Mitsui and Co. Limited et Mitsui and Co.
(Canada) Limited (Appelantes)
c.
W. W. Buchanan, J. P. C. Gauthier, A. P. Mills,
membres du Tribunal antidumping du Canada
(Intimés)
Cour d'appel; le juge en chef Jackett, les juges
suppléants Perrier et Choquette—Montréal, le
23 juin 1972.
Douanes et accise—Dumping—L'enquête du sous-ministre
n'est pas limitée aux marchandises déterminées qui ont été
importées, mais à une catégorie de marchandises—Enquête
du Tribunal antidumping—Loi antidumping, S.R.C. 1970, c.
A-15, article 13.
Les appelantes exportent des pneus et chambres à air de
bicyclette. Elles ont demandé une ordonnance de prohibi
tion pour interdire au Tribunal antidumping de tenir une
enquête concernant le soi-disant dumping par les appelantes
de pneus et chambres à air autres que ceux de «16 po. à 20
po.». La requête est fondée sur l'argument suivant lequel,
en vertu de l'article 13 de la Loi antidumping, S.R.C. 1970,
c. A-15, l'enquête tenue par le sous-ministre du Revenu
national pour les douanes et l'accise doit se limiter aux
pneus et chambres à air de cette dimension; il en irait de
même de sa détermination de dumping. Des pneus et cham-
bres à air de plus grande dimension étaient aussi importés
au Canada.
Arrêt: La décision de la Division de première instance est
confirmée et la requête rejetée. L'article 13(1) ne limite pas
l'enquête du sous-ministre aux marchandises déterminées
qui ont été importées, mais permet de tenir une enquête
concernant une catégorie de marchandises et laisse au sous-
ministre le soin de définir cette catégorie.
APPEL d'un jugement (non publié) du juge
Gibson.
Ian Outerbridge, c.r. et Don Rogers pour les
appelantes.
Robert Vincent pour le Tribunal antidumping.
Jack Coyne, c.r. pour la Dunlop of Canada
Ltd.
Le jugement de la Cour a été prononcé par:
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—Il
s'agit d'un appel d'une décision de la Division
de première instance, rendue le 19 juin 1972.
Cette décision rejetait une requête déposée par
les appelantes pour obtenir une ordonnance de
prohibition contre les intimés leur interdisant de
tenir une enquête ou de prendre des conclusions
en ce qui concerne des marchandises autres que
des «pneus et chambres à air de bicyclette de
16 po. à 20 po. exportés au Canada par la
requérante», ainsi qu'une ordonnance déclarant
que l'audience devant être tenue le 26 juin 1972
ne doit porter que sur des «pneus et chambres à
air de bicyclette de 16 po. à 20 po., à l'exclusion
des pneus et chambres à air d'une autre dimen
sion ou d'un autre type».
Cette requête se rapporte à certaines procé-
dures prises en vertu de la Loi antidumping,
S.R.C. 1970, c. A-15. Pour pouvoir comprendre
les faits essentiels, qui ne sont pas contestés, il
faut mentionner au préalable certaines disposi
tions fondamentales de cette loi. Il nous suffira
ainsi de mentionner ce qui suit:
1. Les articles 3, 4 et 5 imposent un droit
sur les marchandises «sous-évaluées» pour
lesquelles le Tribunal antidumping a rendu
une ordonnance ou pris des conclusions.
2. Le sous-ministre du Revenu national
pour les douanes et l'accise doit en vertu de
l'article 13 faire ouvrir une enquête concer-
nant le dumping «de marchandises» (a) s'il est
d'avis qu'il y a des éléments de preuve indi-
quant que «les marchandises» ont été ou sont
sous-évaluées; et (b) s'il est d'avis ou si le
Tribunal fait savoir qu'il est d'avis, qu'il y a
des éléments de preuve indiquant que ce
dumping a notamment causé, cause ou est
susceptible de causer un préjudice sensible à
la production au Canada de marchandises
semblables.
3. Le sous-ministre peut, en vertu de l'arti-
cle 14(1) faire, après l'enquête prévue par
l'article 13, une «détermination préliminaire
du dumping» spécifiant «les marchandises ou
la sorte de marchandises auxquelles cette
détermination s'applique».
4. Un avis écrit de la détermination préli-
minaire faite en vertu de l'article 14(1) doit
être produit au bureau du secrétaire du Tribu
nal en vertu de l'article 14(2)c).
