A-178-73
Martin Service Station Ltd. (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 5
février; Ottawa, le 8 février 1974.
Assurance-chômage—Renvoi par un juge-arbitre d la Cour
d'appel—Les dispositions des Lois sur l'assurance-chômage,
permettant à la Commission d'établir des règlements en vue
d'inclure dans la catégorie des «emplois assurables» des
emplois ne découlant pas d'un contrat de louage de services,
sont-elles ultra vires—Loi sur la Cour fédérale, art. 28(4)—
Loi sur l'assurance-chômage, S.C. 1955, c. 50, art. 26(1)d),
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c.
48, art. 4(1)c).
Les cotisations d'assurance-chômage dues par la compa-
gnie appelante à l'égard de personnes conduisant ses taxis
ont été fixées à la somme totale de $49,476, pour les années
1969 à 1971, en vertu de l'article 26(1)d) de la Loi sur
l'assurance-chômage, S.C. 1955, c. 50 et le Règlement 64B
et, pour l'année 1972, en vertu de l'article 4(1)c) de la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48 et le
Règlement 53.
En vertu des articles 75(2) et 84 de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage, un appel a été interjeté devant le
Ministre, puis devant le juge-arbitre (le juge Heald) qui
examina l'exposé conjoint des faits et renvoya la question
de droit suivante à la Cour pour audition et jugement: les
articles pertinents des Lois sur l'assurance-chômage (préci-
tés) sont-ils ultra vires?
Arrêt: 1. la question renvoyée par le juge-arbitre, «tribu-
nal fédéral» selon la définition de cette expression à l'article
2 de la Loi sur la Cour fédérale, nommé en vertu de l'article
92(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, était une
question qui pouvait valablement faire l'objet d'un renvoi à
la Cour en vertu de l'article 28(4) de la Loi sur la Cour
fédérale.
Arrêt suivi: In re la Loi sur les relations du travail dans
la Fonction publique [1973] C.F. 604.
2. Les dispositions pertinentes des lois sur l'assurance-
chômage (précitées) permettant à la Commission d'assu-
rance-chômage d'inclure dans la catégorie des «emplois
assurables» des emplois ne découlant pas d'un contrat de
louage de services n'outrepassent pas les pouvoirs conférés
au Parlement par l'article 91(2A) de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1940 (R.-U.), c. 36.
Arrêt mentionné: In Re la Loi sur l'assurance-chômage
[1937] A.C. 355. Arrêt suivi: La Reine c. Scheer Ltd.
(1972) 27 D.L.R. (3') 73. Arrêts examinés: La Compa-
gnie d'assurance des citoyens c. Parsons (1881) 7 A.C.
96, Montréal c. La Compagnie de tramways de Mont-
réal [1912] A.C. 333, P.G. du Canada c. P.G. de l'Al-
berta [1916] 1 A.C. 588, P.G. de la Colombie-Britanni-
que c. Esquimalt and Nanaimo Ry. Co. [1950] A.C. 87.
RENVOI.
AVOCATS:
James Robb, c.r., et Peter O'Brien pour
l'appelante.
Paul 011ivier, c.r., et Wilfrid Lefebvre pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT—Je suis d'accord
avec les motifs du jugement de mon collègue le
juge Pratte, que j'ai eu l'occasion d'examiner. Il
est cependant nécessaire d'énoncer la façon
dont j'ai conclu que la question qui nous a été
renvoyée par le juge-arbitre relève de l'article
28(4) de la Loi sur la Cour fédérale, puisque je
l'ai exprimée de manière générale au cours de
l'audition de ce renvoi, avec l'approbation des
autres membres du tribunal.
Avant de formuler le raisonnement par lequel
je suis arrivé à cette conclusion en l'espèce, je
crois utile de répéter mes conclusions sur l'effet
de l'article 28(4) exprimées dans In re la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction
publique'.
