
d'unité, division des interprétations techniques»
à la direction de la législation du ministère du
Revenu national, Impôt.
Une affiche intitulée «Occasion d'avance-
ment» ayant trait au concours pour pourvoir à
ce poste a été publiée avec le 7 août 1973,
comme date de clôture. Cette affiche définissait
le poste de la façon suivante:
AU 5—Bureau principal
Chef d'unité, Division des
Interprétations techniques
Direction de la Législation.
Elle déclarait que le concours était accessible
aux employés du Ministère, indiquait l'échelle
de traitement et les fonctions que comportait le
poste puis, sous la rubrique «Qualités requises»,
après avoir mentionné comme «exigences fon-
damentales» que «les candidats doivent apparte-
nir au groupe de la Vérification ou posséder les
qualités nécessaires pour être admis dans ce
groupe» et que «la connaissance de l'anglais ou
du français est essentielle», énumérait en détail
les qualités «essentielles» et «souhaitables».
Le requérant et Read faisaient partie des can-
didats au concours. Le 4 septembre 1973, un
comité de sélection a établi un rapport déclarant
que Read était le candidat reçu.
Par lettre en date du 18 septembre 1973, le
requérant a interjeté appel de la nomination à
venir de Read. Le 31 octobre 1973, Swanson, le
président du comité d'appel, rejeta l'appel.
L'appel de la nomination proposée a été inter-
jeté en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'em-
ploi dans la Fonction publique dont voici le
texte:
21. Lorsque, en vertu de la présente loi, une personne est
nommée ou est sur le point de l'être et qu'elle est choisie à
cette fin au sein de la Fonction publique
a) à la suite d'un concours restreint, chaque candidat non
reçu, ou
b) sans concours, chaque personne dont les chances
d'avancement, de l'avis de la Commission, sont ainsi
amoindries,
peut, dans le délai que fixe la Commission, en appeler de la
nomination à un comité établi par la Commission pour faire
une enquête au cours de laquelle il est donné à l'appelant et
au sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion
de se faire entendre. La Commission doit, après avoir été
informée de la décision du comité par suite de l'enquête,
c) si la nomination a été faite, la confirmer ou la révo-
quer, ou
d) si la nomination n'a pas été faite, la faire ou ne pas la
faire,
selon ce que requiert la décision du comité.
La présente demande est soumise à cette cour
en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour
fédérale; elle vise à obtenir l'annulation de la
décision rejetant l'appel et ne peut être accueil-
lie que pour un motif qui fait partie d'une des
catégories décrites à l'article 28(1). Si l'on appli-
que l'article 28(1) aux circonstances de l'espèce,
la présente demande ne peut être accueillie que
si le tribunal d'appel a rendu une décision enta-
chée d'une erreur de droit.
Le requérant a fondé sa demande en vertu de
l'article 28 sur deux allégations à l'égard des-
quelles la Cour n'a pas jugé nécessaire d'enten-
dre les conclusions de l'avocat de l'intimé. Sui-
vant la première allégation, le comité d'appel a
commis une erreur de droit en ne décidant pas
que le comité de sélection ne s'était pas con
formé à l'article 7(4) du Règlement sur l'emploi-
dans la Fonction publique en établissant son
rapport sans tenir compte de l'appréciation du
rendement du candidat. Cet argument n'a de
valeur que si l'article 7(4) s'applique au con-
cours en cause. A notre avis, en lisant l'article
7(4) en corrélation avec l'article 7(1), il est clair
qu'il ne s'applique pas à un «concours restreint»
comme le concours en cause, mais à une «autre
méthode de sélection de personnel» qui relève
de l'article 7(1)b). L'autre allégation à laquelle
l'avocat de l'intimé n'a pas été tenu de répondre
portait que le comité d'appel a commis une
erreur de droit en ne décidant pas qu'il y a eu
une erreur fatale dans le processus de sélection
parce que certaines normes de sélection applica-
bles adoptées par la Commission de la Fonction
publique en vertu de l'article 12 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique ne figuraient
pas sur l'affiche annonçant le concours. A ce
propos, le requérant a invoqué la décision de
cette cour rendue dans l'affaire Moreau c. Le
comité d'appel de la Fonction publique.' Dans
cette affaire, le comité d'appel avait cependant
décidé que certaines exigences des normes de
sélection, que le candidat reçu ne remplissait
pas, pouvaient être ignorées et cette cour a jugé
qu'en vertu de l'article 12, il fallait s'y confor-
mer en choisissant la personne qui devait être
nommée. Ici, le candidat reçu satisfait aux
normes de sélection. La plainte porte unique-
ment sur le fait que les normes de sélection
applicables auraient dû figurer sur l'affiche
annonçant le concours et qu'elles n'y figuraient
pas. Cependant, il existe des règles régissant ce
qui doit figurer sur l'avis de concours et on ne
soutient pas qu'on ne les avait pas respectées.