5. Dès réception d'un avis d'une détermi-
nation préliminaire du dumping, le Tribunal
doit, en vertu de l'article 16(1), faire enquête
«relativement aux marchandises auxquelles
s'applique la détermination préliminaire du
dumping».
Les faits essentiels et non contestés dans cette
affaire sont les suivants:
1. Le 2 avril 1971, le ministère du Revenu
national a écrit aux appelantes pour leur faire
savoir que le sous-ministre avait fait ouvrir
une enquête concernant le dumping de
«pneus et chambres à air de bicyclette en
provenance d'Autriche, du Japon, des Pays-
Bas, de Suède et de Taiwan».
2. Le 18 mai 1972, le sous-ministre a écrit
au secrétaire du Tribunal lui faisant savoir
qu'il avait ce jour-là fait une détermination
préliminaire de dumping relativement à des
«pneus et chambres à air de bicyclette en
provenance d'Autriche, du Japon, des Pays-
Bas, de Suède et de Taiwan».
3. Le 23 mai 1972, le Tribunal a émis un
«avis d'audience publique» déclarant notam-
ment:
(1) Que le sous-ministre du Revenu natio
nal lui avait fait parvenir un avis déclarant
qu'une détermination préliminaire du dum
ping avait été faite relativement à des
«pneus et chambres à air de bicyclette en
provenance d'Autriche, du Japon, des
Pays-Bas, de Suède et de Taiwan».
(2) Que conformément à l'article 16 de la
Loi antidumping, le Tribunal avait ouvert
une enquête.
(3) Que, dans le cadre de cette enquête, une
audience publique aurait lieu à Ottawa à
compter du lundi 26 juin 1972.
La requête visant à obtenir un bref de prohi
bition et une ordonnance déclaratoire, déposée
devant la Division de première instance lundi
dernier, se rapporte à l'enquête annoncée par
cet avis d'audience publique du Tribunal.
A l'appui de cette requête, les appelantes ont
produit un affidavit contenant certaines affir
mations, portant sur des sujets autres que ceux
que nous avons déjà mentionnés, et dont les
appelantes tirent argument. Ces affirmations se
trouvaient aux passages suivants de cet
affidavit:
4. Dans une lettre du 8 avril 1971, le ministère du
Revenu national nous a requis de fournir certains renseigne-
ments concernant la production et la vente de certains
pneus et chambres à air de bicyclette. A l'époque de cette
demande nos affaires d'exportation portaient sur des pneus
de 16, 18, 20 et 24 po. de diamètre, et sur des chambres à
air de 16, 18, 24, 26 et 28 po. A cette époque, nous
n'exportions pas au Canada de pneus de 26, 27 ou 28
po. .. .
5. A la suite de la demande du 8 avril 1971, la Mitsui et
les fabricants ont fait parvenir au ministère du Revenu
national tous les renseignements concernant la vente de
pneus et chambres à air de bicyclette par la compagnie
Mitsui. A cette époque, la plupart des renseignements dispo-
nibles visaient les pneus et chambres à air de bicyclette de
16 et 20 po. de diamètre, ces deux types formant le gros du
marché d'exportation.
7. La Mitsui and Co. Limited m'a fait savoir, et j'y ajoute
foi, qu'en mai 1972 le ministère du Revenu national l'a
informée que les violations prétendues de la Loi antidum-
ping visaient exclusivement les pneus et chambres à air de
16, 18 et 20 po. de diamètre, et qu'il n'y avait eu détermina-
tion de dumping au Canada en ce qui concerne d'autres
dimensions de pneus et chambres à air.
9. A l'époque de l'enquête et de la détermination prélimi-
naire par le Sous-Ministre, le ministère du Revenu national
n'a sollicité aucun renseignement visant les pneus de bicy-
clettes de 26, 27 et 28 po. de diamètre et la Mitsui n'a fourni
aucun renseignement à ce sujet.
10. Depuis la première demande de renseignements, le
marché des pneus et chambres à air de bicyclette au Canada
s'est modifié considérablement et la demande de pneus et
chambres à air de bicyclette d'un diamètre de 20 po. ou
moins a beaucoup diminué. La plus grande part du marché
actuel au Canada est constituée par les pneus de bicyclette
de 26 et 27 po. et cette tendance, qui augmente constam-
ment, dure déjà depuis quelque temps. Depuis novembre
1971, les exportations vers le Canada de pneus de bicyclette
de 26 po. et 27 po. de diamètre dépassent de loin celles de
pneus de diamètre inférieur.
