Lenard John Howarth (Requérant)
c.
La Commission nationale des libérations condi-
tionnelles (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Pratte et Thurlow—Ottawa, les 17, 18 et 19
octobre 1973.
Examen judiciaire—Libération conditionnelle—Ordon-
nance révoquant la libération conditionnelle—Ordonnance
de nature administrative qui n'est pas soumise à un proces-
sus quasi judiciaire—Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, art. 16(4); Loi sur la Cour
fédérale, art. 28.
La Cour fédérale n'a pas compétence en vertu de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale pour examiner et annuler
une telle ordonnance de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles, révoquant une libération condition-
nelle. Une décision de la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles accordant ou révoquant une libération
conditionnelle est «une ordonnance de nature administrative
qui n'est pas soumise à un processus judiciaire ou quasi
judiciaire», au sens de l'article 28. La Commission ne peut
exercer le pouvoir de révoquer une libération conditionnelle
que de la manière prévue à l'article 16 de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, c. P-2, et
seulement après avoir procédé aux enquêtes qu'elle juge
nécessaires, mais la procédure prévue à l'article 16(4) ne
constitue pas un processus quasi judiciaire puisque l'article
16(4) n'exige pas que la personne visée pour la décision soit
informée de ce qui est retenu contre elle ni qu'elle ait la
possibilité d'y répondre.
Arrêt analysé: Ex parte McCaud [1965] 1 C.C.C. 168.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
R. R. Price pour le requérant.
A. C. Pennington et R. G. Vincent pour
l'intimée.
PROCUREURS:
R. R. Price, Kingston, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement) —I1
s'agit ici d'une requête visant à mettre fin à une
procédure engagée en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale demandant à cette Cour
d'annuler une ordonnance de la Commission
nationale des libérations conditionnelles, ordon-
nance qui [TRADUCTION] «visait à révoquer la
libération conditionnelle accordée au requé-
rant». Cette requête est fondée sur la prétention
selon laquelle cette Cour n'a pas compétence
pour accorder le redressement en question.
Aucun dossier n'a été présenté à la Cour.
L'intimée fonde sa demande exclusivement sur
sa prétention portant qu'une décision prise par
elle de révoquer une libération conditionnelle en
vertu de la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus n'est pas une décision relevant de l'arti-
cle 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
L'article 28(1) se lit comme suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de
toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre
et juger une demande d'examen et d'annulation d'une déci-
sion ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de
nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un
office, une commission ou un autre tribunal fédéral, ou à
l'occasion de procédures devant un office, une commission
ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la com
mission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée
d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la
lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu
sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire
ou sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance.
Il est admis que si la révocation d'une libéra-
tion conditionnelle en vertu de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus est
... une décision ou ordonnance de nature administrative qui
n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire ... .
cette Cour n'a pas compétence pour accorder le
redressement demandé aux procédures prises en
vertu de l'article 28 et la requête d'y mettre fin
devrait être accordée et que, dans le cas con-
traire, la Cour a compétence et la requête
devrait être rejetée.
Dans la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, les dispositions pertinentes se lisent
comme suit:
2. Dans la présente loi
«Commission» désigne la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles, établie par la présente loi;
«détenu» désigne une personne qui est condamnée à une
peine d'emprisonnement à elle infligée en conformité
d'une loi du Parlement du Canada ou infligée pour outrage
au tribunal en matière pénale, mais ne comprend pas un
enfant, au sens de la Loi sur les jeunes délinquants,
condamné à l'emprisonnement pour une infraction quali-
fiée d'acte de délinquance;
«libération conditionnelle» signifie l'autorisation, que la pré-
sente loi accorde à un détenu, d'être en liberté pendant sa
période d'emprisonnement;
3. (1) Est établie une Commission appelée Commission
nationale des libérations conditionnelles et composée de
trois à neuf membres, qui seront nommés par le gouverneur
en conseil. Ces membres occupent leur charge, durant bonne
conduite, pour une période d'au plus dix ans.
