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Lutf y Limited (Demanderesse)
c.
Canadien Pacifique Limitée (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 18 septembre; Ottawa, le 16 octo- bre 1973.
Droit maritime—Connaissement direct—Les clauses rela tives au transport par mer ne s'appliquent pas au transport ferroviaire.
Une cargaison de pièces de nylon, placée dans un conte- neur, fut embarquée au port de Londres à bord du N/MAlex et expédiée à la demanderesse à Montréal, via Saint-Jean (N.43.), sous connaissement direct de la C.P. Navigation et du Canadien Pacifique Limitée. Lors de sa livraison à la demanderesse à Montréal, il s'avéra que la cargaison avait été endommagée par de l'eau s'étant apparemment infiltrée dans le conteneur alors qu'il était transporté par la compa- gnie de chemin de fer défenderesse. Les Parties I et II du connaissement se rapportaient au transport par mer et la Partie III au transport par chemin de fer. La compagnie de chemin de fer fondait sa défense sur certaines stipulations des Parties I et II du connaissement, limitant la responsabi- lité du transporteur.
Arrêt: les stipulations du connaissement relatives au trans port par mer ne s'appliquent qu'à la compagnie de naviga tion et seules les stipulations de la Partie III, approuvées par la Commission canadienne des transports, s'appliquent à la compagnie de chemin de fer. La compagnie de chemin de fer ne pouvait donc pas, en s'associant au connaissement d'un transporteur maritime, diminuer sa responsabilité ou limiter le délai pour l'introduction d'une action, excepté dans la mesure les règlements en matière de chemin de fer édictés en vertu de la Loi sur les chemins de fer l'autorisaient.
ACTION en dommages-intérêts. AVOCATS:
David Angus pour la demanderesse. Pierre Durand pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman et Elliott & Co., Montréal, pour la demanderesse.
Gadbois et Joannette, Montréal, pour la défenderesse.
LE JUGE WALSH—Par la présente action, il est demandé $10,386.43 de dommages-intérêts pour les dommages subis par une cargaison de 450 pièces de tricot de nylon placées dans un conteneur, embarquées le 28 mars 1969 sous
connaissement net au port de Londres (Angle- terre) à bord du navire NIM Alex et destinées à la demanderesse, à Montréal, via Saint-Jean (Nouveau-Brunswick). Lors de la livraison de la cargaison à la demanderesse, à Montréal, il s'avéra qu'elle avait été endommagée et détério- rée par de l'eau qui s'était apparemment écoulée par des trous dans la paroi supérieure du conte- neur. Un avis de pertes fut dûment envoyé à la défenderesse, on procéda à des expertises et les parties ont convenu que les dommages s'éle- vaient à $10,386.43, la somme réclamée, après déduction de la valeur des marchandises non endommagées. La demanderesse prétend que les pertes résultent du fait que la défenderesse ne s'est pas conformée à ses obligations, savoir, avec les précautions nécessaires, assurer le transport, la manutention et la livraison des marchandises en bon état, et que la défende- resse est donc responsable envers elle pour rup ture de contrat. Dans sa déclaration, la deman- deresse demande aussi des dommages-intérêts sur la base de la responsabilité délictuelle de la défenderesse, alléguant que celle-ci a commis une faute lourde dans la manutention de la cargaison et n'est donc en droit d'invoquer aucun des droits, ni aucune des exonérations ou limitations de responsabilité dont elle pourrait autrement se prévaloir en droit ou en vertu du contrat. La demande fondée sur la responsabi- lité délictuelle fut abandonnée, la demanderesse ayant admis qu'elle était prescrite. En outre la demanderesse invoque précisément la doctrine res ipsa loquitur.
Il fut admis que, sur les 450 pièces de tricot de nylon placées dans le conteneur, la demande- resse n'était propriétaire que de 400 des pièces expédiées à Montréal sous connaissement direct du Canadien Pacifique Limitée (ci-après appe- lée la compagnie de chemin de fer) et de la C. P. Navigation (ci-après appelée la compagnie de navigation); il fut aussi admis que la compagnie de navigation avait livré le conteneur à la défen- deresse en bon état apparent, le 14 avril 1969, à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick), que la défen- deresse avait consenti à transporter le conteneur par chemin de fer jusqu'à Montréal et à le livrer à la demanderesse, et que, lors de la livraison des marchandises à la demanderesse à Mont- réal, le 2 mai ou vers cette date, il s'avéra
qu'elles étaient humides et sérieusement endom- magées. Il fut admis en outre que le conteneur avait été arrimé dans la cale du navire.
Présentant ses objections, la défenderesse prétend que la demanderesse ne peut la poursui- vre en responsabilité délictuelle puisqu'une période de plus de deux ans s'est écoulée entre la date de l'expédition et le 10 décembre 1971, date de l'introduction de la présente action, et qu'elle est donc en droit d'invoquer tous droits, exonérations ou limitations de responsabilité dont elle peut se prévaloir en droit et en vertu du connaissement. Sous l'en-tête «conditions», le connaissement stipule que:
[TRADUCTION] Il est convenu que chaque transporteur sur cet itinéraire ne sera responsable des marchandises que pendant que celles-ci sont sous sa garde. Les ententes en vue d'un transport direct sont conclues pour la commodité des chargeurs et la responsabilité de chaque transporteur en ce qui concerne le transport et l'entreposage par d'autres moyens que ses propres navires, ou autres véhicules, dépôts, ou lignes de chemin de fer, incombe au transporteur réel seulement; toute réclamation en cas de perte, de dom- mage ou de retard, doit seulement être faite contre la personne ou compagnie qui avait réellement la garde des marchandises au moment la perte, le dommage ou le retard ont été causés ou se sont produits.
