A-5-73
Oy Nokia Ab (Appelante)
c.
Le navire Martha Russ et E. Russ & Co., Schif-
fahrt-U Assekuranz-Gesellschaft et le navire
Korendyk et Nederlandsche-Ameri-Kaansche
Stoomvaart Maatschappij, N.V. (Intimés)
Cour d'appel, les juges Thurlow et Pratte et le
juge suppléant Sheppard—Vancouver; le 28
février et le 1 e7 mars 1974.
Droit maritime—Compétence—Signification de «droit
maritime canadien»—Cargaison transportée d bord d'un
navire étranger entre des ports étrangers—Expédition ulté-
rieure sur un autre navire au Canada—Cargaison endomma-
gée d l'arrivée—Aucune compétence sur le navire lors de la
première traversée—Loi sur la Cour fédérale, art. 2; Règles
d'amirauté (anglaises), 20d).
Appel d'une ordonnance rendue par le juge Collier ([1973]
C.F. 394) annulant la signification de la déclaration au
navire allemand Martha Russ et à ses propriétaires au motif
que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour connaître
de la réclamation contre le navire et ses propriétaires.
La cargaison, destinée à l'appelante à Vancouver, fut
transportée à bord d'un navire allemand, le Martha Russ, de
Finlande à Hambourg sous couvert d'un connaissement pour
ce voyage. A Hambourg, la cargaison fut transbordée à bord
d'un autre navire et transportée sous couvert d'un autre
connaissement jusqu'à Vancouver où, lors du déchargement,
on l'a trouvée endommagée. L'appelante a intenté une
action en dommages-intérêts contre les deux navires et leurs
propriétaires et signifié les déclarations ex juris conformé-
ment à la Règle 307 de la Cour fédérale.
Arrêt: l'ordonnance annulant la signification aux intimés
est confirmée. La réclamation visant l'intimée, la E. Russ &
Co., découle d'un contrat conclu par des étrangers, en
Finlande, pour le transport de marchandises de Finlande en
Allemagne; les droits de ces parties aux termes du contrat
ne sont pas régis par le droit canadien, mais par le droit
étranger. On n'a pas expliqué de manière satisfaisante pour-
quoi aucune démarche ne fut entreprise pour constater
l'étendue du dommage avant que les marchandises quittent
l'Allemagne, alors qu'il ressort des faits que l'appelante
savait qu'elles avaient été endommagées. L'affaire ne justi-
fie pas l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour pour
obliger l'intimée, E. Russ & Co., à se défendre dans la
présente action.
APPEL.
AVOCATS:
D. McEwen pour l'appelante.
J. D. L. Morrison pour le Martha Russ et la
E. Russ & Co.
V. R. Hill, c.r., pour le Korendyk.
PROCUREURS:
Ray, Wolfe, Connell, Light body et Rey-
nolds, Vancouver, pour l'appelante.
Bull, Housser et Tupper, Vancouver, pour
le Martha Russ.
Macrae, Montgomery, Spring et Cunning-
ham, Vancouver, pour le Korendyk.
Le jugement de la Cour fut prononcé par
LE JUGE THURLOW (oralement)—Malgré l'ar-
gumentation très brillante et exhaustive que Me
McEwen et Me Hill, c.r., ont présentée au nom
de leurs clients respectifs, nous sommes tous
d'avis qu'il convient de confirmer l'ordonnance
annulant la signification à la défenderesse, E.
Russ & Co.
Même si l'on suppose que l'objet de la
demande introduite par la demanderesse appar-
tient à un domaine relevant de la compétence de
la Cour et qu'il n'existe aucune raison empê-
chant l'exercice de cette compétence à l'égard
de la défenderesse E. Russ & Co., si celle-ci se
trouvait au Canada et que les documents pou-
vaient lui y être signifiés, la Cour a néanmoins
toute discrétion pour décider si elle autorisera
une signification en dehors du ressort. Cela
reste vrai, à notre avis, même si sont réunis tous
les éléments exigés par l'ancienne règle d'ami-
rauté 20d). Voir l'arrêt The Hagen' rendu par le
lord juge Farwell et l'arrêt Société générale de
Paris c. Dreyfus Brothers 2 . Dans ce second
arrêt, le maître des rôles Lindley a déclaré à la
page 224:
[TRADUCTION] On nous cite l'ordonnance XI. et l'on sou-
tient qu'étant donné la demande d'injonction et la rédaction
d'un affidavit en la forme prescrite par cette ordonnance,
nous n'avons pas le droit de refuser la permission de signi-
fier ce bref. On a en outre soutenu, en se fondant sur l'arrêt
Call c. Oppenheim 1 Times L.R. 622, qu'en refusant notre
permission, nous irions à l'encontre d'une décision rendue
par l'autre division de cette cour. Je suis en désaccord
complet avec tous ces arguments. En premier lieu, l'ordon-
nance XI. énumère de façon limitative certaines circons-
tances dans lesquelles la Cour peut autoriser la signification
de brefs en dehors de son ressort. Cette ordonnance
n'énonce pas que lorsque ces circonstances sont réunies, la
' [1908] P. 189.
