La succession de Paul Dontigny (Appelante)
c.
La Reine (Intimée)
Division de première instance, le juge Pratte —
Ottawa, les 22 et 25 mai 1973.
Impôt successoral—Legs des immeubles à la veuve avec
dévolution aux enfants en cas de remariage—Assujettisse-
ment à l'impôt—Loi de l'impôt sur les biens transmis par
décès, art. 7(1)a).
Par testament, D a laissé le reliquat de ses biens à son
épouse, sous réserve que si elle se remariait, les biens
immeubles seraient dévolus à ses enfants.
Arrêt: la valeur des immeubles doit être incluse dans la
valeur globale nette de sa succession aux fins de l'impôt
successoral. Le testament crée une substitution au sens du
Code civil et une «constitution» au sens de l'article 7(1)a) de
la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès. Les
immeubles n'étaient pas «dévolus irrévocablement» à
l'épouse comme l'exige l'article 7(1)a).
APPEL d'une décision de la Commission de
révision de l'impôt.
AVOCATS:
Paul Martineau, c.r., pour l'appelante.
André Gauthier pour l'intimée.
PROCUREURS:
Martineau et Forget, Hull, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
LE JUGE PRATTE—II s'agit d'un appel d'une
décision de la Commission de révision de l'im-
pôt qui a confirmé la décision du ministre du
Revenu national de réclamer un montant de
$3,036.75 de l'appelante en vertu de la Loi de
l'impôt sur les biens transmis par décès, S.R.C.
1970, c. E-9.
Les faits qui ont donné naissance au litige ne
sont pas contestés. D'ailleurs, au début de l'au-
dition les avocats des parties ont déposé au
dossier un document intitulé «Entente sur les
faits» qu'il convient de citer:
1. Paul Dontigny est décédé le ou vers le 12 mai 1970.
2. Feu Paul Dontigny était domicilié à Lac Cayamant,
comté de Pontiac, province de Québec.
3. Il était l'époux de Darne Georgette Rondeau.
4. Par testament daté du 13 mars 1953, (Exhibit E-1), passé
devant le notaire Cléo Vaillancourt et apparaissant sous le
numéro 492 de ses minutes, feu Paul Dontigny a nommé
Dame Georgette Rondeau, exécutrice testamentaire.
5. Le testateur, Paul Dontigny, disposa de ses biens ainsi
qu'il appert des clauses quatrième et neuvième dudit
testament:
a) Article quatrième: Je lègue tous mes biens meubles et
immeubles, sans exception, que je délaisserai à mon
décès, y compris les assurances que j'aurai sur ma vie à
l'heure de ma mort, à mon épouse, Dame GEORGETTE
RONDEAU, que j'institue ma légataire universelle; aux con
ditions mentionnées à l'article neuf;
b) Article neuvième: Si mon épouse et légataire univer-
selle ne garde pas viduité et se remarie, j'entends que tous
mes biens immobiliers soient dévolus à mes enfants vivant
lors du second mariage de leur mère et à défâut d'enfants
vivant, aux enfant de ces derniers,
6. La valeur globale nette des biens laissés par le de cujus
est de $85,395.76, dont $57,075.00 de biens immobiliers.
7. Par Avis de Cotisation daté du 17 mai 1971, le Ministre
du Revenu National avisait l'Appelante qu'il avait établi une
cotisation d'impôt de $3,036.75 en vertu de la Loi de l'impôt
sur les biens transmis par décès.
8. L'Appelante en appela de la cotisation à la Commission
de Révision de l'Impôt qui rejeta l'appel par jugement daté
du 6 novembre 1972.
9. La seule question en litige peut se formuler comme suit:
la valeur des biens immobiliers appartenant au de cujus lors
de son décès et comprise dans le calcul de la valeur globale
nette est-elle déductible de cette dernière en vertu des
alinéas 7(1)a) ou 7(1)b) de la Loi de l'impôt sur les biens
transmis par décès pour établir la valeur globale imposable?
