La succession Lafleur (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 26 novembre; Ottawa, le 14 décem-
bre 1973 et le 10 janvier 1974.
Impôt sur le revenu—Décision préliminaire de la Commis
sion de révision de l'impôt—La Cour fédérale est-elle compé-
tente pour l'examiner—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 171,
172.
La Commission de révision de l'impôt a confirmé, dans
une décision préliminaire, que le ministre du Revenu natio
nal avait le pouvoir, en vertu de l'article 46(4)a)(i) (S.R.C.
1952, c. 148 avant les modifications apportées par 1970-
71-72, c. 63, art. 1), d'établir une nouvelle cotisation à
l'impôt sur le revenu de feu L pour les années 1954 à 1962
inclusivement, au motif que ce dernier avait fait une présen-
tation erronée ou commis quelque fraude. La demanderesse
interjeta appel, mais la défenderesse présenta une requête
portant sur le point de savoir si la Cour fédérale a compé-
tence pour entendre un appel d'une décision préliminaire de
la Commission de révision de l'impôt.
Arrêt: la question reçoit une réponse négative, savoir, la
Cour fédérale n'a pas compétence en vertu de la loi pour
entendre un appel d'une décision préliminaire ou interlocu-
toire. L'appel de la demanderesse était prématuré puisque le
«jugement» de la Commission n'était pas, au sens de l'article
172(1), une «décision» dont on peut interjeter appel à la
Cour fédérale.
REQUÊTE pour faire déterminer une question
de droit.
AVOCATS:
Michel Cogger pour la demanderesse.
Marie-Claude Frenette-Coutu pour la dé-
fenderesse.
PROCUREURS:
Geoffrion et Prud'homme, Montréal, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
LE JUGE WALSH—I1 s'agit d'une requête pré-
sentée par la défenderesse pour faire déterminer
la question de droit suivante:
La Cour fédérale, Division de première instance, a-t-elle
compétence pour entendre l'action déposée devant elle par
la demanderesse en date du 20 juillet 1973, vu que ladite
action fait suite à une décision préliminaire de la Commis
sion de révision de l'impôt, laquelle décision n'admettait ni
ne rejetait l'appel interjeté devant ladite commission par la
demanderesse, mais ne faisait que confirmer que le ministre
du Revenu national avait l'autorité pour émettre les cotisa-
tions d'impôt sur le revenu à l'endroit de feu J. S. Robert
Lafleur en vertu de l'article 46(4)a)(1) de la Loi de l'impôt
sur le revenu (1952, S.R.C, c. 148), puisque ce dernier avait
fait une présentation erronée ou commis quelque fraude
pour chacune des années d'imposition cotisées)
Les années en cause sont les années 1954 à
1962 inclusivement, pour lesquelles furent éta-
blies, le 2 mai 1968, des nouvelles cotisations.
La demanderesse les ayant contestées, elles
furent confirmées par le Ministre conformément
à la loi; un appel fut alors interjeté devant la
Commission de révision de l'impôt. Bien que la
déclaration déposée devant cette Cour pendant
la procédure demandant l'annulation des nou-
velles cotisations déclare que ladite Commission
a rejeté l'appel interjeté par l'appelante par un
jugement daté du 29 mars 1973 et bien que la
décision de ladite Commission s'intitule «Juge-
ment», il est admis que le seul point en litige
devant la Commission concernait le droit du
Ministre de procéder à de nouvelles cotisations
pour une période remontant à plus de quatre ans
avant la date de la première cotisation, en raison
d'une présentation erronée ou d'une fraude
commise en produisant les déclarations pour les
années en cause; il est admis en outre que la
question du montant de l'impôt à payer en con-
séquence de ces nouvelles cotisations ne fut pas
examinée et ne fit l'objet d'aucune décision de
la part de la Commission. Le «Jugement» se lit
comme suit:
L'intimé ayant prouvé que feu Mo Robert Lafleur a fait
une présentation erronée en produisant ses déclarations de
revenu relatives à chacune des années d'imposition 1954 à
1962 inclusivement,
Il est par les présentes décidé que l'intimé est en droit de
procéder à de nouvelles cotisations à l'égard desdites
années.
La demanderesse prétend qu'elle a le droit d'in-
terjeter appel de ladite décision devant cette
Cour et qu'il serait souhaitable que la Cour
statue sur le droit de procéder à ces nouvelles
cotisations car, si l'appel était accueilli et menait
à un jugement définitif en sa faveur, les nouvel-
les cotisations seraient automatiquement annu-
lées. Ainsi, ce ne serait qu'au cas où l'appel
serait rejeté que la Commission devrait conti-
nuer l'audition de l'appel concernant les années
en cause et déterminer si les nouvelles cotisa-
tions devraient être annulées, modifiées ou
déférées au Ministre pour nouvel examen et
nouvelle cotisation.
