Anglophoto Limited (Demanderesse)
c.
Le navire Ikaros, Pleione Maritime Corp. et
Empire Stevedoring Company Limited (Défen-
deurs)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver (C.-B.), le 22 février; Ottawa, le 8
mai 1973.
Droit maritime—Compétence—Livraison incomplète de la
cargaison—Connaissement pour transport par navire jus-
qu'à Vancouver, puis par rail jusqu'à Toronto—S'agit-il
d'un «connaissement direct»—Réclamation contre les manu-
tentionnaires—La Cour peut-elle connaître de la réclama-
tion—Loi sur la Cour fédérale, art. 22(2)e),f),h),i).
Le connaissement couvrant les marchandises de la
demanderesse prévoyait le transport à bord de l'Ikaros du
Japon à Vancouver, puis par rail jusqu'à Toronto. Selon les
registres du navire, les marchandises ont été livrées au
complet à l'Empire Stevedoring Co. à Vancouver mais,
selon les registres de cette dernière, la livraison était incom-
plète. La demanderesse a intenté une action en dommages-
intérêts contre le navire, ses propriétaires et l'Empire Steve-
doring Co.
Arrêt: la Cour n'est pas compétente pour connaître de la
réclamation contre l'Empire Stevedoring Co. Cette réclama-
tion ne relève pas de l'article 22(2)e),f),h) ou i) de la Loi sur
la Cour fédérale.
1. Toute demande relative à l'avarie ou la perte de la
cargaison ne relève de l'article 22(2)e) que s'il y a une
demande pour perte ou avarie d'un navire.
2. Aux termes du connaissement, les propriétaires du
navire agissaient simplement à titre de mandataires pour
envoyer les marchandises de Vancouver à Toronto; le con-
naissement n'était donc pas un «connaissement direct» au
sens de l'article 22(2)D. Même s'il s'était agi d'un «connais-
sement direct», il n'imposait aucune responsabilité contrac-
tuelle à l'Empire Stevedoring Co. puisque les propriétaires
du navire n'agissaient pas à titre de mandataires de l'Empire
Stevedoring Co. lors de la délivrance du connaissement.
3. Si l'Empire Stevedoring Co. était responsable de la
perte des marchandises de la demanderesse, il ne s'agissait
pas de «la perte ... de marchandises transportées à bord
d'un navire» comme l'exige l'article 22(2)h), mais de la perte
de marchandises après leur débarquement. Arrêt suivi: The
Robert C. Norton [1964] R.C.É. 498.
4. La demanderesse et l'Empire Stevedoring Co. n'avaient
pas conclu d'accord relatif au transport des marchandises à
bord de l'Ikaros; l'article 22(2)i) ne s'appliquait donc pas.
Il a aussi été décidé qu'il n'existe aucun principe en droit
maritime canadien portant que si un navire est constitué
partie à bon droit devant la Cour, quiconque a joué un rôle
dans la perte de la demanderesse relève de la compétence de
la Cour.
Distinction faite avec les arrêts The Sparrows Point c.
Greater Vancouver Water District [1951] R.C.S. 396;
MacMillan Bloedel Ltd. c. Canadian Stevedoring Co.
[1969] 2 R.C.É. 375; Robert Simpson Montreal Ltd. c.
Hamburg-Amerika Linie N.D. [1973] C.F. 304; Elite
Linens Ltd. c. Gâlya Komleva (non publié, n°
T-2892-72).
REQUÊTE.
AVOCATS:
David F. McEwen pour la demanderesse.
J. Jessiman pour la Pleione Maritime Corp.
Peter J. Gordon pour l'Empire Stevedoring
Co. Ltd.
PROCUREURS:
Ray, Wolfe, Connell, Lightbody et Rey-
nolds, Vancouver, pour la demanderesse.
MacRae, Montgomery, Hill et Cunningham,
Vancouver, pour la Pleione Maritime Corp.
P. J. Gordon, Vancouver, pour l'Empire
Stevedoring Co. Ltd.
LE JUGE COLLIER—La présente requêté est
déposée en vertu de la Règle 474 afin qu'il soit
statué sur un point de droit. A l'origine, cette
action fut intentée le 20 avril 1970 en la Cour de
l'Échiquier, District d'amirauté de la Colombie-
Britannique. Il s'agit d'une action en dommages-
intérêts pour livraison incomplète d'une cargai-
son d'appareils et d'accessoires photographi-
ques du Japon à Toronto (Ontario). Les défen-
deurs sont le navire transporteur et ses
propriétaires ainsi que l'Empire Stevedoring
Company Limited (ci-après appelée l'«Em-
pire»), à qui une partie au moins de la marchan-
dise fut remise. Les prétentions de la demande-
resse figurent aux alinéas suivants de sa
déclaration:
[TRADUCTION] 5. Soit en violation des dispositions con-
tractuelles dudit connaissement, soit par négligence ou par
manquement à ses devoirs de transporteur à titre onéreux,
soit pour toute combinaison de ces motifs, la défenderesse
Pleione Maritime Corp. et le navire «MKAROS» n'ont pas
livré en bon état lesdits appareils et accessoires photogra-
phiques. Ils n'ont en fait livré à la défenderesse, l'Empire
Stevedoring Company Limited, qu'une partie de la
cargaison.
6. Subsidiairement, soit par négligence ou par manque-
ment à ses obligations de dépositaire à titre onéreux, la
défenderesse, l'Empire Stevedoring Company Limited,
n'a remis à la demanderesse ou à ses agents qu'une partie
des appareils photos qui lui avaient été livrés à bord du
navire.