2 (1888) 37 Ch. D. 215.
Cour est tenue de donner sa permission. Au contraire, il est
bien précisé que, dans des circonstances déterminées, «la
Cour ou un des juges peut» autoriser la signification en
dehors du ressort. Ceci indique que la Cour a un pouvoir
discrétionnaire et qu'elle est tenue de l'exercer. Ceci devient
encore plus évident lorsqu'on examine la règle 2 qui énu-
mère certaines questions dont la Cour est obligée de tenir
compte lorsqu'on lui demande la permission de signifier un
bref en Irlande ou en Écosse. Le simple fait que votre
affaire relève de l'une ou l'autre des onze règles de l'ordon-
nance XI. ne vous donne pas automatiquement droit à cette
permission. Si votre affaire n'en relève pas, vous ne pouvez
obtenir la permission, mais cela ne veut pas dire qu'elle vous
sera accordée dans le cas contraire. La Cour a un pouvoir
discrétionnaire qu'elle doit bien sûr exercer de façon judi-
ciaire et à bon droit.
Voir également les commentaires de Lord
Porter dans l'arrêt Brabo 3 , ceux de Lord
Simonds dans le même arrêt à la page 305 ainsi
que ceux du lord juge Diplock dans le passage
cité par le savant juge de première instance dans
l'arrêt Mackender c. Feldra A.G. 4 .
La règle relative à la signification ex juris est
la Règle 307 de cette cour qui dispose comme
suit:
Règle 307. (1) Lorsqu'un défendeur, qu'il soit citoyen cana-
dien, sujet britannique ou étranger, est à l'extérieur du
ressort de la Cour, qu'il soit dans un des dominions de Sa
Majesté ou dans un pays étranger, la Cour, sur demande,
appuyée par affidavit ou autre preuve indiquant que, à la
connaissance du déposant, le demandeur a une bonne cause
d'action, et indiquant en quel lieu ou pays se trouve certai-
nement ou probablement ce défendeur, pourra rendre une
ordonnance (Formule 5) à l'effet qu'un avis de la déclaration
peut être signifié au défendeur dans le lieu ou pays ou dans
les limites géographiques que la Cour jugera à propos de
prescrire. (Formule 6).
(2) Une ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1)
doit fixer, en tenant compte du lieu de la signification, un
délai dans lequel le défendeur doit déposer sa défense ou
obtenir de la Cour une prolongation du délai pour le faire.
(3) En cas de difficulté en matière de signification d'un
acte introductif d'une instance autre qu'une action, des
instructions peuvent être demandées à la Cour.
Cette règle ne donne pas les catégories d'af-
faires à l'occasion desquelles on peut autoriser
la signification ex juris comme le faisaient les
anciennes règles d'amirauté. La discrétion
découlant de cette règle est donc une discrétion
générale, mais on doit quand même l'exercer
avec la prudence dont font état des arrêts cités
ainsi que bon nombre d'autres arrêts. A cet
3 [1949] All E.R. 294 à la p. 298.
4 [1967] 2 Q.B. 590 à la p. 599.