L'article 28(4) se lit comme suit:
(4) Un office, une commission ou un autre tribunal fédéral
auxquels s'applique le paragraphe (1) peut, à tout stade de
ses procédures, renvoyer devant la Cour d'appel pour audi
tion et jugement, toute question de droit, de compétence ou
de pratique et procédure.
Il est important de souligner que cette disposi
tion ne permet pas de donner un avis consultatif
tel que le permet l'article 55 de la Loi sur la
Cour suprême en vertu duquel une question est
soumise à la Cour suprême du Canada pour
«audition et pour examen» et la Cour est tenue
d'exprimer son «opinion» sur toute question
ainsi soumise. L'article 28(4) vise le renvoi
d'une «question de droit», survenue à certain
«stade» des «procédures» d'un tribunal, devant
cette cour par le tribunal pour «audition et juge-
' [1973] C.F. 604, la p. 615.
ment» (j'ai moi-même souligné). A mon avis, ce
genre de renvoi ne peut être effectué que par
une ordonnance du tribunal en question qui
soumet à cette cour toute conclusion de fait ou
autre élément de preuve sur lesquels il se serait
fondé s'il tranchait la question de droit lui-
même. En outre, à mon avis, l'article 28(4), dans
la mesure où des questions de droit-sont en jeu,
ne vise que le jugement d'une question de droit
qui doit être tranchée pour pouvoir régler l'af-
faire pendante devant le tribunal qui fait le
renvoi. Il ne vise pas la solution d'une question
de droit théorique.
L'objet du présent renvoi ne porte pas sur la
question de savoir comment le juge-arbitre
devrait trancher l'appel, ou une partie de l'appel,
en appliquant le droit aux faits pertinents qu'il a
lui-même établis ou que les parties ont admis
aux fins de l'appel.
Néanmoins, cette question peut à mon avis
relever de l'article 28(4) s'il s'agit d'une ques
tion qui aurait été en état d'être jugée par le
juge-arbitre lui-même, s'il ne l'avait pas ren-
voyée à la Cour.
Envisageant la situation de ce point de vue,
nous constatons que le Ministre a en fait admis:
a) que les évaluations faisant l'objet de l'appel
au juge-arbitre étaient fondées sur des règle-
ments précis,
b) que les évaluations ne peuvent être mainte-
nues si ces règlements ne s'appliquent pas aux
emplois indépendants ou aux emplois ne
résultant pas d'un contrat de louage de servi
ces et si, dans cette mesure, ils ne sont pas
intra vires, et
c) que les règlements ont été établis en vertu
des dispositions des Lois sur l'assurance-chô-
mage qui font l'objet de la question du
juge-arbitre.
Nous constatons en outre que, se fondant sur
ces concessions, l'appelante soutient que les
appels devraient être accueillis et les évalua-
tions annulées.
En l'absence de dispositions de procédure
incompatibles, j'estime que le juge-arbitre aurait
pu connaître d'une requête préliminaire, fondée
sur ces concessions, demandant un jugement
accueillant les appels et rejetant les évaluations,
et qu'il aurait pu accueillir cette requête s'il
avait conclu que l'article 91(2A) de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique ne permet pas
une loi d'«assurance-chômage» qui inclut dans
les emplois assurables «les emplois indépen-
dants ou les emplois ne résultant pas d'un con-
trat de louage de services». Par conséquent,
j'estime que cette cour a compétence en vertu
de l'article 28(4) pour trancher la question ren-
voyée par le juge-arbitre comme si elle se ratta-
chait au jugement d'une telle requête prélimi-
naire demandant au juge-arbitre d'accueillir les
appels. 2
*
LE JUGE PRATTE—Le 24 septembre 1973, le
juge Heald, agissant à titre de juge-arbitre en
vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô-
mage, a renvoyé une question de droit à cette
cour pour audition et jugement. Ce renvoi sou-
lève la question de la constitutionnalité de l'arti-
cle 26(1)d) de la Loi sur l'assurance-chômage de
1955 3 et de l'article 4(1)c) de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage .
Pour comprendre les circonstances entourant
ce renvoi, il est nécessaire d'avoir à l'esprit
certains faits et certaines dispositions législati-
ves.