Pour les besoins de cette requête, les avocats
des parties se sont entendus sur certains élé-
ments de fait. L'exposé conjoint des faits com-
prend les points de droit sur lesquels les parties
demandent à la Cour de statuer. Je cite le docu
ment en entier:
[TRADUCTION] 1. CONSIDÉRANT QUE le 10 juillet 1969, ou
vers cette date, treize boîtes en carton contenant des
appareils et accessoires photographiques et huit boîtes de
documents publicitaires appartenant à la demanderesse
furent chargées à bord du navire «IKAROS» à Osaka
(Japon) pour expédition à Vancouver conformément aux
clauses du connaissement ci-joint.
2. Considérant que le navire «IKAROS» est arrivé à Van-
couver le 25 juillet 1969, ou vers cette date, que la
cargaison a été déchargée et remise aux soins et sous la
garde et l'autorité de la défenderesse, l'Empire Stevedor-
ing Company Limited.
3. Considérant que l'Empire Stevedoring Company Limi
ted est une compagnie dûment constituée en vertu des lois
de la Colombie-Britannique et qu'entre autres activités,
elle s'occupe des opérations de manutention portuaire sur
certaines parties du quai Centennial à Vancouver, prenant
en charge les cargaisons transportées par voie maritime
pour les remettre à divers transporteurs terrestres tels que
les chemins de fer ou les transporteurs routiers.
4. Considérant que, d'après la quittance délivrée à la
défenderesse Pleione Maritime Corp., propriétaire du
navire «IKAROS», les treize boîtes d'appareils et d'acces-
soires photographiques et les huit boîtes de documents
publicitaires furent remises en bon état à l'exception de la
boîte portant le numéro 7022/82.
5. Considérant que, d'après les registres de la défende-
resse, l'Empire Stevedoring Company Limited, la défen-
deresse Pleione Maritime Corp. ne lui aurait remis que
dix-huit boîtes.
6. Considérant que la demanderesse a intenté son action
en la Cour de l'Échiquier du Canada, District d'amirauté
de la Colombie-Britannique, contre la défenderesse, l'Em-
pire Stevedoring Company Limited, et que cette dernière
a soulevé en sa défense l'incompétence de la Cour en
l'espèce.
7. Les parties demandent à la Cour de trancher les ques
tions suivantes:—
a) la Cour de l'Échiquier du Canada, District d'amirauté
de la Colombie-Britannique, était-elle compétente pour
connaître de l'action intentée contre la défenderesse,
l'Empire Stevedoring Company Limited, et, dans la
négative, quel est l'effet de l'adoption de la Loi sur la
Cour fédérale sur cette action, et
b) la Cour est-elle compétente pour connaître de l'ac-
tion intentée contre la défenderesse, l'Empire Stevedor-
ing Company Limited.
A mon avis, la véritable question à trancher
est la suivante: d'après les faits admis par les
parties et vu la cause d'action invoquée, la juri-
diction de la Cour s'étend-elle à la défenderesse,
Empire? Il convient donc d'examiner certains
aspects de la compétence de l'ancienne Cour de
l'Échiquier.
L'avocat de la demanderesse soutient que la
compétence de la Cour en l'espèce découle des
alinéas e),f),h) ou i) du paragraphe 22(1) de la
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, c. 10 (2 e
Supp.). de vais citer ces alinéas mais il est
nécessaire de citer également la définition du
droit maritime canadien qui figure à l'article 2 et
aux paragraphes (1) et (2) de l'article 22:
2. Dans la présente loi
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'appli-
cation relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en
sa juridiction d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Ami-
rauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si
cette Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compé-
tence illimitée en matière maritime et d'amirauté,
compte tenu des modifications apportées à ce droit par
la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du
Canada;
22. (1) La Division de première instance a compétence
concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre-
ment, dans tous les cas où une demande de redressement est
faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi
du Canada en matière de navigation ou de marine mar-
chande, sauf dans la mesure où cette compétence a par
ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1),
il est déclaré pour plus de certitude que la Division de
première instance a compétence relativement à toute
demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont
ci-après mentionnés:
e) toute demande pour l'avarie ou la perte d'un navire, et
notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui
précède, l'avarie ou la perte de la cargaison ou de l'équi-
pement d'un navire ou de tout bien à bord d'un navire ou
en train d'y être chargé ou d'en être déchargé;
fl toute demande née d'une convention relative au trans
port à bord d'un navire de marchandises couvertes par un
connaissement direct ou pour lesquelles on a l'intention
d'établir un connaissement direct, pour la perte ou l'avarie
de marchandises survenue à quelque moment ou en quel-
que lieu en cours de route;
h) toute demande pour la perte ou l'avarie de marchandi-
ses transportées à bord d'un navire, et notamment, sans
restreindre la portée générale de ce qui précède, la perte
ou l'avarie des bagages ou effets personnels des
passagers;
i) toute demande née d'une convention relative au trans
port de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou
au louage d'un navire soit par charte-partie, soit
autrement;
L'alinéa e). A mon avis, cet alinéa ne s'appli-
que pas aux faits de cette affaire car il ne
semble qu'élargir et clarifier le texte de la Loi
sur l'Amirauté, S.R.C. 1970, c. A-1, qui pré-
voyait la compétence de la Cour dans tous les
cas de «... réclamations pour dommage subi
par un navire ....» Selon moi, cet alinéa signi-
fie que, lorsqu'on poursuit quelqu'un en dom-
mages-intérêts pour la perte ou l'avarie d'un
navire, on peut y joindre notamment une récla-
mation pour la perte ou l'avarie de sa cargaison.
Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici.