La défenderesse déclare que, lorsqu'elle trans- borda le conteneur à Saint-Jean (Nouveau- Brunswick), le 14 avril 1969, il était en bon état apparent et qu'il avait été, ainsi que son charge- ment, chargé, manutentionné, arrimé, trans porté, gardé, traité et déchargé de façon appro- priée et soigneuse, en conformité du droit et des termes du connaissement; elle déclare aussi qu'une analyse technique de la cargaison, effec- tuée après livraison au destinataire, révéla la présence de chlorure en quantité suffisante pour indiquer que l'emballage avait été en contact avec de l'eau salée diluée, que cet emballage n'avait pu entrer en contact avec de l'eau salée lorsqu'il était sous sa garde et que cela avait donc se produire soit au port de Londres (Angleterre), soit lorsque le conteneur et son chargement étaient à bord du navire Alex; la défenderesse prétend qu'elle ne peut être tenue responsable des dommages survenus alors que la cargaison n'était pas sous sa garde. Elle allè- gue en outre que le chargeur n'a pas déclaré la valeur du conteneur et de son chargement à plus de £100 et que, si elle était responsable, elle
serait en droit de limiter sa responsabilité à cette somme en droit (Les Règles de La Haye) et conformément aux dispositions du connaisse- ment.
Elle soutient en outre que la demanderesse a omis de lui envoyer l'avis prévu au connaisse- ment dans les délais stipulés et a aussi omis d'engager les présentes procédures dans le délai d'un an prévu dans le connaissement.
Le connaissement est un connaissement direct établi sur des feuilles portant l'en-tête «Canadian Pacific Railway Company» et, en dessous, «Canadian Pacific Steamships Limi ted»; bien qu'un mandataire de la compagnie de navigation, l'ait établi à Londres (Angleterre), on doit aussi le considérer comme agissant aussi pour le compte de la compagnie de chemin de fer de sorte que les deux compagnies sont con- jointement parties au contrat. Puisqu'il s'agit d'un connaissement direct, la Cour a compé- tence, en vertu des dispositions de l'article 22(2)f) de la Loi sur la Cour fédérale qui se lit comme suit:
22. (2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
f) toute demande née d'une convention relative au trans port à bord d'un navire de marchandises couvertes par un connaissement direct ou pour lesquelles on a l'intention d'établir un connaissement direct, pour la perte ou l'avarie de marchandises survenue à quelque moment ou en quel- que lieu en cours de route;
Le navire transportant les marchandises, le N/M Alex, n'appartenait pas à la compagnie de navi gation mais avait été affrété à temps par celle-ci. Le connaissement contenait une clause rédigée comme suit:
[TRADUCTION] 18. Si le navire n'appartient pas ou n'a pas été affrété coque nue au Canadien Pacifique Limitée ou à la C. P. Navigation (nonobstant toute apparence à l'effet contraire), ce connaissement sera un contrat qui ne lie que le propriétaire ou l'affréteur coque nue, selon le cas, en tant que commettant, par l'intermédiaire du Canadien Pacifi- que Limitée ou de la C. P. Navigation qui, dans les deux cas, n'agit qu'en tant que mandataire et n'engage aucunement sa responsabilité à cet égard.
Le reçu provisoire signé à Saint-Jean (Nou- veau-Brunswick) indique comme transporteur la compagnie de chemin de fer, comme destination les Services spéciaux de la Place Viger', l'indi- cation de la jetée RIT; aucune remarque n'a été ajoutée à la formule imprimée [TRADUCTION]: «les colis ou pièces suivantes sont en bon état apparent».
Le bordereau d'expédition indique que la car- gaison quitta Saint-Jean le 16 avril 1969 et devait être entreposée sur une voie de charge- ment afin d'être livrée par les Services spéciaux de la Place Viger au destinataire, la demande- resse Lutfy Limited. Elle porte un tampon daté du 18 avril 1969 de la Blackpool Brokerage et le sceau apposé par l'appréciateur des douanes le 23 avril 1969. Elle ne fut pas livrée à la deman- deresse avant le 2 mai et le bordereau de livrai- son porte la mention manuscrite suivante, datée du 6 mai: [TRADUCTION] «conteneur usagé et rouillé sur le dessus, tout le contenu saturé d'eau et taché, reçu sous réserve». Les mar- chandises furent partiellement déballées à la Lutfy et Yvry Kyle, directeur des achats de la demanderesse et à son service depuis 18 ans, fut convoqué ainsi que d'autres employés expé- rimentés de la compagnie pour examiner l'état des marchandises. Il vit de l'eau provenant du conteneur se répandre sur le sol et remarqua que les colis déchargés étaient humides. Il péné- tra dans le conteneur dont le plancher et les parois latérales étaient humides, et put voir le jour à travers quatre ou cinq trous dans la paroi supérieure, d'environ un pouce de diamètre chacun à son avis. Le conteneur s'ouvre sur le côté. Les parois latérales du conteneur avaient un revêtement en carton ondulé servant à proté- ger la cargaison, et ce carton aussi était humide. Les colis étaient longs d'environ 54 pouces, avaient un diamètre d'environ 8 pouces et étaient enveloppés dans un papier verdâtre.
