Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Gabriel Edwardo Vargas-Cataldo (Appelant) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intime')
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Pratte et le juge suppléant Bastin —Ottawa, le 26 mars 1973.
Immigration—Ordonnance d'expulsion visant un touris- te—Seconde ordonnance d'expulsion prise lors du retour du touriste au Canada—La première ordonnance n'est pas sus ceptible d'examen lors de l'examen de la deuxième—Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970', c. I-3, art. 22.
Un enquêteur spécial a rendu une ordonnance d'expulsion contre un touriste au Canada le 30 août 1972 et l'a renvoyé à St-Pierre et Miquelon. Deux ou trois jours plus tard, il est revenu au Canada et, le 27 septembre, il a fait l'objet d'une deuxième ordonnance d'expulsion prise par un autre enquê- teur spécial qui s'est fondé sur l'ordonnance d'expulsion prise précédemment. La Commission d'appel de l'immigra- tion a rejeté l'appel.
Arrêt: Vu les dispositions de l'article 22 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, un enquêteur spécial n'a pas compétence pour entendre et décider des questions de fait ou de droit que peuvent soulever l'établissement d'une ordonnance d'expulsion par un autre enquêteur spé- cial. En conséquence, la Commission d'appel de l'immigra- tion n'a pas le pouvoir de statuer sur une question de ce genre lors d'un appel interjeté de la deuxième ordonnance d'expulsion.
Arrêt suivi: Pringle c. Fraser [1972] R.C.S. 821.
APPEL d'une décision de la Commission d'ap- pel de l'immigration.
AVOCATS:
J. Giffin pour l'appelant.
Paul Betournay et John E. Smith pour l'intimé.
PROCUREURS;
J. Giffin, Halifax, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Le jugement de la Cour a été prononcé par
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—Cet appel, interjeté en vertu de l'article 23 de la Loi
sur la Commission d'appel de l'immigration,
porte sur la décision par laquelle la Commission a rejeté l'appel de Vargas-Cataldo d'une ordon-
nance d'expulsion rendue par l'enquêteur spé- cial le 27 septembre 1972. L'appelant a égale- ment déposé, en vertu de l'article 28, une demande en annulation de cette décision.
L'appelant vient du Chili et il fut admis au Canada comme touriste le 29 octobre 1970. Il a vécu au Canada pendant presque deux ans et, à cette époque, il habitait à Montréal. Le 8 juin 1972 il a effectué un voyage au cours duquel il a visité les possessions françaises de St-Pierre et Miquelon, il s'est attiré des ennuis qui l'ont empêché de revenir au Canada pendant quelque trois mois.
Le bateau le ramenant au Canada a accosté le 30 août 1972 à Sydney (Nouvelle-Écosse) et c'est alors que fut prononcé contre lui une ordonnance d'expulsion. Les motifs de l'ordon- nance étaient qu'il ne possédait ni passeport valide ni visa d'immigrant et que, d'une manière générale, il se trouvait en situation irrégulière. Il fut renvoyé à St-Pierre et Miquelon à bord du même bateau.
Deux ou trois jours après son retour à St- Pierre et Miquelon, l'appelant s'est rendu en bac à Fortune (Terre-Neuve) il n'a fait l'objet [TRADUCTION] «d'aucun interrogatoire». Toute- fois, il fut arrêté à Grand Bank par des fonction- naires de l'immigration, ou sur leur demande, et, le 27 septembre 1972, après enquête, un enquê- teur spécial a rendu contre lui l'ordonnance d'expulsion dont il s'agit ici au motif qu'une ordonnance d'expulsion ayant déjà été pronon- cée contre lui, l'article 35 de la Loi sur l'immi- gration faisait qu'il ne pouvait demeurer au Canada sans le consentement de l'intimé. L'arti- cle 35 de la Loi sur l'immigration, S.R. 1970, c. 1-2, est ainsi rédigé:
35. Sauf lorsqu'un appel d'une telle ordonnance est admis, une personne contre qui une ordonnance d'expulsion a été rendue et qui est expulsée ou quitte le Canada, ne doit pas subséquemment être admise dans ce pays, ou il ne doit pas lui être permis d'y demeurer, sans le consentement du Ministre.