L'alinéa fl. Les avocats se sont entendus pour
que j� e décide, d'après les faits portés à ma
connaissance, si les marchandises étaient cou-
vertes par un connaissement direct. L'avocat de
la demanderesse affirme qu'il s'agissait en effet
d'un connaissement direct alors que l'avocat de
l'Empire, appuyé par l'avocat des propriétaires
du navire, soutient le contraire. Le connaisse-
ment prévoyait le transport des boîtes de
Nagoya (Japon) à Vancouver (C.-B.) à bord de
l'Ikaros puis [TRADUCTION] «... par chemin de
fer jusqu'à Toronto (Ontario).» J'ai examiné les
diverses clauses du connaissement ainsi que les
arrêts et les ouvrages de doctrine auxquels se
réfère l'avocat. Il ne s'agit pas à mon sens d'un
connaissement direct. Il me semble plutôt que
les propriétaires du navire, c'est-à-dire les trans-
porteurs d'origine, n'agissaient, aux termes du
connaissement, qu'en tant que mandataire pour
le transport des marchandises de Vancouver à
leur destination finale.
La responsabilité découlant d'un connaisse-
ment direct est énoncée par Carver dans son
traité Carriage by Sea (12 e éd. 1971) au paragra-
phe 200:
[TRADUCTION] Un transporteur qui signe un contrat de
transport direct, même s'il a prévu de faire effectuer une
partie du transport par des tiers, est responsable de l'ensem-
ble du transport à moins que le contrat, ce qui est souvent le
cas, ne limite expressément sa responsabilité à la partie du
transport qu'il effectue lui-même.
Hormis le cas d'une clause expresse limitant la responsa-
bilité dû transporteur, le transporteur signataire du contrat
peut être tenu responsable d'une violation des dispositions
du contrat commise alors que les marchandises ne sont plus
en sa possession. Le transporteur qui avait la garde des
marchandises au moment de la violation du contrat peut, en
général, être tenu responsable aux termes du contrat si
celui-ci est à son nom et s'il l'a approuvé; il peut, par contre,
se prévaloir des clauses d'exonération de responsabilité
inscrites au contrat.
Même s'il s'agit ici d'un connaissement direct,
cela n'impose aucune responsabilité contrac-
tuelle à l'Empire puisque les propriétaires du
navire n'agissaient pas comme mandataires de
l'Empire ou du transporteur terrestre subsé-
quent quand fut établi le connaissement.
J'ajoute que ni dans ses conclusions ni lors des
débats la demanderesse n'a prétendu retenir la
responsabilité contractuelle de l'Empire d'après
les termes de ce connaissement. Si je saisis
bien, on cherche à établir le point suivant: dans
l'hypothèse d'un connaissement direct, toute
personne ayant participé au transport des mar-
chandises et qui pourrait être responsable de
leur perte peut se voir intenter, devant cette
Cour une action contractuelle ou extra-contrac-
tuelle. Je ne souscris pas à cette interprétation
de l'alinéa f). La Cour est compétente dans le
cas de réclamations portant sur la perte ou
l'avarie, pendant leur transport, des marchandi-
ses couvertes par un connaissement direct. Les
personnes éventuellement appelées à répondre
de la perte ou de l'avarie sont à mon sens les
parties au contrat (en l'espèce le transporteur
initial, c-à-d. les propriétaires du navire), ou les
personnes liées par l'accord (dans certains cas,
les transporteurs subséquents si le transporteur
initial a agi en tant que mandataire). Ce sont ces
personnes-là qui, aux termes de l'alinéa f), relè-
vent de la compétence de la Cour. Je ne crois
pas qu'il était dans l'intention du Parlement
d'étendre la juridiction de la Cour à toute per-
sonne ayant quelque chose à voir avec les mar-
chandises dont le transport s'est effectué en
partie par bateau, sous prétexte que les mar-
chandises étaient transportées sous connaisse-
ment direct. Le juge Walsh, de cette Cour, a
brièvement étudié l'alinéa f) dans l'affaire The
Robert Simpson Montreal Ltd. c. Hamburg-
Amerika Linie Norddeutscher [1973] C.F. 304.
Dans cette affaire, l'avocat soutenait que le
Parlement avait eu l'intention, par la Loi sur la
Cour fédérale, d'étendre aux magasiniers, aux
débardeurs et aux entreprises de manutention la
compétence de la Cour relativement à des
actions intentées pour avarie ou perte de mar-
chandises après déchargement. Le juge Walsh
semble considérer que la Cour est compétente
quand ces marchandises sont transportées sous
connaissement direct. Je souligne que, dans ce
cas-là, il ne s'agissait pas d'un connaissement
direct et la question qu'avait à trancher le
savant juge n'était pas celle de l'étendue de la
compétence attribuée par l'alinéa f). Cette ques
tion ne fut d'ailleurs pas débattue aussi complè-
tement qu'elle le fut devant moi.
L'alinéa h). Il est manifeste que, si l'Empire
est responsable de la perte, il ne s'agit pas de
perte ou d'avarie de marchandises transportées
à bord d'un navire, puisque les marchandises
avaient déjà été déchargées. On peut utilement
se reporter à l'arrêt Toronto Harbour Corn'rs c.
The Robert C. Norton [1964] R.C.É. 498. Dans
cette affaire, l'action était intentée contre un
navire qui avait déchargé sur le quai du deman-
deur une lourde cargaison de ferraille, ce qui
entraîna l'effondrement du quai. Les autres par
ties furent adjointes à titre de co-défendeurs par
le navire défendeur. Le navire se retourna
ensuite contre ces parties, affirmant que c'était
à elles qu'incombait la responsabilité d'avoir
placé la cargaison à cet endroit. A l'époque en
question, la compétence de la Cour était définie
par l'article 18 de la Loi sur l'Amirauté. A cet
égard, on peut citer les extraits suivants:
«réclamations pour dommage causé par un
navire»;
«les réclamations relatives au transport de
marchandises dans un navire;» et
«en dommages relativement à des marchandi-
ses transportées dans un navire».
