Wardair Canada Limited (Demanderesse)
c.
La Commission canadienne des transports
(Intimée)
Division de première instance, le juge Walsh—
Ottawa, les 25 et 26 mai 1973.
Compétence—Prohibition—Tribunal refusant d'ajourner
l'audience—Demande d'examen judiciaire à la Cour d'ap-
pel—Refus de délivrer un bref de prohibition au tribunal
jusqu'à l'examen judiciaire—Loi sur la Cour fédérale, art.
28(3).
Le 23 mai 1973, le Comité de révision de la Commission
canadienne des transports a refusé d'ajourner une audition
de la demande de permis de l'Ontario Worldair Ltd. Le
même jour, la Wardair Canada Ltd. a institué des procédu-
res devant la Cour d'appel fédérale pour faire annuler cette
décision. L'affaire devait être entendue le 14 juin. Le 24
mai, le Comité de révision a refusé d'ajourner l'audition de
la demande de l'Ontario Worldair Ltd. La Wardair Canada
Ltd. a présenté une demande de bref de prohibition.
Arrêt: la demande de bref de prohibition n'est pas receva-
ble. Le Comité de révision avait compétence en la matière et
on n'a démontré ni partialité ni violation de la justice
naturelle.
DEMANDE.
AVOCATS:
W. A. McGillivray, c.r., et L. R. Duncan
pour la Wardair Canada Ltd.
P. Wallis et G. W. Nadeau pour la Commis
sion canadienne des transports.
J. E. Smith pour le procureur général du
Canada.
B. A. Crane pour l'Air Canada.
J. B. Hamilton, c.r., pour la C.P. Air.
M. Rothstein pour la Transair Limited.
G. Gould, c.r., pour la Québecair.
J. L. Jaskula pour l'Ontario Worldair
Limited.
D. W. Burtnick pour le ministère des Trans
ports et des Communications de l'Ontario.
E. T. Nobbs, c.r., pour la Nordair Limited.
PROCUREURS:
Fenerty et McGillivray & Cie, Calgary, pour
la Wardair Canada Ltd.
G. W. Nadeau, Ottawa, pour la Commis
sion canadienne des transports.
Le sous-procureur général du Canada pour
le procureur général du Canada.
Gowling et Henderson, Ottawa, pour l'Air
Canada.
J. B. Hamilton, Toronto, pour la C.P. Air.
Aikins, MacAulay et Thorvaldson, Winni-
peg, pour la Transair Limited.
G. Gould, Montréal, pour la Québecair.
J. L. Jaskula, Hamilton, pour l'Ontario
Worldair Limited.
D. W. Burtnick, Downsview, pour le minis-
tère des Transports et des Communications
de l'Ontario.
E. T. Nobbs, Toronto, pour la Nordair
Limited.
LE JUGE WALSH—La présente demande vise
l'obtention d'un bref de prohibition et la prise de
toute autre mesure qui peut sembler appropriée
pour interdire au Comité de révision de la Com
mission canadienne des transports de procéder à
la révision de la demande déposée par l'Ontario
Worldair Limited jusqu'à ce que la Cour d'appel
fédérale statue sur l'appel et la demande de la
Wardair Canada Limited, dont l'honorable juge
en chef Jackett a fixé l'audience au 14 juin
1973. La présente demande m'a été soumise à
l'audience à 16h le 25 mai 1973. En plus des
avocats de la demanderesse et de l'intimée, des
avocats ont comparu et présenté leurs observa
tions au nom du procureur général du Canada,
d'Air Canada, de C.P. Air, de Transair Ltd., de
Québecair, d'Ontario Worldair Ltd. et du minis-
tère des Transports et des Communications de
l'Ontario.
Le 23 mai 1973, le Comité de révision de la
Commission canadienne des transports a refusé
de renvoyer à une date ultérieure l'audience
qu'elle avait fixée à cette date afin d'étudier la
demande de permis de l'Ontario Worldair Ltd.
