Virginia Olavarria (Demanderesse)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intime')
et
Jean-Charles Meilleur, enquêteur spécial (Intime')
et
Le sous-procureur général du Canada (Mis-en-
cause)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Thurlow et le juge suppléant Hyde—Montréal,
le 23 octobre 1973.
Immigration—Enquête menée par un enquêteur spécial—
Obligation d'informer la personne non représentée par un
avocat de son droit d'avoir recours aux services d'un avo-
cat—«Avocat» comprend tout conseiller autre qu'un avo-
cat—Règlement sur les enquêtes de l'immigration, art. 3.
L'article 3 du Règlement sur les enquêtes de l'immigration
prévoit que, lorsqu'une personne qui fait l'objet d'une
enquête devant l'enquêteur spécial est présente, mais n'est
pas représentée par un avocat ou autre conseiller, le prési-
dent de l'enquête doit «informer ladite personne de son droit
de retenir les services d'un avocat ou autre conseiller, de lui
donner ses instructions et de se faire représenter par lui à
l'enquête». En français, le mot «counsel» est rendu par
l'expression «avocat ou autre conseiller».
Arrêt: au cours de l'examen judiciaire, il a été décidé que
le terme «counsel» figurant dans le texte anglais signifie à la
fois avocat et autre conseiller.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
William G. Morris pour la demanderesse.
Roméo Léger pour l'intimé.
PROCUREURS:
Hubs cher, Morris & Trevick, Montréal,
pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—Me
Léger, nous sommes d'avis qu'il n'est pas néces-
saire d'entendre votre plaidoirie. J'exposerai un
peu plus loin les motifs de cette décision.
Parmi les arguments avancés à l'appui de
cette demande présentée en vertu de l'article 28
et visant à faire annuler une ordonnance de
déportation, un seul, à mon avis, mérite qu'on
s'y arrête. C'est l'argument selon lequel il con-
vient d'annuler l'ordonnance de déportation
pour inobservation de l'article 3 du Règlement
sur les enquêtes de l'immigration qui, entre
autres dispositions, impose à l'enquêteur spé-
cial, dans certains cas, l'obligation d'informer la
personne qui fait l'objet d'une enquête du droit
qu'elle a de retenir les services d'un avocat ou
autre conseiller, de lui donner ses instructions et
de se faire représenter par lui à l'enquête.
Cette obligation ne s'applique que lorsque la
personne qui fait l'objet de l'enquête est pré-
sente à l'enquête mais «n'est pas représentée
par un avocat ou autre conseiller». Il faut donc
déterminer le sens des mots utilisés à l'article 3
du Règlement sur les enquêtes de l'immigration.
La difficulté ressort de l'utilisation dans le texte
anglais du mot «counsel», qui est susceptible de
deux interprétations: une, large, lui donne le
sens de conseiller; l'autre, plus précise, lui
donne celui d'avocat. Si l'on adopte l'interpréta-
tion restrictive, il existait dans cette affaire, en
vertu de l'article 3, une obligation d'informer
qui n'a pas été satisfaite. Si l'on décide qu'il
s'agit d'un conseiller, qu'il soit ou non avocat,
vu les circonstances de cette affaire l'article 3
n'imposait aucunement l'obligation d'informer.
Dans ce cas-là, la demande d'annulation de l'or-
donnance de déportation devrait être rejetée.
Il convient en premier de se reporter à la
disposition de la Loi sur l'immigration, S.R.C.
1970, c. I-2 qui traite expressément de ce droit
de représentation. Voici le texte anglais de l'arti-
cle 26(2):
(2) The person concerned, if he so desires and at his own
expense, has the right to obtain and to be represented by
counsel at his hearing.
Voici le texte français:
(2) L'intéressé, s'il le désire et à ses propres frais, a le
droit d'obtenir un avocat, et d'être représenté par avocat,
lors de son audition.
Il est évident à la lumière des deux textes que la
loi entend donner à la personne en question le
droit de se faire représenter à l'enquête par un
avocat.
Il convient ensuite d'examiner l'article 3 du
Règlement sur les enquêtes de l'immigration,
dont voici un extrait de la version anglaise:
3. At the commencement of an inquiry where the person in
respect of whom the inquiry is being held is present but is not
represented by counsel, the presiding officer shall
(a) inform the said person of his right to retain, instruct
and be represented by counsel at the inquiry; and ...
