Anna Elisabeth Beukenkamp, Adriaan Beuken-
kamp, Johanna Alida Beukenkamp, Paul Anton
Beukenkamp, Marina Beukenkamp, Janna Nien-
huys, Louwrens Jacobus Beukenkamp et Rad-
boud Lourens Beukenkamp (Requérants)
c.
Le ministre de la Consommation et des Corpora
tions, en qualité de Curateur des biens ennemis
(Intimé)
Division de première instance, le juge Heald —
Toronto, les 26, 27 et 28 novembre; Ottawa, le
10 décembre 1973.
Pratique—Preuve—Biens ennemis—Décret concernant le
traité de paix avec l'Allemagne (1920)—Actions d'une com-
pagnie appartenant à un ressortissant d'un pays neutre con-
férées au Curateur—Photocopie de la facture—Est-elle
admissible en preuve—Transmission des actions non prou-
vée—Pratique générale en bourse—La transmission a proba-
blement eu lieu dans les quatre jours de l'achat—Affidavit
admis en preuve—Décret concernant le traité de paix avec
l'Allemagne, 1920, art. 39, 41.
Les requérants, héritiers légitimes de feu Adriaan Beuken-
kamp, ont été autorisés à poursuivre l'action (voir [1970]
R.C.É. 159) qu'il avait engagée pour que lui soient remises
les 145 parts du capital-actions du Canadien Pacifique ache-
tées par lui le 20 juillet 1914, à la bourse d'Amsterdam.
Lesdites actions appartenaient auparavant à des ressortis-
sants allemands et, en vertu d'une ordonnance générale
d'attribution prise par la Cour supérieure de la province de
Québec le 23 avril 1919 (rendue en vertu des Décrets
codifiés concernant le commerce avec l'ennemi en date du 2
mai 1916), la propriété de ces actions fut conférée au
Curateur des biens ennemis.
Les requérants affirment qu'en vertu du Décret concer-
nant le traité de paix avec l'Allemagne (1920), ils ont droit à
la restitution des actions conférées au Curateur des biens
ennemis ou, si elles ont été vendues, au produit de la vente
ainsi qu'aux droits, dividendes et intérêts. On a soumis une
photocopie de la facture datée du 20 juillet 1914 et, bien que
la transmission des actions n'ait pas été prouvée, on s'est
référé au témoignage de l'agent de change (maintenant
décédé) devant une commission rogatoire, selon lequel la
pratique générale à la bourse d'Amsterdam était de livrer les
actions dans les quatre jours de l'achat. La transmission a
donc probablement eu lieu avant le début des hostilités, soit
le 4 août 1914. On a aussi apporté en preuve un affidavit
d'un comptable de la Banque canadienne de Commerce,
maintenant décédé, concernant le nombre de certificats
d'actions couvrant les 145 actions du Canadien Pacifique,
reçus par la banque pour le compte d'Adriaan Beukenkamp.
L'intimé a attaqué la crédibilité du témoignage de l'agent
de change et a en outre présenté en preuve des formules
remplies en 1923 par ledit agent de change pour que soient
comparées les écritures sur ces formules et la photocopie de
la facture.
Arrêt: les requérants doivent obtenir gain de cause par
application de l'article 41 du Décret concernant le traité de
paix avec l'Allemagne (1920). La photocopie de la facture
est admissible en preuve car l'agent de change a déclaré
dans son témoignage qu'il avait lui-même rédigé et signé
l'original de cette facture, que la photocopie en est une copie
authentique et qu'on a sérieusement recherché la facture
d'origine. En outre, la déposition de l'agent de change suffit
à démontrer que les actions ont été livrées quelques jours
après l'achat; il s'ensuit que les requérants remplissent plei-
nement les conditions de l'article 41 du Décret concernant le
traité de paix avec l'Allemagne (1920) et doivent donc
obtenir gain de cause. La preuve soumise par l'intimé n'est
pas admissible puisqu'il n'existe aucune preuve de l'exis-
tence des documents originaux, de l'identité de leur auteur,
du fait que des recherches sérieuses ont été effectuées pour
retrouver les originaux et du fait que ces copies sont en fait
des copies conformes des originaux.
ACTION.
AVOCATS:
P. Genest, c.r., et K. Crompton pour les
requérants.