Même si cette manière de procéder semble
très pratique, et les avocats admettent que la
Commission de révision de l'impôt procède
habituellement de cette façon, il nous faut déci-
der de la recevabilité d'un appel contre une telle
décision vu les dispositions de la Loi de l'impôt
sur le revenu et de la Loi sur la Cour fédérale.
L'article 24 de la Loi sur la Cour fédérale porte
simplement que:
24. Sauf dispositions contraires des Règles, la Division de
première instance a compétence pour entendre et juger tous
les appels qui, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ou
de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, peuvent
être interjetés devant la Cour.
L'article 172(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu prévoit que:
172. (1) Le Ministre ou le contribuable peut, dans les 120
jours de la date où le régistraire de la Commission de
révision de l'impôt transmet par la poste, au Ministre et au
contribuable, la décision concernant un appel basé sur l'arti-
cle 169, interjeter appel auprès de la Cour fédérale du
Canada.
L'article 169 se lit comme suit:
169. Lorsqu'un contribuable a signifié un avis d'opposi-
tion à une cotisation, prévu à l'article 165, il peut interjeter
appel auprès de la Commission de révision de l'impôt, pour
faire annuler ou modifier la cotisation
a) après que le Ministre a ratifié la cotisation ou procédé
à une nouvelle cotisation, ou
b) après l'expiration des 180 jours qui suivent la significa
tion de l'avis d'opposition sans que le Ministre ait notifié
au contribuable le fait qu'il a annulé ou ratifié la cotisation
ou procédé à une nouvelle cotisation,
mais nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté
après l'expiration des 90 jours qui suivent la date où avis a
été expédié par la poste au contribuable, en vertu de l'article
165, portant que le Ministre a ratifié la cotisation ou procédé
à une nouvelle cotisation.
Sous l'en-tête «Règlement d'un appel», les
droits de la Commission sont décrits à l'article
171(1) de la manière suivante:
171. (1) La Commission peut statuer sur un appel
a) en le rejetant, ou
b) en l'admettant et
(i) annulant la cotisation,
(ii) modifiant la cotisation, ou
(iii) déférant la cotisation au Ministre pour nouvel
examen et nouvelle cotisation.
Dans l'affaire présente, la Commission ne fit
rien de tout cela. Devant la Commission de
révision de l'impôt, l'appel à l'encontre des coti-
sations pour toutes les années en cause ainsi
que pour les années 1963, 1965 et 1966, fut
formé au motif que les sommes ajoutées au
revenu de la demanderesse lui avaient été ver
sées à valoir sur des dépenses engagées ou
devant être engagées pour le compte de clients
et ne lui avaient jamais été versées à titre per
sonnel et, en second lieu, au motif que les
nouvelles cotisations pour les années 1954 à
1963 (sic) étaient illégales et nulles en vertu de
l'article 46(4)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu
en vigueur à cette époque. Cette décision n'a
donc pas réglé l'appel mais seulement le second
point en litige, à savoir le droit de l'intimé de
procéder à de nouvelles cotisations pour les
années en cause. En fait, les motifs du jugement
se terminent par la phrase suivante:
Ceci est mon jugement et les parties recevront, sous peu,
un nouvel avis d'audition pour cette cause qui va certaine-
ment nécessiter une très longue audition.
On ne peut donc dire que l'appel de la demande-
resse a été «rejeté», car une partie seulement de
cet appel, l'opposition à l'emploi par le Ministre
de l'article 46(4)a)(i) de l'ancienne loi, fut reje-
tée, alors que la question de savoir si les
sommes réclamées en conséquence des nouvel-
les cotisations pour les années en question et les
autres années pouvaient être mises en cause n'a
pas été réglée. Il est certain que la nouvelle
cotisation n'a pas été, par le «Jugement»,
«annulée», «modifiée» ou «déférée au Ministre
pour nouvel examen et nouvelle cotisation» de
sorte que, si l'on applique strictement l'article
171(1), on ne peut dire que la Commission a
«statué sur cet appel». Je pense donc que le
«Jugement» rendu par la Commission le 29
mars 1973 n'est pas, au sens de l'article 172(1),
une «décision» de laquelle on peut interjeter
appel auprès de la Cour fédérale du Canada.
