Karleton Lewis Armstrong (Requérant)
c.
L'État du Wisconsin et les États-Unis d'Amérique
(Intimés)
Cour d'appel, le juge Thurlow, les juges sup
pléants Cameron et Sweet—Toronto, les 5, 6, 7,
8 et 9 décembre 1972; Ottawa, le 5 janvier
1973.
Extradition—Droits civils—Examen judiciaire—Audition
d'extradition—Prétendu meurtre commis au Wisconsin—
Affidavits admis en preuve—Aucune possibilité accordée au
fugitif de contre-interroger les déposants—Y a-t-il eu déni de
l'»application régulière de la loi» et de la justice fondamenta-
le—Faut-il prouver la catégorie du crime au Wisconsin—
S'agit-il d'un crime à caractère politique—Traité d'extradi-
tion entre le Canada et les É.-U.—Le juge n'a pas le pouvoir
d'en décider—Loi sur l'extradition, S.R. 1970, c. E-21, art.
16—Déclaration canadienne des droits, art. la), 2e).
Une demande a eté introduite en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale visant l'annulation d'un mandat
d'incarcération délivré par un juge d'extradition en vue de
l'extradition vers les États-Unis d'un fugitif poursuivi pour
incendie volontaire et meurtre dans l'État du Wisconsin.
Arrêt: la demande est rejetée:
1. L'article 16 de la Loi sur l'extradition permet l'admis-
sion d'affidavits à titre de preuve au cours d'une audience
d'extradition. Omettre d'accorder au fugitif la possibilité de
contre-interroger les déposants n'est pas un déni de l'appli-
cation régulière de la loi garantie par l'article 1 a) de la
Déclaration canadienne des droits ni de son droit, en vertu
de l'article 2e) de cette dernière, à une audition impartiale
selon les principes de justice fondamentale. Arrêts analysés:
Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889; University of Ceylon c.
Fernando [1960] 1 W.L.R. 223.
2. Si, comme en l'espèce, la preuve indique qu'il s'agit,
prima facie, d'un meurtre en vertu du droit canadien, le juge
d'extradition n'est pas tenu de déterminer la catégorie du
prétendu meurtre aux termes du droit du Wisconsin.
3. Étant donné les dispositions du traité d'extradition
entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et celles de la
Loi sur l'extradition, un juge d'extradition n'a pas le pouvoir
de décider que l'infraction dont on accuse un fugitif a un
caractère politique, ou que c'est pour cette raison que ce
crime n'entraîne pas l'extradition, ou de libérer le fugitif
pour ce motif. Arrêts analysés: In re Castioni [1891] 1 Q.B.
149; Re Siletti (1902) 71 L.J.K.B. 935; R. c. Governor of
Brixton Frison, ex parte Kolczynski [1955] 1 All E.R. 31; Re
Louis Levi (1897) 1 C.C.C. 74.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
C. Ruby et E. L. Greenspan pour le
requérant.
A. M. Cooper, c.r., pour les intimés.
PROCUREURS:
Pomerant, Pomerant et Greens pan,
Toronto, pour le requérant.
A. M. Cooper, Toronto, pour les intimés.
LE JUGE THURLOW—Il s'agit en l'espèce
d'une demande introduite en vertu de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale visant à obtenir
l'examen et l'annulation d'un mandat lancé en
vertu de la Loi sur l'extradition par le juge H.
Waisberg pour faire incarcérer le requérant,
Karleton Lewis Armstrong, en attendant son
extradition aux États-Unis pour être jugé sous
quatre accusations d'incendie volontaire et
d'une accusation de meurtre, infractions que
prévoient les lois de l'État du Wisconsin.
La demande est fondée sur sept motifs que
j'exposerai successivement et traiterai à tour de
rôle mais, avant de ce faire, il semble souhaita-
ble, vu certains arguments qui ont été présentés,
d'insister sur le fait qu'une demande introduite
en vertu de l'article 28 n'est pas un appel. Elle
ressemble par certains aspects à un appel sur
une question de droit, mais la Cour n'a pas le
pouvoir d'examiner la décision sur les questions
de fait dans une demande de ce genre, sauf dans
les limites prévues à l'article 28(1)c). Elle ne
peut pas non plus substituer son propre juge-
ment sur les questions de fait ni rendre la déci-
sion que le tribunal dont la décision est attaquée
aurait dû rendre. En outre, elle ne peut accorder
un redressement qu'en fonction des motifs
prévus à l'article 28, c'est-à-dire, en invoquant
que le tribunal dont la décision ou l'ordonnance
est contestée:
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu
sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire
ou sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance.
Le premier des sept points soulevés était une
prétendue erreur de droit du juge Waisberg qui
a accepté à titre de preuve les affidavits appor-
tés à l'appui des accusations sans permettre au
requérant de contre-interroger les auteurs de ces
affidavits. Selon le requérant, bien qu'à pre-
mière vue, l'article 16 de la Loi sur l'extradition
permette de recevoir de tels affidavits en preuve
et bien que, depuis 1877, la jurisprudence cana-
dienne confirme cette pratique, il est nécessaire
depuis la promulgation de la Déclaration cana-
dienne des droits de considérer l'article 16 ino-
pérant ou de l'interpréter de façon à ce que de
tels affidavits ne soient pas admissibles quand le
fugitif n'a pas eu la possibilité de contre-interro-
ger les déposants. On a fait valoir que si l'on
n'accorde pas cette possibilité, admettre les affi
davits constitue (1) en vertu de l'article la) de la
Déclaration canadienne' des droits, une trans
gression du droit du fugitif de jouir de sa liberté
et de ne s'en voir privé que par l'application
régulière de la loi; et (2) en vertu de l'article 2e)
de cette loi, une privation de son droit à une
audition impartiale de sa cause, selon les princi-
pes de justice fondamentale, , pour la définition
de ses droits.
Examinons tout d'abord l'article 1 a). Je ne
pense pas que la disposition de cet article rela
tive à l'«application régulière» de la loi, dans la
mesure où elle s'applique aux procédures d'ex-
tradition, puisse s'interpréter comme imposant
une procédure judiciaire différente ou plus pro-
tectrice que celle utilisée dans de telles procédu-
res avant l'adoption de cet article. Toutefois, il
faut envisager que les dispositions de l'article 2
ont pu greffer sur ce qu'on considérait jusque-là
comme étant l'«application régulière» de la loi,
des exigences plus grandes que celles qui préva-
laient antérieurement à l'égard de la protection
des droits de l'homme et des libertés fondamen-
tales de l'individu que reconnaît et sanctionne
l'article 1 a). (Voir dans l'arrêt Curr c. La Reine
[1972] R.C.S. 889, les jugements du juge Rit-
chie, page 914, et du juge Laskin, page 892.) Si
l'article 2e) a imposé de nouvelles exigences qui
n'ont pas été observées, la procédure peut ne
pas être une «application régulière» de la loi au
sens de l'article 1 a) mais, s'il n'en impose pas, il
ne me semble pas qu'on puisse soutenir qu'il n'y
a pas eu une «application régulière» de la loi si
l'on a suivi la procédure judiciaire établie. A
mon avis, la question de fond à résoudre quant à
la Déclaration des droits consiste donc à déter-
miner si la procédure établie implique un déni
du drpit du requérant à «une audition impartiale
de sa cause, selon les principes de justice fonda-
mentale, pour la définition de ses droits et obli
gations», que lui confère l'article 2e).
A mon avis, dans une affaire de ce genre,
cette expression n'a pas un sens fondamentale-
ment différent de celui de l'expression «un prin-
cipe de justice naturelle» de l'article 28(1)a) de
la Loi sur la Cour fédérale. Ces deux expres
sions supposent une procédure respectant cer-
tains principes tels la notification de la nature de
l'accusation à la personne concernée et la com
munication des faits sur lesquels se fonde l'ac-
cusation. Elles supposent en outre qu'on donne
à cette personne l'occasion de présenter sa
défense avant qu'une décision relative à ses
droits et obligations ne soit rendue. On a sou-
vent dit que de telles règles n'exigent pas néces-
sairement un procès formel ou des procédures
judiciaires et il est manifeste qu'on détermine,
en fonction de chaque situation particulière, ce
qui est nécessaire pour respecter les principes
en question. On trouve un résumé utile de ces
principes dans la décision du Conseil privé dans
l'affaire University of Ceylon c. Fernando
[1960] 1 W.L.R. 223 à la page 231. Dans cette
affaire, relative au droit de contre-interroger,
Lord Jenkins a déclaré:
[TRADUCTION] Par conséquent (sauf la question subsi-
diaire relative à la compétence des tribunaux du Ceylan de
prononcer un jugement déclaratoire dans une affaire de ce
genre), le présent appel soulève seulement la question de
savoir si l'on a mené cette enquête en tenant compte des
droits que les principes de justice naturelle attribuent au
demandeur en sa qualité de personne visée par cette
enquête.
Ces droits ont été définis de façons diverses dans un
grand nombre d'affaires couvrant un vaste domaine. Sans
examiner longuement tous ces précédents, leurs Seigneuries
veulent toutefois souligner que la question de savoir si l'on a
respecté les règles de la justice naturelle par la procédure
adoptée dans une affaire donnée doit dépendre dans une
large mesure des faits et, des circonstances de l'affaire en
question. Comme le Lord juge Tucker déclarait dans l'arrêt
Russell c. Duke of Norfolk (1948) 65 T.L.R. 225, à la p. 231:
A mon avis, il n'existe pas de termes universellement
applicables à tous les genres d'enquêtes et à tous les
genres d'organismes disciplinaires. Les exigences de la
justice naturelle doivent dépendre des circonstances de
l'affaire, de la nature de l'enquête, des règles régissant les
tribunaux, de l'objet du litige, etc.
Dans un arrêt antérieur, General Medical Council c. Spack-
man [1943] A.C. 627, à la p. 638, Lord Atkin a exprimé un
point de vue semblable dans les termes suivants:
Sans aucun doute, il existe certaines analogies entre les
différentes procédures de cet organisme et celles d'autres
organismes quasi judiciaires; mais je ne pense pas que la
procédure qui peut être très appropriée quand il s'agit de
décider de fermer une école ou une maison insalubre, l'est
nécessairement quand il s'agit de juger une accusation de
conduite infamante contre un membre d'une profession
libérale. Je m'oppose donc à l'idée que les termes
employés par Lord Loreburn dans l'arrêt Board of Educa
tion c. Rice [1911] A.C. 179, à la p. 182, constituent un
guide complet sur les procédures que le General Medical
Council doit suivre dans l'exercice de ses fonctions.
En tenant compte de ces réserves quant à l'utilité de
définitions générales dans cette branche du droit, il semble à
leurs Seigneuries que la célèbre déclaration de Lord Lore-
burn dans l'affaire Board of Education c. Rice offre malgré
tout une définition générale aussi bonne que possible de la
nature et des limites des règles de la justice naturelle dans ce
genre d'affaire. Le vicomte Haldane, lord chancelier, qui
cite en approuvant un extrait de cette affaire, en expose les
effets de façon commode dans un extrait de l'arrêt Local
Government Board c. Arlidge [1915] A.C. 120, aux pp. 132
et 133. Il déclare en effet:
Je partage l'opinion exprimée dans une affaire analogue
par mon savant et noble ami Lord Loreburn. Dans l'arrêt
Board of Education c. Rice, il a déclaré qu'en statuant sur
une question faisant l'objet d'un appel devant le Board of
Education, ce dernier était tenu d'agir de bonne foi et
d'entendre équitablement les deux parties. C'est en effet
un devoir incombant à quiconque statue sur une question.
Mais il ajoute par la suite qu'il ne pensait pas que le
Conseil fût tenu de traiter une question comme s'il s'agis-
sait d'un procès. Le Conseil n'avait pas le pouvoir de faire
prêter serment et n'était pas tenu d'interroger des témoins.
Il estimait qu'il pouvait obtenir des renseignements de la
façon qu'il croyait la plus appropriée, tout en accordant
toujours une occasion raisonnable aux parties au litige de
corriger ou de contredire toute déclaration pertinente pré-
judiciable à leur point de vue.
Parmi les multiples autres déclarations qu'on pourrait
citer, leurs Seigneuries ont choisi la déclaration succincte
tirée d'une décision de cette cour dans l'affaire De Verteuil
c. Knaggs [1918] A.C. 557, à la p. 560:
Leurs Seigneuries estiment qu'au cours d'une enquête de
ce genre, en l'absence de circonstances particulières, on
doit accorder à toute personne contre qui une plainte est
portée l'occasion raisonnable de faire les déclarations
pertinentes qu'elle peut désirer faire, et de corriger ou de
discuter toute déclaration pertinente faite à son détriment.