11. Dans une lettre du 23 mai 1972, à laquelle était jointe
une liste de questions, le ministère du Revenu national a
demandé des renseignements supplémentaires concernant la
fabrication et la vente de pneus et de chambres à air de
bicyclette, renseignements qui n'avaient pas été exigés ou
fournis auparavant. .. .
12. Plusieurs mois seraient nécessaires pour obtenir et
fournir les renseignements demandés par les pièces «E» et
«F». Ces chiffres se rapportent dans une large mesure aux
pneus de 26 po. et 27 po. de diamètre, qui constituent
maintenant la plus grande proportion des exportations de
pneus et chambres à air vers le Canada. Ces pneus sont plus
grands et d'une largeur et d'une construction différentes,
par rapport aux pneus de moindre diamètre et se vendent
généralement à un prix plus élevé.
13. Au cas où le Tribunal antidumping ferait porter son
enquête, le 26 juin, sur les pneus et chambres à air de
bicyclette de 26 et 27 po., nous ne pourrions fournir les
renseignements demandés, faute de temps pour établir les
chiffres et faits pertinents relativement aux opérations de la
Mitsui and Co. Limited et de ses filiales dans la fabrication
et la distribution de pneus et chambres à air de bicyclette de
ce diamètre.
14. A la suite de l'accroissement rapide de la demande de
bicyclettes au Canada, l'industrie des pneus et chambres à
air de bicyclette s'est modifiée considérablement ces deux
dernières années. Par conséquent, les renseignements con-
cernant l'industrie du pneu de bicyclette en 1971 ne présen-
tent qu'un intérêt limité pour évaluer la situation actuelle.
Actuellement, les pneus de bicyclette de 16 et 20 po.
forment une proportion beaucoup plus faible de nos expor-
tations totales de pneus vers le Canada, que ceux de 26 et
27 po.
A partir de ces considérations, on a demandé
en fait à la Division de première instance d'in-
terdire au Tribunal antidumping, qui avait effec-
tivement donné avis de l'ouverture d'une
enquête, conformément à l'article 16, relative
aux «pneus et chambres à air de bicyclette en
provenance d'Autriche, du Japon, des Pays-Bas,
de Suède et de Taiwan», de tenir une enquête
ou de prendre des conclusions concernant des
marchandises autres que «les pneus et cham-
bres à air de bicyclette de 16 à 20 po. exportés
au Canada par la requérante». Les modifica
tions apportées par l'avocat durant les débats en
appel ont restreint la portée de la requête.
A première vue, il semble n'y avoir aucun
doute que l'enquête que le Tribunal a annoncée
est précisément l'enquête qu'il doit tenir en
vertu de la loi. Le sous-ministre, ayant d'après
l'article 14(1) l'autorisation et le devoir de faire
une détermination préliminaire du dumping «en
spécifiant les marchandises ou la sorte de mar-
chandises» auxquelles elle s'applique, a fait une
détermination préliminaire spécifiant «les pneus
et chambres à air de bicyclette en provenance
d'Autriche, du Japon, des Pays-Bas, de Suède et
de Taiwan»; et le Tribunal, étant obligé par
l'article 16 de faire une enquête «relativement
aux marchandises auxquelles s'applique la
détermination préliminaire de dumping» dès
réception de l'avis de cette détermination préli-
minaire, a annoncé l'ouverture d'une enquête,
c'est-à-dire d'une enquête relative aux «pneus
et chambres à air de bicyclette en provenance
d'Autriche, du Japon, des Pays-Bas, de Suède et
de Taiwan».
Toutefois l'avocat des appelantes a fait
valoir, de façon très convaincante, qu'une telle
enquête doit se limiter aux marchandises déjà
expédiées à l'époque où le sous-ministre a com-
mencé son enquête en vertu de l'article 13. Cet
argument, résumé très habilement dans le
factum des appelantes, fut présenté verbale-
ment à la Cour avec quelques modifications.
En substance, l'argument des appelantes me
paraît basé sur les propositions suivantes:
(a) l'enquête du Tribunal doit se limiter à une
enquête «relativement aux marchandises aux-
quelles la détermination préliminaire du dum
ping s'applique»;
(b) la détermination préliminaire du dumping
faite par le sous-ministre doit se limiter aux
«marchandises» dont il est convaincu à la
suite de son enquête en vertu de l'article 13
qu'elles ont été sous-évaluées; et
(c) l'enquête effectuée en vertu de l'article 13
doit se rapporter précisément aux marchandi-
ses qui ont été importées.'