égard, on peut citer comme étant spécialement à
propos les remarques qu'a faites le juge Rand
dans l'arrêt Muzak Corporation c. CAPAC 5 à
l'égard des dispositions de la Règle 76 de la
Cour de l'Échiquier, dispositions rédigées de
manière comparable. Le savant juge déclarait:
[TRADUCTION] Les règles de la Cour de l'Échiquier relati
ves aux significations de ce genre sont vraiment schémati-
ques. Aux termes de la règle n. 2,1a pratique et la procédure
qui ne sont pas autrement prévues devront se conformer aux
règles en vigueur en Angleterre à la Supreme Court of
Judicature, et autant que faire se peut, être régies par ces
dernières; aux fins du présent appel, il n'est toutefois pas
nécessaire de considérer que cette disposition oblige à appli-
quer les règles de l'ordonnance n° 11. Une ordonnance
autorisant une telle signification représente l'exercice par les
tribunaux d'un pouvoir spécial et, en tout temps, on ne l'a
que peu utilisé compte tenu des limites qu'il convient d'im-
poser à tout exercice de compétence au-delà des limites
territoriales. Si quelqu'un se trouvant à l'extérieur de ces
limites a participé à un acte commis à l'intérieur, c'est un
fait important qui permet d'envisager l'exercice du pouvoir
en question; mais en tout cas, il faut au moins que l'affaire
semble fondée prima facie.
Le principal argument invoqué au nom de
l'appelante porte que c'est à juste titre que la
défenderesse, E. Russ & Co., était partie à une
action intentée à -bon droit contre l'autre défen-
deresse qui a reçu la signification à l'intérieur du
ressort. L'avocat a ensuite soutenu que, lors-
qu'une affaire répond justement à cette descrip
tion, il ne reste en fait plus de discrétion pour
refuser la permission d'effectuer une significa
tion ex juris. Nous considérons cependant que
les arrêts cités impliquent que, même si une
affaire relève d'une des catégories d'affaires
pour lesquelles la signification était autorisée en
vertu des anciennes règles, il restait quand
même, et c'est encore le cas aux termes de la
Règle 307, un certain pouvoir discrétionnaire
que la Cour doit exercer pour décider d'autori-
ser ou non une signification ex juris.
Si l'on aborde la question sous cet angle, le
principal argument de l'avocat en faveur d'une
signification ex juris en l'espèce est que les
parties ne s'attendaient normalement pas à ce
que les colis soient ouverts entre le moment où
ils ont quitté la Finlande et leur arrivée à Van-
couver, qu'elles ne pouvaient donc pas raison-
nablement évaluer l'étendue du dommage subi
par les marchandises avant leur arrivée à Van
s [1953] 2 R.C.S. 182, à la p. 190.
couver et qu'il serait donc plus pratique de
prouver l'étendue desdits dommages devant la
Cour au Canada. Toutefois, à l'encontre de cet
argument, on trouve les faits dont il découle
que, tout en étant partie à bon droit, la défende-
resse E. Russ & Co. ne doit pas nécessairement
être constituée partie à l'action intentée contre
le Korendyk ou son propriétaire, que la réclama-
tion visant la défenderesse E. Russ & Co.
découle d'un contrat conclu par des étrangers en
Finlande pour le transport de marchandises de
Finlande en Allemagne, que les droits de ces
parties en vertu du contrat ne sont pas régis par
le droit canadien, mais par le droit étranger et
que personne n'a démontré de manière satisfai-
sante pourquoi, alors que la demanderesse
savait avant que les marchandises ne quittent
l'Allemagne, que celles-ci avaient été endomma-
gées, des démarches ne furent pas entreprises
sur place en présence de la défenderesse, E.
Russ & Co., ou de son représentant pour cons-
tater l'étendue du dommage. Compte tenu de
ces circonstances, nous sommes d'avis que l'af-
faire ne justifie pas l'exercice du pouvoir discré-
tionnaire de la Cour afin d'obliger la défende-
resse, E. Russ & Co., à de défendre dans
l'action intentée par la demanderesse devant
cette cour. Le fait que nous confirmons cette
partie de l'ordonnance rendue par le savant juge
ne devrait cependant pas être interprété comme
une approbation de ses motifs quant à l'étendue
de la compétence de la Cour pour autoriser une
signification ex juris.
Nous sommes également d'avis que rien ne
justifie la suspension de l'action intentée contre
la défenderesse, E. Russ & Co., et le navire
Martha Russ, car cette suspension empêcherait
la signification à cette défenderesse ou la saisie
du navire à l'intérieur du ressort. L'avocat de
l'intimée E. Russ & Co. n'a pas tenté de défen-
dre la demande de suspension et, à notre avis,
cette demande doit être rejetée. Sur ce point,
l'appel doit donc être accueilli. Il est rejeté à
tous autres égards. L'appelante est tenue de
verser à l'intimée E. Russ & Co. ses dépens de
l'appel.
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