La demanderesse fit appel à Francesco Librero, expert en chargement chevronné, qui, lorsqu'il se rendit chez la demanderesse, le 6 mai 1969, constata qu'une partie des rouleaux était sortie du conteneur. Le conteneur avait un volume d'environ 20' x 8' x 8' et était en tôle ondulée. Il y avait des planches de bois sur le plancher, mais il n'y avait pas d'autre revête-
ment si ce n'est du carton ondulé sur le plancher et les parois latérales. Quelques-uns des rou- leaux qu'on avait sortis du conteneur étaient humides, il put constater qu'à l'intérieur d'autres rouleaux étaient humides, en particulier ceux qui se trouvaient dans la partie supérieure, près des parois latérales, ainsi que ceux qui étaient posés directement sur le plancher. Les revête- ments étaient saturés d'eau. Il releva environ cinq trous d'approximativement un demi-pouce à un pouce et demi de diamètre dans le plafond du conteneur sur le côté droit vers le centre. Il suggéra que le chargement soit envoyé à une usine de récupération afin que les colis soient ouverts et examinés plus à fond. Les colis étaient apparemment emballés dans du carton ondulé et du papier d'emballage fort, non étan- che. Les colis les plus humides se trouvaient dans les coins inférieurs du conteneur. Il se mit en contact avec la compagnie de chemin de fer et préleva un échantillon de papier mouillé afin de l'envoyer au laboratoire J.T. Donald pour analyse et faire déterminer s'il avait été en con tact avec de l'eau salée. Cet échantillon, d'envi- ron un pied carré, fut prélevé sur l'un des rou- leaux les plus humides. La vente du tissu récupéré se chiffra finalement à $7,100, les colis n'étant pas uniformément imprégnés d'hu- midité. A son avis, les colis avaient été mouillés assez récemment, même si une fois humides, ils ne pouvaient sécher dans le conteneur. Cepen- dant, en l'espace de quelques semaines, ils auraient moisi et il n'y avait pas de moisissure dans ce cas. Il suggéra que les traces de sel trouvées au cours de l'analyse en laboratoire pouvaient résulter du fait que le conteneur avait été transporté sur le pont d'un navire au cours de voyages précédents et avait été recouvert d'un film de sel qui, dilué par l'eau de pluie, se serait infiltré par les trous. Il a aussi déclaré qu'il peut se former en mer un certain dépôt salin provenant de l'air marin. Il avait même rencontré une fois le cas d'une cargaison de fer placée en cale et qui avait rouillé sous l'effet du sel. On l'avait chargée un jour de pluie, les panneaux d'écoutille étant sur le rivage. Lors- qu'on plaça ces panneaux au-dessus de la cale, de l'eau s'accumula en dessous et dégoulina sur la cargaison, laissant des traces de sel qui rouil- lèrent. Il témoigna aussi que l'expression [TRA-
DUCTION] «chargement et décompte du char- geur» dans le connaissement signifie que les chargeurs placent eux-mêmes les marchandises dans le conteneur. Pour des transports transo- céaniques autrement que par conteneur, les marchandises auraient été enveloppées dans du papier polyvinylique et du papier d'emballage fort, puis placées dans des boîtes étanches. Les conteneurs sont scellés au lieu de départ et, normalement, ne sont pas ouverts par la suite jusqu'à la livraison, sauf peut-être par les doua- nes. Lorsqu'il vit les marchandises, le 6 mai, quatre jours après la livraison, elles avaient été partiellement déchargées. Il affirma que, lorsque les marchandises sont transportées en conte- neurs conçus pour être étanches, il n'est pas courant d'emballer le contenu dans du polyvi- nyle, car le papier d'emballage se déchire moins facilement et l'étanchéité supposée du conte- neur rend inutiles un emballage polyvinylique et les cartons. S'ils n'avaient pas été transportés en conteneur, on aurait placé des rouleaux de dimensions semblables à ceux de cette cargai- son dans des cartons en contenant 4 à 6, dont la taille et le poids sont commodes pour la manutention.