1. En 1971, la Loi sur l'assurance-chômage
de 1955 était abrogée et remplacée par la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage. Ces deux lois
établissent un régime d'assurance-chômage au
bénéfice de personnes s'adonnant à «un emploi
assurable», un «emploi assurable» étant, en
principe, un emploi résultant d'un contrat de
louage de services. Ces deux lois comportent
toutefois des dispositions permettant à la Com
mission d'assurance-chômage d'établir des
règlements en vue d'inclure dans la catégorie
des «emplois assurables» tout emploi qui ne
2 Si nous avions conclu que l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique ne permettait pas ces règlements, à mon avis,
notre réponse n'aurait pu se résumer en une affirmation
pure et simple.
S.C. 1955, c. 50.
4 S.C. 1970-71-72, c. 48.
découle pas d'un contrat de louage de services.
On retrouve une disposition à cet effet à l'article
26(1) de la Loi de 1955:
26. (1) Avec l'approbation du gouverneur en conseil, la
Commission peut édicter des règlements en vue d'inclure
dans l'emploi assurable
d) tout emploi, s'il apparaît à la Commission que la nature
du travail accompli par des personnes s'adonnant à cet
emploi est semblable à la nature du travail accompli par
des personnes s'adonnant à un emploi assurable.
La disposition correspondante de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage se lit comme suit:
4. (1) La Commission peut, avec l'approbation du gou-
verneur en conseil, établir des règlements en vue d'inclure
dans les emplois assurables
c) tout emploi qui n'est pas un emploi aux termes d'un
contrat de louage de services, s'il paraît évident à la
Commission que les modalités des services rendus et la
nature du travail exécuté par les personnes exerçant cet
emploi sont analogues aux modalités des services rendus
et à la nature du travail exécuté par les personnes exer-
çant un emploi aux termes d'un contrat de louage de
services;
Conformément à ces dispositions, la Commis
sion d'assurance-chômage a adopté en 1966 et
1971 des règlements qui, d'après le ministre du
Revenu national, incluraient dans les «emplois
- assurables» l'emploi des conducteurs des taxis
appartenant à l'appelante.
2. En vertu des Lois de 1955 et 1971 sur
l'assurance-chômage, l'employeur d'une per-
sonne dont l'«emploi» est «assurable» doit
payer certaines «cotisations» au receveur géné-
ral du Canada. Les articles 70 et 153 de la Loi
de 1971 prévoient que le ministre du Revenu
national peut établir une évaluation de ce que
doit payer un employeur en vertu de cette loi ou
de la Loi de 1955. Une fois cette évaluation
faite, l'employeur peut, en vertu de l'article
75(2), «demander au Ministre de reconsidérer
l'évaluation». L'article 84 accorde un autre droit
d'appel de la décision du Ministre à un juge-
arbitre nommé en vertu de l'article 92 de la Loi.
3. Le juge-arbitre nommé en vertu de l'article
92(1) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô-
mage, étant un «tribunal fédéral» auquel s'appli-
que le paragraphe (1) de l'article 28 de la Loi
sur la Cour fédérale, peut renvoyer une question
de droit à cette cour en vertu du paragraphe (4)
du même article 28, dont voici le texte:
(4) Un office, une commission ou un autre tribunal fédéral
auxquels s'applique le paragraphe (1) peut, à tout stade de
ses procédures, renvoyer devant la Cour d'appel pour audi
tion et jugement, toute question de droit, de compétence ou
de pratique et procédure.
En décembre 1972, le ministre du Revenu
national a établi une évaluation de ce que l'ap-
pelante Martin Service Station Ltd. était censée
payer en vertu des Lois de 1955 et de 1971 sur
l'assurance-chômage. Elle en a appelé sans
succès au Ministre intimé. L'appelante a alors
interjeté appel de la décision du Ministre confir-
mant les évaluations auprès du juge-arbitre. Cet
appel a été entendu par le juge Heald. A l'au-
dience, les parties ont versé au dossier un docu
ment intitulé «Exposé conjoint des faits» dont
voici le texte:
[TRADUCTION] 1. L'appelante est propriétaire à Montréal
d'un certain nombre de véhicules à moteur qu'elle met en
location aux fins de transport de passagers.
