U.S. Natural Resources, Inc. (Appelante)
c.
Moore Dry Kiln Company of Canada Limited
(Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Thurlow et le juge suppléant Cameron —Ottawa,
le 22 février 1973.
Marques de commerce—Plaidoiries—Violation—Les allé-
gations sont-elles suffisantes—Plaidoiries exposant les
moyens de droit invoqués pour obtenir le redressement
demandé—Requête en radiation de la déclaration—Détails
additionnels.
La propriétaire de la marque de commerce enregistrée
«Moore», utilisée relativement à de l'outillage pour l'exploi-
tation forestière, a intenté une action contre la défenderesse
en soutenant que (1) en 1970, la défenderesse a commencé à
utiliser le mot «Moore» soit seul soit associé à d'autres mots
dans une entreprise concurrente et (2) que l'utilisation de
ces mots a) constitue une usurpation de sa marque de
commerce déposée aux termes des articles 19 et 20 de la
Loi sur les marques de commerce, b) risque d'entraîner la
diminution de la valeur de sa clientèle en contravention de
l'article 22, c) crée de la confusion entre les marchandises
de la demanderesse et celles de la défenderesse; et d) fait
passer les marchandises de la défenderesse pour celles de la
demanderesse.
Arrêt: confirmation de la décision de la Division de pre-
mière instance. Il convient de rejeter la requête en radiation
des allégations 'susmentionnées figurant dans la déclaration
ou la requête pour détails additionnels présentées par la
défenderesse.
Les allégations figurant dans (1) fondent une cause d'ac-
tion valable ou, à tout le moins, défendable.
Bien que les allégations figurant dans (2) ne soient pas des
allégations de fait mais des moyens de droit invoqués pour
obtenir le redressement demandé, il n'y a pas lieu, exception
faite des cas extrêmes, de les examiner dans le cadre d'une
demande de radiation lorsque les faits essentiels allégués
fondent une cause d'action défendable.
La défenderesse n'a pas droit à des détails additionnels.
La défenderesse sait certainement quel genre d'entreprise
elle exploitait au Canada, quels genres de marchandises ou
de pièces d'outillage elle a vendues et sous quelles marques
elle l'a fait.
APPEL.
AVOCATS:
Ross Carson pour l'appelante.
Daniel I. Lack et R. Graham McClenahan
pour l'intimée.
PROCUREURS:
Foster, Carson & Cie, Ottawa, pour
l'appelante.
Gowling et Henderson, Ottawa, pour
l'intimée.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—Il
s'agit de l'appel d'un jugement de la Division de
première instance rejetant une requête déposée
par l'appelante en vue d'obtenir la radiation de
certains paragraphes de la déclaration, ou, sub-
sidiairement, une ordonnance enjoignant à la
partie adverse de produire des détails
additionnels.
Avant de résumer cette affaire, il est peut-être
utile de dire que, comme je conçois la chose, la
déclaration est en partie un «exposé précis des
faits essentiels sur lesquels se fonde la partie
qui plaide», selon les termes de la Règle 408(1),
et en partie un exposé des divers textes de loi
ou des diverses causes d'action sur lesquels la
demanderesse se fonde par suite de ces faits.
Cet exposé des textes de loi ou des causes
d'action me semble constituer un élément d'ar-
gumentation normal et admissible aux termes
des Règles 409b) et 412, qui se lisent comme
suit:
Règle 409. Une partie doit plaider spécifiquement toute
question (par exemple l'exécution, la décharge, une loi de
prescription, la fraude ou tout fait impliquant une illégalité)
b) qui, si elle n'est pas spécifiquement plaidée, pourrait
prendre la partie opposée par surprise;
Règle 412. (1) Une partie peut, par sa plaidoirie, soulever
tout point de droit.
(2) Le fait de soulever une question de droit ou d'affirmer
expressément une conséquence juridique—comme, par
exemple la revendication d'un titre à la propriété—ne doit
pas être accepté comme remplaçant un exposé des faits
essentiels sur lesquels se fonde la conséquence juridique.
