Friendly Ice Cream Corporation (Demanderesse)
c.
Friendly Ice Cream Shops Limited (Défende-
resse)
Division de première instance, le juge Heald-
Ottawa, les 22 et 26 juin 1972.
Procédure—Marques de commerce—Suffisance des plai-
doiries—Concurrence déloyale—Caractère distinctif de la
marque de commerce de la demanderesse sur le marché où
s'exercent les activités de la défenderesse—Procédure pour
obtenir la radiation—Loi sur les marques de commerce,
articles 7, 37 et S_7.
1. Lorsqu'il s'agit d'une action en concurrence déloyale
en vertu soit des dispositions de l'article 7 de la Loi sur les
marques de commerce soit de la common law, la déclaration
doit alléguer des faits qui indiquent que la marque de
commerce de la demanderesse a un caractère distinctif sur
le marché où la défenderesse exerce ses activités ou que
celle de la défenderesse est susceptible de créer de la
confusion ou de tromper le public du marché en question.
2. L'article 37 de la Loi sur les marques de commerce
prévoit toute la procédure d'opposition à une demande
d'enregistrement d'une marque de commerce et il n'entre
pas dans les pouvoirs de la Cour de restreindre ces disposi
tions de la Loi ou d'y passer outre.
3. Les pouvoirs de la Cour en vertu des dispositions de
l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce touchant
la radiation ou la modification d'un enregistrement au motif
de son inexactitude n'incluent pas celui de substituer le nom
d'une personne, à titre de propriétaire, à celui de la per-
sonne enregistrée.
REQUÊTE en radiation d'une déclaration.
G. R. W. Gale pour la demanderesse.
G. E. Macklin pour la défenderesse.
LE JUGE HEALD—Conformément à la Règle
419, la défenderesse sollicite, par la présente
requête, la radiation de la totalité de la déclara-
tion, aux motifs que:
(i) elle ne révèle aucune cause raisonnable
d'action;
(ii) elle n'est pas essentielle ou elle est
redondante;
(iii) elle est futile ou vexatoire;
(iv) elle constitue par ailleurs un emploi
abusif des procédures de la Cour.
La défenderesse demande de plus, subsidiaire-
ment, que la demanderesse fournisse des détails
au sujet d'un certain nombre d'alinéas de sa
déclaration.
La demanderesse allègue dans sa déclaration
qu'elle exploite Friendly Ice Cream Shops
depuis 1935; qu'elle a fait enregistrer la marque
de commerce Friendly Ice Cream en 1954 au
United States' Trade Mark Office, (bureau d'en-
registrement des marques de commerce des
États-Unis), et que jusqu'en 1970, elle exploi-
tait 314 magasins qui vendaient ses produits,
notamment de la crème glacée, des hamburgers,
des soupes, des sandwiches, des pommes frites,
des boissons vendues à la fontaine, etc. Elle
allègue de plus que la défenderesse a fait enre-
gistrer au Canada une marque de commerce
Friendly Ice Cream dans le but de l'utiliser
relativement à des produits laitiers et exploite
un magasin de vente de crème glacée et de
sandwiches dans la ville de St. Thomas
(Ontario).
Dans sa déclaration, la demanderesse prétend
établir quatre causes différentes d'action et
demande réparation au sujet de chacune d'elles.
La principale cause d'action repose sur la
concurrence déloyale que prévoient les disposi
tions de l'article 7 de la Loi sur les marques de
commerce (S.R.C. 1970, c. T-10), qui se lit
comme suit:
7. Nul ne doit
a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à
discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services
d'un concurrent;
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses
services ou son entreprise de manière à causer ou à
vraisemblablement causer de la confusion au Canada,
lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre
ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux
d'un autre;
c) faire passer d'autres marchandises ou services pour
ceux qui sont commandés ou demandés;
d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services,
une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et
de nature à tromper le public en ce qui regarde
(i) les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la
composition,
(ii) l'origine géographique, ou
(iii) le mode de fabrication, de production ou
d'exécution
de ces marchandises ou services; ni
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode
d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou
commerciaux ayant cours au Canada.