2. Conformément aux dispositions de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage, le ministre du Revenu national a
évalué les cotisations d'assurance-chômage dues par l'appe-
lante à l'égard des conducteurs de ses véhicules à moteur à
la somme totale de $49,476.92, incluant des amendes pour
les années 1969, 1970, 1971 et 1972, le tout tel qu'il ressort
d'une copie des avis d'évaluations pour lesdites années
jointe aux présentes comme pièce 1.
3. Les montants évalués pour les années 1969, 1970 et
1971 sont réclamés à titre de montants dus en vertu de
l'article 64B des Règlements sur l'assurance-chômage
approuvés par l'arrêté en conseil C.P. 1960-610 en date du 4
avril 1966, modifié par l'arrêté en conseil C.P. 1968-1181 en
date du 19 juin 1968, dont voici un extrait:
64B. (1) Sauf les emplois exceptés, doit être classé parmi
les emplois assurables l'emploi de toute personne qui
a) est employée en qualité de conducteur de taxi, d'au-
tobus commercial ou d'autobus d'écoliers ou de tout
autre véhicule utilisé par une entreprise privée ou un
établissement public pour le transport de personnes, et
b) n'est pas le propriétaire du véhicule, ni le proprié-
taire ou l'exploitant de l'entreprise privée ou de l'éta-
blissement public qui utilise le véhicule pour le trans
port des personnes,
peu importe que cette personne travaille à son compte ou
autrement qu'en vertu d'un contrat de service.
(2) A toutes les fins de la Loi et des présents règle-
ments, l'exploitant ou le propriétaire de l'entreprise privée
ou de l'établissement public qui utilise un des véhicules
dont il est question au paragraphe (1) pour transporter des
personnes est censé être l'employeur de toute personne
dont l'emploi constitue un emploi assurable aux termes du
paragraphe (1).
4. Ledit article 64B a été adopté en vertu de l'article 26(1)d)
de la Loi sur l'assurance-chômage de 1955, telle que modi-
fiée (Statuts du Canada, 1955, c. 50).
5. L'évaluation au titre de l'année 1972 est fondée sur
l'article 53e) des Règlements sur l'assurance-chômage adop
tés le 17 décembre 1971 (C.P. 1971-2795—SOR/DORS
657). II se lit comme suit:
53. Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont
pas des emplois exclus en vertu du paragraphe 3(2) de la
Loi ou d'une disposition des présents règlements, les
emplois suivants:
e) l'emploi exercé par une personne à titre de chauffeur
de taxi, d'autobus commercial, d'autobus scolaire ou
d'un autre véhicule utilisé par une entreprise privée ou
une administration publique pour le transport de passa-
gers, lorsque cette personne n'est pas le propriétaire du
véhicule ni l'exploitant, ni le patron de l'entreprise
privée ou de l'administration publique.
6. Ledit article 53 a été adopté en vertu de l'article 4(1)c) de
la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.
7. Suivant l'argument principal de l'appelante, l'article
28(1)d) de la Loi sur l'assurance-chômage de 1955 et l'arti-
cle 4(1)c) de la Loi de 1971 sont ultra vires du Parlement du
Canada parce qu'ils autorisent la Commission à établir des
règlements pour inclure dans les emplois assurables les
emplois indépendants ou les emplois ne résultant pas d'un
contrat de louage de services, et les évaluations établies à
son égard sont, pour ce motif, nulles et non avenues.
8. Subsidiairement, l'appelante soutient que, même si les
dispositions des Lois sur lesquelles sont fondées les évalua-
tions sont infra vires, les articles 64B et 53 des Règlements
ne lui sont pas applicables parce qu'elle n'exploite pas une
entreprise de transport de passagers au sens desdits Règle-
ments, mais une entreprise de location de véhicules à
moteur qui sont utilisés comme taxis.