La dernière déclaration générale relative aux règles de la
justice naturelle à laquelle leurs Seigneuries se réfèrent en
l'approuvant, est celle du juge Harman (tel était alors son
titre) dans l'arrêt Byrne c. Kinematograph Renters Society
Ltd., [1958] 1 W.L.R. 762, à la p. 784. Le savant juge
déclarait en l'espèce:
Quelles sont donc les règles de la justice naturelle dans
une affaire de ce genre? Tout d'abord, j'estime que l'ac-
cusé devrait connaître la nature de l'accusation portée
contre lui; en deuxième lieu, il devrait avoir la possibilité
de présenter sa cause; en troisième lieu, il va de soi que le
tribunal doit agir de bonne foi. Pour ma part, je ne pense
vraiment pas que cela implique autre chose.
Le problème précis soulevé en l'espèce est
celui de l'application de ces principes aux procé-
dures d'extradition dans lesquelles la preuve de
la perpétration d'un prétendu crime entraînant
l'extradition est apportée par affidavit sans que
le fugitif ait l'occasion de contre-interroger le
signataire.
Quant aux deuxième, troisième et quatrième
facteurs dont dépendent les exigences de justice
naturelle suivant le passage cité par Lord Jen-
kins tiré de l'arrêt Russell c. Duke of Norfolk, il
convient de remarquer qu'au cours des procédu-
res devant un juge d'extradition, la nature de
l'enquête qu'on doit mener, les règles en vertu
desquelles le tribunal doit statuer et l'objet des
procédures sont des questions prévues par la
loi. La loi prévoit que le juge d'extradition doit
entendre la cause de la même manière, autant
que possible, que si le fugitif était traduit devant
un juge de paix sous accusation d'un acte crimi-
nel commis au Canada. La procédure ne vise
donc pas à démontrer la culpabilité ou l'inno-
cence du prévenu, mais elle a la nature d'une
enquête. Le juge d'extradition doit recevoir
sous serment le témoignage de tout témoin,
offert pour prouver la vérité de l'accusation; de
la même manière, il doit recevoir tout témoi-
gnage offert pour prouver que le crime dont le
fugitif est accusé est une infraction de nature
politique, ou n'est pas, pour quelque autre
motif, un crime entraînant l'extradition, ou que
les procédures sont exercées dans le but de le
poursuivre ou de le punir pour une infraction de
nature politique. En ce qui concerne tout témoin
à charge, rien ne permet de douter que, dans
cette procédure, le fugitif ait le droit de le
contre-interroger comme le permet l'article
468(1)a) du Code criminel. Toutefois, ce droit
de contre-interroger ne tire pas son origine des
règles de la justice naturelle mais de la loi;
l'ensemble de la procédure relative aux enquê-
tes préliminaires est d'origine législative et le
droit de contre-interroger lors d'une enquête
préliminaire n'existe que dans la mesure où la
loi le prévoit. Il est possible d'admettre d'autres
types de dépositions qui ne peuvent pas faire
l'objet d'un contre-interrogatoire au cours des
enquêtes préliminaires et, bien que la Loi sur
l'extradition prévoie que la procédure doive se
conformer à celle d'une enquête préliminaire,
elle ne doit le faire que dans la mesure du
possible. En outre, la loi prévoit expressément
l'utilisation au cours de ces procédures d'affida-
vits prouvant le prétendu crime. S'il s'agissait de
procédures ayant la nature d'un procès portant
sur la culpabilité ou sur l'innocence du prévenu,
on pourrait invoquer que l'absence du droit ou
de la possibilité de soumettre la preuve des
requérants à l'épreuve du contre-interrogatoire
est une objection sérieuse à l'équité et à la
justice d'une telle règle, mais, comme je l'ai déjà
souligné, telle n'est pas la situation ici. L'audi-
tion est une simple enquête et ce n'est pas sur la
culpabilité ou l'innocence du fugitif que le juge
d'extradition doit statuer, mais sur la question
de savoir si la preuve soumise justifie sa déten-
tion préventive. Par la lecture des affidavits
déposés, le fugitif a le droit de prendre connais-
sance des faits dont on l'accuse qui pourraient
justifier qu'on ordonne son extradition pour
qu'il passe en jugement. Il n'est toutefois pas
tenu de répondre à l'accusation et, même s'il
choisit de le faire, en présentant des preuves ou
d'une autre façon, la fonction du juge reste la
même. Il n'a pas le pouvoir de statuer au fond
sur la culpabilité ou l'innocence ou sur la crédi-
bilité des témoins, mais simplement de détermi-
ner s'il existe une cause justifiant l'incarcération
du fugitif. C'est au juge du procès qu'il revient
de juger et de fixer les droits du fugitif relative-
ment à l'accusation.
Compte tenu de ces éléments particuliers de
la procédure d'extradition, des règles en vertu
desquelles le tribunal statue et de l'objet de la
procédure, il ne me semble pas que le fait de ne
pas accorder à un fugitif l'occasion de contre-
interroger les déposants constitue un déni de
justice naturelle ou fondamentale. On porte à sa
connaissance ce à quoi il devra faire face lors de
son procès et il a la possibilité de présenter, s'il
le désire, son point de vue sur la question ainsi
que souligner les faiblesses ou les lacunes de la
preuve déposée et insister sur les motifs pour
lesquels il ne devrait pas être jugé dans l'État
requérant. A mon avis, on doit considérer l'exis-
tence d'une convention d'extradition avec le
pays recherchant l'extradition comme une
reconnaissance par notre pays de l'équité fonda-
mentale des procédures judiciaires du pays
requérant pour statuer sur la culpabilité ou l'in-
nocence du fugitif.
J'en viens maintenant au premier des facteurs
dont, suivant le passage tiré de l'arrêt Russell c.
Duke of Norfolk, dépendent les exigences de la
justice naturelle. La procédure d'extradition ne
permet pas d'établir la culpabilité du fugitif hors
de tout doute raisonnable, Il ne faut pas consi-
dérer cette procédure comme étant une procé-
dure dans laquelle les techniques qui jouent un
rôle important dans le procès criminel, pour la
réfutation de la thèse de l'accusation, soient
appropriées ou nécessaires. La réfutation de la
thèse de l'accusation au moyen d'un contre-
interrogatoire réussi des témoins à charge est de
première importance quand on juge la question
de l'innocence ou de la culpabilité. Ceci est
particulièrement important quand la question
tourne autour du point de savoir si l'on doit
croire le témoignage des témoins à charge de
préférence à celui des témoins de la défense.
Aucune question de ce genre ne se posait ou ne
pouvait se poser. On n'avait pas à décider de la
culpabilité ou de l'innocence du fugitif, en outre,
le juge d'extradition n'avait pas eu à trancher
entre une dénégation de culpabilité de la part de
la défense et les preuves contenues dans les
affidavits en question. En conséquence, je ne
pense pas que le fait de ne pas avoir accordé au
requérant l'occasion de contre-interroger ceux
qui ont demandé l'extradition dans la procédure
qui nous est soumise, constitue un manquement
aux principes de justice naturelle au sens de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale ou aux
«principes de justice fondamentale, pour la défi-
nition de ses droits» au sens de la Déclaration
canadienne des droits.
Les deuxième et troisième arguments soule-
vés par le requérant portent sur l'accusation de
meurtre. On peut les examiner ensemble. Il
s'agit du prétendu homicide du Dr Robert Fass-
nacht qui se trouvait dans l'édifice Sterling Hall
quand le requérant, et trois autres personnes,
ont prétendument fait exploser une bombe
d'une puissance équivalente à 3,400 bâtons de
dynamite après l'avoir placée sur une rampe
adjacente à l'édifice, causant ainsi de graves
dommages au bâtiment et la mort du Dr Fass-
nacht. Quelques minutes avant l'explosion, quel-
qu'un a téléphoné le message suivant à la police
de Madison:
[TRADUCTION] Bande de salauds, écoutez, écoutez bien. Il y
a une bombe dans le Centre de recherches mathématiques
de l'Armée à l'Université. Elle doit exploser dans cinq
minutes. Faites évacuer le bâtiment, que tout le monde
sorte, avertissez l'hôpital. C'est pas de la blague.
Il existe un commencement de preuve que le
requérant était une des personnes directement
impliquées et responsables de l'affaire de la
bombe. On détient aussi la preuve que le Dr
Fassnacht se trouvait soit dans son laboratoire
soit tout près, au rez-de-chaussée du bâtiment,
près de l'endroit où la bombe a explosé, que les
lumières étaient allumées dans son laboratoire
et que, du rez-de-chaussée, on pouvait voir l'in-
térieur du laboratoire par les fenêtres. En outre,
la preuve indique qu'au Wisconsin, on fait une
distinction entre l'homicide volontaire, appelé
meurtre du premier degré et l'homicide par suite
d'une conduite éminemment dangereuse pour
les autres et notant un esprit dépravé et peu
soucieux de la vie humaine, appelé meurtre du
second degré, d'une part, et l'homicide se pro-
duisant au cours de la perpétration d'un complot
ou d'une tentative de complot entraînant comme
conséquence naturelle la mort d'autres person-
nes, appelé meurtre du troisième degré, d'autre
part. En outre, la peine maximale qui peut être
imposée varie selon le degré du meurtre.
Selon le requérant, le savant juge a commis
deux erreurs, la première en refusant de décider
si la preuve était suffisante pour justifier l'extra-
dition du requérant d'après l'accusation précise
pour laquelle on demandait l'extradition, savoir
un meurtre du premier degré, et la deuxième en
décidant que les faits allégués établissaient un
commencement de preuve d'homicide d'après le
droit canadien.
A mon avis, le fait de placer et de faire
exploser une bombe dans les circonstances
révélées par la preuve, à proximité d'un bâti-
ment où il est probable qu'il y ait des gens,
constitue une preuve d'après laquelle un jury
canadien pourrait tirer deux types de conclu
sions. D'une part, l'auteur avait l'intention de
causer la mort des personnes qu'il savait être
dans le bâtiment ou dans le voisinage; le mes
sage envoyé à la police de Madison dont l'avo-
cat du requérant cherchait à tirer des conclu
sions favorables à son client indique, si on le
prend littéralement, qu'il savait qu'il y avait des
personnes dans le bâtiment au moment où il a
placé la bombe. D'autre part, les auteurs
savaient ou auraient dû savoir que le fait de
placer la bombe et de la faire exploser dans le
but illégal de détruire le bâtiment pouvait entraî-
ner la mort des personnes se trouvant dans le
bâtiment ou aux abords de ce dernier. Dans les
deux cas, le jury aurait la possibilité de rendre
un verdict de meurtre. A mon avis, la prétention
du requérant selon laquelle les faits n'auraient
pas entraîné sa détention préventive sous une
accusation de meurtre au Canada n'est pas
fondée et, selon moi, rien dans l'arrêt R. c.
Hughes (1951) 84 C.L.R. 170, sur lequel l'avo-
cat du requérant s'appuyait, ne peut servir le
point de vue du requérant.
Je ne pense pas non plus que la prétention
selon laquelle le savant juge aurait dû détermi-
ner la catégorie du prétendu meurtre selon le
droit du Wisconsin soit fondée. Le traité prévoit
l'extradition pour meurtre et l'article 18(1)b) de
la Loi sur l'extradition prévoit que le juge d'ex-
tradition décidera de procéder à l'incarcération
lorsqu'il est produit une preuve d'un crime
entraînant l'extradition qui, d'après le droit
canadien, sous réserve de la Partie I de la loi,
justifierait sa détention préventive si le crime
avait été commis au Canada. Le crime entraî-
nant l'extradition est en l'espèce l'homicide du
Dr Fassnacht. Étant donné que la preuve établi-
rait au premier abord une cause d'action si
l'homicide s'était produit au Canada, à mon
avis, la condition prévue à l'article 18(1)b) est
satisfaite. Il revient donc aux tribunaux du Wis-
consin de décider de quelle catégorie de meur-
tre, le cas échéant, la prétendue infraction
relève en vertu du droit de cet État et le juge
d'extradition n'était en aucune façon tenu de
statuer sur ce point. Sans aucun doute, il pour-
rait arriver qu'un État requérant prétende qu'il y
a meurtre d'après son droit pénal et que ceci ne
revienne pas à un acte criminel au sens du traité
d'extradition. Si, par exemple, ce droit prévoyait
que le meurtre incluait le simple fait d'aider le
meurtrier après coup, à mon avis, il ne s'agirait
pas d'un meurtre en vertu de la loi canadienne
et ce cas ne remplirait pas la condition prévue à
l'article 18(1)b). En l'espèce, le savant juge a
expressément établi qu'à la fois le meurtre et
l'incendie volontaire sont des crimes au Canada
et au Wisconsin et que ces crimes sont fonda-
mentalement les mêmes dans les deux pays. A
la lecture des motifs du savant juge, il appert
qu'il a aussi établi que la preuve était suffisante
pour justifier la détention préventive du requé-
rant pour le crime de meurtre comme l'expose la
pièce 2 qui (à la page 153 du dossier d'appel) se
rapporte à cet égard au meurtre du premier
degré prévu à l'article 940.01(1) de la codifica
tion des lois du Wisconsin. Comme je l'ai déjà
indiqué, il me semble que la preuve était telle
qu'un jury aurait à juste titre établi que le meur-
tre du D' Fassnacht était un homicide volon-
taire, donc un meurtre du premier degré en
vertu des lois du Wisconsin. Je ne pense pas
qu'on puisse soutenir que la même preuve ne
justifie pas l'incarcération préventive pour
meurtre du premier degré. Je ne pense pas non
plus qu'il incombait au savant juge d'aller plus
avant et de décider de quelle autre catégorie de
meurtre l'homicide du a Fassnacht pouvait
relever en vertu des lois du Wisconsin.