D. H. Aylen, c.r., et P. T. Mclnenly pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Cassels et Brock, Toronto, pour les
requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
LE JUGE HEALD—Les requérants, Janna
Nienhuys, Louwrens Jacobus Beukenkamp et
Radboud Lourens Beukenkamp sont les
enfants, héritiers et parents de feu Adriaan Beu-
kenkamp de la cité de Bloomendaal (Royaume
des Pays-Bas) décédé intestat, le 4 décembre
1953 ou vers cette date, après avoir institué ces
procédures. Conformément à l'ordonnance de
M. le juge Thurlow en date du 3 février 1970,
ces requérants ainsi que Marinus Gerhardus
Beukenkamp, l'autre enfant d'Adriaan Beuken-
kamp, ont remplacé dans la présente instance
ledit Adriaan Beukenkamp.
La requérante, Anna Elisabeth Beukenkamp,
est la veuve de Marinus Gerhardus Beuken-
kamp susmentionné, de la cité d'Amsterdam
(Royaume des Pays-Bas), décédé le 10 septem-
bre 1971 ou vers cette date. Les requérants,
Adriaan Beukenkamp, Johanna Alida Beuken-
kamp, Paul Anton Beukenkamp et Marina Beu-
kenkamp sont les seuls enfants de feu Marinus
Gerhardus Beukenkamp. Conformément à l'or-
donnance du juge en chef adjoint Noël, en date
du 12 février 1973, la veuve et ses enfants ont
remplacé à titre de requérants ledit Marinus
Gerhardus Beukenkamp.
Les requérants prétendent que, le 20 juillet
1914 ou vers cette date, feu Adriaan Beuken-
kamp a acheté 145 parts du capital-actions du
Canadien Pacifique à la bourse d'Amsterdam et
que 15 certificats d'actions couvrant ces 145
actions ont été remis à Adriaan Beukenkamp,
entre le 20 juillet 1914 et le 4 août 1914 (date
du début des hostilités de la première guerre
mondiale), dans le cours ordinaire des affaires,
ces certificats étant des titres au porteur endos-
sés en blanc par les propriétaires inscrits de ces
actions. Ils soutiennent aussi que, bien que les
propriétaires inscrits antérieurs aient été des
organismes allemands, ces derniers n'avaient
aucun titre, droit ou intérêt sur lesdites actions
après le 20 juillet 1914, date à laquelle Adriaan
Beukenkamp est devenu propriétaire desdites
actions. La déclaration énonce ensuite que,
puisque les actions étaient immatriculées au
nom d'organismes allemands, en vertu des dis
positions d'une ordonnance générale d'attribu-
tion prise par la Cour supérieure de la province
de Québec, le 23 avril 1919 (ladite ordonnance
ayant été rendue en vertu des Décrets codifiés
concernant le commerce avec l'ennemi en date
du 2 mai 1916), la propriété desdites actions a
été conférée au Curateur des biens ennemis. La
déclaration énonce en outre qu'Adriaan Beuken-
kamp était, à toutes les époques en cause,
citoyen des Pays-Bas et qu'il n'a jamais été aux
époques en cause un ennemi ou un ressortissant
allemand au sens du Décret concernant le traité
de paix avec l'Allemagne (1920). Les requérants
affirment qu'en vertu dudit décret, le Curateur
des biens ennemis devrait se dessaisir desdites
actions en faveur de Adriaan Beukenkamp.
Dans leur demande de redressement, les requé-
rants demandent un jugement déclarant, confor-
mément à l'article 41 du Décret concernant le
traité de paix avec l'Allemagne (1920), susmen-
tionné, que le droit de la propriété de ces
actions n'a jamais appartenu à l'ennemi au sens
dudit Décret. Les requérants demandent aussi
une ordonnance obligeant l'intimé, en qualité de
Curateur des biens ennemis, à remettre les 145
actions, y compris les intérêts ou dividendes
accumulés ou, subsidiairement, si ces actions
ont été vendues, une ordonnance obligeant l'in-
timé à remettre le produit de la vente de ces
actions, droits, dividendes ou intérêts, etc.
Au procès, on a produit en preuve le témoi-
gnage d'un certain Johannes Scholtz, déposé
devant une commission rogatoire à Amsterdam,
le 19 février 1970. Scholtz est décédé depuis.
Au moment où il a témoigné, il avait plus de 90
ans. Il a déclaré qu'avec son frère Daniel J.