Le juge suppléant en amirauté Wells a décidé
qu'aucun des défendeurs ne relevait de la com-
pétence de la Cour. A la page 504 de son arrêt il
déclare:
[TRADUCTION] Le seul autre texte sur lequel on puisse
fonder la compétence de la Cour est l'article 22 du Supreme
Court of Judicature (Consolidation) Act, 1925,—au paragra-
phe 1 a)(xii) des réclamations, (2) relatives au transport de
marchandises dans un navire ou (3) en dommages relative-
ment à des marchandises transportées dans un navire.
Le présent litige semble plutôt porter sur des marchandi-
ses déchargées d'un navire que sur des marchandises à bord
d'un navire. Le texte concernant les réclamations en dom-
mages relativement à des marchandises transportées dans un
navire semble couvrir, selon moi, tout dommage que cause
aux marchandises à bord d'un navire un acte préjudiciable
des responsables de l'administration du navire. Je ne pense
pas qu'on puisse étendre la portée du texte au déchargement
des marchandises quand on ne peut retenir d'acte préjudicia-
ble dans leur manutention, pour que la réclamation relève de
la compétence de la Cour. En l'espèce, personne n'allègue
l'existence d'un tel acte. L'acte préjudiciable fut commis à
l'encontre des demandeurs et non à l'encontre des proprié-
taires de la cargaison.
A mon sens, le même raisonnement s'applique à
l'alinéa h) et, selon moi, il n'était pas dans
l'intention du Parlement d'étendre la compé-
tence de la Cour aux personnes prenant posses
sion des marchandises déchargées.
L'alinéa i). Il ne fait aucun doute que l'action
en responsabilité contractuelle intentée contre le
navire et ses propriétaires tombe sous ce chef
de compétence. Il est également certain que la
réclamation déposée contre l'Empire ne tombe
pas sous ce chef. Les faits portés à ma connais-
sance font ressortir qu'il n'existe pas de conven
tion entre la demanderesse et l'Empire quant au
transport des marchandises en question à bord
de l'Ikaros.
J'ai terminé mon étude des alinéas de l'article
22 invoqués par la demanderesse et je ne vois
pas comment, en l'espèce, on peut les utiliser
pour étendre à l'Empire la compétence de la
Cour.
L'avocat de la demanderesse a présenté un
autre argument. Je me reporte à la définition du
droit maritime canadien et au paragraphe 22(1).
On dit que le droit dont l'application relevait de
la Cour de l'Échiquier comprend, bien sûr, le
droit élaboré par les tribunaux à l'occasion des
affaires portant sur la compétence de la Cour de
l'Échiquier. L'avocat affirme que ce principe
existe en droit maritime canadien: quand la
faute ou la violation dont on demande répara-
tion est imputable à une des parties ou aux
deux, et que le navire est constitué partie devant
cette Cour de la façon appropriée, la compé-
tence de la Cour s'étend alors à l'autre partie.
Ce ne sont pas tout à fait les termes employés
par l'avocat mais c'est la thèse qu'il a défendue.
Il cite plusieurs arrêts: The Sparrows Point c.
Greater Vancouver Water District [1951] R.C.S.
396; MacMillan Bloedel Limited c. Canadian
Stevedoring Co. [1969] 2 R.C.É. 375; Maag and
Company Limited c. Eastern Canada Stevedor-
ing Limited tnon publié, 1969', District d'ami-
rauté du Québec, n° du greffe: 1601 (Mon-
tréal)); The Robert Simpson Montreal Ltd.
(précité) et Elite Linens Ltd. c. The Galya Kom-
leva (non publié, n° T-2892-72).' Je souligne que
les faits dans ces affaires diffèrent de ceux qui
nous intéressent en l'espèce.
Dans l'affaire The Sparrows Point, le Greater
Vancouver Water District avait intenté une
action en la Cour de l'Échiquier contre le navire
et contre le Conseil des ports nationaux, deman-
dant des dommages-intérêts pour les dommages
causés à des canalisations de son réseau. Le
navire, qui voulait passer sous le pont du
Second Goulet dans l'Inlet Burrard, siffla afin
de faire ouvrir la travée. Les employés chargés
de manoeuvrer le pont allumèrent le feu rouge,
ce qui indiquait qu'ils avaient entendu le signal
et que le pont était complètement fermé. D'habi-
tude, la travée s'ouvrait peu de temps après et
un feu vert en signalait l'ouverture complète. Le
navire poursuivit sa route en attendant le feu
vert qui, selon les personnes à bord, ne s'est
jamais allumé. Afin de casser son erre, le navire
jeta l'ancre et, par cette manoeuvre, endomma-
gea les canalisations d'eau. Or, la travée avait
effectivement été ouverte mais le feu vert ne
s'était pas allumé. La Cour suprême a retenu la
responsabilité du navire et du Conseil des ports
nationaux. C'est là que, pour la première fois,
on objecta que la Cour de l'Échiquier en sa
juridiction d'amirauté n'était pas compétente
pour juger le Conseil des ports nationaux. La
Cour suprême, pourtant, la déclara compétente.
Le juge Kellock, aux motifs duquel ont souscrit
le juge en chef et le juge Taschereau, a déclaré
aux pages 402 et 403:
[TRADUCTION] Dans la plaidoirie, on a soulevé la question
de savoir si la Cour d'amirauté était compétente pour con-
naître d'une action que le Water District intentait contre le
Conseil des ports. Il est clair, je pense, que la compétence
de la cour ne peut pas dépasser celle qui lui est conférée par
la loi; c. 31 des statuts de 1934; Bow McLachlan and Co. c.