Solomon Lipsett, témoin expert cité par la demanderesse, fit une déposition. Par accord entre les parties et avec l'autorisation de la Cour, son témoignage et celui du témoin-expert de la défenderesse, James Orr, furent admis malgré l'absence de leurs affidavits conformé- ment à la Règle 482. Lipsett est docteur en chimie, membre de l'Institut de chimie du Canada, membre de l'American Chemical Society et est au service du Laboratoire J.T. Donald depuis 1928 en tant qu'ingénieur-conseil et chimiste. Il affirma qu'au cours de sa car- rière, il a procédé à environ 5,000 examens de dommages dus à l'eau salée. Admettant l'affir- mation de Librero selon laquelle le papier qu'il reçut pour analyse était détrempé lorsqu'il fut enlevé du conteneur, ses examens indiquent que l'imprégnation principale de ce papier n'était pas due à de l'eau de mer, car la teneur en sel aurait été environ vingt fois plus élevée qu'elle ne l'était. Bien que son analyse portât sur la recher- che des chlorures en général, 80% du sel de l'eau de mer est du chlorure de sodium. Il l'ef- fectua en considérant que, s'il découvrait du
chlorure dans le papier, il s'agirait de chlorure de sodium. Les traces de sel découvertes étaient infimes et s'élevaient à 0.14%. Même si le papier était poreux et si un peu de chlorure avait pu être absorbé directement de l'air marin, il estima qu'une partie du sel pouvait provenir d'un dépôt de sel sur le conteneur, si on l'avait laissé sur un quai au bord de la mer et donc exposé à l'air marin; ce dépôt aurait pu pénétrer alors à l'intérieur avec de l'eau de pluie par les fentes du conteneur, et, plus tard, à l'intérieur des terres être encore plus dilué par de l'eau de pluie. Le papier lui-même peut avoir une teneur en chlorure de 0.01 à 0.06%. Si l'échantillon a été prélevé au fond ou près d'un des trous, la quantité de sel qu'il y a trouvée, pourrait à son avis provenir d'infiltrations par ce trou mais pas sous forme d'eau de mer. A son avis, si le papier avait été détrempé à l'origine par de l'eau de mer, il était peu probable que la teneur en chlorure ait été réduite à la faible quantité découverte, même si, par la suite, elle avait été beaucoup diluée par de l'eau de pluie.
Cité par la défenderesse, James Dunn, direc- teur du service de réclamations et assurances de la compagnie de navigation, témoigna que le conteneur fut loué par celle-ci à la Sea Contai ners, à Londres, et que les conteneurs sont soumis à des vérifications avant d'être envoyés à un client s'ils sont expédiés directement par la compagnie de navigation. Dans ce cas le char- geur a procédé lui-même au chargement du con- teneur. Il fut arrimé sous le pont dans la cale 3 et il est possible qu'un autre conteneur ait été placé dessus. Il convint avec d'autres témoins que, si les balles de nylon ne sont pas en conte- neur, elles sont normalement enveloppées dans un emballage étanche et placées dans des car tons en contenant plusieurs. Au cours du con- tre-interrogatoire, il admit que bien que les deux compagnies aient respectivement comme noms C. P. Navigation et Canadien Pacifique Limitée, elles sont entièrement indépendantes, mais que le connaissement fut établi pour les deux de sorte que, dans un certain sens, elles agissaient conjointement comme étant mandataire l'une de l'autre. Les prix donnés par la compagnie de navigation comprennent les tarifs de fret terres- tre. Normalement la compagnie de navigation perçoit le paiement et verse à la compagnie de
chemin de fer la part lui revenant. La compa- gnie de navigation s'arrange avec la compagnie de chemin de fer pour la poursuite du transport par chemin de fer, pour le compte du chargeur à moins que le client n'en décide autrement. Il témoigna en outre qu'à la demande de la Dale and Company, représentant les assureurs de la demanderesse, le délai fixé pour engager des poursuites contre la compagnie de navigation fut prolongé. La clause 4 de l'Accord relatif à la clause-or se lit comme suit:
[TRADUCTION] 4. Les propriétaires du navire, à la demande de toute partie représentant la cargaison (faite avant ou après l'expiration du délai de douze mois à compter de la livraison des marchandises ou après la date les marchandises auraient être livrées, ainsi que le prévoient les Règles de La Haye) prolongeront de douze mois le délai prévu pour l'institution de poursuites, sauf dans les cas où:—
a) Un avis de la réclamation contenant tous les détails possibles n'a pas été envoyé au cours de cette période de douze mois.
ou
b) Les destinataires ou les assureurs ont indûment retardé l'obtention des renseignements pertinents et l'établisse- ment de la réclamation.
Par lettre datée du 14 avril 1970, le délai pour engager des procédures fut prorogé jusqu'au 8 avril 1971 inclus. Ce délai fut parles suite pro longé de trois mois supplémentaires jusqu'au 13 juillet 1971 et la demanderesse engagea des poursuites contre le Canadien Pacifique Limi- tée, la C. P. Navigation et les propriétaires du N/M Alex le 18 juin 1971, soit au cours de ce nouveau délai. Cependant il n'avait jamais été convenu que des procédures allaient être enga gées contre la compagnie de navigation au Canada, et celle-ci invoqua les dispositions de l'Accord relatif à la clause-or, soulignant que l'action devait être intentée par l'intermédiaire de la Lloyd à Londres. Une suite de plusieurs prolongations de trois mois étendit le délai jus- qu'au 30 septembre 1973. Toutes ces prolonga tions furent faites au nom de la compagnie de navigation et non à celui de la compagnie de chemin de fer. La compagnie de navigation déclina toute responsabilité, invoquant le reçu sans réserve délivré par la défenderesse, la com- pagnie de chemin de fer. Dunn admit qu'il faut inspecter soigneusement les conteneurs lors de leur débarquement du navire car ils peuvent avoir été troués au cours- de la manutention,
mais déclara qu'à ce moment-là, seuls les côtés et le fond étaient examinés, bien que maintenant on vérifiât aussi l'état de la paroi supérieure.