Voici la version française de ce même texte:
3. Au début d'une enquête, si la personne qui fait l'objet
de cette enquête est présente, mais n'est pas représentée par
un avocat ou autre conseiller, le président de l'enquête doit
a) informer ladite personne de son droit de retenir les
services d'un avocat ou autre conseiller, de lui donner ses
instructions et de se faire représenter par lui à l'enquête;
et....
Le Règlement sur les enquêtes de l'immigra-
tion a été établi en 1967 par le ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration en vertu des
pouvoirs que lui confère l'article 62 de la Loi
sur l'immigration, S.R.C. 1952, c. 325, telle que
modifiée (maintenant l'article 58 du c. I-2 des
S.R.C. 1970). Ce texte est le suivant:
62. Le Ministre peut établir des règlements, non incompa
tibles avec la présente loi, visant la procédure à suivre lors
des examens et enquêtes prévus par la présente loi ainsi que
les devoirs et obligations des fonctionnaires à l'immigration
et les méthodes et la procédure à suivre pour l'exécution de
ces fonctions et obligations soit au Canada soit ailleurs.
Si l'on se basait uniquement sur la version
anglaise de l'article 3 du Règlement sur les
enquêtes de l'immigration, il faudrait admettre
que le mot «counsel» qui s'y trouve a le même
sens que dans l'article 26(2) de la Loi sur l'im-
migration et que, par ce mot, il faut entendre un
«avocat». Si, par contre, on examine la version
française, on s'aperçoit alors que là où l'anglais
utilise le mot «counsel», le texte français parle à
la fois d'un avocat ou d'un autre conseiller. Le
mot anglais « counsel» ayant un sens assez large
pour englober un conseiller qui est avocat
comme celui qui ne l'est pas, il convient de
conclure que c'est dans cette acception large
que l'article 3 de la version anglaise du Règle-
ment sur les enquêtes de l'immigration utilise ce
mot. Voir l'article 8(2) de la Loi sur les langues
officielles.
Selon cette interprétation de l'article 3 du
Règlement sur les enquêtes de l'immigration
l'obligation d'informer n'existe que quand la
personne qui fait l'objet de l'enquête n'est pas
représentée par un avocat ou autre conseiller.
Dans ce cas, on est tenu d'informer la personne
en question
a) de son droit en vertu de l'article 26(2) de la
Loi sur l'immigration de se faire représenter
par un avocat, et
b) du droit implicite, sauf disposition expres-
sément ou implicitement contraire, de choisir
son représentant, qu'il soit ou non avocat.
Voir Pett c. Greyhound Racing Association
Ltd. [1969] 1 Q.B. 125 et Enderby Town
Football Club Ltd. c. Football Ass'n. Ltd.
[1970] 3 W.L.R. 1021, à la page 1025.
Cette conclusion quant au but visé par le Règle-
ment me semble être celle qui est susceptible de
lui donner son plein effet et qui découle de sa
rédaction.
Ceci dit, on ne se trouve pas devant un cas
d'inobservation du Règlement et il convient de
rejeter la demande en vertu de l'article 28.
Je ne me prononce pas sur la question de
savoir si, vu les circonstances de cette affaire,
l'inobservation de l'article 3 du Règlement sur
les enquêtes de l'immigration aurait forcément
donné droit à l'annulation de l'ordonnance de
déportation.
Bien qu'aucune demande n'ait été déposée au
nom des enfants en bas âge dont fait mention
l'ordonnance de déportation, je suis d'avis, en
l'absence de certains documents, que l'ordon-
nance est mal rédigée. En l'absence de circon-
stances particulières, on se serait attendu à voir
l'intimé prendre, de sa propre initiative, les
mesures nécessaires pour corriger l'ordonnance
de déportation en ce qui concerne les enfants en
bas âge, si besoin par consentement à une déci-
sion de la Cour après une procédure intentée à
cet effet.
* * *
LE JUGE THURLOW et LE JUGE SUPPLÉANT
HYDE ont souscrit à l'avis.
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