Ainsi, l'article 7 décrit le genre de faits qui
justifient une poursuite. Les règles exigent que
l'on établisse un exposé des faits essentiels de
façon telle que la lecture de ces faits essentiels
que l'on allègue permette de conclure sans
erreur possible qu'ils entrent dans la catégorie
décrite dans la Loi. La charge qui incombe au
demandeur dans une action en concurrence
déloyale a été énoncée avec concision dans
l'arrêt J. B. Williams Co. c. H. Bronnley & Co.
(1909) 26 R.P.C. 765 la p. 771 comme suit:
[TRADUCTION] Que doit établir un commerçant agissant à
titre de demandeur dans une action en concurrence
déloyale? Il me semble que pour triompher, il doit tout
d'abord établir qu'il a choisi une conception nouvelle et
originale telle qu'elle confère un caractère distinctif à ses
marchandises, que celles-ci sont connues sur le marché, où
elles ont acquis une réputation en raison justement de ce
caractère distinctif, et que s'il ne peut réussir à prouver
cela, les bases mêmes de son action sont absentes.
J'ai la conviction, à la lecture de l'article 7,
que la demanderesse doit alléguer les faits de
nature à établir que ses marques de commerce
ou la présentation de ses marchandises la distin-
guent sur le marché. Dans le contexte de la
présente affaire et de l'article 7, je pense que
ceci signifie qu'elles doivent se distinguer sur le
marché où s'exercent les activités de la défen-
deresse, c'est-à-dire à St. Thomas (Ontario).
La demanderesse n'a allégué aucun fait
important qui établisse que ses marques de
commerce se distinguent en Ontario ou au
Canada, ou qui prouve qu'il existe une possibi-
lité de créer de la confusion ou de tromper le
public du marché sur lequel la défenderesse
exploite son entreprise.
Dans sa plaidoirie, la demanderesse allègue
qu'elle exploite Friendly Ice Cream Shops
depuis 1935, mais elle ne dit pas à quel endroit
et ne précise pas si c'est aux États-Unis, au
Canada ou au Japon. Elle allègue de plus que
ses produits sont bien connus du public en
général sous le nom commercial de Friendly Ice
Cream, mais elle n'indique pas où ce «public»
se trouve. Elle déclare qu'elle possède 314
magasins où elle vend ses produits mais, là
encore, elle n'indique l'emplacement d'aucun de
ces magasins. Si ceux-ci étaient situés dans la
partie sud ou ouest des États-Unis ou dans un
pays d'Europe ou d'Asie, la demanderesse
serait en vérité fort embarrassée pour établir
leur caractère distinctif et la vraisemblance
d'une confusion en Ontario, au Canada. La
demanderesse n'allègue nulle part dans sa plai-
doirie de caractère distinctif en Ontario, au
Canada, (les italiques sont de moi), ni la vrai-
semblance d'une confusion en Ontario, au
Canada (les italiques sont de moi). Seul l'alinéa
14, dont voici la teneur, parle de la confusion:
[TRADUCTION] 14. La demanderesse n'a pas reçu d'avis de
la demande d'enregistrement de la marque de commerce
«Friendly Ice Cream» et une telle marque de commerce
canadienne est susceptible de créer de la confusion avec la
marque de commerce de la demanderesse, qui est devenue
connue au Canada.
L'alinéa 14 ne contient pas de renseignements
sur le lieu où la marque de commerce de la
demanderesse «est devenue connue au Canada»
ni sur la manière dont cela s'est produit, con-
trairement aux exigences de l'article 5 de la Loi
sur les marques de commerce. (Les italiques
sont de moi).