Il incombait à Joseph Curtis, qui était à l'épo- que chargé du triage, Place Viger pour les Servi ces spéciaux de la Canadian Pacific Express Company, de prendre livraison des conteneurs en provenance de Saint-Jean (Nouveau-Bruns- wick) et, sur demande, de les livrer au destina- taire; il affirma que les conteneurs en cause étaient sur la voie le 15 avril au matin', mais qu'ils ne furent pas dédouanés avant le 23 avril. Il ne sait pas personnellement si l'on avait avisé la demanderesse de l'arrivée du conteneur car c'était normalement la compagnie de chemin de fer et non pas le dépôt qui s'en chargeait. Il sait qu'un appel téléphonique fut adressé à Dionne, employé de la compagnie demanderesse, vers le 28 avril. A sa connaissance, le conteneur n'a subi aucun dommage alors qu'il était au dépôt. Normalement, on les soulève avec un élévateur à fourche par dessous sans que le dessus ne soit touché. Il ne pense pas que les conteneurs soient superposés dans le dépôt bien que cela puisse être le cas pour les conteneurs vides.
Le témoignage de James P. McGee, chargé d'enquêter sur les réclamations pour le compte de la défenderesse et qui en 1969 était le commis principal s'occupant des déficits, excé- dents et dommages pour le secteur atlantique de la compagnie, porta sur les différentes formules utilisées. Il témoigna que, normalement, des marchandises telles que celles qui nous occu- pent, étaient enveloppées dans un emballage polyvinylique, puis placées dans un carton et séparées les unes des autres par du papier imperméable; on remplit chaque carton avec quatre à six rouleaux de sorte que les colis ont un poids total d'environ 200 lbs. Il ne connaît pas la formule utilisée pour un connaissement direct mais sait que les connaissements pour les transports intérieurs utilisés par la compagnie de chemin de fer ont été approuvés par la Commis sion canadienne des transports. Toutes les stipu lations de ce connaissement sont énoncées dans la Partie III du connaissement direct délivré conjointement par la compagnie de chemin de fer et la compagnie de navigation. Le préambule de la partie en question se lit comme suit:
[TRADUCTION] PARTIE III—En ce qui concerne les services au port de déchargement susmentionné, il est convenu que:
suivi des clauses du connaissement pour les transports intérieurs et il est significatif qu'elles ne stipulent aucun délai sous lequel il faille intenter une action.
James Orr, ingénieur, aujourd'hui directeur adjoint de l'exploitation aux ateliers Angus de la défenderesse, à Montréal, témoigna comme témoin-expert. Il est licencié ès sciences, techni ques de la métallurgie, de l'université de Califor- nie et a travaillé pour la défenderesse de 1958 à 1970 comme ingénieur chargé des essais au laboratoire d'analyse des systèmes aux ateliers Angus. Il procède à environ 1,000 analyses de chlorure chaque année. Son analyse de l'échan- tillon de papier effectuée dans l'affaire présente indiquait 667 parties par million, soit 0.11%, ce qui est proche du 0.14% donné dans le témoi- gnage du D r Lipsett. Il témoigna que si le papier avait été saturé à l'origine avec de l'eaù salée, celle-ci avait pu être diluée par de l'eau douce si la dilution avait duré assez longtemps, en parti- culier s'il s'agissait d'un écoulement ou d'un égouttement d'eau, jusqu'à ce que le pourcen- tage de chlorure soit infime. Il témoigna qu'il faudrait mélanger environ 22 onces de sel à dix gallons ou 100 lbs. d'eau pour obtenir la concen tration trouvée. Normalement le nylon n'ab- sorbe pas l'eau, donc, s'il était saturé, comme certains éléments de la preuve l'indiquent, une grande quantité d'eau a s'infiltrer dans le conteneur. Il en a conclu qu'il était impossible que la quantité de sel trouvée soit imputable au balayage par la pluie de la surface du conteneur et il a donc conclu que cette quantité devait provenir d'eau salée diluée par la suite par de l'eau douce. Il nia le fait que le papier contienne normalement une quantité appréciable de chlo- rure. Il ne vit l'échantillon que le 27 mai 1969 et son rapport écrit à ce sujet mentionne une solu tion d'eau salée très diluée. Il pense qu'il n'a pas pu se former un dépôt de 22 onces de sel sur le dessus du conteneur et que même si c'était le cas, ce sel ne se serait pas forcément infiltré avec l'eau par les trous.
Le bulletin produit par le bureau de météoro- logie de Dorval indique 2.60 pouces de précipi- tations entre le 14 avril et le 21 avril, le mois d'avril 1969 ayant été considérablement plus
humide que d'habitude. On n'a donné aucun chiffre à cet égard pour mai; la défenderesse ne nie pourtant pas que le conteneur soit resté sans protection contre les éléments pendant le trans port de Saint-Jean jusqu'à la livraison à la demanderesse. Il est évident que la plus grande partie de l'eau trouvée lors de l'ouverture du conteneur, a y pénétrer par les fissures de la paroi supérieure pendant cette période.