A mon avis, les allégations de fait essentielles
figurent aux paragraphes 3 à 7 et aux
paragraphes 14 et 15 de la déclaration. Je vais
les résumer d'une manière qui, je l'espère, suf-
fira aux fins qui nous occupent:
(1) la demanderesse est la propriétaire de la
marque de commerce «MOORE», utilisée rela-
tivement à certaines marchandises données,
et déposée au Bureau des marques de com-
merce du Canada; la demanderesse exploite
depuis plusieurs années au Canada une entre-
prise consistant à fabriquer et à vendre au
Canada des produits et des pièces d'outillage
utilisés dans l'exploitation forestière et dans
l'industrie du bois de construction (et notam-
ment celles relativement auxquelles ladite
marque a été déposée); ces marchandises et
pièces ont fait l'objet d'une large publicité et
ont été vendues et désignées dans le com
merce sous la marque «MOORE»;
(2) la demanderesse s'est constitué dans le
commerce et l'industrie une clientèle et une
réputation de grande valeur sous cette
marque;
(3) en 1970, la défenderesse a acquis la pro-
priété d'une entreprise américaine dont le
nom comprend le mot «MOORE»; cette compa-
gnie n'avait jusque-là pas utilisé la marque de
commerce «MOORE» au Canada relativement
à ses marchandises; la défenderesse a égale-
ment acquis la propriété de la Irvington
Forest Industries Inc., une concurrente de la
demanderesse au Canada, et elle a fusionné
ces deux compagnies pour constituer sa divi
sion «IRVINGTON MOORE»;
(4) vers la fin de 1970, la défenderesse a
commencé à exploiter au Canada une entre-
prise consistant à commercialiser, à vendre et
à fournir, sous les marques de commerce et
noms commerciaux «MOORE», «IRVINGTON
MOORE» et «MOORE DRY KILN COMPANY»,
des marchandises et des pièces d'outillage
destinées à l'industrie du bois et à l'industrie
forestière et relevant de la catégorie de mar-
chandises relativement à laquelle la demande-
resse a déposé la marque précitée;
(5) la défenderesse se propose de continuer à
exploiter son entreprise et elle menace de le
faire; et
(6) par suite de cette exploitation, la deman-
deresse a subi un préjudice et la défenderesse
a fait des bénéfices.
Le reste de la déclaration énonce que l'utilisa-
tion par la défenderesse des marques de com
merce «MOORE», «IRVINGTON MOORE» et
«MOORE DRY KILN COMPANY» et des noms com-
merciaux «MOORE», «IRVINGTON MOORE» et
«MOORE DRY KILN COMPANY» constitue
a) une usurpation d'une marque de commerce
déposée aux termes des articles 19 ou 20 de
la Loi sur les marques de commerce,
b) un emploi d'une marque de commerce
déposée d'une manière susceptible d'entraîner
la diminution de la valeur de la clientèle, en
contravention de l'article 22 de la Loi sur les
marques de commerce,
c) un acte par lequel elle attire l'attention du
public sur ses marchandises ou son entreprise
d'une manière qui cause ou est susceptible de
créer de la confusion au Canada entre ses
marchandises et son entreprise et celles de la
demanderesse et,
d) un acte par lequel elle fait passer ses mar-
chandises et son entreprise pour celles de la
demanderesse.
La première partie de la requête vise à obtenir
une ordonnance portant radiation des alléga-
tions énoncées aux paragraphes 7 à 13 de la
déclaration, notamment,
a) l'allégation (paragraphe (4) précité) portant
que vers la fin de 1970, la défenderesse a
commencé à commercialiser, etc., des mar-
chandises et des pièces d'outillage relevant de
la catégorie relativement à laquelle la marque
de commerce de la demanderesse a été dépo-
sée, en utilisant la marque de commerce et le
nom commercial «MOORE» ou d'autres noms
et marques comprenant le mot «MOORE»; et
b) les paragraphes (résumés aux alinéas a) à
d) ci-dessus) qui énoncent les diverses causes
d'action invoquées par suite des faits allégués
dans le reste de la déclaration.