Sans vouloir critiquer la manière de procéder
choisie par la Commission, je ne trouve rien
dans la loi qui autorise un appel portant sur ce
qui se réduit à une décision préliminaire ou
interlocutoire. La Commission devra donc
reprendre l'audition de l'affaire, comme cela
avait été prévu dans les motifs du jugement, et,
lorsqu'une décision définitive sera rendue, sta-
tuant sur cet appel conformément à ce qui est
autorisé par l'article 171(1) de la loi, il pourra
alors être interjeté appel de cette décision. La
Cour pourra alors statuer sur le droit de l'intimé
de procéder à de nouvelles cotisations pour les
années 1954 à 1962 inclusivement, ce qui est le
fondement de l'action présente, et elle pourra
statuer en même temps sur tout appel portant
sur les sommes en question ou sur les nouvelles
cotisations établies pour les autres années. Je
conclus donc que les procédures actuelles ont
été engagées prématurément et je réponds par la
négative à la question de droit énoncée dans la
requête.
Attendu que c'est la première fois que cette
question est soulevée, il n'y aura pas d'adjudica-
tion de dépens pour cette requête.
MOTIFS RELATIFS À LA CORRECTION DU
JUGEMENT
LE JUGE WALsx—Par lettre adressée à l'Ad-
ministrateur de la Cour en date du 21 décembre
1973 et dont apparemment aucune copie n'a été
envoyée au procureur de la demanderesse, le
procureur de la défenderesse invoque l'applica-
tion de la règle «concernant les erreurs de
rédaction», soit la Règle 337, pour faire corriger
le prononcé du jugement du 14 décembre 1973
car, tout en répondant par la négative à la ques
tion de droit, le prononcé énonce que: «La
requête est rejetée sans frais». On fait à juste
titre remarquer que ceci pourrait indiquer que la
requête par laquelle la défenderesse cherchait à
faire déterminer une question de droit a été
rejetée alors que c'est effectivement une
réponse négative que la défenderesse cherchait
à obtenir.
Bien que la procédure adoptée par la défende-
resse pour invoquer la règle «concernant les
erreurs de rédaction» ne se conforme pas à la
Règle 337(5), car elle ne se présente pas sous la
forme d'une requête, la Cour peut, en vertu de
la Règle 337(6), effectuer de son propre chef la
correction; c'est donc cette règle que je vais
appliquer.
Une partie de la confusion est imputable en
premier lieu à la procédure adoptée par la
défenderesse qui a présenté une requête visant
la détermination d'une question de droit en
vertu de la Règle 474 et a simplement demandé
une réponse à la question. Bien qu'il soit évident
que, vu la réponse, si l'on présente une requête
appropriée à cet égard, l'action de la demande-
resse, déjà plaidée par la défenderesse, sera
rejetée car elle a été engagée prématurément, la
Cour ne pouvait pas procéder à ce rejet vu la
requête devant elle, car ce n'était ni une requête
en radiation de l'action de la demanderesse ni
même une requête demandant une réponse
négative à la question de droit. Elle soumettait
simplement ladite question à la Cour.
Bien que la requête de la défenderesse n'ait
certainement pas été rejetée, on peut seulement
dire qu'elle a été accueillie dans la mesure où la
Cour l'a acceptée, a entendu les plaidoiries sur
la question de droit et y a répondu.
J'en conclus donc que le prononcé doit se lire
comme suit: «La question reçoit une réponse
négative, sans frais» et je modifie mon jugement
en conséquence.
' L'article 46(4)a)(i) se lit comme suit:
46. (4) Le Ministre peut, à toute époque, répartir des
impôts, intérêts ou pénalités aux termes de la présente
Partie, ou donner avis par écrit, à toute personne qui a
produit une déclaration de revenu pour une année d'imposi-
tion, qu'aucun impôt n'est payable pour l'année d'imposi-
tion, et peut
a) à toute époque, si le contribuable ou la personne
produisant la déclaration
(i) a fait une présentation erronée ou a commis quelque
fraude en produisant la déclaration ou fournissant quel-
que renseignement sous le régime de la présente loi, ou
procéder à de nouvelles cotisations ou en établir de sup-
plémentaires, ou répartir des impôts, intérêts ou pénalités
aux termes de la présente Partie, selon que les circon-
stances l'exigent.
Alors qu'en l'absence d'une renonciation produite par le
contribuable, le Ministre ne peut, en tout autre cas, en vertu
de l'article 46(4)b), établir de nouvelles cotisations que dans
un délai de 4 ans à compter de l'expédition par la poste d'un
avis de première cotisation ou une notification portant
qu'aucun impôt n'est payable pour l'année d'imposition en
cause.
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