Aux fins du présent appel, l'on peut prendre
pour acquis le bien-fondé des deux premières
propositions. L'argument des appelantes pèche
à mon avis dans sa troisième proposition, à
savoir qu'une enquête menée en vertu de l'arti-
cle 13 doit être limitée à certaines marchandi-
ses, celles qui ont été introduites au Canada
avant que le sous-ministre ne fasse ouvrir une
enquête, même si elles relèvent d'une catégorie
de marchandises bien définie, catégorie de mar-
chandises qui était importée à cette époque,
Dès le départ, il faut remarquer qu'une ana
lyse littérale de la loi, qui tienne compte de la
présomption voulant que les termes d'une loi,
lorsqu'ils sont utilisés dans le même contexte
général, conservent le même sens jusqu'à
preuve du contraire, fournit un fondement très
ferme aux arguments des appelantes. Les arti
cles 3, 4 et 5 imposent un droit sur «les mar-
chandises» introduites au Canada et l'article 15
prévoit le paiement de droits temporaires lors-
que le sous-ministre a fait une détermination
préliminaire du dumping «de marchandises ou
d'une sorte de marchandises» par l'importateur
de «ces marchandises ou de toutes marchandi-
ses de la même sorte qui entrent au Canada».
Dans tous les cas où un droit est payable, il est
clair que la loi parle de marchandises détermi-
nées qui ont été importées. Si l'on se reporte à
l'article 13(1), on constate qu'il a essentielle-
ment pour effet d'obliger le sous-ministre à
ouvrir une enquête relativement au dumping
«de marchandises» et l'on peut raisonnablement
supposer que le Parlement vise ici encore le
dumping de certaines marchandises en particu-
lier, c'est-à-dire de marchandises qui ont été
importées.
Toutefois si l'on examine l'article 13(1) en
tenant compte de l'économie générale de la loi
et que l'on essaie de donner un sens réaliste à
l'ensemble de ce paragraphe en fonction de ce
dispositif général, on est obligé, d'après moi,
d'en conclure que l'article 13(1) ne se rapporte
pas à des marchandises déterminées mais à une
catégorie de marchandises et laisse au sous-
ministre le soin de définir cette catégorie. Cette
conclusion me paraît inévitable, si l'on tient
compte du fait que la deuxième condition de la
tenue d'une enquête en vertu de ce paragraphe
est l'existence d'éléments de preuve indiquant
que le dumping de ces marchandises «a causé,
cause ou est susceptible de causer un préjudice
sensible à la production au Canada de marchan-
dises semblables . ..» Non seulement ce critère
n'est-il pas rédigé en fonction des effets d'en-
vois de marchandises déjà effectués, mais
encore ne serait-il pas réaliste de faire enquête
sur l'effet d'importations d'une catégorie de
marchandises aussi restreinte sur la production
de marchandises au Canada. Dans l'article
13(1), il me paraît très clair que le Parlement
vise l'entrée au Canada d'une catégorie de mar-
chandises et ordonne une enquête sur les effets
passés, présents et futurs de ces importations si
on les laisse se poursuivre.
On peut analyser de nombreuses dispositions
de la loi pour déterminer si elles confirment ou
non l'une ou l'autre des interprétations de l'arti-
cle 13(1); l'avocat des appelantes a d'ailleurs
analysé la plupart d'entre elles. Loin de moi la
pensée qu'il soit facile d'expliquer toutes ces
dispositions à partir de l'interprétation que j'ai
adoptée, bien qu'à mon avis, il soit possible de
trouver à la plupart, sinon à la totalité d'entre
elles, une explication qui soit compatible avec
mon interprétation de l'économie générale de la
loi. Il ne serait toutefois ni utile ni raisonnable
de procéder ici à un examen détaillé de chacune
d'entre elles. Je me bornerai à mentionner l'arti-
cle 14(1) qui, d'après moi, favorise nettement
une interprétation de l'article 13(1) en fonction
de catégories de marchandises, puisqu'il oblige
le sous-ministre à spécifier «les marchandises
ou la sorte de marchandises» auxquelles la
détermination préliminaire du dumping s'appli-
que.
Je me contenterai d'ajouter que, bien que l'on
n'ait pas mentionné la demande d'ordonnance
déclaratoire, je doute fort que l'on puisse vala-
blement solliciter une ordonnance déclaratoire à
l'occasion d'une requête sommaire.
I Si les propositions des appelantes étaient toutes justes, il
serait alors nécessaire d'examiner les preuves pour s'assurer
que les appelantes aient réussi à établir que la portée de
l'enquête prévue par l'article 13 a été limitée ainsi qu'elles le
prétendent.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.