Le quatrième argument du requérant était que
le savant juge a commis une erreur en refusant
d'admettre en preuve une certaine partie du
témoignage de Philip Ball relative à une conver
sation qu'il avait eue avec le requérant au cours
de l'automne 1969. On a soutenu que cette
conversation pouvait servir à prouver l'état
d'esprit du requérant et, bien qu'elle se rapporte
à son point de vue sur un problème donné entre
un certain propriétaire et son locataire, elle
aurait établi l'état d'esprit du requérant en ce
qui concerne ses opinions politiques et son avis
sur la façon dont on pourrait apporter des chan-
gements aux États-Unis d'Amérique conformé-
ment à ses opinions politiques. Ceci aurait ainsi
démontré que les infractions en question avaient
un motif politique. A l'appui de la demande
d'admission en preuve de la déclaration en ques-
tion, on a fait valoir qu'il ressortait de l'exposé
de l'accusation que la thèse du requérant sui-
vant laquelle ces infractions étaient de nature
politique était une invention récente et que cette
déclaration était admissible pour réfuter cette
insinuation.
A mon avis, c'est à bon droit que le savant
juge a refusé d'admettre une telle conversation
en preuve.
Il n'y avait aucune raison de recevoir, à la
demande du requérant, une déclaration qu'il
avait faite plusieurs mois avant la première des
infractions en question, comme preuve de son
état d'esprit ou de ses motivations à ce
moment-là ou à l'égard du sujet de la déclara-
tion. Il y avait encore moins de raisons de
l'admettre à titre de preuve de son état d'esprit,
de ses buts ou de sa motivation plusieurs mois
plus tard et à l'égard d'un sujet différent. En
outre, puisque la poursuite n'a produit aucune
déclaration du requérant qui soit admissible et
puisque le requérant n'a pas apporté de preuves
de sa motivation, de son état d'esprit ou de ses
buts au moment des infractions en question, la
poursuite n'a pas soutenu ou n'a pu soutenir, en
utilisant les preuves apportées, l'argument sui-
vant lequel la version du requérant était une
invention récente.
Selon le cinquième argument, le savant juge a
commis une erreur de droit en acceptant la
contre-preuve soumise par la poursuite après
que le requérant eut présenté sa preuve. L'argu-
ment avancé sur ce point se fondait sur le fait
que, bien que le savant juge ait le pouvoir
discrétionnaire de permettre cette contre-
preuve, il n'aurait pas dû le faire parce qu'il était
évident, lorsque la poursuite avait présenté sa
preuve principale, qu'on soulevait la question de
la nature politique des infractions; la preuve
détenue par l'accusation sur cette question
aurait donc dû être présentée à ce stade plutôt
qu'en contre-preuve. A notre avis, aucun des
arguments avancés ne nous permet d'intervenir
dans l'usage qu'a fait le juge de son pouvoir
discrétionnaire et cette prétention n'est aucune-
ment fondée, ce que nous avons souligné à
l'audition en ne demandant pas à l'avocat de
l'État du Wisconsin de plaider cette question.
Ceci m'amène à la principale question en
litige dans cette affaire, à savoir, déterminer si
les infractions en question étaient de nature
politique au sens de la Loi sur l'extradition. Les
conclusions du savant juge portant que les
infractions n'étaient pas de caractère politique
ont été contestées dans les paragraphes 6 et 7
comme étant erronées en droit
[TRADUCTION] a) en ce que le savant juge a refusé de
recevoir la preuve incontestée présentée par la défense
selon laquelle les crimes étaient de nature politique et a
par là même fondé sa décision ou ordonnance sur une
conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments
portés à sa connaissance; et
b) en ce qu'en décidant que les crimes n'étaient pas de
nature politique, il a refusé d'exercer sa compétence
prévue à l'article 21 de la Loi sur l'extradition.
Voici l'article en question:
21. Nul fugitif ne peut être extradé en vertu de la présente
Partie, s'il apparaît
a) que le crime au sujet duquel des procédures sont
exercées, en vertu de la présente Partie, présente un
caractère politique, ou
b) que ces procédures sont exercées en vue de le mettre
en jugement ou de le punir pour une infraction qui revêt
un caractère politique.
L'avocat du requérant a plaidé les deux argu
ments ensemble et, à mon avis, c'est simplement
deux façons de présenter la même prétention,
savoir, que les conclusions du savant juge por-
tant que les infractions en question ne présen-
taient pas un caractère politique étaient erro-
nées et tirées de façon absurde ou arbitraire ou
sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance. Toutefois, on n'a pas contesté la
conclusion du savànt juge selon laquelle les
procédures n'avaient pas été exercées pour
poursuivre le requérant ou le punir d'une infrac
tion à caractère politique et, au cours de la
plaidoirie, l'avocat du requérant a préèisé qu'il
n'attaquerait en aucune façon cette conclusion
particulière du savant juge.
Au cours de l'audition des plaidoiries sur
cette question, la Cour a en outre soulevé la
question de savoir si le savant juge était compé-
tent pour déterminer le caractère politique des
prétendues infractions ou pour élargir le requé-
rant s'il était d'avis que le caractère politique
des offenses avait été démontré. Sur ce point,
l'avocat du requérant a estimé que le juge d'ex-
tradition détenait une telle compétence. L'avo-
cat de l'État du Wisconsin a soutenu que le juge
ne détenait pas cette compétence, mais il a
indiqué qu'il préférait que cette Cour statue en
confirmant la conclusion du savant juge au
fond.
Puisqu'il existe une convention d'extradition
entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, à
mon avis, le droit applicable est prévu à l'article
3 de la Loi sur l'extradition qui est rédigé de la
façon suivante:
3. Dans le cas de tout État étranger avec lequel il existe
une convention d'extradition, la présente Partie s'applique
durant l'existence de cette convention; mais nulle disposi
tion de la présente Partie incompatible avec quelqu'une des
conditions de la convention n'a d'effet à l'encontre de la
convention; et la présente Partie doit se lire et s'interpréter
de façon à faciliter l'exécution de la convention.
L'article 10 du Ashburton Treaty, 1842, pré-
voyait que:
ARTICLE X
Il est convenu que Sa Majesté britannique et les États-
Unis, sur demande mutuelle faite respectivement par eux ou
leurs Ministres, fonctionnaires ou autorités, livreront à la
justice toute personne qui, accusée du crime de meurtre, ou
de tentative de meurtre, ou de piraterie, ou d'incendie, ou de
vol, ou de faux, ou d'usage d'un, document faux, commis
dans les limites de la juridiction de l'un, cherchera asile ou
sera trouvée dans les territoires de l'autre; cela, toutefois,
seulement s'il existe une preuve de criminalité qui, sous le
régime des lois du lieu où le fugitif ou la personne ainsi
accusée aura été trouvé, justifierait son arrestation et sa
mise en accusation si le crime ou délit avait été commis dans
ce lieu; les juges et autres magistrats des deux Gouverne-
ments, respectivement, auront le pouvoir, la compétence et
l'autorité, en recevant une plainte faite sous serment,
d'émettre un mandat d'arrestation contre le fugitif ou la
personne ainsi accusée, afin qu'il puisse être amené devant
lesdits juges ou autres magistrats, respectivement, pour que
soient entendues et examinées les preuves de criminalité; si,
à l'audition, les preuves sont estimées suffisantes pour sou-
tenir l'accusation, le juge ou magistrat d'instruction devra le
certifier à l'autorité exécutive compétente, afin que soit émis
un mandat en vertu duquel ledit fugitif sera livré. Les frais
de l'arrestation et de la reddition seront supportés et acquit-
tés par la partie qui aura fait la demande et à qui le fugitif
aura été livré.
Cet accord a précédé l'introduction dans la
Loi sur l'extradition de 1877 du précurseur de
l'article 21 actuel prévoyant que les fugitifs
accusés d'infractions politiques ne seraient pas
extradés et l'introduction dans le traité de 1889
de dispositions relatives à cette question. Les
dispositions du traité sont rédigées ainsi:
ARTICLE II
Les criminels ne devront pas être livrés si le délit moti-
vant la demande d'extradition présentée à leur sujet est de
caractère politique ou si l'intéressé prouve que la demande
d'extradition a été en fait présentée afin de le mettre en
jugement ou de le punir pour un délit d'un caractère
politique.
Nul, après avoir été livré par une Haute Partie Contrac-
tante à l'autre Haute Partie Contractante, ne sera susceptible
d'être mis en jugement, ni ne sera jugé, ni ne sera puni pour
un crime ou délit politique ou pour un acte s'y rattachant,
qu'il aurait commis antérieurement à son extradition.
S'il s'élève un doute quant à l'application à un cas donné
des dispositions du présent Article, la décision des autorités
du Gouvernement sous la juridiction duquel le fugitif se
trouvera alors sera finale.
ARTICLE III
Nul, après avoir été livré par ou à l'une des Hautes Parties
Contractantes, ne sera susceptible d'être jugé ni ne sera jugé
pour un crime ou délit commis avant son extradition et autre
que le délit pour lequel il aura été livré, avant d'avoir pu
rentrer au pays d'où il aura été livré.
Il semble ressortir du deuxième alinéa du
texte précédent qu'on peut très bien soulever le
caractère politique d'une infraction à titre de
défense lors du procès dans l'État requérant,
même si l'on ne pouvait s'en prévaloir si la
compétence de l'État provenait d'autre chose
que de l'extradition du Canada. Mais que cela
constitue ou non une défense au procès, il me
semble qu'aucune clause du traité n'oblige ni
n'autorise un juge d'extradition à statuer sur la
question. C'est la preuve de la commission de
l'infraction qu'il doit examiner et il doit détermi-
ner si elle est suffisante pour justifier l'accusa-
tion. Si la preuve est suffisante, il doit incarcé-
rer la personne.
A l'article 9, la loi elle-même autorise tous les
juges désignés à «agir judiciairement dans les
affaires d'extradition sous l'autorité de la pré-
sente Partie» et, à cette fin, elle les revêt «de
tous les pouvoirs et de la juridiction d'un juge
ou magistrat de la province». Toutefois, elle
prévoit aussi que rien dans ledit article ne peut
s'interpréter de façon à conférer à un juge com-
pétence dans les affaires d'habeas corpus. Les
articles 13, 14, 15, 18 et 19 de la Loi sur
l'extradition prévoient précisément ce qu'un
juge doit faire dans l'exercice de ses fonctions.
Ces articles sont ainsi rédigés:
13. Le fugitif doit être amené devant un juge, qui, sous
réserve de la présente Partie, entend la cause, de la même
manière, autant que possible, que si le fugitif était traduit
devant un juge de paix sous accusation d'un acte criminel
commis au Canada.
14. Le juge reçoit sous serment ou affirmation, si l'affir-
mation est permise par la loi, le témoignage de tout témoin
offert pour prouver la vérité de l'accusation ou le fait de la
déclaration de culpabilité.
15. Le juge reçoit, de la même manière, tout témoignage
offert pour prouver que le crime dont le fugitif est accusé,
ou dont on allègue qu'il a été convaipcu, est une infraction
d'une nature politique, ou n'est pas, pour quelque autre
motif, un crime entraînant l'extradition, ou que les procédu-
res sont exercées dans le but de le poursuivre ou de le punir
pour une infraction d'une nature politique.
18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcé-
rer le fugitif . dans la prison convenable la plus rapprochée,
afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État
étranger ou élargi conformément à la loi,
a) dans le cas d'un fugitif que l'on prétend avoir été
convaincu d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est
produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sous
réserve de la présente Partie, établirait qu'il a été con-
vaincu de ce crime, et
b) dans le cas d'un fugitif accusé d'un crime entraînant
l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après
la loi du Canada, sauf les dispositions de la présente
Partie, justifierait son incarcération préventive, si le crime
avait été commis au Canada.
(2) Lorsque cette preuve n'est pas produite, le juge
ordonne qu'il soit élargi.
19. Si le juge fait incarcérer un fugitif, il doit lors de cette
incarcération,
a) l'informer qu'il ne sera pas extradé avant l'expiration
de quinze jours, et qu'il a le droit de demander un bref
d'habeas corpus, et
b) transmettre au ministre de la Justice un certificat de
cette incarcération, avec copie de la preuve reçue par lui
et non déjà ainsi transmise, et le rapport qu'il juge conve-
nable sur l'affaire.