(6) Avec l'approbation du gouverneur en conseil, la Com
mission peut établir des règles visant la conduite de ses
délibérations ainsi que l'accomplissement de ses devoirs et
fonctions prévus par la présente loi.'
6. Sous réserve de la présente loi et de la Loi sur les
prisons et maisons de correction, la Commission est exclusi-
vement compétente pour accorder, refuser d'octroyer ou
révoquer la libération conditionnelle, et elle jouit d'une
discrétion absolue à cet égard.
10. (1) La Commission peut
a) accorder la libération conditionnelle à un détenu, sous
réserve des modalités qu'elle juge opportunes, si la Com
mission considère que
(i) dans le cas d'un octroi de libération conditionnelle
autre qu'une libération conditionnelle de jour, le détenu
a tiré le plus grand avantage possible de l'em-
prisonnement,
(ii) l'octroi de la libération conditionnelle facilitera le
redressement et la réhabilitation du détenu, et
(iii) la mise en liberté du détenu sous libération condi-
tionnelle ne constitue pas un risque indu pour la société;
e) à sa discrétion, révoquer la libération conditionnelle de
tout détenu à liberté conditionnelle autre qu'un détenu à
liberté conditionnelle qui a été relevé des obligations de la
libération conditionnelle, ou révoquer la libération condi-
tionnelle de toute personne qui est sous garde en confor-
mité d'un mandat délivré en vertu de l'article 16 nonob-
stant l'expiration de sa condamnation.
11. La Commission, en étudiant la question de savoir s'il
faut octroyer ou révoquer la libération conditionnelle, n'est
pas tenue d'accorder une entrevue personnelle au détenu ni
à quelque personne agissant au nom de celui-ci.
13. (1) La période d'emprisonnement d'un détenu à
liberté conditionnelle, tant que cette dernière continue d'être
ni révoquée ni frappée de déchéance, est réputée rester en
vigueur jusqu'à son expiration conformément à la loi, ...
(2) Jusqu'à ce qu'une libération conditionnelle soit révo-
quée, frappée de déchéance ou suspendue, ... le détenu
n'est pas passible d'emprisonnement en raison de sa sen
tence. On doit le mettre et le laisser en liberté selon les
modalités de la libération conditionnelle et sous réserve des
dispositions de la présente loi.
16. (1) Un membre de la Commission ou toute personne
qu'elle désigne peuvent, au moyen d'un mandat écrit, signé
par eux, suspendre toute libération conditionnelle d'un
détenu à liberté conditionnelle autre qu'une libération condi-
tionnelle des obligations de laquelle le détenu a été relevé et
autoriser son arrestation, chaque fois qu'ils sont convaincus
que l'arrestation du détenu est nécessaire ou souhaitable en
vue d'empêcher la violation d'une modalité de la libération
conditionnelle ou pour la réhabilitation du détenu ou la
protection de la société.
(2) Un détenu à liberté conditionnelle arrêté en vertu d'un
mandat émis aux termes du présent article doit être amené,
aussitôt que la chose est commodément possible, devant un
magistrat. Ce dernier doit renvoyer le détenu sous garde
jusqu'à ce que la suspension de sa libération conditionnelle
soit annulée ou que sa libération conditionnelle soit révo-
quée ou frappée de déchéance.
(3) La personne par laquelle un mandat est signé en
conformité du paragraphe (1) ou toute autre personne dési-
gnée par la Commission à cette fin doit, immédiatement
après le renvoi sous garde par un magistrat du détenu à
liberté conditionnelle y désigné, examiner le cas et dans les
quatorze jours à compter de ce renvoi doit, soit annuler la
suspension de sa libération conditionnelle soit renvoyer
l'affaire à la Commission.
(4) La Commission doit, lorsque lui est renvoyé le cas
d'un détenu à liberté conditionnelle dont la libération condi-
tionnelle a été suspendue, examiner le cas et faire effectuer
toutes les enquêtes y relatives qu'elle estime nécessaires et
immédiatement après que ces enquêtes et cet examen sont
terminés, elle doit soit annuler la suspension, soit révoquer
la libération conditionnelle.