En fait, on est tenu d'annoncer les exigences du
Ministère à l'égard de l'employé à nommer et
non les «normes de sélection» établies par la
Commission de la Fonction publique pour régir
le processus de sélection. 2
Passons maintenant aux autres allégations du
requérant à l'appui de sa demande introduite en
vertu de l'article 28; il a fallu, à leur sujet,
entendre les plaidoiries de l'avocat de l'intimé.
Le requérant a de fait allégué que, parmi les
qualités essentielles pour obtenir le poste, il
fallait que l'employé soit bilingue, et ce, nonob-
stant les termes de l'affiche qui, nous l'avons
déjà signalé, stipulait que «la connaissance de
l'anglais ou du français est nécessaire». Il est
clair que si cette allégation est erronée, son
' [1973] C.F. 593.
2 11 faut reconnaître que certaines de ces soi-disant
«normes de sélection» prescrites par la Commission en
vertu de l'article 12 ressemblent à des énoncés de qualités
requises au point qu'à première vue, on se demande s'il
s'agit réellement des «normes de sélection» au sens de
l'article 12. 11 n'est toutefois pas nécessaire d'exprimer
d'opinion sur cette question à ce stade.
attaque contre la nomination proposée n'est pas
fondée en droit.
Il ne fait aucun doute, d'après les éléments de
preuve soumis à la Cour, que, vu la formulation
des qualités requises pour le poste lorsque le
sous-ministre a fait la demande de nomination
en vertu de l'article 10 de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique, l'exigence linguisti-
que était la connaissance de l'anglais ou du
français et qu'aucune disposition n'a été prise
pour modifier cette exigence avant la décision
du comité d'appel qui fait l'objet de la présente
demande. 3 Par conséquent, ce moyen invoqué
par le requérant contre cette décision doit être
rejeté.
La confusion provient du fait qu'un énoncé
de politique gouvernementale a été publié sous
la forme d'une circulaire du conseil du Trésor
qui établissait les principes que les ministères
doivent appliquer en décidant quels postes doi-
vent être déclarés bilingues; il semble admis
que, si ces principes avaient été appliqués lors-
que le Ministère a formulé les qualités requises
pour le poste en cause, ce poste aurait été
déclaré bilingue. Il semble en outre y avoir eu
une certaine méprise de la part des fonctionnai-
res du Ministère, ainsi que de celle du président
du comité d'appel, qui ont cru que cet énoncé de
politique avait, de lui-même, un effet exécu-
toire; d'ailleurs, le président, dans ses motifs du
rejet de l'appel, discute la question compte tenu
du fait que le poste en cause était peut-être
bilingue.
A mon sens, la simple existence de l'énoncé
de politique ne peut en soi lui donner d'effet
exécutoire. Il ne semble pas avoir été établi
dans l'exercice d'un pouvoir prévu par la Loi.
Quoi qu'il en soit, tel qu'il est formulé, il n'a pas
d'autre objet que d'orienter certaines actions
des ministères. Enfin, il ne semble pas, vu la
formulation de cet énoncé, qu'il ait voulu exiger
l'adoption de mesures relativement à un poste,
pour lequel une demande en vertu de l'article 10
avait déjà été présentée à la Commission de la
Fonction publique antérieurement à la commu
nication au ministère intéressé de l'énoncé de
3 Il est douteux qu'on puisse modifier une des qualités
essentielles nécessaires pour obtenir un poste après le lance-
ment d'un concours sans annuler ce concours.
politique, avant que ne se présente l'occasion de
prendre de nouvelles dispositions pour combler
le poste.
Je n'ai pas négligé le recours du requérant à
l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonc-
tion publique et à la Loi sur les langues officiel-
les. Pour ce qui est de l'article 20, je n'ai rien à
ajouter à ce que j'ai dit à ce sujet dans l'arrêt
Bauer c. Le comité d'appel. 4 Concernant la Loi
sur les langues officielles, je n'y ai trouvé
aucune disposition qui, d'elle-même, en l'ab-
sence de mesures ministérielles aurait pour effet
de rendre bilingue un poste donné.
A mon avis, le président du comité d'appel,
vu les éléments de preuve qu'on lui a soumis,
était fondé à rejeter l'appel du requérant et la
présente demande, introduite en vertu de l'article
28 doit donc être rejetée.
* *
LE JUGE PRATTE et LE JUGE SUPPLÉANT
CAMERON ont souscrit à l'avis.
4 [1973] C.F. 626.
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