Il convient de remarquer qu'alors que l'article
15 oblige le juge d'extradition à recevoir tout
témoignage offert pour prouver le caractère
politique d'une infraction etc., aucune de ces
dispositions ne lui donne le pouvoir de trancher
cette question. D'autre part, étant donné la défi-
nition que donnent l'article 2 et la convention
d'extradition entre le Canada et les États-Unis,
on doit considérer en l'espèce que l'expression
«crime entraînant l'extradition» figurant dans
ces articles signifie «tout crime décrit dans cette
convention». Quand on lit les articles 13, 14, 15,
18 et 19 avec cette définition à l'esprit, il ne me
semble pas que le juge d'extradition soit auto-
risé à décider si l'infraction a un caractère politi-
que ou que, pour cette raison, il ne s'agit pas
d'un crime entraînant l'extradition, ou à élargir
le fugitif pour ce motif.
En outre, sans être vraiment incompatible
avec la jurisprudence, le pouvoir du juge d'ex-
tradition d'élargir le fugitif pour un tel motif
n'est pas facilement conciliable avec cette der-
nière. Plusieurs arrêts ont été cités dans la déci-
sion de cette Cour dans cette même affaire
relativement à sa compétence en vertu de l'arti-
cle 28. Cette jurisprudence indique qu'un fugitif
élargi par un juge d'extradition est susceptible
d'être à nouveau arrêté et d'être soumis à de
nouvelles procédures d'extradition et, éventuel-
lement, à une incarcération en vue d'extradition
par un autre juge d'extradition à l'égard de la
même infraction et d'après la même preuve. Il
pourrait en résulter que la question du caractère
politique de l'infraction donne lieu à des déci-
sions de différents juges d'extradition devant
qui l'affaire pourrait être portée. Il me semble
plus compatible et plus facilement conciliable
avec la jurisprudence que j'ai mentionnée, de
considérer les dispositions exigeant que le juge
d'extradition reçoive tout témoignage offert
pour prouver que le crime était un crime de
caractère politique comme exigeant que le juge
reçoive ces témoignages dans le but de les con-
signer à l'usage du ministre de la Justice ou d'un
tribunal ayant compétence pour statuer sur la
question.
Le juge Hawkins a longuement étudié la ques
tion dans ses motifs de l'affaire In re Castioni
[1891] 1 Q.B. 149, où il déclarait, à la page 161:
[TRADUCTION] De plus, au sujet de la question de savoir si
le magistrat a le droit d'entendre une personne et d'examiner
ses objections à sa détention préventive pour un crime
entraînant l'extradition, je n'ai aucun doute que le magistrat
n'a ni le droit, ni la compétence de rendre une décision
définitive concernant la culpabilité du prisonnier ou le carac-
tère politique de. l'infraction. Je désire attirer l'attention sur
certaines dispositions de l'Extradition Act. Tout d'abord, en
vertu de l'art. 3, un criminel fugitif ne doit pas être extradé
si l'infraction au sujet de laquelle son extradition est requise
a un caractère politique, comme la trahison et d'autres
infractions, ou s'il prouve de façon satisfaisante au magistrat
de police que la requête visant son extradition a en fait été
introduite dans le but de le juger pour une infraction à
caractère politique. Ces derniers mots tendent sans aucun
doute à montrer que sir Charles Russell avait tort de consi-
dérer qu'il incombait à ceux qui demandaient l'extradition de
démontrer que l'infraction commise n'avait pas un caractère
politique, car elle incombe à la personne qui cherche à être
élargie pour le motif qu'en fait on requiert son extradition
dans le but de la punir pour une infraction à caractère
politique; c'est au criminel présumé qu'il incombe de faire
cette preuve. Ensuite, il me semble que les art. 9 et 10 ont
un certain rapport avec la question du caractère politique de
l'infraction dont on accuse une personne. Tout d'abord,
l'article 9 prévoit que «Quand le criminel fugitif est traduit
devant le magistrat de police, ce dernier a autant que possi
ble la même compétence et les mêmes pouvoirs que si le
prisonnier était traduit devant lui sous une inculpation d'un
acte criminel commis en Angleterre et il doit entendre la
cause de la même manière.» S'il était traduit devant un
magistrat sous accusation d'un délit criminel commis en
Angleterre, la question de savoir si l'infraction pour laquelle
il est poursuivi a un caractère politique n'entraînerait aucune
différence. Mais, en vertu de cet article, le magistrat doit le
traiter comme si l'infraction qui lui est imputée était un acte
criminel commis en Angleterre. Par la suite, l'article prévoit
aussi que «le magistrat de police doit» non pas décider si
l'infraction a un caractère politique, mais il «doit recevoir
toute preuve qu'on peut apporter pour prouver que le crime
dont le prisonnier est accusé ou dont on allègue qu'il a été
convaincu, est une infraction à caractère politique ou n'est
pas un crime entraînant l'extradition.» Il me semble que la
façon dont cette partie de l'article 9 est rédigée indique que
la charge de la preuve incombe à la personne qui cherche à
se faire disculper ou à se faire dispenser de l'obligation
d'être remis au gouvernement sur le territoire duquel le
crime a été commis. A l'appui de ce que je vais dire sur la
compétence du magistrat, je trouve l'art. 10 qui, à mon avis,
est de première importance: «Dans le cas d'un criminel
fugitif accusé d'un crime entraînant l'extradition, si le
mandat étranger autorisant l'arrestation d'un tel criminel est
régulièrement légalisé, et qu'on présente des preuves qui
(sous réserve des dispositions de la loi) selon le droit anglais,
justifieraient l'incarcération préventive du prisonnier si le
crime dont il est accusé avait été commis en Angleterre, le
magistrat de police doit l'incarcérer; s'il en est autrement, il
doit ordonner son élargissement.» Ces articles ne semblent
pas accorder au magistrat lui-même le pouvoir de traiter ces
questions d'une façon autre que la suivante: il doit examiner
si le crime est un crime qui, s'il avait été commis en Angle-
terre, aurait nécessairement impliqué que le juge, dans l'exer-
cice de ses fonctions, fasse incarcérer la personne. Si c'est le
cas, il doit la faire incarcérer; mais, comme je l'ai déjà
indiqué, l'art. 9 l'oblige à recevoir toute preuve qui peut être
offerte pour prouver que le crime est de caractère politique.
Cette exigence est analogue aux dispositions du Russell
Gurney's Act (30 et 31 Vict., c. 35) selon lesquelles, si un
prévenu désire appeler des témoins à l'appui de la défense
qu'il a l'intention de présenter quand il sera traduit en
justice, il incombe au magistrat de recevoir cette preuve et
de la transmettre au tribunal devant lequel le prisonnier sera
en définitive traduit. A l'appui de mon point de vue, je
trouve l'article 11 qui est rédigé ainsi: «Si le magistrat de
police fait incarcérer un criminel fugitif, il doit l'informer
qu'il ne sera pas extradé avant l'expiration d'un délai de
quinze jours et qu'il a le droit de demander un bref d'habeas
corpus», ce qui peut très bien signifier ceci: «J'ai le pouvoir
de vous faire incarcérer parce que je suis convaincu que
vous êtes coupable d'un crime auquel le traité et la Loi sur
l'extradition s'appliquent; vous avez le droit de présenter
toute preuve tendant à démontrer que vous êtes un criminel
qui ne doit pas être extradé parce que votre délit, même si
vous l'avez effectivement commis, avait un caractère politi-
que. Je recueillerai la preuve en votre nom. Vous avez
quinze jours pour faire une demande de mise en liberté si
vous jugez approprié de présenter une requête d'habeas
corpus». La suite de l'article 11 indique que ce n'est pas le
magistrat qui doit trancher ces questions mais le ministre de
l'Intérieur qui doit décider si le prévenu doit être finalement
extradé car la seconde partie dudit article se lit comme suit:
«A l'expiration d'un délai de quinze jours, ou, si un bref
d'habeas corpus a été délivré, après que la Cour a statué sur
ce dernier, selon le cas, ou après toute autre période qui a pu
être accordée dans l'un ou l'autre cas par un Secrétaire
d'État, ce dernier pourra avec un mandat sous ses seing et
sceau ordonner de livrer le criminel fugitif (s'il n'est pas
extradé à la suite de la décision de la Cour) à toute personne
qui, à son avis, est dûment autorisée à le recevoir.» Telles
sont les dispositions de la loi. Elles suffisent amplement à
me convaincre que la décision du magistrat n'est en aucune
façon définitive, que ce soit en droit ou en fait, et que,
quand on considère ces questions en vue d'un habeas
corpus, si les juges doivent examiner l'affaire, ils doivent le
faire en l'état où elle se trouve au moment où ils l'exami-
nent. Je pense qu'en examinant la question, bien que le point
de vue du magistrat soit pris en considération, nous ne
sommes pas tenus de le suivre aux dépens du criminel si, vu
l'état global de l'affaire qui nous est présentée, nous con-
cluons que le crime n'a pas été commis et qu'il n'y en a
aucune preuve à première vue, ou que le criminel ne doit pas
être remis à son propre gouvernement pour être traduit en
justice car bien que son infraction soit un crime, il s'agit
d'un crime à caractère politique. (Les italiques sont de moi.)
La question fait aussi l'objet d'une étude aux
pages 46 et 101 de l'ouvrage de Piggott On
Extradition (1910). Le système relatif à l'extra-
dition en vertu de la Loi anglaise est semblable
à celui établi en vertu de la Loi canadienne,
mais il existe des différences notables dans plu-
sieurs dispositions. On trouve à l'article 3(1) de
la Loi anglaise des dispositions recouvrant à peu
près le même domaine que l'article 21 de la Loi
canadienne. A ce sujet, Piggott écrit à la page
46:
[TRADUCTION] Je vais tout d'abord tenter d'éclaircir l'art.
3(1) sans l'aide de la jurisprudence. Conformément aux
règles ordinaires d'interprétation, on doit interpréter cette
disposition uniquement à la lumière de ce qui la précède.
Étant donné que l'art. 3 contient des directives générales,
sous forme de restrictions, relatives à la remise des crimi-
nels fugitifs, il s'ensuit que toutes les personnes habilitées à
jouer un rôle actif dans la remise doivent se conformer à la
première partie du par. (1). Ces personnes habilitées sont le
Secrétaire d'État, en vertu des pouvoirs que lui confère la
loi, et le tribunal dans l'exercice de sa compétence en vertu
de la common law. Le magistrat n'entre pas en jeu à ce
stade car la loi le traite simplement comme une partie du
mécanisme et il n'a aucun autre pouvoir que ceux que lui
confère la loi et que nous allons examiner maintenant.
et à la page 101:
[TRADUCTION] Le deuxième alinéa de l'art. 9 traite aussi
de la preuve à l'audience. Il prévoit que le magistrat peut
recevoir tout élément de preuve démontrant que le crime
dont le prévenu a été accusé ou convaincu est une infraction
à caractère politique ou n'est pas un crime entraînant
l'extradition.
Il convient de remarquer que cette disposition impose
deux restrictions: en premier lieu, en ce qui concerne la
recevabilité de la preuve, elle ne mentionne que deux domai-
nes précis; en deuxième lieu, cette disposition ne se rapporte
qu'à la recevabilité de la preuve et ne donne pas expressé-
ment au magistrat le pouvoir d'élargir le fugitif en se fondant
sur cette preuve.
L'alinéa susmentionné est complété par la disposition de
l'art. 3(1) selon laquelle le prévenu peut convaincre le magis-
trat «que la requête visant son extradition a en fait été
présentée dans le but de le juger ou de le punir pour une
infraction à caractère politique», c'est-à-dire que ce dernier
peut recevoir tout élément de preuve présenté par le pré-
venu à cet égard. Le magistrat doit dire s'il a été convaincu:
en d'autres mots, il doit exprimer une opinion fondée sur
cette preuve; mais, comme dans le cas de l'art. 9, le magis-
trat ne reçoit pas le pouvoir exprès d'élargir le prévenu si sa
conviction est acquise sur ce point. Le paragraphe prévoit
qu'«il ne doit pas être extradé» mais, comme on l'a déjà
souligné, il s'agit de directives adressées aux fonctionnaires
de l'exécutif. Aux fins de cette discussion, déterminer si les
deux parties de l'art. 3(1) se rapportent à la même question
est sans importance.
Le point de vue du juge Hawkins que j'ai cité
ci-dessus a été critiqué dans l'arrêt R. v. Hollo-
way Prison; in re Siletti (1902) 71 L.J.K.B. 935,
en ce qui concerne la portée des preuves relati
ves à la perpétration d'un crime qu'un tribunal
peut exercer au cours d'une procédure d'habeas
corpus. Le juge en chef, Lord Goddard, a réexa-
miné cette question à la demande du procureur
général dans l'affaire Regina c. Governor of
Brixton Prison, ex parte Kolczynski [1955] 1 All
E.R. 31, où il a exprimé un point de vue diffé-
rent sur le pouvoir du magistrat de décider du
caractère politique de l'infraction et de l'élargis-
sement du fugitif pour ce motif. Toutefois, le
point de vue de Lord Goddard se fondait, au
moins en partie, premièrement sur la rédaction
de l'article 3(1) de la loi anglaise qui prévoit, en
ce qui concerne ce qu'on a appelé la deuxième
partie de la restriction de l'article 3(1), que le
fugitif ne sera pas extradé
[TRADUCTION] ... s'il réussit à convaincre le magistrat de
police ou la cour devant qui il a intenté son action en habeas
corpus ou à convaincre le Secrétaire d'État que la requête
visant son extradition a en fait été présentée dans le but de
le juger ou de le punir pour une infraction à caractère
politique.