Sur ce premier point, je suis d'avis que la
requête doit être rejetée. Le rapprochement des
allégations de fait et du paragraphe 14 de la
déclaration fait clairement ressortir que, selon la
demanderesse, la défenderesse vend depuis la
fin de l'année 1970 des marchandises du genre
de celles relativement auxquelles la demande-
resse a déposé des marques de commerce et des
noms commerciaux constitués entièrement ou
partiellement par la marque en question. Ces
faits fondent une cause d'action valable ou, à
tout le moins, défendable et l'allégation attaquée
renferme un élément essentiel de cette cause
d'action. Quant aux autres parties de la déclara-
tion que l'on cherche à faire radier, elles ne sont
pas des allégations de fait mais plutôt, comme
nous l'avons déjà mentionné, un exposé des
diverses causes d'action, c'est-à-dire les divers
moyens de droit que la demanderesse se pro
pose d'invoquer à partir des faits allégués par
ailleurs pour obtenir le redressement qu'elle sol-
licite. A mon avis, il n'y a pas lieu, exception
faite des cas extrêmes, d'examiner ces parties
de la déclaration dans le cadre d'une action en
radiation, lorsque les faits essentiels allégués
fondent effectivement une cause d'action défen-
dable. Normalement, c'est lors du procès, une
fois les débats clos, qu'il convient de décider si
les faits essentiels allégués par ailleurs permet-
tent d'invoquer les diverses causes d'action
exposées dans la déclaration, ou si les causes
d'action alléguées en sont véritablement. D'au-
tre part, la demanderesse doit se rendre compte
qu'elle s'est obligée à n'établir que les faits
essentiels allégués par ailleurs, et qu'elle ne peut
pas déposer de preuves visant à établir les faits
qui, selon elle, sont implicitement visés par ce
genre d'argumentation. (Voir la Règle 412(2).)
Pour éviter toute ambiguïté, je déclare que les
paragraphes 8 à 13 de la déclaration ne consti
tuent pas des allégations de faits essentiels et ne
peuvent servir de fondement ni à un interroga-
toire préalable au procès, ni à des dépositions
lors du procès.
Sur la demande de détails additionnels, je suis
d'avis que l'appel doit être rejeté.
La question de savoir si une déclaration est
suffisamment détaillée, soit aux fins des actes
de procédure préalables au procès, soit aux fins
des débats, doit être tranchée selon les circons-
tances particulières à chaque cas. Lorsque la
violation reprochée ne consiste qu'en une seule
opération, je suis d'avis que, normalement, la
déclaration doit contenir suffisamment de
détails pour que la défenderesse puisse identi
fier cette opération et que la demanderesse doit
faire de son mieux à cette fin à partir des
renseignements dont elle dispose. Toutefois,
dans la présente affaire, on allègue une violation
d'une certaine durée, ayant consisté à exploiter,
depuis une date précise jusqu'à la date du
procès, une entreprise consistant à vendre, etc.,
une catégorie donnée de marchandises sous la
marque déposée appartenant à la demanderesse
ou sous des marques ou des noms qui créent de
la confusion. Aux termes de la Règle 319, en
l'absence de preuves établissant qu'il est impos
sible à la défenderesse de faire valoir sa défense
sans obtenir d'abord des détails additionnels, je
suis d'avis que cette déclaration décrit la viola
tion alléguée d'une manière suffisamment pré-
cise. En réalité, dans cette affaire, il ne semble y
avoir aucune nécessité de détails additionnels.
L'appelante sait certainement quel genre d'en-
treprise elle exploitait au Canada, quels genres
de marchandises ou de pièces d'outillage elle a
vendues et sous quelles marques de commerce
elle l'a fait. Dans ces conditions, je ne vois pas
comment il pourrait lui être difficile de décider
quelle défense elle présentera.
A mon avis, il y a lieu de rejeter l'appel avec
dépens.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT CAMERON a souscrit à
l'avis.
* * *
LE JUGE THURLOW—Je suis également d'avis
que l'appel doit être rejeté.
Je ne suis pas convaincu que les sous-alinéas
e) de chacun des paragraphes 8 à 13 n'entrent
pas dans la catégorie des cas extrêmes dont
parle le juge en chef, et qu'ils ne pourraient pas
de ce fait être radiés; mais je souscris néan-
moins à ses motifs et à ses conclusions.
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