Le navire «Camosun» ([1909] A.C. 597). La loi a depuis été
modifiée mais le principe reste applicable. La réponse
dépend du sens donné aux mots «dommages causés par un
navire» qui figurent à l'article 22(1)(iv) de l'annexe A à la loi
de 1934 qui reprend l'article 22 du Supreme Court of Judica
ture Consolidation Act (1925) c. 49; il se lit ainsi: «réclama-
tions pour dommage causé par un navire». Un certain
nombre de décisions ont été rendues depuis l'adoption de la
loi de 1861, 24 Vic. c. 10, art. 7.
Dans les arrêts « Uhla», ((1867) Asp. M.C. 148) et «Excel-
sior», ((1868) L.R. 2 A. & E. 268), la Cour se déclara
compétente pour juger du dommage qu'un navire avait
causé à un quai, ainsi que dans l'arrêt Mayor of Colchester c.
Brooke ((1845) 7 Q.B. 339), où la Cour se déclara compé-
tente dans une affaire de dommage causé à des parcs à
huîtres.
Dans l'affaire le «Bien», ([1911] P. 40) le demandeur,
locataire d'un parc à huîtres, poursuivait les conservateurs
de la rivière Medway et le propriétaire d'un navire pour les
dommages qu'un navire répondant aux ordres d'un capitaine
de port avait causés à son parc à huîtres. Cette affaire fut,
bien sûr, jugée après les Judicature Acts alors que la compé-
tence de la Division d'amirauté ne se limitait plus à celle
antérieurement détenue par la Cour d'amirauté. Les circons-
tances de la présente affaire sont analogues. Si l'action
contre le Conseil des ports ne peut pas être instruite par la
Cour d'amirauté, il s'ensuit que le Water District aurait dû
intenter deux poursuites: la première contre le navire en la
juridiction d'amirauté de la Cour de l'Échiquier; la seconde
devant une autre juridiction.
A mon avis, dans un cas de ce genre, la loi qui, à première
vue, a attribué compétence à la Cour d'amirauté, devrait
aussi être interprétée comme confirmant sa juridiction au
moins dans un cas où le navire est partie au procès. On ne
nous a cité aucune jurisprudence contraire et je n'ai pas pu
en trouver; les considérations pratiques militent dans le sens
de l'existence d'une telle compétence.
et à la page 404:
[TRADUCTION] Par contre, toutes les demandes déposées à
la suite des dommages causés par un navire devraient être
réglées par une seule action afin d'éviter le scandale possible
de jugements différents rendus pour une même affaire. Je
considère donc qu'il faut interpréter cette loi comme confé-
rant à la Cour de l'Échiquier, en sa juridiction d'amirauté, la
compétence nécessaire.
La question posée à la Cour était de savoir si
la demande était relative à «... un dommage
causé par un navire», et la réponse a été affir
mative. A mon sens, il faut bien garder à l'esprit
les faits particuliers de cette affaire. Les person-
nes se trouvant à bord du navire et celles sur le
pont participaient ensemble, à toutes fins prati-
ques, aux manoeuvres du navire et c'est au cours
de ces manoeuvres que le navire causa un
dommage.
Le juge Rand a rendu ses propres motifs. Aux
pages 409 à 411 il déclarait:
[TRADUCTION] ... La manoeuvre du navire fut ainsi le pro-
duit de la négligence conjointe des personnes faisant fonc-
tionner les feux de signalisation du pont basculant et des
responsables du navire: Brown c. B. & F. Theatres ([1947]
R.C.S. 484).
Ayant l'obligation légale de régler la navigation sous le
pont basculant, le Conseil devait faire fonctionner les feux
de signalisation avec le soin et l'adresse qu'on exige des
personnes qui se voient confier l'exécution d'une tâche et la
sauvegarde de certains intérêts. Puisque le Conseil était tout
à fait au courant de l'existence et de l'emplacement des
canalisations, il lui incombait de prévoir qu'un défaut de
signalisation pourrait, dans le courant ordinaire des événe-
ments, susciter une situation d'urgence dans le chenal et
endommager les biens qui s'y trouvaient. Ainsi le Conseil
avait envers le Water District l'obligation directe de ne pas
créer, par sa négligence, une telle situation: The «Mystery»
([1902] P. 115).
Pour la première fois dans ces procédures, l'avocat du
Conseil des ports objecte que la compétence en amirauté de
la Cour ne permet pas l'adjonction du Conseil, objection qui
exige un examen approfondi. Cette objection est fondée sur
le fait que la réclamation porte sur un dommage survenu à
un bien terrestre se trouvant dans les limites d'un comté et
que l'action est intentée par une personne autre que le
propriétaire du navire contre une personne autre que ce
propriétaire. Dans l'arrêt La Reine c. Judge of City of
London Court ([1892] L.R. 1 Q.B. 273), la Cour d'appel a
jugé que la Cour d'amirauté n'était pas compétente pour
connaître d'une action in personam intentée contre un pilote
dont la négligence avait entraîné une collision en haute mer.
Cette décision a limité le type d'action in personam que
permettaient les dispositions législatives conférant sa com-
pétence à la Cour. Elle pouvait connaître des dommages
causés «par un navire». Cette décision suivait celle de sir
Robert Phillimore dans l'affaire The «Alexandria», ((1872)
L.R. 3 A. & E. 574), qui suivait aussi une action intentée
contre un pilote qui, par négligence, avait causé un dom-
mage sur la rivière Mersey. Toutefois, dans ses motifs, sir
Robert déclarait que s'il s'était agi d'une res integra, il aurait
été d'avis qu'aux termes des dispositions des articles 7 et 35
de 24 Vic. c. 10, la Cour était compétente. L'article 7 porte
sur les demandes pour dommages causés «par un navire» et
l'article 35 porte sur les actions in personam ainsi que sur
les actions in rem. Par contre, dans l'affaire The «Zeta»,
([1893] A.C. 468), la Chambre des lords semble être d'avis
qu'un navire a le droit d'intenter une action en amirauté
contre des autorités portuaires pour dommage causé «au
navire» qui avait heurté un quai par suite de la négligence de
ces autorités; et dans l'affaire The «Swift», ([1901] P. 168),
les propriétaires de parcs à huîtres obtinrent gain de cause
dans une action qu'ils intentèrent contre un navire qui avait
causé des dommages à leur propriété alors que, par négli-
gence, le navire s'était échoué. On ne semble pas encore
avoir tranché la question de savoir si l'on peut distinguer
entre la compétence eu égard aux affaires portant sur un
dommage causé «par un navire» et les affaires où un dom-
mage est causé «à un navire».