9. L'argument subsidiaire de l'appelante soulève des ques
tions de fait que les parties aimeraient laisser en suspens
jusqu'à ce que la question principale de la constitutionnalité
ait été tranchée de façon définitive.
Après la production de ce document, le juge
Heald a rendu la décision suivante:
[TRADUCTION] Conformément à la demande des deux avo-
cats et à la lumière de leurs exposés portant qu'il y a un
certain nombre d'affaires semblables soulevant le même
point de droit qui sont pendantes, j'ai décidé de renvoyer la
question de droit suivante à la Cour d'appel fédérale pour
audition et jugement:
Compte tenu de l'exposé conjoint des faits joint aux
présentes, daté du 24 septembre 1973 et portant les
signatures des avocats des deux parties, peut-on dire que
l'article 26(1)d) de la Loi sur l'assurance-chômage de
1955 et l'article 4(1)c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage sont ultra vires du Parlement du Canada en ce
qu'ils autorisent la Commission d'assurance-chômage à
établir des règlements en vue d'inclure dans les emplois
assurables les emplois indépendants ou les emplois ne
résultant pas d'un contrat de louage de services?
En premier lieu, il faut examiner si la question
que le juge Heald a renvoyée à la Cour est une
question pouvant faire l'objet d'un tel renvoi en
vertu de l'article 28(4) de la Loi sur la Cour
fédérale.
Il a déjà été jugé que «... l'article 28(4), dans
la mesure où des questions de droit sont en jeu,
ne vise que le jugement d'une question de droit
qui doit être tranchée pour pouvoir régler l'af-
faire pendante devant le tribunal qui fait le
renvoi. Il ne vise pas la solution d'une question
de droit théorique» 5 . En l'espèce, j'estime qu'il
appert à la lecture de la décision du juge Heald
et de l'«Exposé conjoint des faits» auquel elle
se reporte, qu'il s'agit d'une décision renvoyant
une question qu'il devait trancher pour régler
l'appel dont il était saisi. Le juge Heald devait
établir la validité de certaines évaluations. Il est
admis que ces évaluations ont été établies en
application des règlements adoptés en vertu de
l'article 26(1)d) de la Loi sur l'assurance-chô-
mage de 1955 et de l'article 4(1)c) de la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage. Si la Cour,
répondant à la question que lui a renvoyée le
juge Heald, devait conclure que ces deux arti
cles ne sont pas valides, le juge Heald devrait
alors nécessairement accueillir l'appel puisqu'il
serait évident que les évaluations qui en font
l'objet n'ont aucun fondement légal. Il est égale-
ment exact que, si la Cour devait décider que
ces deux articles des Lois sur l'assurance-chô-
mage sont valides, cette décision ne disposerait
pas de l'appel dont le juge Heald est saisi.
Cependant, à mon avis, pour qu'une question de
droit puisse valablement faire l'objet d'un
renvoi en vertu de l'article 28(4) de la Loi sur la
Cour fédérale, il n'est pas nécessaire que la
réponse, quelle qu'elle soit, que cette cour
donne à la question dispose du litige dont est
saisi le tribunal auteur du renvoi; il suffit que la
question soit telle qu'une des réponses possibles
5 Le juge en chef Jackett, In re la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique [1973] C.F. 604, la p.
615.
puisse disposer de l'affaire. Je désire également
ajouter que je suis entièrement d'accord avec le
point de vue exprimé à cet égard par le juge en
chef dans ses motifs du jugement.
Examinons maintenant la question de la vali-
dité des deux articles des Lois sur l'assurance-
chômage. Ces deux articles permettent à la
Commission d'assurance-chômage d'inclure
dans la catégorie des «emplois assurables» un
emploi qui n'est pas un emploi aux termes d'un
contrat de louage de services. L'avocat de l'ap-
pelante soutient que ces articles ne sont pas
valides parce que, dit-il, le pouvoir exclusif du
Parlement en vertu de l'article 91 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique d'adopter des
Lois en matière d'«assurance-chômage» doit
s'interpréter comme étant limité à l'adoption de
Lois relativement aux régimes d'assurance-chô-
mage au bénéfice des personnes occupant un
emploi relevant de contrats de louage de
services.
