Le Soleil Limitée (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Thurlow et le juge suppléant Choquette —
Québec, le 11 janvier; Ottawa, le 9 février 1973.
Impôt sur le revenu—Réclamation pour déduction au titre
d'encouragement à la production—Journal—Revenu des
annonces représentant plus de la moitié de celui des ventes
nettes—Loi de l'impôt sur le revenu (1963), article 40A—La
déduction ne relève pas de l'article.
Le montant des ventes brutes de la compagnie appelante,
qui édite un quotidien, s'élevait à plus de 8 millions de
dollars en 1963. Plus de la moitié de cette somme provenait
des annonceurs pour l'espace qu'ils achetaient dans le
journal.
Arrêt: l'appel est accueilli. La cotisation est déférée au
Ministre pour nouvelle cotisation compte tenu du fait que
l'appelante a droit à la déduction permise à l'article 40A pour
l'année d'imposition 1963. On doit interpréter l'article 40A
de façon particulière et non en se conformant à la terminolo-
gie ordinaire des affaires. A l'article 40A(2)b), l'expression
utilisée n'est pas «le produit des ... ventes» mais «le
revenu brut ... provenant des ventes». Cette expression est
assez large pour englober, dans le cas d'un quotidien, non
seulement les montants reçus des acheteurs du journal mais
aussi les montants reçus des annonceurs et auxquels le
journal n'a droit que lorsque les éditions contenant les
annonces en question sont vendues.
APPEL d'une décision du juge en chef adjoint
Noël [1972] C.F. 423.
AVOCATS:
Maurice Jacques pour l'appelante.
Alban Garon, c.r. pour l'intimé.
PROCUREURS:
Flynn, Rivard, Jacques, Cimon, Lessard et
Lemay, Québec, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada,
Ottawa, pour l'intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE EN CHEF JACKETT—Pendant deux
ou trois années d'imposition seulement, on a
accordé une déduction spéciale, au titre de
l'«Encouragement à la production», aux corpo
rations de fabrication et de transformation, par
le moyen de l'article 40A de la Loi de l'impôt sur
le revenu. (Voir 1962-63, c. 8, art. 10.)
Dans le présent appel, relatif à la cotisation
établie à l'égard de l'appelante sous le régime de
la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu pour
l'année d'imposition 1963, il s'agit de savoir si
l'appelante a droit à cette déduction. Si elle y a
droit, les parties s'entendent sur le montant de
la déduction.
Plus précisément, la question est de savoir si
l'appelante était, au cours de l'année d'imposi-
tion 1963, «une corporation de fabrication et de
transformation», au sens que donne à cette
expression la définition très arbitraire et très
complexe du paragraphe (2) de l'article 40A. La
partie de cette disposition qui nous intéresse est
ainsi conçue:
(2) Dans le présent article,
a) «corporation de fabrication et de transformation» dési-
gne une corporation dont les ventes nettes pour l'année
d'imposition à l'égard de laquelle l'expression est appli-
quée, provenant de la vente de marchandises transfor-
mées ou fabriquées au Canada par la corporation, dont le
montant a atteint au moins 50 p. 100 de son revenu brut
pour l'année, mais qui ne comprend pas une corporation
dont l'entreprise principale pour l'année a été
(i) l'exploitation d'un puits de gaz ou de pétrole,
(ii) l'exploitation des bois et forêts,
(iii) l'exploitation minière,
(iv) la construction de navires,
(v) la construction, ou
(vi) une combinaison de deux, ou plus de deux catégo-
ries mentionnées aux sous-alinéas (i) à (v)
inclusivement;
b) «ventes nettes» d'une corporation pour une année
d'imposition signifie un montant égal
(i) au revenu brut de la corporation pour l'année, prove-
nant des ventes,
moins
(ii) l'ensemble de chaque montant payé ou crédité dans
l'année à un client de la corporation à titre de boni,
rabais ou escompte ou pour des marchandises retour-
nées ou avariées;
Les faits sont relativement simples.
Au cours de l'année en question, l'appelante
publiait et distribuait un quotidien. Elle tirait de
cette entreprise deux genres de revenus, l'un
provenant des annonceurs qui faisaient paraître
des annonces dans le journal et l'autre des ache-
teurs de celui-ci. Les deux genres de revenus
découlaient de la vente du journal. Non seule-
ment n'y aurait-il eu aucun revenu provenant
des acheteurs si le journal ne s'était pas vendu,
mais l'appelante ne pouvait prétendre au revenu
provenant des annonceurs que si les journaux
contenant ces annonces étaient effectivement
distribués au public.
Au cours de l'année d'imposition en question,
les revenus provenant des annonceurs ont
excédé les revenus provenant des acheteurs.
Pour établir la cotisation dont il est fait appel,
on a présumé, d'après les faits que je viens
d'exposer, que les «ventes nettes» de l'appe-
lante pour l'année d'imposition 1963 «provenant
de la vente de marchandises transformées ou
fabriquées au Canada» étaient inférieures à 50
pour cent de son revenu brut pour l'année, de
sorte que l'appelante ne pouvait pas être consi-
dérée comme une «corporation de fabrication et
de transformation» au sens de l'article 40A(2)a).