C'est sur cette partie de l'article 3(1) que l'af-
faire Kolczynski devait être jugée. Deuxième-
ment, Lord Goddard se réfère à la rédaction du
mandat d'incarcération, prévu par la loi
anglaise, qui prescrit:
[TRADUCTION] ... et attendu que les arguments avancés ne
m'ont pas convaincu qu'il ne devrait pas être livré .. .
On ne trouve ni dans la Loi canadienne ni dans
le traité en question en l'espèce de texte sembla-
ble à cette partie de l'article 3(1) que je viens de
citer; d'autre part, la formule canadienne du
mandat d'incarcération est différente de la for-
mule prévue par la loi anglaise. Voici la rédac-
tion de la formule du mandat dans la Loi
canadienne:
... et attendu que j'ai décidé qu'il serait livré conformément
à ladite loi, parce qu'il a été accusé (ou convaincu) du crime
de ... dans la juridiction de ... .
Je considère que ceci n'a pas d'effet sur la
question et qu'on ne peut en déduire que le juge
d'extradition canadien a le pouvoir de détermi-
ner le caractère politique d'une infraction. Je ne
pense donc pas qu'on doit considérer que l'arrêt
Kolczynski est déterminant sur la question à
trancher en vertu de la Loi canadienne. Je suis
aussi d'avis que le juge Wurtele se prononçait
sur une question qu'il n'avait pas à décider pour
trancher le litige qui lui était soumis, lorsque
dans l'arrêt Re Louis Levi (1897) 1 C.C.C. 74, à
la page 77, il affirmait ce qui suit:
[TRADUCTION] En conséquence, quand on traduit une per-
sonne présumée être un criminel fugitif devant un commis-
saire à l'extradition, ce dernier devrait admettre tout témoi-
gnage tendant à démontrer que l'infraction est politique ou
qu'il ne s'agit pas d'un crime entraînant l'extradition. Si on
conclut que l'infraction a un caractère politique ou qu'elle
n'est pas un crime entraînant l'extradition, le prévenu doit
être élargi; mais, autrement, si la preuve est telle qu'elle
entraînerait l'incarcération préventive au Canada ou qu'elle
indique que le prévenu a été reconnu coupable, il incombe
au commissaire à l'extradition d'envoyer le fugitif en prison
en attendant la requête appropriée du gouvernement étran-
ger et le mandat du ministre de la Justice pour son
extradition.
En outre, je ne pense pas qu'on doive considé-
rer une déclaration faite dans un contexte de
commentaires généraux sur la procédure comme
une opinion motivée sur la question. Il convient
aussi de remarquer que le juge Wurtele ne dit
pas expressément qui doit élargir le fugitif. Dans
l'ensemble, pour les motifs que j'ai donnés, j'es-
time qu'au Canada, la loi n'accorde pas au juge
d'extradition le pouvoir de trancher la question
ou d'élargir un fugitif au motif que l'infraction a
un caractère politique. Il me semble qu'on peut
en déduire qu'étant convaincu que la preuve
relative aux infractions suffisait à justifier l'in-
carcération préventive prévue à l'article 18(1)b),
le savant juge ne peut avoir commis d'erreur de
droit en lançant son mandat, quelles que soient
ses conclusions sur ce que la preuve révélait
quant au caractère politique des infractions. En
outre, puisque cette Cour n'est pas compétente
en matière d'habeas corpus et qu'elle ne peut
examiner la décision du savant juge en l'espèce
qu'en ce qui concerne l'exactitude de cette déci-
sion en droit, je ne pense pas que cette Cour
puisse, dans une demande de ce genre, étudier
et trancher la question du caractère politique de
l'infraction dans le but de déterminer la légalité
de l'incarcération du requérant, comme le font
constamment les tribunaux anglais dans les
affaires d'extradition et dans les procédures
d'habeas corpus.
A mon avis, cette conclusion suffit à régler
l'ensemble de la question soulevée par cette
demande en ce qui concerne le caractère politi-
que des infractions, mais, étant donné que la
question a été véritablement plaidée au fond, je
vais brièvement exprimer mon point de vue à
cet égard au cas où cela aurait une certaine
importance si l'on interjetait appel de la déci-
sion. Pour ce faire, je vais présumer que le
savant juge a la compétence nécessaire pour
trancher la question, sinon de manière défini-
tive, du moins dans le but de pouvoir décider s'il
doit lancer un mandat d'extradition. Il convient
aussi de rappeler que l'étendue du pouvoir
d'examen que détient cette Cour en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale en ce
qui concerne les faits, ne comprend pas l'adop-
tion de conclusions de faits, ou le renversement
de conclusions de faits au motif qu'elles se
fondent sur une mauvaise appréciation des
preuves, ou le pouvoir de substituer son appré-
ciation des faits à celle du juge d'extradition; la
Cour ne peut que décider si l'appréciation des
faits par le juge est compatible avec les élé-
ments portés à sa connaissance.
A la lecture des motifs du savant juge, il
ressort qu'après avoir cité des extraits d'un cer
tain nombre d'arrêts, il a considéré deux aspects
de la question. Il a tout d'abord considéré le
point de savoir si l'on avait démontré que les
infractions étaient reliées directement à des acti-
vités politiques et, sur ce point, il a rejeté l'opi-
nion d'un certain nombre de témoins appelés à
déposer sur cette question comme il était fondé
à le faire et comme, à mon avis, il a eu raison de
le faire.
Ces témoins ont invoqué le mécontentement
général et les manifestations contre la participa
tion du gouvernement des États-Unis et de ses
forces militaires dans la guerre du Vietnam ainsi
que la mise en cause par certaines couches de la
société américaine du système capitaliste aux
États-Unis et de la prétendue influence du gou-
vernement des États-Unis et des compagnies
américaines dans d'autres parties du monde. Ils
ont aussi mentionné les manifestations de grou-
pes de ce genre dans différentes parties des
États-Unis depuis un certain nombre d'années
et, en particulier, les réunions, les manifesta
tions, les contestations, les émeutes et les dom-
mages causés aux biens qui se sont produits à
Madison au cours de la même période, précisé-
ment sur le campus de l'Université du Wiscon-
sin et, plus exactement, les dommages causés
aux trois des quatre bâtiments mentionnés dans
les actes d'accusation d'incendie volontaire
portés contre le requérant. Ces trois bâtiments
étaient utilisés entièrement ou en partie à des
fins militaires ou ils étaient reliés aux forces
armées des•États-Unis; deux d'entre eux étaient
utilisés pour le R.O.T.C. et le Sterling Hall ser-
vait les fins du Centre de recherches mathémati-
ques de l'Armée.
Le savant juge a ensuite mentionné que, de
tous les témoins appelés, un seul connaissait le
requérant et uniquement par l'intermédiaire du
Mâdison Tenants Union. Il a ensuite décidé qu'il
lui était impossible de déduire de la preuve
soumise que le requérant avait participé à des
activités politiques qui ont provoqué des atten-
tats à la bombe. Étant donné le peu d'éléments
de preuve permettant d'établir un lien entre le
requérant et les activités qui, selon les témoins,
se sont produites à Madison (Wisconsin) et dans
d'autres parties des États-Unis et sur lesquelles
ils voulaient s'appuyer pour établir le contexte
politique dans lequel les infractions avaient été
commises ainsi que leur caractère politique, et
eu égard aussi au fait que le requérant n'a
déposé aucune preuve dont on puisse, s'il avait
effectivement témoigné, déduire ses buts et
motivations en commettant les infractions, s'il
les a effectivement commises, ainsi que sa parti
cipation aux activités décrites, je ne suis pas
surpris que le savant juge ait conclu qu'il ne
devait pas inférer que le requérant avait parti-
cipé aux activités politiques qui ont donné lieu
aux attentats à la bombe et je ne pense pas que
la preuve implique nécessairement une telle
conclusion.
Étant donné que le meurtre et l'incendie
volontaire ne sont ni en soi, ni ordinairement
des infractions à caractère politique et qu'on a
toujours décidé que l'existence d'un but ou d'un
motif politique était nécessaire pour caractériser
une infraction comme ayant un caractère politi-
que, ce trait n'étant toutefois pas suffisant seul,
le savant juge n'avait pas, à mon avis, à cher-
cher plus avant pour établir que les infractions
en question en l'espèce n'avaient pas un carac-
tère politique.
Toutefois, il ressort de la lecture des motifs
du savant juge qu'il a aussi examiné si l'on
cherchait à extrader le requérant pour pouvoir
le juger ou le punir pour des infractions autres
que les infractions de meurtre et d'incendie
volontaire en question prises sous leur aspect
criminel habituel, tel que le décrit le vicomte
Radcliffe dans l'arrêt Schtraks c. The Govern
ment of Israel [1964] A.C. 556. Ce faisant, il a
exposé des aspects de la preuve dont il pouvait,
à mon avis, conclure à bon droit, comme d'ail-
leurs il l'a fait, qu'on ne cherchait pas à faire
extrader le requérant pour, d'autres motifs. Il a
ensuite constaté que les infractions, objet des
procédures, n'avaient pas de caractère politique
et que ces procédures n'avaient pas été insti-
tuées dans le but de poursuivre ou de punir le
requérant pour une infraction à caractère
politique.
Dans le seul domaine susceptible d'examen
devant cette Cour, c'est-à-dire, la légalité de la
première de ces conclusions, savoir, que les
infractions n'avaient pas un caractère politique,
j'estime qu'on ne peut pas dire que cette conclu
sion a été tirée sans tenir compte de la preuve
ou que le savant juge n'a pu arriver à cette
conclusion qu'en commettant une erreur de
droit.
J'estime que le savant juge a refusé à bon
droit de conclure, vu la preuve à sa disposition,
que 'le requérant avait participé à des activités
politiques qui ont conduit aux infractions en
question. Il disposait aussi de preuves suffisan-
tes pour déduire que le requérant n'était pas un
réfugié politique mais simplement un individu
recherché par la justice à l'égard des infractions
en question vues sous leurs aspects ordinaires.
En outre, les infractions présumées ont affecté
la propriété de l'État du Wisconsin mise à la
disposition d'une Université et la personne du
Di Fassnacht; on ne pouvait les considérer que
de très loin, et dans le cas de trois des quatre
bâtiments en cause, comme des infractions
visant le gouvernement des États-Unis ou ses
organismes militaires. Chaque fois, la principale
victime était le propriétaire du bien en cause et,
dans le cas de Sterling Hall, le D' Fassnacht
aussi. Dans chaque cas, si l'on doit considérer
les éléments de preuve contenus dans chaque
pièce, le but était d'obliger les autorités univer-
sitaires à supprimer la présence de l'armée sur
le campus. Si l'on peut considérer ces actions
comme des insurrections, il me semble qu'il
s'agit d'insurrections contre la direction de
l'Université plutôt que contre le gouvernement
des États-Unis. Dans trois cas, les infractions
commises visaient des bâtiments ayant certains
rapports avec les forces armées américaines,
mais, à mon avis, dans chaque cas on pourrait
considérer ces infractions comme étant compa-
rabies au cas de quelqu'un qui, en attaquant une
banque pour obtenir de l'argent pour fomenter
une révolution, détruit incidemment des biens
du gouvernement ou tue un soldat au cours d'un
vol qualifié. Je ne pense pas qu'il soit certain ou
même probable qu'un tel crime ait un caractère
politique. Enfin, il convient de remarquer que,
dans chaque cas, la prétendue infraction s'est
produite la nuit quand tout était calme par ail-
leurs et non au cours de désordres politiques ou
d'une révolution et qu'en aucun cas, l'infraction
n'a été suivie de désordres politiques ou d'une
révolution. A mon avis, ceci constitue l'ensem-
ble des caractéristiques de l'affaire ainsi qu'elles
ressortent des éléments portés à la connaissance
du savant juge. A mon avis, elles suffisent à
soutenir une conclusion selon laquelle les
infractions n'avaient pas de caractère politique
au sens de l'article 21. Étant donné que cette
Cour n'a pas le pouvoir d'intervenir dans la
conclusion du savant juge au motif qu'elle
reflète une mauvaise appréciation des preuves,
il n'y a pas lieu d'exprimer une opinion sur cette
question, ni d'intervenir dans la conclusion du
savant juge.
Je voudrais toutefois faire une dernière obser
vation. Je ne me prononce pas sur la question de
savoir si le savant juge a eu raison de décider
qu'il incombait à la poursuite de démontrer qu'il
ne s'agissait pas d'une infraction à caractère
politique. Si cette décision est erronée et si la
charge de la preuve a eu une influence sur le
jugement, elle a simplement indûment favorisé
le requérant.
Je rejette la demande.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT CAMERON a souscrit à
l'avis.
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET—J'ai eu l'avan-
tage de lire les motifs de Monsieur le juge
Thurlow, auxquels je souscris. J'aimerais toute-
fois ajouter certains commentaires personnels.