Il est possible que le dessus du conteneur ait déjà été troué lorsque la Sea Containers ou la compagnie de navigation le livra au chargeur et il fut suggéré que, s'il en avait été ainsi, le chargeur, en remplissant le conteneur, aurait remarquer ces trous et le refuser. Mais d'autre part, les parties fournissant le conteneur ont l'obligation primordiale de s'assurer que le client reçoit un conteneur en bon état et étanche. Même si la défenderesse aux présentes n'avait rien à voir avec l'inspection du conteneur avant qu'il soit livré ou avec sa livraison au client, elle était partie au connaissement direct, et le con- naissement d'origine contient une clause ajoutée au tampon indiquant [TRADUCTION] «conteneurs détériorés et endommagés par usure normale, mais aucune indication de dommages subis par le contenu ou d'inadéquation au transport». Une autre clause ajoutée au tampon indique notam- ment [TRADUCTION]: «le (les) conteneur(s) appartienne(nt) à la C. P. Navigation». En tant que partie au connaissement direct, il incombait à la défenderesse de fournir au chargeur un conteneur en bon état, même si à cet égard elle s'en remettrait à l'autre partie, la compagnie de navigation. En me fondant sur la preuve four- nie, je conclus que, dans la manière de placer les marchandises dans le conteneur, le chargeur n'a commis aucune négligence qui justifierait le rejet de la demande.
Il est possible aussi que les trous proviennent de la manutention du conteneur au moment de son chargement sur le navire ou de son déchar- gement, mais, au vu de la preuve à cet égard, et en particulier au vu du reçu sans réserve donné par la compagnie de chemin de fer défenderesse à la compagnie de navigation lorsque cette der- nière lui remit le conteneur, il faut conclure que la défenderesse n'a pas réussi à établir de faute de la compagnie de navigation. Il aurait certai-
nement fallu procéder à une inspection plus minutieuse, ainsi qu'à l'examen du dessus du conteneur avant de l'accepter comme étant en bon état apparent, ce qui, d'après la preuve, est la procédure suivie maintenant. Il semble, d'après la preuve, qu'on . ne pouvait vraiment remarquer les trous qu'en ouvrant un conteneur vide et en y pénétrant pour voir s'il laissait passer le jour. Il me semble cependant qu'un examen minutieux du dessus aurait sûrement permis de découvrir l'existence de trous d'un diamètre allant de un demi-pouce à un pouce et demi. De toute façon, s'il y avait des trous lorsque la défenderesse accepta la livraison, elle a omis de révéler leur existence par une preuve directe à cet égard. Au lieu de cela, elle s'est appuyée sur une expertise concernant les traces de sel très diluées contenues dans les échantil- lons de papier dans lequel étaient emballées les marchandises, pour établir que les marchandises avaient été exposées à l'eau salée qui s'était infiltrée et les avait endommagées avant qu'elle n'en prenne possession. A ce sujet les opinions des experts sont contradictoires. S'ils convien- nent que la quantité de sel était infime, de l'ordre de 0.11 à 0.14%, leurs interprétations diffèrent. Lipsett estime que ces traces de sel seraient imputables à plusieurs facteurs, d'une part au sel contenu dans le papier lui-même, d'autre part, au sel provenant de l'air marin et enfin au sel entraîné par la pluie à l'intérieur du conteneur, dont le toit était recouvert d'un dépôt de sel provenant des embruns et accu- mulé au cours des voyages précédents ou prove- nant de l'air marin. Orr, par contre, n'estime pas que des quantités suffisantes de sel ont pu s'in- troduire dans le conteneur de cette manière, vu la quantité découverte, mais, conclut au con- traire que, si les marchandises avaient été imbi bées d'eau salée, cette dernière aurait pu être diluée par l'eau de pluie s'infiltrant par la suite à travers les fissures jusqu'à la concentration constatée.
La cargaison fut arrimée dans la cale sous le pont et rien n'indique qu'il y avait des fuites dans cette cale pendant le transport alors qu'au contraire, la preuve démontre qu'elle fut expo sée à de fortes précipitations après qu'elle a été remise à la garde de la défenderesse. Les deux experts semblent compétents et avoir de l'expé-
rience. Afin de réfuter la présomption créée par le reçu sans réserve donné par la défenderesse sur réception du conteneur, il faudrait cepen- dant beaucoup plus que la preuve ténue soumise par son expert (preuve controversée par le témoignage de l'expert de la demanderesse) selon laquelle, vu les légères traces de sel trou- vées dans le papier imbibé d'eau dans lequel les marchandises étaient emballées, les dommages causés à ses marchandises se produisirent cer- tainement au moment elles étaient en posses sion de la compagnie de navigation. Je conclus donc que le dommage fut causé par de l'eau de pluie qui, en s'infiltrant par les trous de la paroi supérieure du conteneur, en imbiba le contenu, principalement, sinon uniquement, lorsque le conteneur était en la possession, sous la garde et le contrôle de la défenderesse.
Outre sa défense basée sur les faits, la défen- deresse a plusieurs arguments intéressants en droit.
La défenderesse invoque la Partie III, article 3, du connaissement (une des conditions affé- rentes au transport par chemin de fer) dont un passage se lit comme suit:
[TRADUCTION] Lorsque, selon l'usage courant, en raison de la nature des marchandises, ou à la demande du chargeur, les marchandises sont transportées en wagons ouverts, le trans- porteur (sauf en cas de perte ou dommage par incendie, pour lesquels la responsabilité sera la même que si les marchandi- ses avaient été transportées en wagons fermés) ne sera responsable qu'en cas de négligence de sa part et il lui incombera de prouver qu'il n'a pas commis de négligence.