Dans ce genre d'affaire, la compétence de la Cour de
l'Échiquier est la même que la compétence d'amirauté de la
High Court d'Angleterre. Si l'action avait été intentée contre
le Conseil des ports pour un acte délictuel à titre personnel,
les conséquences auraient pu être redoutables; mais, comme
dans l'affaire The «Koursk» ((1924) P. 140); l'action est
seulement intentée contre les coauteurs d'un dommage. En
effet, les responsables du navire et le Conseil participaient
ensemble à la direction et au contrôle des manoeuvres du
navire dans le port: ce n'était qu'un seul acte avec des
coauteurs. Dans une telle affaire, une décision rendue contre
une des parties réunit la cause d'action et tranche en même
temps l'action intentée contre l'autre partie devant un autre
tribunal. ,
Le Water ithority a un recours en amirauté à la fois
contre le navire, in rem, et contre les propriétaires du navire,
in personam; le droit applicable serait la législation d'ami-
rauté. Limiter l'étendue du recours afin d'interdire l'adjonc-
tion du Conseil des ports reviendrait à priver la Water
Authority d'un de ses recours dans l'hypothèse où elle
voudrait aussi intenter une action contre le Conseil. Des
considérations pratiques autant que la justice même militent
en faveur d'un système où une seule cause d'action doit être
réglée sous une seule branche du droit et par une seule
procédure au cours de laquelle le demandeur peut invoquer
tous les recours auxquels il a droit: toute autre solution irait
à l'encontre du but des dispositions législatives. La demande
porte sur le dommage causé «par un navire»; les recours in
personam sont contre les responsables du fait du navire.
Selon mon interprétation des dispositions législatives, les
coauteurs d'un dommage peuvent être adjoints dans une
action régulièrement intentée.
Dans l'affaire MacMillan Bloedel Limited, le
président Jackett (aujourd'hui juge en chef) a
déclaré que la Cour de l'Échiquier était compé-
tente pour connaître d'une réclamation logée
contre le responsable du chargement d'un
navire. On a soutenu que ses méthodes de char-
gement étaient mauvaises, ce qui avait fait
rouler le navire qui endommagea ainsi le quai
appartenant à la demanderesse. La Cour déclara
que le dommage était imputable au navire et que
le responsable du chargement était tenu d'en
assurer la sécurité comme le sont le capitaine ou
les membres de l'équipage quand ils assurent le
chargement. Encore une fois, il faut prendre en
considération les circonstances particulières de
l'affairez. Je garde à l'esprit la déclaration du
comte Halsbury, lord chancelier, dans l'arrêt
Quinn c. Leathern [1901] A.C. 495, à la p. 506:
[TRADUCTION] . . . il faut considérer que toute décision ne
s'applique qu'aux faits précis que l'on a établis, ou que l'on
suppose avoir été établis, car les déclarations d'ordre géné-
ral qu'on peut y trouver ne sont pas censées être des
exposés du droit dans son ensemble; il faut interpréter
chaque déclaration de ce genre en tenant compte des faits
propres à l'affaire qui l'a suscitée. Il faut ajouter qu'un arrêt
ne fait autorité que pour la question qu'il tranche effective-
ment. Je m'insurge contre l'idée qu'on puisse le citer à
l'appui d'une conclusion parce qu'elle semble pouvoir en
découler logiquement. Un tel mode de raisonnement sup
pose que le droit est un code rigoureusement logique alors
que tous les avocats savent que c'est loin d'être toujours le
cas.
ainsi que celle du vicomte Haldane, lord chance-
lier, dans l'arrêt Kreglinger c. New Patagonia
Meat & Cold Storage Co., Ltd. [1914] A.C. 25,
à la p. 40:
[TRADUCTION] . . . Chercher autre chose que le principe
établi ou reconnu par des décisions antérieures, c'est en
réalité affaiblir et non renforcer l'importance du précédent.
On peut sans doute tirer quelque enseignement de l'examen
des arrêts qui portent sur des faits bien précis mais on peut
rarement les utiliser comme ligne de conduite.
A mon sens, on peut établir des distinctions
avec les arrêts The Sparrows Point et MacMil-
lan Bloedel Limited, ainsi que je l'ai dit plus
haut, vu leurs faits particuliers et, en tout cas,
ces arrêts ne posent pas un principe général de
droit maritime canadien selon lequel la Cour
serait compétente pour juger toute partie res-
ponsable de la perte ou de l'avarie dont il est
demandé réparation au seul motif qu'un navire
relève de la compétence de la Cour. A mon avis,
les deux arrêts n'ont fait que décider qu'aux
termes de l'ancienne Loi sur l'Amirauté, la Cour
était compétente pour connaître d'une réclama-
tion relative à un dommage causé par un navire,
et que sa compétence englobait non seulement
le navire mais également toute personne ayant
participé à ses opérations ou à ses
déplacements.