Scholtz, il exerçait la profession de courtier en
bourse à Amsterdam en 1914 sous le nom com
mercial de D. J. Scholtz et qu'il est demeuré
avec cette entreprise jusqu'en 1920. Il a déclaré
qu'il se souvenait qu'Adriaan Beukenkamp avait
acheté en 1914 des actions du Canadien Pacifi-
que. Il a déclaré qu'ils étaient des amis d'en-
fance, que Beukenkamp était venu le voir dans
le but d'investir une certaine somme d'argent,
qu'il sentait que «ça allait mal» en Europe.
Scholtz a alors relaté la suite de leur conversa
tion comme ceci:
[TRADUCTION] Je lui ai demandé où il voulait investir son
argent. Il a déclaré: Pas en Europe, pas en Amérique, le seul
pays que je choisis est le Canada parce que c'est loin et
qu'ils n'iront jamais jusque-là.
Scholtz a déclaré qu'il lui avait alors recom-
mandé les actions du Canadien Pacifique.
Scholtz a ensuite identifié une photocopie de
la facture originale faisant preuve de la transac
tion. Il a déclaré qu'il avait signé D. J. Scholtz,
le nom de son entreprise, au bas de la facture
d'origine et que le corps de cette dernière était
rédigé de sa main. La facture est datée du 20
juillet 1914 et fait clairement état de ce que la
maison de courtage, D. J. Scholtz, a acheté, à
cette date, pour le compte d'Adriaan Beuken-
kamp 145 actions ordinaires du Canadien Pacifi-
que. Le témoignage de Beukenkamp confirme
l'existence de cette transaction et sa date.
Toutefois, l'avocat de l'intimé s'est opposé
avec acharnement, tant devant la commission
rogatoire qu'au procès, à l'admissibilité de la
photocopie de cette facture. J'ai entendu les
plaidoiries exhaustives des deux avocats sur ce
point et pris cette question en délibéré. Après
mûre réflexion, j'ai conclu qu'il faut admettre la
photocopie de la facture dans les circonstances
de l'espèce. Le traité de Phipson On Evidence
(10e éd., paragraphe 1709) énonce clairement le
droit applicable à ce genre de situation. Phipson
déclare en effet que la partie qui produit une
preuve secondaire doit établir l'existence du
document et sa signature. Dans la présente
affaire, Scholtz déclare très clairement qu'il a
lui-même rédigé et signé l'original de cette fac-
ture et que la photocopie que l'on cherche à
produire en preuve, en est une copie authenti-
que. Dans son traité, Phipson expose en outre
que la partie rapportant la preuve secondaire
doit aussi établir que l'original a été détruit ou
perdu en démontrant que, même après des
recherches sérieuses, on n'a pu le retrouver. En
l'espèce, le témoignage de Me Wilhelm Poolman,
un avocat de Toronto dont les requérants
avaient retenu les services en 1963, indique
qu'il a effectué des recherches. Dans sa déposi-
tion, Me Poolman a déclaré qu'il s'était mis en
rapport avec tous les avocats ayant agi pour le
compte de Beukenkamp au cours des années,
qu'à Ottawa il avait interrogé Maurice Robitaille
(qui était le sous-curateur adjoint des biens
ennemis à l'époque) et qu'il a vu dans son
bureau une copie de la facture d'origine. Sans
reprendre en détail le témoignage de Me Pool-
man, j'estime qu'il en ressort qu'on a sérieuse-
ment recherché la facture d'origine. J'ai par
conséquent décidé d'admettre en preuve les
deux photocopies de la facture d'origine qui ont
été produites au cours du procès; l'une constitue
la pièce 1 et fait partie du témoignage de Johan-
nes Scholtz et l'autre, une photocopie de meil-
leure qualité, constitue la pièce 8, en rapport
avec ledit interrogatoire de Johannes Scholtz.
Dans sa déposition, Scholtz a en outre déclaré
que Beukenkamp s'était acquitté du prix des
actions au moment de l'achat. Il a aussi déclaré
que les actions en question lui avaient été
livrées en mains propres quelques jours après
l'achat. Il a souligné qu'une des règles de la
Société des courtiers en bourse stipulait que les
actions devaient être livrées dans les 4 jours de
l'achat. Il a déclaré qu'il supposait que la trans
mission des actions avait eu lieu dans ledit délai
parce que sa firme n'avait reçu aucune plainte à
ce sujet. L'avocat de l'intimé a soutenu que ce
témoignage n'établissait pas la transmission des
actions et que ceci entraînait inévitablement le
rejet de la réclamation, vu l'article 39 du Décret
concernant le traité de paix avec l'Allemagne
(1920) (S.C. 1919-20, p. xxxviii) qui se lit ainsi:
39. Nul transfert de valeurs quelconques, pour valable
considération ou non, fait après le sixième jour de mai 1916,
sans le consentement d'une autorité compétente en Canada,
par ou pour un ennemi tel que défini aux paragraphes (a) et
(b) de l'article 32, ne conférera au cessionnaire de droits ou
recours en rapport avec ces valeurs, et nulle compagnie ou
municipalité ou autre corps qui a émis ou administre les
valeurs ne connaîtra d'un avis quelconque de tel transfert ou
n'agira autrement en rapport avec tel avis.