L'appelant fonde son opposition à l'ordon- nance d'expulsion du 27 septembre 1972 sur ce que l'enquêteur spécial a refusé de tenir compte de ses motifs d'opposition à l'ordonnance d'ex- pulsion du 30 août 1972 alors que l'enquêteur aurait décider que la première ordonnance
était nulle et que, par conséquent, la seconde n'avait aucun fondement.'
L'enquêteur spécial qui a rendu l'ordonnance d'expulsion du 27 septembre 1972 avait en main un document présenté comme étant une ordon- nance d'expulsion «sous le nom écrit» d'un enquêteur spécial. Ledit document constitue, en vertu de l'article 60(1) de la Loi sur l'immigra - tion, 2 «la preuve» des faits y contenus «sans établissement de la signature ou du caractère officiel de la personne qui semble l'avoir signé». Personne ne conteste d'ailleurs que c'est bien un enquêteur spécial qui a prononcé à l'encontre de l'appelant l'ordonnance d'expulsion du 30 août 1972. Une fois établi que c'est effectivement un enquêteur spécial qui a rendu cette ordonnance, la seule manière d'en attaquer la validité serait, à notre avis, d'interjeter appel à la Commission d'appel de l'immigration. On a établi que les dispositions qui prévoient un tel appel ont exclu le recours au bref de certiorari, auquel autre- ment on aurait pu avoir recours. Voir Pringle et autres c. Fraser [1972] R.C.S. 821. Si les dispo sitions qui permettent de faire appel d'une ordonnance d'expulsion auprès de la Commis sion d'appel de l'immigration ont pour effet d'empêcher qu'il soit statué sur la validité d'une ordonnance d'expulsion lors de la présentation d'une demande de certiorari, le recours tradi- tionnel, il devrait s'ensuivre, à notre avis, qu'un enquêteur spécial ne peut pas statuer sur la validité d'une ordonnance d'expulsion rendue par un autre enquêteur spécial. Il me semble surtout que l'article 22 de la Loi sur la Commis sion d'appel de l'immigration, S.R. 1970, c. I-3, qui dispose que
.. , la commission a compétence exclusive pour entendre et décider toutes questions de fait ou de droit, y compris les questions de compétence, qui peuvent se poser à l'occasion de l'établissement d'une ordonnance d'expulsion ... ,
a pour effet de retirer aux enquêteurs spéciaux toute compétence pour entendre et décider toutes questions de fait ou de droit qui pour- raient se poser à l'occasion de l'établissement d'une ordonnance d'expulsion par un autre enquêteur spécial.
Si le deuxième enquêteur spécial n'avait pas compétence pour juger d'une telle question rela-
tive à l'établissement de la première ordonnance d'expulsion, il s'ensuit que la Commission d'ap- pel de l'immigration n'a pas compétence pour en traiter lors de l'appel de la deuxième ordon- nance d'expulsion.
Ceci dit, il est inutile d'ajouter quoique ce soit au sujet des motifs d'opposition à l'ordonnance d'expulsion du 30 août 1972. Nous pensons cependant devoir préciser, sans pour cela expri- mer une opinion définitive, que toutes ces oppo- sitions sont fondées sur l'hypothèse qu'une ordonnance d'expulsion rendue en vertu de l'ar- ticle 23(1) de la Loi sur l'immigration est pro- noncée à la suite d'une enquête à laquelle s'ap- pliqueraient les règles relatives aux enquêtes ainsi que d'autres règles applicables aux procé- dures judiciaires ou quasi judiciaires. A l'encon- tre de cette thèse, il nous semble qu'il se peut très bien que l'article 23(1), qui s'applique aux seules personnes venant au Canada en prove nance des États-Unis ou de St-Pierre et Mique- lon, exige tout simplement comme condition préalable à une ordonnance d'expulsion que l'enquêteur spécial procède à «l'enquête com- plémentaire qu'il juge nécessaire» et il est bon de comparer cette condition à celle de «l'en- quête» exigée avant qu'on puisse ordonner l'ex- pulsion de personnes venant au Canada en pro venance d'autres parties du monde (article 23(2)) ou de personnes arrêtées au Canada en vertu de l'article 24 de la Loi sur l'immigration. A première vue on pourrait peut-être expliquer cette différence par le fait qu'un retour aux États-Unis ou à St-Pierre et Miquelon est moins difficile, ou moins éprouvant pour quelqu'un, que le renvoi dans une autre partie du monde.