La défenderesse prétend que ceci élimine la possibilité pour la demanderesse de fonder sa demande sur la doctrine res ipsa loquitur. Le fait que l'action intentée par la demanderesse est fondée sur une rupture de contrat et non sur un délit ou quasi délit ne dégage pas la défende- resse de la charge d'établir l'absence de négli- gence de sa part, en conformité avec ladite condition. La conteneurisation est une méthode de transport relativement nouvelle et il reste un grand nombre de questions à régler par les tribu- naux à ce sujet. Il est certain que les conte- neurs, selon l'usage courant, sont transportés dans des wagons ouverts, mais la condition énoncée audit article 3 vise apparemment des marchandises qui, en raison de leur nature, peu- vent être transportées en wagon ouvert sans
subir de dommages à moins que le transporteur ne commette une négligence. Sans aucun doute, des pièces de nylon ne seraient pas normale- ment [TRADUCTION] «selon l'usage courant, en raison de la nature des marchandises, ou à la demande du chargeur», transportées en wagon ouvert et c'est seulement parce qu'elles étaient dans un conteneur supposé étanche qu'elles ont été transportées ainsi. Indubitablement, il y avait des trous dans la paroi supérieure du con- teneur par lesquels l'eau s'est infiltrée et a endommagé les marchandises. Le fait que la défenderesse n'a pas inspecté le dessus du con- teneur, comme c'est maintenant l'usage, avant d'en accepter la livraison et, en fait, a donné un reçu sans réserve à son égard, comme étant apparemment en bon état, l'empêche d'établir qu'elle s'est acquittée de son obligation de prou- ver l'absence de négligence de sa part, de manière à éviter que ne soit engagée sa respon- sabilité contractuelle pour les dommages causés au chargement du conteneur supposé étanche. Cette défense n'est donc pas recevable.
La défenderesse invoque un autre point de droit, savoir, que les procédures actuelles sont prescrites. A ce sujet, elle invoque la prescrip tion d'un an prévue par les Règles de La Haye, incorporées au connaissement direct et prétend que, même si les délais ont été portés à deux ans, en vertu de l'Accord relatif à la clause-or, les procédures actuelles n'ont pourtant pas été engagées à temps. Elle souligne en outre qu'on ne peut se prévaloir des prolongations du délai pour engager des procédures, accordées par la compagnie de navigation, pour interrompre la prescription en ce qui concerne les actions contre la compagnie de chemin de fer. Le délai d'un an, pendant lequel l'action doit être inten- tée, après livraison des marchandises, est prévu à l'article 17 de la Partie II du connaissement, et j'admets la prétention de la demanderesse selon laquelle ce délai s'applique seulement à la partie du contrat concernant le transport par mer, à savoir à la partie du transport pour lequel la compagnie de navigation est responsable. Ce connaissement fait conjointement par la compa- gnie de chemin de fer et la compagnie de navi gation est d'un type inhabituel, et les stipula tions du connaissement sont clairement divisées
en trois parties. Les préambules de ces parties sont les suivants:
[TRADUCTION] PARTIE I—En ce qui concerne les services jusqu'au port de transbordement (s'il y a lieu) nommément désigné aux présentes:
PARTIE II—En ce qui concerne les services au port de transbordement, s'il en est un nommément désigné aux présentes, jusqu'au port de déchargement mentionné ci-des- sus ou, si aucun port de transbordement n'a été ainsi nom- mément désigné, en ce qui concerne les services audit port de chargement:
PARTIE III—En ce qui concerne les services au port de déchargement désigné ci-dessus, il est convenu que:
Il est évident que des conditions différentes s'appliquent aux diverses périodes pendant les- quelles les marchandises sont en possession des transporteurs. Il n'y a pas un seul transporteur, il y en a deux. Dans le connaissement sont inscrits: le nom du bâtiment, le port de charge- ment, soit Londres, le port de déchargement, soit Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) et la desti nation finale, soit Montréal; à la suite des dispo sitions concernant le transport jusqu'au port de déchargement, le connaissement stipule que:
[TRADUCTION] ... à l'arrivée à cet endroit (les marchandi- ses) doivent être transportées par le Canadien Pacifique Limitée ou autre compagnie de chemin de fer et/ou la compagnie de navigation ou les transporteurs jusqu'à la gare la plus proche de la destination des marchandises susmen- tionnées et, de là, sous réserve de tous les privilèges et stipulations inscrites aux présentes, qu'elles soient écrites, imprimées ou marquées au tampon au recto ou au verso du présent document, doivent être livrées au destinataire nom- mément désigné ci-dessus ou ses mandataires moyennant le paiement des frais y afférents.