J'estime juste l'affirmation de l'avocat de l'in-
timé selon laquelle l'effet de l'article 39 est
d'annuler toute transaction non encore terminée
au plus tard le 6 mai 1916. Je suis toutefois
convaincu qu'en l'espèce, la prépondérance des
preuves indique que la transmission des certifi-
cats d'actions en question a eu lieu dans les
jours qui ont suivi le 20 juillet 1914.
On peut parfois déduire qu'un acte a été
accompli de l'existence d'une règle générale de
conduite des affaires d'après laquelle il l'aurait
normalement été, puisqu'il est - fort probable que
la pratique générale ait été suivie dans ce cas
particulier. (Voir: 15 Halsbury, 3e éd., p. 284,
paragraphe 515. Voir aussi: Phipson On Évi-
dence, 10e éd., paragraphes 297-299.) D'après la
preuve rapportée, je suis convaincu qu'en l'es-
pèce, il existait une règle générale de conduite
des affaires suivie à la bourse d'Amsterdam
portant que, conformément à une directive de la
bourse, les actions achetées en bourse devaient
être livrées dans les quatre jours de l'achat. Je
suis en outre convaincu qu'il est probable que la
pratique générale a été suivie en l'espèce,
comme il ressort du fait que Scholtz, qui s'est
occupé de cette transaction, n'a reçu aucune
plainte de Beukenkamp pour non-livraison.
Au procès, l'avocat des requérants a produit
un affidavit de John Shaw, fait sous serment
le 25 mars 1938. Shaw a été employé en qualité
de comptable à la succursale d'Ottawa de la
Banque canadienne de Commerce du 16 sep-
tembre 1933 au mois d'août 1938. Il est décédé
le 6 décembre 1968. L'avocat de l'intimé s'est
opposé à l'admission de cet affidavit. Après
avoir entendu les plaidoiries concernant son
admissibilité, j'ai autorisé le dépôt de cet affida
vit en preuve, comme étant une déclaration faite
dans l'exercice des fonctions par une partie
décédée. A mon avis, il ressort du témoignage
de Dennis Carptenter, le secrétaire adjoint de la
banque, qui a déposé au procès, qu'il incombait
à Shaw, dans l'exercice de ses fonctions, de
rédiger ce genre de déclaration et de fournir le
genre de renseignements dont fait état l'affidavit
contesté. L'affidavit de Shaw est par consé-
quent admissible nonobstant la règle de l'ouï-
dire. (Voir dans le même sens: l'arrêt Dominion
Telegraph Securities Ltd. c. M.R.N. [1946] 4
D.L.R. 449.)
Dans son témoignage, Shaw a déclaré que la
succursale d'Ottawa de la Banque de Commerce
avait reçu le 7 juin 1937 un certain nombre de
certificats d'actions couvrant 145 actions du
Canadien Pacifique pour le compte d'Adriaan
Beukenkamp. Un document contenant des ren-
seignements sur lesdits certificats d'actions est
joint à l'affidavit de Shaw. Shaw a aussi annexé
une photocopie de l'un des certificats d'actions
que sa banque avait reçu et a déclaré que les
autres certificats sont identiques au certificat
d'action annexé, sauf pour ce qui est du
numéro, de la date, du numéro d'actions et du
nom du détenteur d'origine. Ces renseignements
concernant les actions et les certificats d'actions
correspondent au contenu de la facture d'origine
préparée par Johannes Scholtz et la
corroborent.