Devant la Division de première instance, les
parties au litige ont pris pour acquis que le seul
montant susceptible d'être inclus dans les
«ventes nettes» provenant de la vente de mar-
chandises était le revenu provenant des ache-
teurs des biens vendus. Partant de cette pré-
misse, l'appelante a d'abord prétendu devant
nous que le revenu provenant des annonceurs
était un revenu qui provenait de la vente aux
annonceurs des différentes parties du journal où
les annonces étaient imprimées et que, en con-
séquence, il y avait lieu d'inclure ce revenu dans
le montant des «ventes nettes ... provenant de
la vente de marchandises transformées ou fabri-
quées au Canada», pour juger si la définition
d'une «corporation de fabrication et de transfor
mation», à l'article 40A(2)a), était applicable à
l'appelante. C'est précisément cette prétention
qu'a rejetée le savant juge en chef adjoint.
Nous sommes d'accord avec la façon dont le
juge en chef adjoint a disposé des arguments qui
lui ont été soumis et nous adopterions volontiers
ses motifs. A notre avis, l'argumentation de
l'appelante était fondée sur une mauvaise inter-
prétation de ses relations contractuelles avec les
annonceurs. La situation de l'appelante, dans
ses rapports avec les annonceurs, était celle
d'une personne dont le commerce consiste à
publier des journaux et à les vendre au public. A
ce titre, moyennant paiement, elle acceptait de
faire paraître dans son journal une annonce
pour le compte de l'annonceur, dans l'espoir que
les acheteurs du journal, en lisant ce dernier,
prennent connaissance du message publicitaire.
Ce contrat ne comporte aucune vente de quoi
que ce soit à l'annonceur. (S'il s'était effective-
ment agi d'un contrat en vertu duquel l'appe-
lante avait vendu quelque chose à un annonceur
en s'obligeant à distribuer ces choses au public,
il ne ferait aucun doute, selon nous, qu'il se
serait agi là d'une vente de ces choses à l'annon-
ceur, même en l'absence de toute livraison à
l'annonceur; mais, comme nous l'avons indiqué,
nous ne distinguons aucun contrat de ce genre
dans les relations commerciales habituelles
entre l'exploitant d'un journal et un annonceur.)
Si la question nous avait été présentée de la
même façon qu'à la Division de première ins
tance, nous aurions rejeté l'appel. Cependant,
lors de l'audition de l'appel, il est apparu,
comme en a convenu l'avocat du Ministre, que
la façon dont l'affaire avait procédé en première
instance permettait de la considérer sous un
jour différent. C'est ce nouvel aspect que nous
allons maintenant envisager.
Avant d'aborder la question soulevée pour la
première fois devant nous, il faut examiner de
nouveau le texte très mal rédigé des alinéas a) et
b) de l'article 40A(2). Pour correspondre à la
définition d'une «corporation de fabrication et
de transformation» figurant à l'alinéa a), l'appe-
lante doit avoir effectué, pour l'année en ques
tion, des «ventes nettes ... provenant de la
vente de marchandises ... dont le montant a
atteint au moins 50 p. 100 de son revenu brut
pour l'année». A première vue, cette phrase n'a
aucun sens. Les mots «ventes nettes ... prove-
nant de la vente de marchandises» ne veulent
rien dire, si l'on s'en tient au sens ordinaire du
mot «vente». L'alinéa b) nous évite cependant
d'avoir à triturer l'expression «ventes nettes»
pour essayer d'y trouver un sens, puisqu'il
donne à cette expression, aux fins de l'article
40A, une acception tout à fait arbitraire. L'arti-
cle 40A(2)b) porte que, pour une année d'impo-
sition, «ventes nettes» signifie «un montant»
égal au «revenu brut de la corporation pour
l'année, provenant de ventes», moins certains
montants dont nous n'avons pas à tenir compte
aux fins du présent appel.
Il s'agit donc uniquement de savoir quel était
le «revenu brut» de l'appelante provenant de la
vente de son journal pour l'année d'imposition
1963; plus précisément, il s'agit de décider si le
«revenu brut» de l'appelante provenant de ses
ventes se limitait aux montants reçus des ache-
teurs du journal ou s'il comprenait aussi les
montants reçus des annonceurs qui faisaient
paraître des annonces dans le journal.
A notre avis, l'article 40A est une disposition
bien particulière visant une fin très précise et il
emploie une terminologie qui n'est pas con-
forme à la terminologie ordinaire des affaires. Il
y a donc lieu d'interpréter cette terminologie
sans tenir compte du sens d'autres expressions
plus techniques.
Dans l'article 40A(2)b), l'expression employée
n'est pas «le produit des ... ventes». (Voir l'ar-
rêt Ken Steeves Sales Ltd. c. M.R.N. [1955]
R.C.É. 108.) Le législateur a préféré se servir de
l'expression «le revenu brut ... provenant des
ventes». Cette dernière expression nous donne à
penser qu'il faut entendre par là la totalité du
revenu subordonné aux ventes (cf. Oxford
Motors Ltd. c. M.R.N. [1959] R.C.S. 548); à
notre avis, son acception est bien assez large
pour comprendre, dans le cas d'un quotidien,
non seulement les montants reçus des acheteurs
du journal mais aussi les montants reçus des
annonceurs, auxquels l'appelante n'a droit que
lorsqu'elle a vendu les journaux contenant les
annonces en question.
Notre conclusion nous paraît renforcée par le
fait que son résultat, dans le cas d'un quotidien
nous semble plus conforme au but visé par le
législateur dans son énoncé de l'article 40A que
ne le sont les conséquences de la cotisation
frappée d'appel. De cela, l'avocat de l'intimé ne
nous a pas paru disconvenir.
Nous sommes donc d'avis que l'appel doit
être accueilli avec dépens et que notre jugement
doit déférer la cotisation à l'intimé pour qu'il
établisse une nouvelle cotisation qui accorde à
l'appelante, pour l'année d'imposition 1963, le
bénéfice de la déduction créée par l'article 40A.
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