Avant d'examiner les arguments mis de
l'avant à l'appui de cette théorie, il est néces-
saire de rappeler que la première loi canadienne
traitant de l'assurance-chômage a été adoptée en
1935 6 , une époque où l'article 91 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique ne comportait
aucune référence à l'assurance-chômage. Cette
loi a en fait été jugée ultra vires du Parlement du
Canada comme étant, dans son caractère vérita-
ble, une loi se rattachant aux droits civils des
employeurs et des employés dans chaque pro
vince? En 1940, l'article 91 de l'Acte de l'Amé-
rique du Nord britannique a été modifié' «par
l'insertion de la rubrique suivante, après la
rubrique n° 2 «La réglementation du trafic et du
commerce»:
6 S.C. 1935, c. 38.
In Re la Loi sur l'assurance-chômage, [1937] A.C. 355,
confirmant [1936] R.C.S. 427.
8 3-4 Geo. VI, c. 36 (R.-U.).
«2A. L'assurance-chômage».»
Peu après cette modification, était adoptée la
Loi de 1940 sur l'assurance-chômage. Il con-
vient de signaler qu'elle ne comportait aucune
disposition semblable à celles qui sont présente-
ment en litige. Comme le disait le juge Spence
dans l'arrêt La Reine c. Scheer Ltd., 9 «... la loi
ne visait que les personnes qui, en tant qu'em-
ployeurs ou employés, étaient liées par un con-
trat de service». En 1946, la Loi était cependant
modifiée 10 et une disposition semblable à celles
qui sont présentement en litige y était ajoutée.
La prétention de l'appelante est fondée sur
l'hypothèse que le mot «chômage» comporte
deux sens qui sont opposés aux deux sens du
mot «emploi» auxquels se reporte le juge
Spence dans l'arrêt La Reine c. Scheer Ltd. 11 :
Il n'est pas nécessaire de citer les définitions des dictionnai-
res; il suffit de dire que tous les auteurs de semblables
ouvrages s'accordent pour dire que le terme «emploi» a
deux sens distincts: soit a) un contrat de service, ou b)
l'occupation, le commerce ou le métier qu'exerce une
personne.
D'après l'appelante, le mot «chômage» à la
rubrique 2A de l'article 91 de l'Acte de l'Améri-
que du Nord britannique est employé dans son
sens restreint et renvoie exclusivement à l'état
de la personne qui, antérieurement employée en
vertu d'un contrat de louage de services, ne
travaille plus.
A mon avis, le mot «chômage» n'a pas deux
significations. J'estime que, lorsque ce mot est
utilisé dans son sens normal à l'égard de person-
nes, il signifie simplement [TRADUCTION] «l'état
ou le fait d'être sans occupation» 12. Je suis donc
d'avis qu'en interprétant la rubrique 2A de l'arti-
cle 91, c'est le sens qu'il faut donner au mot
«chômage» à moins qu'il y ait des motifs vala-
bles de croire qu'il y est employé dans un sens
plus restreint.
L'avocat de l'appelante a avancé trois argu
ments pour démontrer que le mot «chômage»
9 (1972) 27 D.L.R. (3e) 73, à la p. 76.
10 S.C. 1946, c. 68.
11 (1972) 27 D.L.R. (3e) 73, à la p. 78.
12 Voir The Shorter Oxford Dictionary—»unemployment»
et «unemployed».
était employé, à l'article 91, dans un sens
restreint.