Le principal moyen de défense de l'intimé a
été d'attaquer la crédibilité du témoin Johannes
Scholtz. L'avocat de l'intimé a cherché à souli-
gner un certain nombre de passages du compte
rendu du témoignage où, d'après lui, Scholtz a
hésité à donner des réponses ou a fait preuve
d'une mémoire imparfaite des événements
passés. J'ai soigneusement étudié ce compte
rendu et, compte tenu de son grand âge, du fait
qu'on lui demandait, en 1970, de se souvenir
d'événements qui ont eu lieu en 1914 et que,
comme il ne parle pas l'anglais, il devait utiliser
les services d'un interprète, j'estime que le
témoignage de Scholtz est digne de foi et doit
être accepté. En aucune façon, lors du contre-
interrogatoire, ses déclarations sur ce point
d'une importance primordiale, savoir l'achat des
actions le 20 juillet 1914 et la rédaction de sa
main de la facture n'ont été ébranlées. On a
soulevé la question de sa partialité vu son amitié
avec Beukenkamp. Toutefois, Scholtz ne s'est
absolument pas caché de son amitié pour Beu-
kenkamp. Il a aussi déclaré qu'il s'était fait un
devoir de s'assurer que Beukenkamp reçoive ce
qu'il avait acheté, c'est-à-dire les actions du
Canadien Pacifique. C'est une réaction logique
et bien compréhensible de la part d'un homme
d'honneur. Il ressort en outre de la preuve que
Scholtz n'avait aucun intérêt financier personnel
dans ces actions. Rien ne me permet de déduire
de la preuve qu'on m'a soumise, que Scholtz ait
eu des raisons de se parjurer. De plus, il n'y a
rien d'invraisemblable dans son témoignage.
J'estime très raisonnables et logiques ses souve
nirs de sa conversation avec Beukenkamp au
moment de l'achat des actions, vu la situation
générale qui existait en Europe au cours de l'été
1914. Il se rappellait fort bien les principaux
événements et ni le contre-interrogatoire ni
aucune autre preuve n'a mis l'exactitude de ses
souvenirs en question. Il a admis spontanément
qu'il était incapable de fixer avec précision la
date de la remise des actions. J'estime que cela
indique que, lors de son témoignage, il s'effor-
çait de dire la vérité et que ce détail renforce sa
crédibilité.
L'intimé a aussi tenté de mettre en doute le
témoignage de Scholtz en appelant un expert-
graphologue, le sergent Hilton Sadowsky, sous-
officier principal du laboratoire judiciaire de la
Gendarmerie royale à Vancouver. Le sergent
Sadowsky a déclaré qu'il avait comparé une
photocopie de la facture de l'agent de change
avec des photocopies de formules prétendument
remplies en 1923 et concernant la réclamation
d'Adriaan Beukenkamp. Lors du procès, l'avo-
cat des requérants s'est opposé à l'admission de
ces photocopies de formules prétendument rem-
plies en 1923. J'ai entendu les avocats des par
ties sur cette opposition et j'ai mis cette ques
tion d'admissibilité en délibéré. J'ai conclu que
lesdites photocopies ne peuvent être admises en
preuve puisqu'il n'existe aucune preuve de
l'existence des documents originaux, de l'iden-
tité de leur auteur, de leur perte, du fait que des
recherches sérieuses ont été effectuées pour
retrouver les originaux et du fait que ces photo
copies sont en fait des copies conformes des
originaux. Le seul élément de preuve sur ce
point est le témoignage de Johannes Scholtz,
page 26 (questions 71 et 72) du compte rendu,
où on lit que l'avocat de l'intimé a demandé à
Scholtz de comparer la photocopie de la facture
du courtier avec les formules prétendument
remplies en 1923. Les réponses de Scholtz indi-
quent clairement qu'il a reconnu son écriture sur
la facture du courtier et que les autres docu
ments n'étaient pas écrits de sa main, mais qu'il
ne savait pas qui les avait rédigés.
Les éléments de preuve ainsi apportés ne
permettent pas d'accepter les photocopies de ce
qu'on a appelé la preuve de 1923. Par consé-
quent, le témoignage du sergent Sadowsky ne
peut être admis en preuve.
En résumé, il ressort de la preuve qu'on m'a
soumise qu'Adriaan Beukenkamp était un res-
sortissant des Pays-Bas à toutes les époques en
cause, qu'il n'a jamais été à l'époque en cause
ressortissant allemand et qu'il n'a par consé-
quent jamais été un «ennemi» au sens de l'arti-
cle 32 du Décret concernant le traité de paix
avec l'Allemagne (1920). Il est aussi établi qu'A-
driaan Beukenkamp a acheté 145 actions du
capital du Canadien Pacifique le 20 juillet 1914
par l'intermédiaire d'une firme de courtage
d'Amsterdam, la D. J. Scholtz, et que les certifi-
cats d'actions couvrant cet achat ont été remis à
Adriaan Beukenkamp quelques jours après cette
date, mais en tout cas avant le 4 août 1914. Il
est en outre établi que 85 des actions achetées
par Beukenkamp étaient inscrites au nom de la
National Bank fur Deutschland et 60 au nom de
,a C. Schlesinger, Trier & Co., deux ressortis-
sants allemands. Ces certificats ont été endossés
et transférés en blanc par ces compagnies, deve-
nant ainsi des titres au porteur, si bien que
Beukenkamp en est devenu propriétaire dès la
livraison.