Je conclus en conséquence que la déclaration
n'allègue pas les faits essentiels nécessaires
pour justifier l'action en concurrence déloyale
que la demanderesse a intentée en vertue de
l'article 7 de la Loi sur les marques de com
merce. Le savant avocat de la demanderesse a
fait valoir, cependant, que sa plaidoirie était
faite de manière à invoquer la common law et
qu'il a suffisamment plaidé les éléments d'une
action de common law en concurrence déloyale.
L'arrêt rendu en Ontario dans l'affaire Hughes
c. Sherriff 12 C.P.R. 79 a décidé que l'article
correspondant de la Loi sur la concurrence
déloyale était une codification de la common
law. Le juge en chef McRuer a cité cette déci-
sion en l'approuvant dans l'arrêt Eldon Indus
tries Inc. c. Reliable Toy Co. 44 C.P.R. 239. Il
importe cependant peu, dans la présente affaire,
que l'article 7 soit la codification de la common
law, car, à mon avis, la demanderesse n'a satis-
fait aux exigences ni de l'article 7 ni de la
common law.
J'arrive maintenant à la seconde cause d'ac-
tion que la demanderesse cherche à établir dans
le présent procès. La demanderesse allègue à
l'alinéa 3 qu'en plus du nom Friendly Ice Cream
Shops, elle utilise aussi les appellations de
viande «Big Beef» et «Fribble». Elle allègue, à
l'alinéa 6, que la défenderesse cherche à obtenir
au Canada un enregistrement de marque de
commerce pour les mots «Big Beef» et pour le
mot et l'appellation «Fribble», aux termes de
demandes en dates respectives du 22 septembre
et du 2 octobre 1970. Elle déclare à l'alinéa 4
qu'elle a fait enregistrer, en 1968, aux États-
Unis, la marque de commerce «Fribble» et que
l'enregistrement de «Fribble» et de «Big Beef»
est effectué ou en voie de l'être dans la juridic-
tion de douze États américains. Sur la foi de ces
allégations et d'aucune autre, la demanderesse
demande à l'alinéa 16d) les réparations
suivantes:
[TRADUCTION] 16. d) Déclarer que la défenderesse n'est
pas fondée à rechercher l'enregistrement des mots «Big
Beef» ni du nom et de l'appellation «Fribble» à titre de
marques de commerce, en vertu des dispositions de la Loi
sur les marques de commerce, qu'elle recherche aux termes
de ses demandes actuellement pendantes à cet effet, dont il
est question au paragraphe 6 ci-dessus, et que cet enregis-
trement ne doit pas lui être accordé.
Je n'ai aucune difficulté à conclure que cette
partie de la déclaration doit être radiée. L'arti-
cle 37 de la Loi sur les marques de commerce
prévoit la façon dont on peut s'opposer à des
demandes d'enregistrement de marques de com
merce. Ledit article renferme un code complet
de la procédure que l'on doit suivre dans de tels
cas. Il n'est pas dans les pouvoirs de la Cour, à
ma connaissance, de restreindre ces disposi
tions de la loi ni d'y passer outre. C'est en fait
ce que la demanderesse demande à la Cour de
faire, dans l'alinéa 16d) de la déclaration.
La troisième cause d'action que la demande-
resse cherche à établir dans sa déclaration est
exposée au sous-alinéa c) de l'alinéa 16, où elle
sollicite réparation comme suit:
[TRADUCTION] c) Une ordonnance, rendue en vertu de
l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale, 1970-71, S.C. c.
1, et en vertu de l'article 57(1) de la Loi sur les marques
de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, modifié par l'article
64(2) de la Loi sur la Cour fédérale, njoignant de modi
fier l'inscription portée au registre des marques de com
merce, sous le numéro 174,266, du nom Friendly Ice
Cream Shops Limited, concernant la marque de com
merce «Friendly Ice Cream», en substituant au nom du
propriétaire qui y figure le nom de Friendly Ice Cream
Corporation, ou subsidiairement une ordonnance enjoi-
gnant la radiation, sur ce registre, dudit enregistrement;
Cette allégation semble être une tentative
pour inciter la Cour à exercer la compétence
que lui confère l'article 57 de la Loi sur les
marques de commerce, dont voici la teneur:
57. (1) La Cour de L'Échiquier du Canada a une compé-
tence initiale exclusive, sur la demande du registraire ou de
toute personne intéressée, pour ordonner qu'une inscription
dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date
de cette demande, l'inscription figurant au registre n'ex-
prime ou ne définit pas exactement les droits existants de la
personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.