Le seul autre motif d'opposition que l'appe- lant a soulevé à l'égard de la deuxième ordon- nance d'expulsion est contenu au quatrième alinéa de la page 5 de sa déclaration. Cet alinéa est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] 4. La Commission a fait une erreur de droit en ne décidant pas qu'un enquêteur spécial ne peut agir en vertu de l'article 25 de la Loi sur l'immigration lorsqu'il a, au préalable, entamé une enquête en vertu de l'article 24;
Nous ne voyons aucune incompatibilité entre l'enquête qu'un enquêteur spécial entame en vertu de l'article 24 à l'égard d'une personne soupçonnée de se trouver au Canada en contra-
vention de la loi, et qui est arrêtée en vertu de cette loi, et l'enquête ordonnée par le Ministre ou par le directeur après réception, en vertu de l'article 18, d'un rapport faisant état de ces mêmes soupçons, à condition toutefois que le détail des directives ordonnant ces deux enquê- tes ne soit pas contradictoire. Rien ici n'indique une telle contradiction et nous écartons par con- séquent cet argument à l'encontre de la validité de la deuxième ordonnance d'expulsion.
Lors des débats, nous avons eu l'occasion de constater que l'appelant se trouvait dans l'im- possibilité pratique de faire appel de la première ordonnance d'expulsion auprès de la Commis sion d'appel de l'immigration. En effet, l'article 4(2) des Règlements de la Commission d'appel de l'immigration exige qu'un tel appel soit inter- jeté dans un délai de 24 heures ou dans les délais autorisés par le président de la Commis sion, lesquels ne doivent pas dépasser cinq jours. A ce sujet, relevons que, dans l'affaire Pringle c. Fraser, (précitée), le juge Laskin, ren- dant la décision de la Cour suprême du Canada, a déclaré à la page 828:
De même, l'effet de l'art. 22 et de ses dispositions connexes ne se trouve pas changé par le fait qu'en vertu des Règles établies par la Commission, le droit d'appel conféré par la Loi doit s'exercer par la signification, dans les vingt-quatre heures de la signification de l'ordonnance d'expulsion ou, à la discrétion du président, dans un délai d'au plus cinq jours, de l'avis prescrit; voir l'article 4(1) et (2) des Règles.
En l'espèce, la Cour s'est vu exposer les divers motifs d'opposition à la première ordonnance d'expulsion et elle en a conclu qu'ils n'étaient pas fondés. Il pourrait, cependant, se présenter des affaires le délai maximum de cinq jours pour interjeter appel pourrait entraîner de graves injustices, non seulement pour des étran- gers mais également pour des Canadiens. Nous pensons donc qu'il serait souhaitable d'envisa- ger la possibilité d'introduire un peu plus de souplesse dans les dispositions de la loi.
Nous considérons que l'appel et la requête déposée en vertu de l'article 28 doivent être rejetés.
'' Cette opposition fut formulée de deux manières diffé- rentes, au cours des débats, mais nous n'avons pu relever qu'un seul motif.
2 ' ' 60. (1) Tout document présenté comme étant une ordonnance d'expulsion, une ordonnance de rejet, un mandat, un ordre, une sommation, une directive, un avis ou autre document sous le nom écrit du Ministre, du directeur, d'un enquêteur spécial, d'un fonctionnaire à l'immigration ou autre personne autorisée par la présente loi à établir un semblable document, constitue, dans toute poursuite ou autre procédure sous le régime de la présente loi ou de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration ou en découlant, une preuve des faits y contenus sans établisse- ment de la signature ou du caractère officiel de la personne qui semble l'avoir signé à moins que le fait ne soit contesté par le Ministre ou par quelque autre personne agissant pour son compte ou pour Sa Majesté.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.