(5) Un détenu qui est sous garde en vertu du présent
article est censé purger sa sentence.
En résumé des dispositions ayant rapport à
l'affaire présente, on peut dire que la loi a établi
la Commission nationale des libérations condi-
tionnelles et lui a donné compétence pour accor-
der la libération conditionnelle à une personne
condamnée à l'emprisonnement en vertu des
lois fédérales—c'est-à-dire, pour accorder à
cette personne «l'autorisation ... d'être en
liberté pendant sa période d'emprisonnement»—
et pour la révoquer. C'est l'article 6 qui lui
confère cette compétence. L'article 10 décrit les
pouvoirs de la Commission concernant l'octroi
et la révocation de la libération conditionnelle.
Avant de l'accorder, la Commission doit s'assu-
rer que le détenu a tiré le plus grand avantage
possible de l'emprisonnement, que la libération
conditionnelle facilitera le redressement et la
réhabilitation du détenu et que sa mise en liberté
ne constitue pas un risque indu pour la société.
A part quelques exceptions non pertinentes en
l'espèce, la Commission peut, «à, sa discrétion»,
révoquer la libération conditionnelle de tout
«détenu à liberté conditionnelle» et de toute
«personne» dont la condamnation a expiré alors
qu'elle était sous garde en conséquence de la
suspension de sa libération conditionnelle.
La question soulevée dans cette requête,
comme je l'ai déjà indiqué, consiste à détermi-
ner si la décision de la Commission nationale
des libérations conditionnelles de révoquer une
libération conditionnelle est
... une décision ou ordonnance de nature administrative qui
n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire ... .
il est établi qu'une ordonnance de révocation
d'une libération conditionnelle est de nature
administrative. (Voir Ex p. McCaud [1965] 1
C.C.C. 168.) Une personne condamnée à une
peine d'emprisonnement a perdu, par applica
tion régulière de la loi, la liberté d'aller où elle
veut et est gardée en détention dans une prison.
C'est l'autorité administrative qui décide dans
quelle partie de la prison elle devra demeurer à
une époque donnée. En vertu de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, il peut se
voir autorisé à être «en liberté» pendant une
partie de sa période d'emprisonnement et la
Commission des libérations conditionnelles jouit
d'«une discrétion absolue» en ce qui concerne
l'octroi de cette autorisation et sa révocation.
La décision d'accorder cette autorisation n'est
ni une décision législative ni une décision judi-
ciaire. C'est une décision administrative. La dif
ficulté de la question soulevée par cette requête
consiste à déterminer non pas si cette décision
est une décision administrative, mais si elle est
soumise à un «processus judiciaire ou quasi
judiciaire». Comme on ne peut certainement pas
suggérer, à mon avis, que les décisions de la
Commission sont soumises à un processus
«judiciaire», il en résulte que la seule difficulté
à résoudre pour statuer sur cette requête con-
siste à déterminer si la Commission doit prendre
ses décisions de révoquer la libération condi-
tionnelle selon un processus «quasi judiciaire».
Bien qu'il n'y ait pas dans la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, ni dans les
règles établies en vertu de celle-ci, de disposi
tions détaillées concernant la procédure, s'il y
en a une, que doit suivre la Commission des
libérations conditionnelles avant de prendre la
décision de révoquer une libération condition-
nelle, l'article 16 de la loi spécifie différentes
étapes qui, à mon avis, sont des conditions
essentielles au prononcé d'une telle décision.
Ces étapes sont les suivantes:
1. L'article 16(1) autorise un membre de la
Commission (ou toute personne qu'elle dési-
gne) à suspendre toute libération condition-
nelle et à ordonner l'arrestation d'un détenu à
liberté conditionnelle, chaque fois qu'il est
convaincu que l'«arrestation» du détenu est
nécessaire ou souhaitable
a) pour empêcher la violation d'une moda-
lité de la libération conditionnelle,
b) pour la réhabilitation du détenu, ou
c) pour la protection de la société.