Le requérant, Karleton Lewis Armstrong, a
été inculpé, au Wisconsin, un des États-Unis
d'Amérique, des infractions suivantes: un meur-
tre du premier degré, contrairement à l'article
940.01(1) de la codification des lois du Wiscon-
sin, à la suite d'un attentat à la bombe dans un
des bâtiments de l'Université déclaré propriété
de l'État du Wisconsin et quatre autres accusa
tions d'incendie des bâtiments de l'Université
déclarés propriété dudit État.
Il a été appréhendé au Canada et il a fait
l'objet d'une requête en extradition. Monsieur le
juge H. Waisberg a entendu cette requête et
signé un mandat d'incarcération le 30 juin 1972.
Une demande a été introduite en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale visant
à obtenir l'examen et l'annulation de la décision
du juge Waisberg.
On a avancé que le juge d'extradition a
commis les erreurs suivantes:
[TRADUCTION] ler point. Il a déclaré admissibles certains
affidavits et les a pris en considération sans accorder au
requérant l'occasion de contre-interroger les témoins qui
ont déposé au moyen de ces affidavits.
2e point. Il a refusé de décider s'il y avait des preuves
suffisantes pour justifier l'extradition du requérant ou
l'accusation précise pour laquelle on demandait l'extradi-
tion, savoir, un meurtre du premier degré.
3e point. Il a décidé que les faits qu'on lui avait soumis
constituaient un commencement de preuve d'un meurtre
au Canada.
4e point. Il a refusé d'inclure dans les éléments de preuve
une partie du témoignage de Philip Ball relative à une
conversation de ce dernier avec le requérant au cours de
l'automne 1969.
5e point. Il a accepté la contre-preuve soumise par l'État
du Wisconsin après que le requérant eut soumis sa
preuve.
6e point. Il a refusé d'accepter la preuve non contredite
présentée par la défense selon laquelle les crimes avaient
un caractère politique; il a, par la même, fondé sa décision
ou ordonnance sur une conclusion de faits erronée sans
tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
7e point. Il a décidé que les crimes n'avaient pas un
caractère politique en refusant, en conséquence, d'exercer
la compétence que lui accorde l'art. 21 de la Loi sur
l'extradition et en commettant une erreur de droit en
rendant sa décision ou ordonnance.
Il sera plus commode de se rapporter à ces
différents points selon les numéros ci-dessus.
Bien qu'à l'origine aucune des parties n'ait
soulevé cette question, une question supplémen-
taire a été traitée en appel, savoir, si le juge
d'extradition est compétent pour se prononcer
sur l'existence ou l'absence du «caractère politi-
que» en décidant de lancer un mandat
d'incarcération.
L'article 21 de la Loi sur l'extradition est
rédigé ainsi:
21. Nul fugitif ne peut être extradé en vertu de la présente
Partie, s'il apparaît
a) que le crime au sujet duquel des procédures sont
exercées, en vertu de la présente Partie, présente un
caractère politique, ou
b) que ces procédures sont exercées en vue de le mettre
en jugement ou de le punir pour une infraction qui revêt
un caractère politique.
L'avocat du requérant a admis que les procé-
dures intentées dans le Wisconsin ne visaient
pas à le mettre en jugement ou à le punir d'une
infraction à caractère politique. En consé-
quence, l'alinéa b) de l'article 21 ne s'applique
pas.
En ce qui concerne les deuxième, troisième,
quatrième et cinquième points, j'estime qu'il
suffit de dire qu'à mon avis, le savant juge
d'extradition n'a pas commis d'erreur.
En ce qui concerne le premier point, on a
avancé que les articles la) et 2e) de la Déclara-
tion canadienne des droits ont rendu inopérant
l'article 16 de la Loi sur l'extradition. Subsidiai-
rement, on a avancé que, si l'article 16 n'était
pas inopérant, le juge n'aurait dû accepter les
affidavits prévus à cet article qu'avec certaines
réserves, pour se conformer aux articles sus-
mentionnés de la Déclaration canadienne des
droits.
L'article 16 de la Loi sur l'extradition est
rédigé ainsi:
16. Les dépositions ou déclarations reçues dans un État
étranger, sous serment ou sous affirmation, si l'affirmation
est permise par la loi de cet État, et les copies de ces
dépositions ou déclarations, et les certificats ou les pièces
judiciaires étrangers établissant le fait d'une déclaration de
culpabilité, peuvent, s'ils sont régulièrement légalisés, être
reçus en preuve dans toutes procédures en vertu de la
présente Partie.
Voici les extraits de la Déclaration cana-
dienne des droits qu'on a faits valoir au nom de
l'appelant:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits
de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés
ont existé et continueront à exister pour tout individu au
Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa
couleur, sa religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité
de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le
droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière
de la loi;
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement
du Canada ne déclare expressément qu'elle appliquera
nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'inter-
préter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, res-
treindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des
libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser
la suppression, la diminution ou la transgression, et en
particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'ap-
pliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale
de sa cause, selon les principes de justice fondamentale,
pour la définition de ses droits et obligations;
Selon mon interprétation, l'avocat du requé-
rant a admis que, jusqu'à l'adoption de la Décla-
ration canadienne des droits, toute la jurispru
dence pertinente portait que, dans les
procédures d'extradition, on pouvait recevoir
tous les affidavits régulièrement légalisés men-
tionnés à l'article 16 de la Loi sur l'extradition
et agir en conséquence sans contre-interroga-
toire ou confrontation des déposants. Toutefois,
il a ajouté que l'adoption de la Déclaration des
droits a modifié la situation.
Dans l'arrêt Curr c. La Reine [1972] R.C.S.
889, le juge Ritchie déclarait (à la page 916):
... je préfère fonder ma conclusion sur le fait que, à mon
avis, le sens des termes de la Déclaration des droits est le
sens qu'ils avaient au Canada au moment de l'adoption de la
Déclaration; par conséquent, à mon avis, l'expression
«application régulière de la loi,, employée à l'article 1(a) doit
s'interpréter comme signifiant «selon les voies de droit
reconnues par le Parlement et par les tribunaux canadiens,,.
Le juge en chef Fauteux a souscrit à ce point
de vue.
En toute déférence, il me semble que ce point
de vue est confirmé par la version française.
Dans l'arrêt Curr c. La Reine (précité), le juge
Laskin, aux motifs duquel les juges Hall,
Spence et Pigeon ont souscrit, déclarait notam-
ment (à la page 896):
En ce qui concerne la portée des alinéas (a) et (b) de
l'article 1 et, en fait, celle de l'art. 1 au complet, je signale,
d'abord, que cet article exerce une influence sur la législa-
tion fédérale du fait qu'il est mentionné indirectement à l'art.
2; deuxièmement, je n'interprète pas cet article comme
s'appliquant uniquement lorsque existe l'une ou l'autre
forme de discrimination interdite. La discrimination interdite
est plutôt une norme supplémentaire que la législation fédé-
rale doit respecter. En d'autres termes, une loi fédérale qui
ne viole pas l'article 1 en ce qui concerne l'un ou l'autre des
genres interdits de discrimination, peut néanmoins le violer
si elle porte atteinte à l'un des droits garantis par les alinéas
(a) à (f) de l'art. 1.
(P. 897) II faut lire l'expression «application régulière de la
loi» dans son contexte, eu égard au texte de l'alinéa (a) de
l'art. 1 qui la précède. En l'espèce, c'est par rapport au
«droit de l'individu à ... la sécurité de la personne» qu'elle
e s t invoquée. De toute évidence, interpréter l'expression
«application régulière de la loi» comme signifiant simple-
ment qu'il doit y avoir un fondement légal permettant de
diminuer ou de restreindre la sécurité de la personne, équi-
vaudrait à en faire une simple déclaration.
(P. 898) Du point de vue de la procédure, je ne puis voir ce
que l'alinéa (a) de l'art. 1 peut viser en plus de ce que
comprennent déjà l'alinéa (e) de l'art. 2 («une audition
impartiale de sa cause, selon les principes de justice fonda-
mentale») et l'alinéa (f) de l'art. 2 («une audition impartiale
et publique de sa cause par un tribunal indépendant et non
i préjugé»).
(P. 899) A supposer que grâce à la disposition «ne s'en voir
privé que par l'application régulière de la loi», il est possible
de contrôler le fond de la législation fédérale—question qui
n'a pas directement été soulevée dans l'affaire Regina c.
Drybones—il faudrait avancer des raisons convaincantes
pour que la Cour soit fondée à exercer en l'espèce une
compétence conférée par la loi (pat opposition à une compé-
tence conférée par la constitution) pour enlever tout effet à
une disposition de fond dûment adoptée par un Parlement
compétent à cet égard en vertu de la constitution et exerçant
ses pouvoirs conformément au principe du gouvernement
responsable, lequel constitue le fondement de l'exercice du
pouvoir législatif en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique. Ces raisons doivent se rapporter à des normes
objectives et faciles à appliquer, qui doivent guider les
tribunaux, si on veut que l'application régulière dont il est
question à l'alinéa (a) de l'art. 1, permette d'annuler une loi
fédérale par ailleurs valide.
Quelle que soit l'interprétation de l'expression
«que par l'application régulière de la loi» figu-
rant à l'article 1 a), lorsque le juge d'extradition
reçoit des dépositions légalisées faites dans un
État étranger sous serment, sans contre-interro-
gatoire des déposants, et qu'il agit en consé-
quence, il n'a pas agi contrairement au proces-
sus judiciaire reconnu par le Parlement et les
tribunaux canadiens du moins jusqu'au moment
de la promulgation de la Déclaration des droits.
Il faisait précisément ce que le Parlement lui
permettait de faire et ce que l'avocat de l'appe-
lant a admis être conforme à la jurisprudence
antérieure à la Déclaration canadienne des
droits, si j'interprète correctement ce qu'il a
déclaré.
L'article 16 est une disposition de nature
générale, applicable à quiconque est partie à des
procédures d'extradition, quels que soient sa
race, sa nationalité d'origine, sa couleur, sa reli
gion ou son sexe.
L'article 1 a) de la Déclaration canadienne des
droits prévoit qu'une personne ne doit pas se
voir priver «du droit de l'individu à la vie, à la
liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la
jouissance de ses biens», si ce n'est «par l'appli-
cation régulière de la loi». J'estime que dans un
pays civilisé, où les lois sont appliquées confor-
mément aux principes de justice naturelle et où
les cours fonctionnent conformément à ce
même principe, le droit à la vie, à la liberté et à
la sécurité de la personne du fugitif n'est pas
déterminé au cours des procédures d'extradi-
tion. Si l'on ordonne l'extradition, c'est l'État
requérant l'extradition qui devra fixer ces
droits.
A mon avis, l'avocat du requérant n'a en
aucune façon prétendu que dans l'État du Wis-
consin les lois ne sont pas appliquées conformé-
ment aux principes de justice fondamentale ou
que les tribunaux ne fonctionnent pas confor-
mément auxdits principes, ni que l'appelant n'y
subirait pas un juste procès.
Toutefois, ceci ne résoud pas la question. Si
l'article 16 de la Loi sur l'extradition prive en
fait l'appelant de son droit à une audition impar-
tiale conforme aux principes de la justice fonda-
mentale au cours de la procédure d'extradition,
il en résulte que, Vu l'article 20 de la Déclara-
tion canadienne des droits, l'article 16 n'a plus
d'effet.
Le contre-interrogatoire est important pour
chercher la vérité et éclaircir les faits. C'est une
garantie importante. Ce n'est pas quelque chose
qu'on peut retirer à la légère.
Par ailleurs, une procédure d'extradition est
inhabituelle. Elle ne consiste pas à la détermina-
tion définitive de la culpabilité ou de l'inno-
cence. Elle n'est pas irrévocable. Ceci ressort
manifestement des articles 13 et 16 qui rappro-
chent cette procédure d'une enquête prélimi-
paire. En outre, il ressort implicitement de la loi
que si le fugitif est remis à l'État requérant,
c'est à cet État qu'il appartiendra de statuer sur
sa culpabilité ou son innocence.
En conséquence, ce qui est obligatoire au
cours d'une ou de plusieurs procédures où il est
statué en dernier ressort sur une accusation
dans le pays où l'accusation a été portée, n'est
pas nécessairement obligatoire au cours d'une
audition en matière d'extradition.
A l'époque actuelle où la rapidité et la facilité
de communication entre les pays augmentent
sans cesse et où il n'est pas extraordinaire qu'un
crime ait des aspects internationaux, le bien
commun exige que les procédures d'extradition
soient efficaces et pratiques. L'introduction
dans les procédures d'extradition de tout un
arsenal de garanties visant la protection de l'ac-
cusé devant un tribunal qui doit statuer sur sa
liberté n'est pas toujours nécessaire et même
elle pourrait avoir, dans certains cas, un résultat
si gênant que cela rendrait en fait les procédures
inefficaces.