L'article 7(1) de la Loi de l'impôt sur les biens
transmis par décès se lit comme suit:
7. (1) Aux fins du calcul de la valeur globale imposable
des biens transmis au décès d'une personne, il peut être
déduit de la valeur globale nette de ces biens, calculée
conformément à la Division B, ceux des montants suivants
qui sont applicables:
a) la valeur de tous biens transmis au décès du de cujus et
dans lesquels son conjoint est le successeur et dont il peut
être démontré, dans les six mois qui suivent le décès du de
cujus ou dans un délai plus long qui peut être raisonnable
dans les circonstances, qu'ils ont été dévolus irrévocable-
ment à son conjoint au profit de ce dernier, à l'exclusion
de ceux de ces biens qui forment une donation faite par
création d'une constitution ou par transfert des biens, en
fiducie, à un fiduciaire;
b) la valeur de toute donation faite par le de cujus soit de
son vivant, soit dans son testament, et dont il peut être
démontré, dans les six mois qui suivent le décès du de
cujus ou dans un délai plus long qui peut être raisonnable
dans les circonstances, qu'elle est absolue et irrévocable,
et qui a été faite par lui par création d'une constitution en
vertu de laquelle
(i) le conjoint du de cujus a droit de recevoir
(A) la totalité du revenu de la constitution produit
après le décès du de cujus et avant le décès de ^e
conjoint, ou
(B) des versements périodiques de montants détermi-
nés ou restreints à des montants déterminés maxi-
maux, qui seront faits à des intervalles ne dépassant
pas douze mois, à même le revenu de la constitution
produit après le décès du de cujus et avant le décès de
ce conjoint ou, si ce revenu est complètement épuisé
par ces versements, à même le revenu et le capital de
la constitution, et
(ii) nul sauf ce conjoint ne peut recevoir ou autrement
obtenir, après le décès du de cujus et avant le décès de
ce conjoint, quelque partie du capital de la constitution,
ou toute forme de jouissance de ce capital, ou quelque
partie du revenu de la constitution auquel ce conjoint a
droit, ou toute forme de jouissance de ce revenu,
L'avocat de l'appelante a prétendu que pour
calculer la valeur globale imposable des biens
transmis au décès de monsieur Dontigny, on
pouvait, suivant l'article 7(1)a) précité, déduire
de la valeur globale nette de ses biens la valeur
des immeubles légués à son épouse aux termes
des «articles» quatrième et neuvième de son
testament. Au soutien de cette prétention il a
fait valoir divers moyens qui peuvent, dans la
mesure où je les ai bien compris, se résumer
comme suit:
1. Les clauses quatrième et neuvième du testa
ment du défunt n'ont pas créé une substitution:
a) parce que le testament n'impose pas à la
légataire des immeubles l'obligation de con-
server les immeubles légués;
b) parce que le testament n'impose pas à la
légataire des immeubles la charge de rendre
les immeubles à ses enfants, mais bien seule-
ment la faculté de le faire puisque la légataire
est libre de se marier ou de ne pas se
remarier;
c) parce que le testament n'impose pas à la
légataire des immeubles l'obligation de les
rendre à ses enfants à un terme fixé, mais
bien au moment où elle se remariera.
2. De toute façon, au moment du décès de
monsieur Dontigny, ses immeubles «ont été irré-
vocablement dévolus à son conjoint» et, en con-
séquence l'article 7(1)a) autorise la déduction
réclamée même si le testament a créé une
substitution:
a) l'article 7(2) édicte qu'une prestation de
pension de retraite qui est payable au conjoint
d'un de cujus, du fait du décès du de cujus,
«sous réserve d'une disposition portant que
cette prestation cesse de lui être payable s'il
se remarie, ne doit pas, du seul fait d'une telle
disposition, être considérée comme ne lui
étant pas dévolue irrévocablement». Cet arti
cle démontrerait, suivant l'avocat de l'appe-
lante que, aux yeux du législateur, un léga-
taire a un titre irrévocable au bien légué
même s'il doit en être privé au cas de son
remariage;
b) il ne fait aucun doute, suivant la définition
que l'article 62(1) donne des expressions
«bien transmis au décès» et «successeur»,
que, au sens de la loi qui nous intéresse, les
immeubles du de cujus ont été transmis à son
épouse, et celle-ci les a acquis de façon irré-
vocable puisqu'elle ne devra s'en départir que
si elle se remarie, c'est-à-dire que si elle le
veut bien;
c) le legs des immeubles fait à l'épouse à la
condition qu'elle ne se remarie pas, est un
legs assorti d'une condition que l'article 1081
du Code civil de la province de Québec
déclare être nulle;
d) le legs fait à un conjoint à titre de grevé de
substitution permet de réclamer la déduction
prévue à l'article 7(1)a) en dépit du fait que
cette disposition précise qu'on ne peut
déduire la valeur des biens «qui forment une
donation faite par création d'une constitu
tion». En effet, si l'article 62(1) définit le
terme «constitution» comme comprenant
«tout acte ... en vertu ou par l'effet duquel
un usufruit ou une substitution sont créés», il
ressort de l'article 3(1)e) que cette expression
ne réfère qu'aux substitutions créées par un
acte autre qu'un testament.