(Un détenu à liberté conditionnelle arrêté con-
formément à cette autorisation doit être
amené devant un magistrat qui doit le ren-
voyer sous garde jusqu'à ce que la suspension
de sa libération conditionnelle soit annulée ou
que sa libération conditionnelle soit révoquée
ou frappée de déchéance (article 16(2)).)
2. La personne qui a suspendu la libération
conditionnelle (ou toute autre personne dési-
gnée à cette fin) doit, immédiatement après
l'arrestation du détenu à liberté condition-
nelle, soit annuler la suspension de la libéra-
tion conditionnelle soit renvoyer l'affaire à la
Commission (article 12(3)).
3. Lorsqu'un tel cas lui est renvoyé, la Com
mission doit, conformément à l'article 16(4),
«faire effectuer toutes les enquêtes y relatives
qu'elle estime nécessaires».
4. Enfin, la Commission doit, conformément
à l'article 16(4), soit annuler la suspension
soit révoquer la libération conditionnelle,
mais seulement «après que ces enquêtes et
cet examen sont terminés».
A mon avis, la Commission des libérations
conditionnelles ne peut exercer le pouvoir de
révoquer une libération conditionnelle que de la
manière prévue à l'article 16 et seulement après
avoir parcouru toutes les étapes prévues dans
cet article 2 , notamment, après que «les enquêtes
y relatives qu'elle estime nécessaires ... sont
terminées». La Commission elle-même doit
donc, chaque fois qu'un cas de suspension lui
est renvoyé en vertu de l'article 16(3), décider
quelles enquêtes sont nécessaires afin de déter-
miner si elle doit annuler la suspension ou révo-
quer la libération conditionnelle.' Jusqu'à ce que
sa décision soit prise et que les enquêtes jugées
nécessaires soient achevées, la Commission n'a
pas le pouvoir de révoquer la libération condi-
tionnelle, et toute prétendue révocation faite
avant que ces conditions ne soient remplies est,
à mon avis, annulable sur simple requête du
détenu à liberté conditionnelle, à compter de la
date où elle a été prise. (Voir Durayappah c.
Fernando [1967] 2 A.C. 337, Lord Upjohn à la
p. 354.)
Si ce point de vue est correct, on peut intenter
une action contre une prétendue révocation de
la libération conditionnelle soit en vertu de l'ar-
ticle 28, soit selon les procédures appropriées
en Division de première instance, selon que la
procédure requise par l'article 16(4) pour la
révocation est un processus quasi judiciaire ou
qu'elle ne nécessite rien de plus qu'une démar-
che purement administrative.
A mon avis, l'article 16(4) n'exige pas une
procédure quasi judiciaire. A mon sens, le pro-
cessus pour arriver à une décision n'est pas
quasi judiciaire à moins qu'il ne comporte l'obli-
gation, d'abord, de communiquer à la personne
concernée, d'une manière ou d'une autre, les
faits sur lesquels on veut fonder l'action qui la
vise, et, ensuite, de lui donner une possibilité
réelle de présenter sa défense. L'article 16(4) ne
soumet pas la délivrance de l'ordonnance de
révocation à ces conditions préalables,/Elles y
sont en fait rejetées. Il exige seulement que la
Commission procède aux «enquêtes» qu'elle
considère nécessaires. En temps normal, je ne
doute pas qu'une Commission, agissant d'une
manière responsable, comme elle le doit, procè-
derait à une enquête au cours de laquelle
a) elle communiquerait au détenu à liberté
conditionnelle, de manière appropriée, ce qui
a été retenu contre lui, et
b) elle lui fournirait une possibilité réelle d'y
répondre.
Il est évident que, dans un cas normal, c'est la
marche à suivre pour parvenir aux faits, et pour
éviter tout sentiment d'injustice. Cependant, il y
a probablement des cas où il n'est ni possible ni
prudent de procéder ainsi. La loi laisse à la
sagesse de la Commission le choix d'adopter ou
non cette ligne de conduite dans un cas particu-
lier. Dans ces circonstances, on ne peut dire que
la décision de révoquer est «légalement soumise
à un processus judiciaire ou quasi judiciaire». Je
conclus donc que cette Cour n'a pas, en vertu
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale,
compétence pour annuler une telle décision.