Il a tout d'abord déclaré qu'en modifiant
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique en
1940 de façon à conférer au Parlement fédéral
le pouvoir exclusif d'adopter des lois relative-
ment à l'«assurance-chômage», le Parlement du
Royaume-Uni avait en fait décrété une excep
tion à la règle générale, établie à l'article 92 et
suivant laquelle les législatures provinciales ont
le pouvoir exclusif de légiférer relativement à
«la propriété et ... (aux) droits civils dans la
province». Considérant ainsi la rubrique 2A de
l'article 91 comme une exception à une règle
générale, l'avocat a conclu qu'on devait l'inter-
préter de façon restrictive. A l'appui de cette
conclusion, l'avocat s'est reporté à des décisions
bien connues du Comité judiciaire du Conseil
privé sur l'interprétation à donner à la rubrique
2 de l'article 91 qui donne au Parlement du
Canada le pouvoir de légiférer en matière de
«trafic et de commerce» 13 . A mon sens, rien
dans ces décisions n'appuie la proposition qu'on
doit interpréter de façon restrictive les rubri-
ques de l'article 91 lorsqu'elles donnent au Par-
lement du Canada le pouvoir de légiférer relati-
vement à un sujet qui, s'il n'était pas mentionné
à l'article 91, relèverait du pouvoir exclusif des
provinces de légiférer en matière de propriété et
de droits civils. Le principe général d'interpréta-
tion qui se dégage de ces décisions est plutôt
que, pour décider du sens d'une rubrique déter-
minée de l'article 91 ou de l'article 92, on doit
considérer l'ensemble des termes que compor-
tent ces deux articles. Ce principe ne favorise
pas l'appelante.
Suivant le deuxième argument de l'appelante,
l'expression «assurance-chômage» avait un sens
précis en 1940, au moment od a été modifié
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, et
visait uniquement un système d'assurance
contre le chômage s'appliquant exclusivement
aux personnes qui avaient été employées aux
termes d'un contrat de louage de services.
L'avocat de l'appelante n'a toutefois pu justifier
i3 La Compagnie d'assurance des citoyens c. Parsons
(1881) 7 A.C. 96; Montréal c. La Compagnie de tramways
de Montréal [1912] A.C. 333; P.G. du Canada c. P.G. de
l'Alberta [1916] 1 A.C. 588.
cette assertion autrement qu'en déclarant que
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de
1940 avait été adopté pour permettre au Parle-
ment canadien de ré-édicter la loi de 1935 qui
visait seulement les cas de relations entre
employeurs et employés. Bien qu'il ne fasse
aucun doute que le rejet de la loi de 1935 pour
cause d'invalidité a conduit à la modification de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique en
1940, cette situation, à mon avis, ne permet pas
de conclure que le Parlement du Royaume-Uni,
en modifiant l'Acte de l'Amérique du Nord bri-
tannique, avait simplement l'intention de confé-
rer au Parlement du Canada le pouvoir d'adop-
ter une loi dans le même cadre que la loi de
1935 qui avait été déclarée invalide.
D'après le dernier argument de l'appelante, il
serait contraire aux principes régissant le con-
trat d'assurance qu'un régime d'«assurance»-
chômage couvre des employés autres que ceux
qui sont engagés en vertu d'un contrat de louage
de services. Le risque, soutient-elle, est un élé-
ment essentiel du contrat d'assurance et il n'y a
aucun risque de «chômage» pour quelqu'un qui
n'est pas engagé en vertu d'un contrat de louage
de services. A mon avis, cet argument doit
également être rejeté. Les règles régissant la
validité des contrats ne s'appliquent pas aux
lois 14 . A tout événement, à mon sens, il est tout
simplement inexact de dire que les personnes
établies à leur propre compte sont à l'abri du
risque d'être sans emploi.
Pour ces motifs, je réponds à la question par
la négative.
* *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE—J'ai lu les motifs
du jugement du juge en chef et du juge Pratte et
je suis entièrement d'accord avec eux.
14 Voir: P.G. de la Colombie-Britannique c. Esquimalt and
Nanaimo Ry. Co. [1950] A.C. 87, la p. 110, Lord Greene:
[TRADUCTION] «La législation et le contrat sont des moyens
tout à fait différents de créer des droits et des obligations et
il est essentiel de maintenir la distinction.»
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