A la suite de ce refus et le même jour, la
demanderesse aux présentes, la Wardair Canada
Limited, a intenté devant la Cour d'appel fédé-
rale une demande en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale visant à obtenir l'exa-
men et l'annulation de la décision ou ordon-
nance par laquelle le Comité de révision avait
rejeté la demande d'ajournement présentée par
la Wardair Canada Limited. Le 24 mai 1973, la
demanderesse a également interjeté appel de
cette décision. Sur autorisation de l'honorable
juge en chef Jackett, un avis d'appel a été
déposé le 25 mai 1973 au nom de la Wardair
Canada Limited. Sur ordonnance de l'honorable
juge en chef, l'avis de demande déposé en vertu
de l'article '28 de la Loi sur la Cour fédérale fut
joint à l'appel en une seule action et une ordon-
nance en fixa l'audition en Cour d'appel fédé-
rale au 14 juin 1973.
A la suite de ces démarches, le Comité de
révision de la Commission canadienne des
transports s'est réuni le 24 mai 1973 à 14h, puis
à nouveau à 10h le 25 mai 1973. Le Comité a
entendu les arguments des avocats de la deman-
deresse qui, appuyée par une demande déposée
au nom de C.P. Air, a tenté encore une fois de
faire ajourner l'audience jusqu'à la décision de
la Cour d'appel fédérale qui devait étudier la
question le 14 juin 1973. Après avoir entendu
les arguments en faveur de l'ajournement ainsi
que les arguments contraires, le Comité de révi-
sion a encore une fois refusé de renvoyer l'au-
dience à une date ultérieure. Cette procédure
demandant un bref de prohibition fait suite à ce
nouveau refus. Les avocats de la demanderesse
admettent qu'en vertu de l'article 28(3) de la Loi
sur la Cour fédérale, la Division de première
instance n'a pas compétence pour décerner un
bref de prohibition si la Cour d'appel est compé-
tente pour connaître et juger la demande d'exa-
men et d'annulation de la décision ou de l'or-
donnance litigieuse. Ils soutiennent néanmoins
que même si une demande en vertu de l'article
28 a été déposée à l'encontre de la décision du
23 mai 1973, par laquelle le Comité a refusé
d'ajourner l'audience, et que la Cour d'appel a
décidé que cette demande et l'appel seraient
entendus le 14 juin 1973, la nouvelle décision
du 25 mai 1973 par laquelle le Comité a encore
une fois refusé d'ajourner l'audience jusqu'à ce
que la Cour rende sa décision sur la demande
introduite en vertu de l'article 28 en même
temps qu'elle devait statuer sur l'appel consti-
tuait une décision différente qui n'était pas
sujette à examen en vertu de l'article 28 et que,
par conséquent, la Division de première ins
tance a compétence pour décerner un bref de
prohibition. Les avocats de la demanderesse ont
soutenu que ce serait desservir les intérêts de la
justice que de permettre au Comité de révision
de procéder à l'audition alors que c'est juste-
ment cette décision de procéder qui est contes-
tée devant la Cour d'appel. Si la demande dépo-
sée en vertu de l'article 28 est accueillie ou
l'appel reçu, non seulement tout ce qui aura été
fait dans l'intervalle, y compris la déposition de
preuves, deviendra inutile, mais encore tout ce
qui serait accompli, y compris toute décision
que le Comité de révision pourrait prendre à la
suite des témoignages recueillis au cours de
l'audition, serait considéré comme ayant été fait
de manière irrégulière. Ils ont plaidé que le bref
de prohibition constituait la seule façon d'empê-
cher le déroulement de "audience (à l'exception
possible d'une injonction qui, cependant, ne
pourrait pas non plus être entendue par la Divi
sion de première instance si l'article 28(3) est
applicable en "espèce) puisque ni la loi ni les
règles de la Cour fédérale ne prévoient la sus
pension des procédures en attendant qu'il soit
statué sur un appel. La Règle 1213 prévoit la
suspension de l'exécution d'un jugement dont il
est fait appel. Cette règle fait partie du chapitre
B des règles intitulé «Appels des décisions de la
Division de première instance» et on ne
retrouve de règle semblable ni au chapitre C
intitulé «Appels des décisions de tribunaux,
administrations ou autorités autres que la Divi
sion de première instance» ni au chapitre D
intitulé «Demandes d'annulation de décisions
rendues par des offices, des commissions et
d'autres tribunaux fédéraux». L'article 50(1)b)
de la loi dispose que:
50. (1) La Cour peut, à sa discrétion, suspendre les pro-
cédures dans toute affaire ou question,
b) lorsque, pour quelque autre raison, il est dans l'intérêt
de la justice de suspendre les procédures.