Mon analyse des dispositions de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus concernant
la révocation de la libération conditionnelle
n'amène à la même conclusion que celle qu'a
exprimée le juge Spence, et qui a été confirmée
par la Cour suprême du Canada ([1965] 1
C.C.C. 168), dans l'affaire Ex p. McCaud, con-
cernant la revendication par un détenu à liberté
conditionnelle du droit d'être entendu. Dans
cette affaire, il semble que la revendication de
ce droit était fondée uniquement sur la Déclara-
tion des droits. Il n'est donc pas nécessaire que
je décide si cet arrêt a établi une jurisprudence
selon laquelle les dispositions pertinentes de la
Loi sur la libération conditionnelle de détenus
(indépendamment de la Déclaration des droits),
interprétées en accord avec la jurisprudence en
la matière, ne confèrent pas au détenu à liberté
conditionnelle une possibilité réelle de répondre
aux faits allégués contre lui avant que sa libéra-
tion conditionnelle ne soit révoquée.
Je suis d'avis que la requête visant à mettre
fin aux procédures doit être accueillie.
* * *
LE JUGE PRATTE a souscrit à l'avis.
* * *
LE JUGE THURLOW (oralement)—Cette
requête pour mettre fin aux procédures soulève
la question de savoir si l'ordonnance de la Com
mission nationale des libérations conditionnelles
révoquant la libération conditionnelle du requé-
rant est une «ordonnance de nature administra
tive qui n'est pas légalement soumise à un pro-
cessus judiciaire ou quasi judiciaire» au sens de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
S'il n'y avait pas eu de précédent en la
matière j'aurais pu conclure', considérant l'éco-
nomie et les dispositions de la Loi sur la libéra-
tion conditionnelle de détenus, qu'au moins dans
les cas où les raisons valables qui, de l'avis de la
Commission, justifieraient la révocation seraient
basées sur la prétendue inconduite du détenu au
cours de sa libération conditionnelle, les critères
d'équité auxquels devrait se conformer une
enquête dont les résultats pourraient conduire à
la révocation, devraient comprendre une possi-
bilité réelle pour le détenu à liberté condition-
nelle d'exprimer son point de vue quant à cette
prétendue inconduite. Le droit de se voir recon-
naître une telle possibilité est, tel que je conçois
le droit, une caractéristique commune aux pro-
cessus quasi judiciaire et judiciaire, bien que les
moyens offerts ne soient pas nécessairement les
mêmes dans les deux cas.
Cependant, il me semble que la question de
savoir si cette possibilité doit être accordée au
détenu avant la révocation de sa libération con-
ditionnelle a été soulevée et résolue à l'encontre
de la prétention du requérant par la décision de
la Cour suprême dans l'affaire Ex p. McCaud
[1965] 1 C.C.C. 168. Dans cette affaire, le juge
Spence avait déclaré [à la page 169]:
[TRADUCTION] Le requérant se plaint de n'avoir jamais été
informé de la raison pour laquelle sa libération condition-
nelle a été révoquée et de n'avoir pas eu la possibilité de se
présenter à l'audition de sa cause et de s'opposer à ladite
révocation. Le requérant invoque la Déclaration canadienne
des droits, 1960 (Can.), c. 44, et notamment l'article 2e).
A mon avis, les dispositions de l'article 2e) de la Déclara-
tion canadienne des droits ne s'appliquent pas à la révoca-
tion de la libération conditionnelle du requérant décidée en
vertu des dispositions de la Loi sur la libération condition-
nelle de détenus. L'article 8d) de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, 1958 (Can.), c. 38, prévoit que «la
Commission peut ... révoquer la liberté conditionnelle, à sa
discrétion» (les italiques sont de moi); l'article 11 de ladite
loi prévoit que la «sentence d'un détenu à liberté condition-
nelle, tant que cette dernière demeure non révoquée ni
frappée de déchéance, est réputée rester en vigueur jusqu'à
son expiration conformément à la loi»; donc, lorsque la
libération conditionnelle du requérant a été révoquée, la
sentence qu'il purgeait a été réputée rester en vigueur. C'est
la Commission des libérations conditionnelles qui décide, à
sa discrétion, si la sentence sera purgée dans une institution
ou à l'extérieur de celle-ci selon les conditions de la libéra-
tion conditionnelle; cette décision est de nature administra
tive et elle n'est jamais une décision judiciaire. En fait,
l'article 9 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus
prévoit que:
9. La Commission, en étudiant la question de savoir s'il
faut octroyer ou révoquer la libération conditionnelle,
n'est pas tenue d'accorder une entrevue personnelle au
détenu ni à quelque personne agissant au nom de celui-ci.