Enfin, il est établi que les requérants en l'es-
pèce sont les détenteurs légitimes de tous les
droits qu'Adriaan Beukenkamp a pu détenir
envers l'intimé (l'avocat de l'intimé l'a d'ailleurs
admis au procès).
Compte tenu des faits susmentionnés, il
semble évident que les requérants doivent obte-
nir gain de cause par application de l'article 41
du Décret concernant le traité de paix avec
l'Allemagne (1920) qui se lit comme suit:
41. Le Curateur peut intenter toute action ou toute procé-
dure qu'il peut juger à propos pour la mise en vigueur des
dispositions du présent arrêté et pour obtenir charge de tous
biens, droits ou intérêts qui lui sont attribués.
(2) Au cas de contestation quant à savoir si des biens,
droits ou intérêts appartenaient à un ennemi le 10e jour de
janvier 1920 ou avant cette date, le Curateur ou, avec le
consentement du Curateur, le réclamant peut demander à la
Cour de l'Échiquier du Canada une déclaration quant à la
propriété de ces biens, droits ou intérêts, nonobstant qu'ils
aient été attribués au Curateur par un ordre antérieurement
donné, ou que le Curateur en ait disposé ou ait convenu d'en
disposer. Le consentement du Curateur à toute poursuite
par un réclamant sera par écrit et pourra être donné sous
réserve de telles conditions que le Curateur juge à propos.
(3) Si la Cour de l'Échiquier déclare que les biens, droits
ou intérêts n'appartenaient pas à un ennemi ainsi que prévu
au paragraphe précédent, le Curateur s'en dessaisira, ou, si
le Curateur, avant cette déclaration, a disposé ou convenu
de disposer des biens, droits ou intérêts, il en cédera le
produit.
(4) Nulle telle déclaration n'affectera le titre ou droit de
toute personne à qui le Curateur, avant telle déclaration, a
cédé ou convenu de céder des biens, droits ou intérêts
quelconques.
Le juge Thurlow a fait les commentaires sui-
vants sur la portée de l'article 41 lorsqu'il a
entendu la requête dans cette action, précédem-
ment mentionnée: (Beukenkamp c. Le Secrétaire
d'État [1970] R.C.É. 159 aux pages 163 et 165):
A mon avis, loin de supprimer les droits d'une personne se
trouvant dans la situation dans laquelle le réclamant préten-
dait être, le Décret concernant le traité de paix avec l'Alle-
magne (1920) a eu pour effet de maintenir et de protéger les
droits des personnes autres que les nationaux allemands
dont les biens avaient été confisqués. A mon avis, la cause
d'action d'un réclamant, dans une instance prévue par l'arti-
cle 41(2), réside dans les faits qui, une fois établis, donnent
droit à la cession des titres. C'est-à-dire qu'en l'espèce, il
faut établir que le réclamant a acheté les actions avant le
début de la guerre et a continué à les détenir jusqu'à ce
qu'elles soient attribuées au Curateur; de même qu'il faut
prouver qu'il n'a jamais été ennemi au sens du Décret
concernant le traité de paix avec l'Allemagne (1920)... .
J'estime que les requérants remplissent plei-
nement les conditions de l'article 41 susmen-
tionné et doivent donc obtenir gain de cause.
Ils ont aussi respecté les exigences procédura-
les de l'article 41 en déposant le consentement
du Curateur des biens ennemis lors des procé-
dures intentées devant cette Cour (ce consente-
ment est daté du 10 juillet 1934 et constitue la
pièce P-2).
Jugement est par conséquent rendu en faveur
des requérants conformément aux alinéas 16a),
b) et c) de la déclaration modifiée du 2 octobre
1973. Conformément à la Règle 337(2)b), l'avo-
cat des requérants pourra préparer un projet
d'un jugement approprié pour donner effet à la
décision de la Cour et demander que ce juge-
ment soit prononcé.
Les requérants ont aussi droit de recouvrer de
l'intimé leurs dépens taxés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.