Je me reporte maintenant à l'arrêt Maag dont
j'ai sorti le dossier. Le demandeur, propriétaire
des marchandises, a intenté une action car on ne
lui avait pas livré, à Montréal où la cargaison
avait été déchargée, 73 des 99 cartons comman
dés. Il a intenté une action contre plusieurs
défendeurs et je suppose que certains d'entre
eux étaient les propriétaires du navire. Il a éga-
lement poursuivi l'entreprise de manutention.
Dans sa déclaration, il ne fait aucune distinction
entre les divers défendeurs quant à leur degré
de participation dans la manutention des mar-
chandises. Ils étaient tous censés être proprié-
taires ou exploitants du navire transporteur, par
ties au connaissement et conjointement
responsables contractuellement et délictuelle-
ment de ne pas avoir livré les marchandises.
L'entreprise de manutention défenderesse tenta
de se faire exclure des poursuites au motif que
la Cour n'avait pas compétence à son égard.
Elle prétendait que la compétence de la Cour
n'englobait pas les pertes ou avaries survenues à
des marchandises après déchargement quand
ces pertes ou ces avaries n'étaient pas le fait du
navire. Pour les besoins de la requête, le juge
Walsh supposa qu'il était possible de prouver
les allégations contenues dans la déclaration. Il
se référa aux deux arrêts susmentionnés, mais
décida que leurs motifs n'étaient pas directe-
ment applicables à l'affaire qu'il avait à juger.
Voici ses conclusions:
[TRADUCTION] Il me semble dans cette affaire que les faits
qui ont motivé l'action contre la défenderesse, l'Eastern
Canada Stevedoring Limited, sont inextricablement liés à
ceux qui ont motivé l'action contre les autres défendeurs. A
ce stade, il n'est pas encore possible de dire quel défendeur
est responsable de la perte de la cargaison ou si cette
responsabilité est contractuelle ou délictuelle. Les affirma
tions contenues dans la déclaration indiquent l'intention de
prouver que la défenderesse, l'Eastern Canada Stevedoring
Limited, et les autres codéfendeurs sont conjointement et
solidairement responsables à titre délictuel. Vu les circon-
stances, i1 ne semble pas du tout réaliste ni même souhaitable
d'obliger la demanderesse à intenter une act,.,n contre les
armateurs devant la Cour de l'Échiquier en sa juridiction
d'amirauté et une autre contre la défenderesse, l'Eastern
Canada Stevedoring Limited, devant la Cour supérieure de
la province de Québec. La duplication des procédures soulè-
verait inévitablement des problèmes de priorité et elle
entraînerait celle des témoignages. Ainsi que l'a déclaré le
juge Kellock dans l'arrêt Sparrows Point «toutes les deman-
des devraient être réglées par une seule action afin d'éviter
le scandale possible de jugements différents rendus pour
une même affaire». Au contraire de la situation dans l'af-
faire MacMillan Bloedel Limited and Canadian Stevedoring
Co., Ltd., Ian Haughton, nous ne nous trouvons pas ici
devant deux actions fondées sur les mêmes faits mais inten-
tées séparément. Je n'ai donc pas à juger de la compétence
de la Cour dans l'hypothèse où l'action contre la défende-
resse, l'Eastern Canada Stevedoring Co. Ltd., aurait été
intentée séparément devant cette Cour.
D'après moi, les faits propres à l'affaire Maag
servent clairement à la distinguer. On avait sou-
tenu que les diverses défenderesses étaient
coauteurs du préjudice' et les conclusions des
parties me font partager l'opinion du juge Walsh
qui avait décidé qu'on ne pouvait pas, à ce stade
de la procédure, rejeter l'action intentée contre
l'entreprise de manutention. Par contre, je ne
suis pas d'avis que le risque de duplication des
actions suffise à fonder la compétence de la
Cour que ce soit aux termes de l'ancienne Loi
sur l'Amirauté ou de la Loi sur la Cour fédérale.
Bien que la duplication des actions soit peu
souhaitable, c'est peut-être inévitable dans un
système fédéral tel que le nôtre avec la division
des pouvoirs législatifs prévue à l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique'. D'après moi,
dans une affaire telle que celle-ci, la compé-
tence doit se fonder sur les dispositions de la
Loi sur la Cour fédérale. La présente action
n'entraîne pas nécessairement duplication de
procédures. La demanderesse aurait pu intenter
une action in personam contre les propriétaires
du navire et l'Empire devant la Cour suprême
de la Colombie-Britannique. Il aurait fallu
demander l'autorisation de signifier hors du res-
sort les actes de procédure aux propriétaires
mais il me semble que, dans cette affaire, cette
procédure était possible en vertu de l'Order 11,
r. 1(g), Règles de la Cour suprême de la Colom-
bie-Britannique 1971. De toute évidence une
action in rem n'aurait pas pu être intentée et la
demanderesse n'aurait donc pas pu, devant un
tribunal provincial, obtenir la chose en garantie
alors qu'elle le peut devant cette Cour.
Les deux dernières décisions peuvent égale-
ment se distinguer d'après les faits qui leur sont
propres. Je souscris à la décision rendue par le
juge Walsh. Dans les arrêts Robert Simpson et
Elite Linens Ltd. (précités), les demanderesses
ne poursuivaient les navires que pour la perte
ou l'avarie causée à leurs marchandises. Dans
les deux affaires, les armateurs défendeurs ont
essayé d'adjoindre à• titre de tierce partie les
entreprises de manutention qui avaient la garde
des marchandises déchargées. Le juge Walsh a
décidé que, puisque les demanderesses avaient
choisi de limiter leurs poursuites aux propriétai-
res du navire, l'adjonction de tierces parties ne
se justifiait pas et il a rejeté la requête. Si les
propriétaires du navire réussissaient, en se fon
dant sur le fait que l'avarie ou la perte était
imputable aux manutentionnaires, à faire rejeter
les actions des demanderesses, la question d'in-
demnisation par les tierces parties ne se poserait
pas. Par contre, si les demanderesses au procès
avaient rapporté la preuve de la responsabilité
des propriétaires du navire, les tierces parties
auraient nécessairement été mises hors de
cause.