En appel, le juge Cartwright (alors juge puîné) a
déclaré, en prononçant le jugement de la Cour
[voir page 170]:
[TRADUCTION] En ce qui concerne la thèse de l'appelant
fondée sur la Déclaration canadienne des droits, nous sous-
crivons aux motifs du juge Spence.
L'avocat du requérant voulait qu'une distinc
tion soit introduite entre l'affaire McCaud et la
présente, en invoquant deux motifs: (1) que
l'article 16(1) de la Loi sur la libération condi-
tionnelle de détenus (auparavant l'article 12(1)) a
été modifié depuis par l'introduction de motifs
nouveaux ou additionnels de suspension et de
révocation de la libération conditionnelle, et
qu'il faut donc considérer à nouveau la question
à partir du nouveau texte; (2) que l'évolution du
droit depuis ce jugement montre qu'il peut y
avoir deux étapes dans une telle procédure
administrative, à savoir, la vérification des faits,
pour laquelle devrait être appliqué le principe
audi alteram partem et ensuite l'évaluation,
pour laquelle il ne serait pas nécessairement
appliqué et que, de plus, il s'agissait dans l'af-
faire McCaud de déterminer si l'article 2e) de la
Déclaration canadienne des droits s'appliquait et
donnait au détenu à liberté conditionnelle le
droit d'être entendu.
En ce qui concerne le premier motif, j'estime
que les modifications apportées à l'article 16(1)
n'ont changé en aucune manière la nature des
enquêtes exigées préalablement à la révocation
de la libération conditionnelle.
Quant au deuxième motif, on peut remarquer
que la plainte dans l'affaire McCaud, mis à part
ses fondements juridiques décrits dans les
motifs du juge Spence, était que [TRADUCTION]
«il n'avait jamais été informé des motifs pour
lesquels sa libération conditionnelle avait été
révoquée et n'avait jamais eu la possibilité
d'être présent à l'audition de sa cause et de
s'opposer à la révocation». Il me semble donc
que la question soulevée par cette requête a
déjà été jugée au fond par la Cour suprême dans
l'affaire McCaud.
Il s'ensuit, à mon avis, que la demande d'an-
nulation fait en vertu de l'article 28 n'est pas de
la compétence de cette Cour et qu'on doit donc
y mettre fin.
LE JUGE EN CHEF JACKETT:
1 Autant que je sache, aucune règle visant la conduite des
délibérations de la Commission n'a été établie en vertu de
l'article 3(6).
2 La rédaction de l'article 10(1)e) pourrait, en première
analyse, laisser croire qu'il en va autrement. Un examen
plus approfondi, cependant, montre qu'il envisage la révoca-
tion dans les cas d'a) un détenu à liberté conditionnelle ou b)
d'une personne qui a été arrêtée en vertu de l'article 16 alors
qu'il était un détenu à liberté conditionnelle.
L'importance de cette décision est démontrée par le fait
qu'elle doit être prise par la Commission elle-même et non
pas par un seul de ses membres ou par une personne
désignée pour suspendre la libération conditionnelle. Com-
parez les paragraphes (4) et (1) de l'article 16.
LE JUGE THURLOW:
1 Comparez les conclusions du juge Pennell dans l'affaire
Ex p. Beauchamp [1970] 3 O.R. 607 et celles du juge
d'appel Martin dans l'affaire Ex p. Marcotte (1973) 13
C.C.C. (2e) 114.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.