De tout cela l'avocat conclut que l'article
7(1)a) autorise la déduction réclamée.
Il n'est pas nécessaire d'examiner longuement
les prétentions que je viens de résumer pour
voir qu'elles ne sont pas fondées. Il est clair, par
exemple, que contrairement à ce qu'a soutenu
l'avocat de l'appelante le sens du mot «constitu-
tion» dans l'article 7 n'est aucunement modifié
par l'article 3(1)e). Tenter de le démontrer serait
une perte de temps.
Il est également clair que les clauses qua-
trième et neuvième du testament du défunt
créent une «substitution» au sens du Code civil
et sont une «constitution» au sens de la Loi de
l'impôt sur les biens transmis par décès. Aux
termes de ces clauses le testateur a légué ses
immeubles à son épouse à la condition que
celle-ci les rende à ses enfants si elle se rema-
riait. Contrairement à ce qu'a prétendu l'avocat
de l'appelante, l'épouse du de cujus a l'obliga-
tion de conserver les immeubles qui lui sont
légués: si elle ne les conservait pas, comment
pourrait-elle les rendre? Elle a aussi l'obligation,
non la faculté, de rendre tous ces immeubles à
ses enfants au cas de son remariage. Enfin, si la
veuve du testateur se remarie, c'est au moment
de son convoi qu'elle devra rendre les biens; on
est donc en présence d'un legs où celui qui
reçoit est chargé de rendre la chose à un terme
fixé (article 925, Code civil). Le fait que le
remariage de la conjointe puisse ne pas avoir
lieu a pour seul effet de rendre la substitution
conditionnelle, comme le prévoit le dernier
alinéa de l'article 929 du Code civil de la pro
vince de Québec.' Et l'article 1081 du Code civil
loin de déclarer qu'une pareille condition soit
nulle, en consacre expressément la validité. 2
C'est donc à titre de grevée de substitution
que la veuve du de cujus a reçu les immeubles
que celui-ci lui a légués. Elle ne pourrait donc
profiter de la déduction qu'elle réclame que si la
libéralité dont elle a bénéficié satisfaisait aux
conditions énoncées à l'article 7(1)b). Or, en
l'espèce, il est indiscutable que la veuve du
testateur n'a pas sur les immeubles qui lui ont
été légués un droit qui satisfasse à ces
conditions.
Et même si on devait dire que la libéralité qui
nous intéresse ne résulte pas de la création
d'une substitution, il faudrait encore conclure
que l'appelante n'a pas droit à la déduction
réclamée. En pareil cas, en effet, l'appelante ne
pourrait avoir gain de cause qu'à la condition
que les immeubles du de cujus aient été «dévo-
lus irrévocablement à son conjoint au profit de
ce dernier» comme l'exige l'article 7(1)a). Or, à
mon sens, des biens ne sont pas «dévolus irré-
vocablement» à un conjoint lorsqu'ils lui sont
légués à la condition de ne pas se remarier. S'il
en était autrement, la disposition de l'article 7(2)
n'aurait pas de sens.
Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec
dépens.
' 929. .. .
La disposition qui substitue peut être conditionnelle
comme tout autre donation ou legs.
2 L'appelante n'a pas prétendu que la condition dont est
assorti le legs qui lui a été fait soit nulle parce qu'elle limite
sa liberté de se marier. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il
appartiendrait à cette Cour de prononcer la nullité d'une
condition pour pareil motif.
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