Ceci ne veut pas dire que la justice devrait
céder à l'opportunité. C'est un lieu commun de
dire que, selon le concept et la philosophie du
droit généralement admis dans notre culture, si,
dans une situation donnée, la justice n'est pas
compatible avec l'opportunité, il faut choisir la
justice.
Ce que l'on exige, c'est un équilibre appro-
prié, pratique et viable. Il me semble que
l'article 16 respecte cet équilibre et que, bien
qu'il ait été adopté il y a de nombreuses années,
il permet toujours de résoudre les problèmes
actuels. J'estime que dans cet article le réalisme
et la justice sont associés. Il convient aussi de
noter que ces dispositions s'appliquent non seu-
lement à l'État requérant mais aussi au fugitif.
Si les prétentions de l'avocat selon lesquelles
l'article 16 prive une personne de son droit à
une audition impartiale conforme aux principes
de justice naturelle étaient exactes, les affaires
dans lesquelles l'article 16 a été invoqué avant
la promulgation de la Déclaration canadienne
des droits seraient-elles fondées sur l'injustice?
Ce qui ressort de la preuve en l'espèce est trop
insuffisant pour nous permettre de conclure de
la sorte.
L'article 16 de la Loi sur l'extradition a été
«dûment adopté par le Parlement compétent à
cet égard en vertu de la constitution et exerçant
ses pouvoirs conformément au principe du gou-
vernement responsable, lequel constitue le fon-
dement de l'exercice du pouvoir législatif en
vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni-
que, 1867». En outre, c'est une disposition légis-
lative assez ancienne. Elle a résisté à l'épreuve
du temps. «Il faudrait avancer des raisons con-
vaincantes pour que la Cour soit fondée» à
conclure que les termes très généraux des arti
cles de la Déclaration canadienne des droits
mentionnés suffisent à l'annuler. Sans aucun
doute, le jugement d'une seule personne ne sau-
rait annuler la décision du Parlement qui ressort
de cet article. Il faut quelque chose de beaucoup
plus solide que l'argument selon lequel la possi-
bilité de contre-interroger les déposants n'existe
pas.
Je sais bien que l'avocat du requérant a fait
valoir que tout ce que le Parlement avait à faire,
c'était de déclarer expressément que la Loi sur
l'extradition devait s'appliquer nonobstant la
Déclaration canadienne des droits. Il va de soi
que ceci présuppose que le Parlement a consi-
déré qu'antérieurement il avait violé les princi-
pes de justice naturelle. Si le Parlement avait
légiféré de cette façon, ce serait la seule conclu
sion possible. A mon avis, rien n'impose une
telle conclusion.
L'avocat du requérant a suggéré subsidiaire-
ment que, si l'on admettait les affidavits en
vertu de l'article 16, on devait y mettre certai-
nes conditions et il a présenté ses suggestions à
cet égard.
L'article 16 n'exige en aucune façon que le
juge d'extradition ajoute ces conditions. La Loi
sur l'extradition ne prévoit pas de mécanisme
relatif à ces conditions ni de modalités pour leur
application.
A mon sens, la discrétion dont jouit le juge en
vertu de l'article 16 - ne va pas jusqu'à lui donner
le pouvoir de créer un mécanisme visant l'exé-
cution de conditions, en particulier si elle exi-
geait des procédures qui n'existent pas dans un
État étranger et que le juge d'extradition n'a pas
le pouvoir de créer.
A mon avis, lorsque le savant juge d'extradi-
tion a reçu les affidavits conformément à
l'article 16 de la Loi sur l'extradition et a agi en
conséquence, l'appelant n'a pas été privé de
l'application régulière de la loi, ni de la justice
fondamentale pour la définition de ses droits et
obligations.
Les points 6 et 7 du requérant sont étroite-
ment liés. L'un et l'autre ont trait aux arguments
de l'appelant selon lesquels les infractions à
l'égard desquelles on a institué les procédures
en vertu de la Loi sur l'extradition ont un carac-
tère politique au sens de l'article 21 de ladite loi.
Sans prétendre épuiser la jurisprudence perti-
nente, les arrêts In re Castioni [1891] 1 Q.B.
149 et Schtraks c. Government of Israel [1964]
A.C. 556 contiennent des déclarations
importantes.
Dans l'arrêt In re Castioni, le juge Denman
déclarait:
[TRADUCTION] (P. 156) Je pense que, pour que ces disposi
tions législatives s'appliquent aux circonstances de cette
affaire et pour qu'une infraction telle que le meurtre, qui
entraîne normalement l'extradition, ne reçoive pas cette
sanction, il faut au moins démontrer que l'infraction a été
commise au cours d'un événement politique, au cours d'un
soulèvement à caractère politique ou au cours d'une lutte
entre deux factions pour la prise du pouvoir dans l'État,
dans le but d'aider un mouvement politique en prenant
position de façon manifeste.
(P. 159) La question revient en fait à déterminer si, d'après
les faits, il ressort clairement que la personne s'est livrée,
avec d'autres, à des actes de violence à caractère politique,
dans un but politique et dans le cadre d'un mouvement ou
d'une insurrection politique auxquels elle prenait part.
Dans l'arrêt Schtraks, Lord Reid déclarait:
[TRADUCTION] (P. 583) Nous ne pouvons rechercher si un
«criminel fugitif» a été mêlé à une bonne ou à une mauvaise
cause. Un membre fugitif d'un gang qui a commis une
infraction au cours d'un putsch raté relève autant de la loi
qu'un partisan de Garibaldi. Mais l'auteur d'une infraction
commise au cours d'une lutte politique n'a pas toujours droit
à cette protection. Si une personne se prévaut de sa qualité
d'insurgé pour assassiner une personne contre qui il a un
grief, je ne pense pas qu'on puisse appeler cela une infrac
tion à caractère politique. Il me semble donc que le motif et
les buts de l'accusé qui a commis l'infraction doivent être
pertinents et qu'ils peuvent être décisifs. C'est une chose
que de commettre une infraction dans le but de faire avan-
cer une cause politique et une chose tout à fait différente de
commettre la même infraction dans un but purement
criminel.
(P. 583) L'utilisation de la force, ou d'autres moyens, pour
contraindre un souverain à changer ses conseillers ou obli-
ger un gouvernement à modifier sa politique peut avoir un
caractère tout aussi politique que l'utilisation de la force
pour faire une révolution. Je ne vois donc pas pourquoi il
doive être nécessaire que le parti du réfugié ait essayé de
prendre le pouvoir dans le pays. Il suffit qu'ils essayent
d'obtenir du gouvernement des mesures de liberté sans
toutefois essayer de le renverser.
(P. 584) Il me semble que les dispositions de l'article 3 de la
loi de 1870 visent clairement à mettre en vigueur le principe
selon lequel ce pays doit accorder un asile aux réfugiés
politiques et je ne pense pas qu'il soit possible de définir les
circonstances dans lesquelles on peut décider à bon droit
qu'une infraction a un caractère politique ou que cette
définition ressorte de la loi.
Dans l'arrêt Schtraks, le vicomte Radcliffe
déclarait:
[TRADUCTION] (P. 589) En quoi consiste donc une infraction
à caractère politique? Je crains que les tribunaux ne se
soient régulièrement posés cette question depuis qu'elle a
été posée pour la première fois aux tribunaux en 1890 dans
l'affaire In re Castioni. Aucune définition ne s'est encore
dégagée ou ne semble devoir le faire à l'avenir.
(P. 591) A mon avis, l'idée qui sous-tend l'expression
«infraction à caractère politique» est que le fugitif est en
désaccord avec l'État qui demande son extradition sur cer-
tains problèmes liés au gouvernement ou au régime politique
du pays. Dans ce contexte, on peut rapprocher le mot
«politique» du mot «politique» dans des expressions telles
que «réfugié politique», «asile politique» ou «prisonnier
politique». Cela indique en fait, à mon avis, que l'État
requérant le recherche pour des motifs autres que l'applica-
tion du droit pénal vu sous son aspect ordinaire, que je
pourrais appeler commun ou international. C'est cette idée
que les juges cherchaient déjà à exprimer dans les deux
arrêts In re Castioni et In re Meunier quand ils établissaient
un rapport entre l'infraction politique et une émeute, des
troubles, une insurrection, une guerre civile ou une lutte
pour le pouvoir; à mon avis, il est encore nécessaire de
conserver cette connexité. On ne s'en éloigne pas en prenant
un point de vue libéral quant à la signification du mot
troubles ou de ces autres mots, sous réserve qu'on ne perde
pas de vue l'idée d'une opposition politique entre le fugitif et
l'État requérant; mais on le perdrait de vue, à mon avis, si
l'on devait dire que toutes les infractions sont des infrac
tions politiques dans la mesure où l'on peut démontrer
qu'elles ont été commises dans un but politique ou avec un
motif politique ou pour favoriser des causes ou des campa-
gnes politiques. Par exemple, il peut exister toutes sortes
d'organisations ou de forces politiques contestataires dans
un pays dont les membres peuvent commettre toutes sortes
d'infractions pénales en croyant que, ce faisant, ils attein-
dront plus aisément leurs buts politiques: mais si le gouver-
nement central ne partage pas ce point de vue et désire
simplement appliquer le droit pénal qui a été violé par ces
contestataires, je ne vois aucune raison pour que notre pays
soustraie ces fugitifs à son autorité au motif qu'ils sont des
délinquants politiques.
En conséquence, lorsqu'un tribunal doit déci-
der si une infraction a un caractère politique, il
ne peut se rapporter à une définition précise
d'origine législative ou jurisprudentielle. Il
existe cependant des principes généraux établis
par la jurisprudence.
Le principe essentiel porte que le but général
et fondamental de l'extradition et des lois qui la
prévoient est de fournir un mécanisme coopéra-
tif qui permet d'extrader un ressortissant en
fuite d'un État, appréhendé dans un autre, pour
qu'il soit jugé dans l'État d'où il a fui. Il s'agit
d'une étape de la coopération entre deux États
pour l'administration du droit pénal dans chacun
d'eux. Toutefois, pour maintenir la possibilité de
l'asile politique dans les cas appropriés, le légis-
lateur a adopté les articles 21 et 22 de la loi.
Il s'ensuit qu'on doit soigneusement examiner
l'argument selon lequel l'infraction alléguée a un
caractère politique. La motivation du fugitif,
sujet dont nous traiterons plus loin, est impor-
tante, mais il faut beaucoup plus qu'une simple
affirmation du fugitif selon laquelle il avait des
motifs politiques.
En outre, je ne pense pas que la personne
accusée puisse, unilatéralement, rendre l'infrac-
tion politique. Dans l'arrêt Schtraks (précité), le
vicomte Radcliffe déclarait [TRADUCTION] .. .
«si le gouvernement central ne partage pas ce
point de vue et désire simplement appliquer le
droit pénal ... je ne vois aucune raison pour
que notre pays soustraie ces fugitifs à son auto-
rité au motif qu'ils sont des délinquants
politiques».
Je ne pense pas non plus qu'une personne
sympathisant avec les buts d'un nombre impor
tant de personnes dans un mouvement visant à
apporter des changements dans la politique du
gouvernement par des moyens légaux et qui
commet elle-même un crime dans le but avoué
d'obtenir lesdits résultats parce qu'elle pense
que les moyens légaux sont inefficaces, peut
obtenir refuge dans ce pays pour éviter d'être
punie pour ces crimes.
Les actions du délinquant devraient au moins
être étudiées scrupuleusement et faire l'objet
d'examens plus sévères avant d'être mises dans
la catégorie politique au sens de l'article 21
quand, comme en l'espèce, la violence ne visait
pas des fonctionnaires responsables ou les biens
du gouvernement qu'on désire renverser ou
dont on désire changer la politique, mais la
personne ou les biens d'un tiers.
En outre, et en tout cas, à mon avis, si l'on
n'établit pas au cours de la procédure d'extradi-
tion que le fugitif est coupable d'une infraction,
on ne peut pas trancher la question du «carac-
tère politique» lors de cette audition même si le
tribunal a cette compétence. En l'espèce, le
fugitif n'a pas admis être coupable et on n'a pas
établi sa culpabilité par ailleurs.
Je conviens que la preuve produite par l'État
du Wisconsin devant le juge d'extradition suffit
à indiquer un niveau de probabilité justifiant
l'incarcération préventive si les crimes avaient
été commis au Canada. Ce n'est toutefois pas
une constatation de culpabilité.
En prétendant que lesdites infractions ont un
caractère politique, il me semble qu'au plus, le
requérant peut dire: «Je ne reconnais pas avoir
commis les infractions mais, si je les ai effecti-
vement commises, elles ont un caractère politi-
que», ou «il s'agit d'infractions à caractère poli-
tique quel qu'en soit l'auteur».
Le caractère de l'infraction est pertinent, mais
ce caractère peut varier selon l'individu. Le
meurtre et l'incendie ne sont pas en soi politi-
ques; toutefois, il semble ressortir de la juris
prudence que, dans certaines circonstances, ils
peuvent avoir un «caractère politique». Toute-
fois, la motivation, bien que non concluante, est
importante pour déterminer si une infraction a
un caractère politique. Il me semble . qu'on ne
peut pas s'attendre raisonnablement à ce qu'un
tribunal conclue sur la motivation de l'auteur,
quel qu'il soit, sans même savoir qui a commis
le crime et pourquoi.