mais les avocats étaient d'accord, et je partage
leur opinion, que cet article ne s'applique qu'à la
suspension des procédures devant cette Cour et
non à la suspension des procédures devant un
autre tribunal.
Dans la première demande déposée le 23 mai
devant le Comité de révision, il semble qu'un
des motifs invoqués à l'appui de la demande
d'ajournement était que le stade de transition
des règlements sur les vols affrétés avec réser-
vation anticipée des places empêchait la deman-
deresse, ainsi que les autres personnes concer-
nées, de pouvoir effectuer une évaluation
raisonnable du marché ouvert aux vols affrétés
et, partant, de répondre correctement à la
demande déposée par l'Ontario Worldair Ltd. A
l'appui de la demande d'ajournement, les avo-
cats de la demanderesse ont également soutenu
que le Comité des transports aériens, et le
Comité de révision, avaient sollicité le 30 avril
1973 la présentation de mémoires pour étude,
ce qui aurait une influence sur l'examen de la
demande; or, la Wardair Canada Limited n'au-
rait pas l'occasion de répondre à ces mémoires
ni de les étudier ou de présenter ses observa
tions. A l'encontre de cet argument, l'avocat de
l'Ontario Worldair Ltd. et les adversaires de la
demande d'ajournement, y compris les avocats
de la Commission canadienne des transports, du
procureur général du Canada et du ministère des
Transports et des Communications de l'Ontario,
ont souligné qu'il était urgent de procéder étant
donné que l'été approchait et que c'était la plus
grande période d'activité pour les vols affrétés.
Le Comité de révision s'est rendu à cet argu
ment en refusant de renvoyer l'audience à une
date ultérieure. Le 25 mai 1973, quand il a
encore une fois étudié la question à la lumière
de la demande introduite en vertu de l'article 28
et de l'appel, alors pendants, la question de
l'ajournement fut à nouveau longuement plaidée
par les avocats des diverses parties et le Comité
de révision confirma sa première décision de ne
pas accorder l'ajournement. Je doute fort que
l'une ou l'autre de ces décisions puisse faire
l'objet d'une demande en vertu de l'article 28.
Voir l'arrêt National Indian Brotherhood c.
Juneau [N° 2] [1971] C.F. 73 à la p. 78
dans lequel le juge en chef Jackett déclare:
Je suis enclin à croire, cependant, qu'il est douteux que ces
termes—i.e., décision ou ordonnance—s'appliquent aux
innombrables décisions ou ordonnances que le tribunal doit
rendre au cours des procédures qui aboutissent au prononcé
du jugement. J'ai à l'esprit des décisions telles que
b) des décisions sur des requêtes en ajournement,
Chacune de ces décisions peut fort bien faire partie du
tableau lors d'un pourvoi à l'encontre de la décision ultime
du tribunal au motif qu'il n'y a pas eu une audition loyale.
Cependant, si une partie intéressée a le droit de s'adresser à
cette Cour en vertu de l'art. 28 chaque fois qu'une décision
de ce genre est rendue, il semble qu'on ait mis entre les
mains de parties peu disposées à ce qu'un tribunal exerce sa
compétence un moyen dilatoire et frustratoire incompatible
avec l'esprit de l'art. 28(5).
Et ensuite, à la page 79:
Je ne prétends pas avoir formulé d'opinion quant au sens
des termes «décision ou ordonnance» dans le contexte de
l'art. 28(1), mais il me semble que l'on veut dire qu'il s'agit
d'une décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par le
tribunal en vertu de sa constitution et non pas la myriade
d'ordonnances ou de décisions accessoires qui doivent être
rendues avant de trancher définitivement l'affaire.