On nous a cité cet extrait qui se trouve dans
l'arrêt Robert Simpson [aux pages 311-12]:
Dans cette affaire, si la demanderesse n'avait pas réussi à
déterminer l'époque ou les circonstances des avaries et avait
choisi de poursuivre non seulement le navire et les arma-
teurs mais également les débardeurs et les employés des
entrepôts, il n'y a aucun doute que la Cour se serait déclarée
compétente à l'égard de toutes les parties ainsi qu'elle le fit
dans l'affaire Maag (précitée).
ainsi que cet extrait qu'on trouve à la page 2 des
motifs de l'arrêt Elite Linens Ltd.:
... La compétence de la Cour ne s'étend pas aux débar-
deurs et aux magasiniers à moins que la demanderesse soit
incapable de déterminer le lieu ou la manière dont le dom-
mage s'est produit. Dans ce cas, ils pourront être adjoints
comme codéfendeurs dans une action intentée contre les
défendeurs à l'égard d'une réclamation relevant de la com-
pétence de la Cour.
A mon sens, cette opinion ne figure que de
manière incidente dans le jugement et ne fait
pas partie de la ratio des deux arrêts'. Je n'ai
donc pas à me demander si je dois me sentir lié
par cette opinion. A mon humble avis, la compé-
tence de cette Cour ne s'étend pas au genre
d'affaire décrit par le savant juge.
Il me semble qu'un critère valable pour tran-
cher une question de compétence consiste à
examiner si la Cour serait compétente si l'action
était intentée contre un seul des défendeurs au
lieu d'être greffée à une action contre d'autres
défendeurs qui sont à bon droit soumis à la
compétence de la Cour 6 . Je ne trouve à l'article
22 et dans les anciennes règles de la High Court
of Admiralty d'Angleterre aucun fondement à la
compétence de la Cour dans l'hypothèse où
l'Empire serait seule poursuivie pour négligence
ou à titre de dépositaire à titre onéreux.
J'en conclus donc qu'en l'espèce, la Cour
n'est pas compétente pour juger l'Empire. L'ac-
tion intentée contre elle est par conséquent sus-
pendue et l'Empire a droit de recouvrer ses
dépens relatifs au dépôt de l'acte de comparu-
tion conditionnelle et à cette requête. En l'es-
pèce, j'estime qu'il n'y a pas lieu d'adjuger de
dépens en faveur des autres défendeurs.
' Cet arrêt a été rendu par le juge Walsh et s'apparente à
l'arrêt The Robert Simpson. Les deux sont fondés sur la Loi
sur la Cour fédérale et doivent être lus en corrélation.
z Dans l'arrêt, le président Jackett étudia en détail l'his-
toire de la High Court of Admiralty et de sa juridiction. A la
page 384 il conclut que, comme à l'origine la cour était
compétente pour connaître des délits commis dans un port
maritime (dans les limites territoriales d'un comté), la Cour
de l'Échiquier était compétente pour juger le subrécargue. Il
est arrivé à cette conclusion [TRADUCTION] «non sans quel-
que hésitation», et plus tôt dans - ses motifs, à la page 380, il
déclarait:
[TRADUCTION] On a beaucoup écrit sur l'histoire de la
High Court of Admiralty et de sa compétence. Ce sujet a
généralement suscité des controverses et il n'y a pas
vraiment de thèse universellement admise. Tout en expri-
mant, par souci de simplicité et de concision, mes conclu
sions en termes absolus et sans réserve, il faut bien garder
à l'esprit que dans tout ce qui suit je ne méconnais pas les
autres points de vue sur tel ou tel aspect de la question et
ne fais que donner sur un certain aspect l'opinion qui me
semble la meilleure.
Je ne mets pas en doute la justesse de l'arrêt MacMillan
Bloedel Limited: à savoir que la réclamation doit se voir
appliquer la phrase «... dommage causé par un navire». Je
ne pense pas, cependant, qu'avant les lois adoptées sous le
règne de Richard II et Henry IV, ce soit la High Court of
Admiralty qui ait été compétente pour juger l'acte domma-
geable qu'un magasinier ou un débardeur aurait commis
relativement à des marchandises déchargées. A mon sens,
seuls les tribunaux de common law auraient été compétents.
C'est sur ce motif que le juge Rand a fondé la compé-
tence de la Cour dans l'arrêt The Sparrows Point.
J'ai demandé à l'avocat de l'Empire s'il entendait plaider
qu'au cas où les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale
donnent compétence à la Cour, les articles en question
excèdent la compétence du Parlement parce qu'empiétant
sur la propriété et les droits civils. L'avocat a répondu qu'il
n'avait pas l'intention de soutenir cette thèse mais que la
Cour pourrait peut-être soulever cette question. Puisque
personne n'a épousé cette thèse, on n'a entendu aucun
argument pour ou contre; je n'exprimerai donc pas d'opinion
à ce sujet.
5 Cette règle est illustrée dans l'arrêt Samson c. M.R.N.
[1943] R.C.É. 17, aux pp. 23 et 24.
6 Voir l'arrêt Anglophoto Ltd. c. Le «Ferncliff» [1972]
C.F. 1337. Dans cette affaire, j'ai utilisé le critère que je
viens d'établir à l'égard d'une action intentée contre un
magasinier américain pour un acte préjudiciable commis aux
États-Unis. J'ai infirmé la signification ex juris de l'avis de
déclaration.
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