Dans certains cas, il est possible que les cir-
constances donnent à l'événement ou à l'inci-
dent un caractère politique. Il n'en demeure pas
moins que la motivation d'une personne, pré-
sente et apparemment s'associant à l'incident et
à d'autres personnes ayant des motivations poli-
tiques, et qui commet un crime dans ces cir-
constances, soit sans lien avec le but politique
des autres. Cette personne pourrait n'être moti
vée, par exemple, que par la satisfaction d'un
grief personnel.
Bien que l'incident ou les circonstances soient
importantes, on n'accuse ni l'un, ni l'autre. C'est
la personne qui est accusée. C'est la personne
que l'État étranger cherche à faire extrader.
C'est la personne qui est déférée au tribunal
d'extradition.
La motivation est du domaine de l'esprit. Elle
précède l'acte et en constitue une cause. Les
faits et circonstances peuvent tendre à confir-
mer ou à mettre en doute une déclaration rela
tive à la motivation. En outre, chez une per-
sonne saine d'esprit, elle seule peut réellement
connaître ses motifs—elle est la seule à savoir
pourquoi elle a agi de la sorte à moins, naturelle-
ment, qu'elle ne dise la vérité à cet égard à
quelqu'un d'autre. Comment peut-on donc s'at-
tendre à ce qu'un accusé indique le motif l'ayant
poussé à agir à moins qu'il n'admette être l'au-
teur de l'acte visé?
A mon avis, la question du «caractère politi-
que» ne pouvait pas faire l'objet d'une décision
du tribunal d'extradition dans ce cas et on ne
pouvait l'invoquer comme défense même si ce
tribunal était compétent pour en connaître.
Si j'ai bien compris la plaidoirie de l'avocat du
requérant, il existe aux États-Unis d'Amérique
un mouvement d'opinion publique important
contre la politique du gouvernement des États-
Unis en ce qui concerne la guerre au Vietnam et
un désir réel de la part de nombre de gens que le
gouvernement mette fin à cette guerre. Il me
semble aussi que l'avocat du requérant soutient
que ce dernier faisait partie de ce mouvement et
qu'il en résulte que toutes les accusations contre
lui sont associées avec ce mouvement et ont par
là même un caractère politique.
En outre, selon mon interprétation du point
de vue que Me Ruby a défendu au cours de sa
plaidoirie au nom du requérant, il ressort que s'il
y a un mouvement important visant à faire
modifier la politique gouvernementale et si,
avec l'intention de favoriser les buts de ce mou-
vement, un individu commet un crime, l'infrac-
tion a un caractère politique au sens de l'article
21, même si tous les autres membres du mouve-
ment tentent d'atteindre leurs buts en n'utilisant
que des moyens pacifiques et licites. Je ne peux
souscrire à ce point de vue.
Soutenir qu'il y a des preuves en l'espèce
selon lesquelles le requérant, ou les infractions
dont il est inculpé, sont partie de ce qu'on
pourrait appeler un mouvement contre la guerre
au Vietnam, serait, au mieux, un argument
faible. Il y a aussi ce que l'avocat du requérant
appelle les «communiqués». Je ne considère pas
qu'ils peuvent réellement démontrer l'existence
de ce lien. On n'a présenté aucune preuve solide
indiquant leur provenance. Si le poseur de
bombes les a rédigés, comme il me semble que
Me Ruby le soutienne, et si le poseur de bombes
est le requérant, ils seraient alors dépourvus de
force probante. Je ne pense pas que les affida
vits déposés au nom du requérant démontrent la
relation entre l'incendiaire et poseur de bombes,
quel qu'il soit, et ce mouvement.
En outre, si on pouvait dire qu'il y a une
preuve suffisante pour indiquer une relation
entre l'incendiaire et poseur de bombes et ce
mouvement, je ne pense pas qu'en soi, ce serait
suffisant pour permettre au requérant de bénéfi-
cier de l'article 21 de la Loi sur l'extradition.
On a montré que, dans la zone où l'attentat à
la bombe et l'incendie se sont produits, le mou-
vement était actif, avait dépassé le stade des
protestations verbales et atteint celui des actes
de violence. Toutefois, la preuve ne démontre
pas que ces actes de violence atteignaient le
stade de l'attentat à la bombe et de l'incendie à
moins que les actes dont on accuse le requérant
puissent être inclus. Je ne pense pas qu'on ait
établi que l'attentat à la bombe et l'incendie
étaient des activités généralement admises par
le mouvement contre la guerre au Vietnam dans
cette région.
On n'a déposé aucune preuve significative
portant que le requérant, ou quiconque impliqué
dans un mouvement contre la guerre au Viet-
nam, ait été poursuivi aux Etats-Unis pour ses
convictions et pour les buts du mouvement ou
pour ses tentatives d'atteindre ses buts par des
moyens pacifiques. Il n'existe aucune preuve
portant que ceux qui partageaient les points de
vue des personnes composant le mouvement ne
jouissaient pas de la liberté d'expression,
n'avaient pas le droit de faire valoir leur point
de vue, de protester ou de manifester de façon
pacifique. Il n'y a aucune preuve portant que
ces personnes, ou des témoins qui estimaient
que le requérant ne devrait pas être extradé,
aient besoin d'un asile politique.
On a prétendu que certaines personnes impor-
tantes considéraient l'attentat à la bombe
comme un acte politique. Cela serait soi-disant
prouvé par des articles publiés dans des jour-
naux. Même si l'on pouvait présumer que ces
personnes étaient citées de manière appropriée
et qu'elles avaient effectivement fait ces décla-
rations et soutenu ces points de vue, il ne s'agit
que de points de vue personnels. Ce ne sont pas
elles qui décident si les infractions ont un carac-
tère politique au sens de la Loi sur l'extradition
au Canada.
Bien que la responsabilité de la guerre au
Vietnam incombe au gouvernement des États-
Unis d'Amérique, les bâtiments endommagés
par les bombes et incendiés n'appartenaient pas
à ce gouvernement; il semble qu'ils apparte-
naient à l'État du Wisconsin. Certains de ces
bâtiments comprenaient des locaux de l'Univer-
sité du Wisconsin, haut-lieu du savoir.
A mon avis, les infractions à l'égard desquel-
les les procédures d'extradition ont été insti-
tuées n'ont pas un caractère politique au sens de
l'article 21 de la Loi sur l'extradition.
En tout cas, la preuve est telle qu'elle justifie
de conclure, en utilisant les termes du vicomte
Radcliffe dans l'arrêt Schtraks, que [TRADUC-
TION] «le gouvernement central ne partage pas
ce point de vue et désire simplement appliquer
le droit pénal» qu'on prétend violé.
J'envisage maintenant la question de savoir si
le tribunal d'extradition a compétence pour
déterminer le «caractère politique» lorsqu'il
décide de lancer un mandat d'incarcération. A
mon avis, il n'a pas cette compétence.
La compétence du tribunal d'extradition
découle exclusivement de la Loi sur l'extradi-
tion. Si la loi ne l'accorde pas, elle n'existe pas.
L'article essentiel est l'article 18 que voici:
18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcé-
rer le fugitif dans la prison convenable la plus rapprochée,
afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État
étranger ou élargi conformément à la loi,
a) dans le cas d'un fugitif que l'on prétend avoir été
convaincu d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est
produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sous
réserve de la présente Partie, établirait qu'il a été con-
vaincu de ce crime, et
b) dans le cas d'un fugitif accusé d'un crime entraînant
l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après
la loi du Canada, sauf les dispositions de la présente
Partie, justifierait son incarcération préventive, si le crime
avait été commis au Canada.
(2) Lorsque cette preuve n'est pas produite, le juge
ordonne qu'il soit élargi.
Voici l'article 22:
22. Si le ministre de la Justice décide, en tout temps,
a) que l'infraction au sujet de laquelle les procédures sont
exercées en vertu de la présente Partie est de nature
politique,
b) que les procédures sont en réalité exercées en vue de
poursuivre ou de punir le fugitif pour une infraction d'une
nature politique, ou
c) que l'État étranger n'a pas l'intention de faire une
demande d'extradition,
il peut refuser de donner l'ordre de livrer le fugitif, et il peut,
par un ordre sous ses seing et sceau, révoquer tout ordre
donné par lui, ou tout mandat lancé par un juge en vertu de
la présente Partie, et ordonner que le fugitif soit relâché et
libéré de tout mandat d'incarcération lancé en vertu de la
présente Partie; et le fugitif est élargi en conséquence.
L'alinéa b) de l'article 22 n'est pas pertinent
en l'espèce, étant donné que l'avocat du requé-
rant a indiqué qu'il ne soutenait pas que les
procédures d'extradition avaient été instituées
dans le but de poursuivre ou de punir le requé-
rant pour une infraction à caractère politique.
L'alinéa b) de l'article 18, exposant les cir-
constances dans lesquelles on peut lancer un
mandat d'incarcération, ne mentionne pas le
«caractère politique» et ne contient aucune
interdiction de délivrer un mandat si l'infraction
en est une à caractère politique, à moins que
l'expression «sauf les dispositions de la présente
Partie» ne lui donne ce sens. Donc, à moins que
l'expression «sauf les dispositions de la présente
Partie» oblige à rapprocher l'article 21 de l'arti-
cle 18, à mon avis, le juge doit rendre sa déci-
Sion sur le point de savoir si un mandat d'incar-
cération doit être lancé en se fondant seulement
sur sa conclusion relative à la preuve produite,
savoir, si, d'après le droit canadien, elle justifie-
rait l'incarcération préventive si le crime avait
été commis au Canada et ceci sans tenir compte
du «caractère politique».
L'article 15 prévoit que le juge doit recevoir
tout témoignage aux fins de prouver que le
crime dont le fugitif est accusé est une infrac
tion à caractère politique. L'article ne dit pas
qu'il doit recevoir ces témoignages dans le but
de déterminer s'il s'agit ou non d'un crime à
caractère politique. Il me semble plutôt que ce
mécanisme permettrait à toute preuve ainsi sou-
mise de figurer dans une copie certifiée des
dépositions que le juge doit envoyer au ministre
de la Justice en vertu de l'article 10(2). Il n'est
pas difficile de voir les raisons de cette exi-
gence. C'est certainement une façon pratique
permettant au Ministre d'avoir les renseigne-
ments pertinents à sa disposition en ce qui con-
cerne les affaires ayant un caractère politique,
pour qu'il puisse exercer sa discrétion confor-
mément à l'article 22.
L'article 21 traite de la possibilité d'extrader
le fugitif. Toutefois, ce n'est pas le juge d'extra-
dition qui le livre ou qui ordonne qu'il soit livré.
Il peut seulement lancer un mandat d'incarcéra-
tion jusqu'à ce qu'il soit livré (article 18(1)).
C'est le ministre de la Justice qui peut ordonner
qu'un fugitif qui a été incarcéré pour être
extradé, le soit (article 25). Il existe une distinc
tion nette entre l'incarcération en vue de l'extra-
dition et l'extradition.
A mon avis, l'expression «sous réserve de la
présente Partie» à l'article 18(1)a) et b) ne se
rapporte et ne qualifie que le mot «preuve» y
figurant et elle rapproche de cet article les dis
positions de l'article 16 indiquant le genre de
preuve qui peut être reçue, y compris les décla-
rations sous serment régulièrement légalisées. Je
n'estime pas que l'expression «sous réserve de
la présente Partie» va jusqu'à englober
l'article 21.
On peut examiner un autre article à cet égard;
il s'agit de l'article 13:
13. Le fugitif doit être amené devant un juge, qui, sous
réserve de la présente Partie, entend la cause, de la même
manière, autant que possible, que si le fugitif était traduit
devant un juge de paix sous accusation d'un acte criminel
commis au Canada.
A nouveau, on retrouve l'expression «sous
réserve de la présente Partie» et, à mon avis,
elle signifie ici sous réserve de différences de
procédures prévues dans la présente Partie
comme, par exemple, à l'article 16.
On peut aussi examiner la formule du mandat
d'incarcération (Formule deux de l'annexe II de
la loi). On y trouve les termes «et attendu que
j'ai décidé qu'il serait livré conformément à
ladite loi». J'interprète ces mots à la lumière des
mots qui suivent: «parce qu'il a été accusé (ou
convaincu) du crime de ... dans la juridiction
de ...». Il ne s'agit pas d'une extradition ni
d'une ordonnance d'extradition. Il s'agit simple-
ment de l'ordre de maintenir le fugitif sous
garde jusqu'à ce qu'il soit remis suivant les
dispositions de la loi. Si la remise est l'extradi-
tion vers l'État étranger, à mon avis, seule l'or-
donnance du ministre de la Justice peut
l'effectuer.
A mon avis, la question de l'asile politique est
laissée entièrement à la discrétion de l'exécutif
par la Loi sur l'extradition.
Je rejette la demande.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.