(2) Aucune personne n'a le droit d'intenter, en vertu du
présent article, des procédures mettant en question une
décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne
avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d'interje-
ter appel.
Tout d'abord, la demanderesse demande à la
Cour de modifier l'enregistrement de la marque
de commerce en substituant son nom à celui de
la défenderesse sur le registre des marques de
commerce. La Cour n'a pas le pouvoir, à ma
connaissance, de rendre une telle ordonnance.
Ensuite, elle demande à titre subsidiaire, à l'ali-
néa 16c), la radiation de l'enregistrement de la
défenderesse. Pour pouvoir prétendre à cette
radiation, la demanderesse doit plaider des faits
qui permettent l'application de l'article 57, ce
qu'elle n'a pas fait dans sa plaidoirie. En pre
mier lieu, la demanderesse doit plaider les faits
nécessaires pour prouver qu'elle est «une per-
sonne intéressée», au sens de l'article 57. Elle
ne l'a pas fait. Ensuite, la demanderesse n'a
plaidé aucun fait constituant l'un des motifs de
radiation qu'expose la Loi sur les marques de
commerce, tels que perte du caractère distinctif,
similitude pouvant créer de la confusion avec
une autre marque déposée, etc.
La déclaration est incomplète en ce sens
qu'elle ne révèle aucun motif permettant de
faire biffer du registre la marque déposée du
défendeur.
Cette troisième cause d'action de la déclara-
tion est donc également irrecevable.
La quatrième cause d'action qu'allègue la
déclaration se trouve à l'alinéa 15 et se lit
comme suit:
[TRADUCTION] 15. La demanderesse déclare que la défen-
deresse utilise la marque de commerce «Friendly Ice
Cream» en contravention des articles 10 et 11 de la Loi sur
les marques de commerce, en ce sens qu'elle l'utilise d'une
façon susceptible de tromper le public en lui faisant croire
qu'il achète des marchandises et des services de la deman-
deresse alors qu'en fait, tel n'est pas le cas.
L'article 9 de la Loi sur les marques de com
merce énumère un certain nombre de marques
interdites. L'article 10 est d'ordre public. L'arti-
cle 11 interdit à quiconque d'utiliser les mar-
ques de commerce que couvrent les articles 9 et
10. Il me semble que ces trois articles ne s'ap-
pliquent pas à la présente affaire. Si la marque
Friendly Ice Cream entrait dans le cadre des
dispositions de ces articles, ni la demanderesse
ni la défenderesse ne pourraient l'utiliser.
Je suis également d'avis que la demanderesse
n'a pas plaidé de faits essentiels pouvant lui
permettre d'invoquer les dispositions des arti
cles 10 et 11 de la Loi, en admettant qu'ils
soient applicables.
Pour toutes ces raisons, je conclus que la
déclaration dans la présente affaire ne peut être
acceptée dans sa teneur actuelle.
En conséquence, une ordonnance sera rendue
enjoignant:
1. Que la déclaration dans la présente affaire
soit radiée;
2. Que la demanderesse soit autorisée à
demander la permission d'y substituer une autre
déclaration;
3. Que, si une telle demande n'est pas pré-
sentée dans les quatre semaines de la date de la
présente ordonnance, la défenderesse pourra
demander le rejet de l'action;
4. Que, quelle que soit l'issue de la cause, la
défenderesse reçoive les dépens de la présente
requête en radiation.
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