Si c'est le cas et s'il n'existe aucun droit d'exa-
men, il s'ensuit que l'article 28(3) n'empêche
pas la Division de première instance de décerner
un bref de prohibition ou une injonction. Cepen-
dant, une demande introduite en vertu de l'arti-
cle 28 visant l'examen de la décision du 23 mai
a déjà été déposée devant la Cour d'appel pour
audition immédiate le 14 juin. Si la Cour décide
qu'elle peut examiner cette décision, je ne pense
pas qu'il existe de distinction réelle entre cette
décision et celle qui a été rendue le 25 mai
refusant encore une fois l'ajournement. S'il est
vrai que cette deuxième demande avait comme
unique fondement que le litige se trouvait main-
tenant devant la Cour d'appel par suite d'une
demande en vertu de l'article 28 et d'un appel,
la décision reste la même, soit de procéder à
l'audition. Si la première décision était suscepti
ble d'examen, la deuxième décision (qui est la
même) serait également sujette au même droit
d'examen.
Cependant, je n'ai pas à fonder ma décision
sur le motif fragile que la Cour n'est pas compé-
tente puisque, de toute manière, je ne pense pas
que les circonstances de cette affaire justifient
la délivrance d'un bref de prohibition ou d'une
injonction (autre redressement suggéré). Un
bref de prohibition n'est justifié qu'en cas de
défaut de compétence, de partialité, d'erreur de
droit ou d'inobservation d'un principe de justice
naturelle dans la conclusion du tribunal à l'en-
contre duquel on demande un bref de prohibi
tion. Personne ne prétend en l'espèce que le
Comité de révision n'avait pas compétence ou
qu'il a fait preuve de partialité en rendant sa
décision. Le Comité avait le droit de prendre
cette décision et il ne me semble pas que le
refus d'ajourner, prononcé non pas de façon
arbitraire mais après un débat complet entre les
parties, constitue un déni de justice naturelle à
l'égard de la demanderesse. Celle-ci tente d'utili-
ser un bref de prohibition pour faire surseoir à
l'exécution d'un jugement soumis à l'examen et
objet d'un appel car les règles de la Cour ne
prévoient pas de suspension de ce genre. L'ab-
sence d'une pareille règle ne suffit pas à justifier
l'utilisation abusive des brefs de prérogative,
qu'il s'agisse d'un bref de prohibition ou d'une
injonction. De plus, même si une règle autori-
sant la suspension d'exécution existait, il ne faut
pas oublier que les ordonnances rendues en
vertu d'une telle règle le sont à la discrétion du
tribunal à qui on les demande. Dans certains
cas, il pourrait manifestement être injuste de
procéder à une audition alors que la question
fait l'objet d'un appel ou d'un examen; ce serait
par exemple le cas quand on conteste la compé-
tence même d'un tribunal d'instance inférieure.
Mais il y a également des cas où il pourrait être
tout aussi injuste d'arrêter la procédure engagée
devant un tribunal d'instance inférieure chaque
fois qu'un appel est interjeté ou qu'on demande
l'examen judiciaire d'un point secondaire sou-
levé au cours de la procédure devant ce tribunal
d'instance inférieure. Si c'était permis, on pour-
rait, en faisant appel de décisions sur des ques
tions secondaires, suspendre presque indéfini-
ment les procédures et ceci au préjudice des
parties qui désirent procéder à l'audition. L'au-
torisation de suspension d'une audition relève
donc toujours de la discrétion du tribunal. Bien
qu'on ne m'ait pas demandé de trancher la ques
tion et qu'elle n'ait pas été plaidée devant moi, à
savoir si le Comité de révision a fait une bonne
utilisation de sa discrétion en décidant de procé-
der à l'audition nonobstant la demande d'exa-
men et l'appel pendants de sa décision précé-
dente de ne point suspendre ses travaux, il me
semble que cette décision relevait justement de
son pouvoir discrétionnaire et que l'exercice de
celui-ci ne peut pas donner lieu à la délivrance
d'un bref de prohibition. La demande est donc
rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.