Le transport par chemin de fer est donc sujet à [TRADUCTION] «tous les privilèges et stipula tions» du connaissement, qui lui-même indique clairement que ce sont les stipulations de la Partie III (c'est-à-dire les stipulations afférentes au transport par chemin de fer) qui s'appliquent à la livraison des marchandises à partir du port de déchargement. La demanderesse prétend que les limitations de responsabilité et les délais pour intenter une action applicables à la partie du voyage effectuée par mer, en vertu des Règles de La Haye et du connaissement, ne sont pas applicables à la partie du voyage effectuée par terre puisque la compagnie de chemin de fer doit se conformer aux conditions approuvées
par la Commission canadienne des transports et ne peut y déroger; elle prétend que c'est pour cette raison que ces conditions avaient été intro- duites en totalité dans la Partie III du connaisse- ment. La défenderesse se réfère à l'arrêt fran- çais Nossi-Bé (Tribunal du Commerce du Havre, le 11 juin 1963) 16 D.M.F. 430 qui soulignait les difficultés d'application de délais de prescrip tion différents à différentes parties à un contrat de transport; il en résulterait que l'une des par ties pourrait être poursuivie après que ses droits de recours contre une autre partie, suite à ce jugement, sont prescrits, mais je ne pense pas que ce raisonnement soit suffisant pour qu'on ne tienne pas compte des distinctions claires du connaissement lui-même quant aux conditions et limitations applicables aux deux transporteurs respectivement.
La défenderesse invoque aussi l'article 21 du connaissement qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] 21. Toute réclamation découlant des présen- tes, sera réglée en conformité avec le droit anglais.
Toutefois, je ne peux interpréter cette clause comme permettant de déroger aux règlements établis en vertu de la Loi sur les chemins de fer auquelle la défenderesse doit se conformer, et, de toute façon, ledit article 21 figure dans la Partie II du connaissement qui, comme je l'ai déjà indiqué, s'applique seulement, à mon avis, à la partie du voyage effectuée par mer. Les paragraphes 294(1) et (2) de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, sont identi- ques aux paragraphes 353(1) et (2) de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, c. 234, en vigueur au moment cette réclamation a pris naissance et se lisent comme suit:
294. (1) Nul contrat, stipulation, règlement, règle, décla- ration ou avis, fait ou donné par la compagnie, amoindris- sant, restreignant ou limitant sa responsabilité relativement aux transports, ne doit soustraire la compagnie à cette responsabilité, excepté de la manière ci-après prévue, à moins que ce genre de contrat, de stipulation, de règlement, de règle, de déclaration ou d'avis n'ait été d'abord autorisé ou approuvé par ordonnance ou par règlement de la Commission.
(2) La Commission peut déterminer, en chaque cas, ou par règlement général, jusqu'à quel point la responsabilité de la compagnie peut se trouver diminuée, restreinte ou limitée.
La prescription de l'action contre la compagnie de chemin de fer est exposée aux paragraphes 342(1) et (2) de la loi actuelle qui sont identi-
ques aux paragraphes 398(1) et (2) de l'ancienne loi et se lisent comme suit:
342. (1) Toutes les actions ou poursuites en indemnité pour dommages ou torts subis du fait de la construction ou de la mise en service du chemin de fer doivent et, nonob- stant les dispositions de toute loi spéciale, peuvent être intentées au cours des deux années qui suivent l'époque les dommages présumés ont été subis, ou si les dommages se continuent, au cours des deux années qui suivent la date à laquelle ces dommages ont cessé, et non plus tard.
(2) Rien au paragraphe (1) ne s'applique à une action intentée contre la compagnie pour rupture d'un contrat, exprès ou tacite, relativement à tout transport, ni à une action en dommages-intérêts intentée contre la compagnie conformément aux dispositions de la présente loi au sujet des taxes.
Puisque l'action se fonde sur une rupture de contrat, c'est l'article 342(2) qui s'applique. Dans la province de Québec il semble que les dommages se sont produits, l'action aurait été prescrite par cinq ans en vertu de l'article 2260 du Code civil de la province de Québec. Dans la province du Nouveau-Brunswick, elle aurait été prescrite par six ans [voir S.R.N.B. 1952, c. 133, art. 9] et l'article 38(1) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à la prescription des actions en vigueur entre sujets dans une province s'appliquent à toute- procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance dans cette province et une procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance ailleurs que dans une province doit être engagée au plus tard six ans après que la cause d'action a pris naissance.
de sorte que même si l'on considère que les procédures engagées concernent une cause d'ac- tion qui n'a pas pris naissance dans une pro vince, le délai est de six ans. Les procédures ont donc été engagées à temps contre la présente défenderesse, la compagnie de chemin de fer, et ce moyen de défense ne doit pas non plus être retenu.
La défenderesse invoque aussi la thèse selon laquelle, puisque le navire Alex n'a pas été affrété coque nue, la clause 18 du connaisse- ment (précitée) s'applique. En conséquence, elle prétend qu'elle-même et la compagnie de navi gation n'ont agi qu'en qualité de mandataires des propriétaires du navire et qu'elles n'ont donc pas engagé leur responsabilité à l'égard de la demanderesse. encore, il nous faut souli-
gner que cette condition est inscrite dans la partie du connaissement concernant le transport par mer. Les arrêts qu'on m'a cités, confirmant cette condition, à savoir Apex (Trinidad) Oil fields, Ltd. c. Lunham & Moore Shipping, Ltd. [1962] 2 Lloyd's L. Rep. 203; Grace Kennedy & Co., Ltd. c. Canada Jamaica Line [1967] 1 Lloyd's L. Rep. 336 et Delano Corporation of America c. Saguenay Terminals Limited [1965] 2 R.C.É. 313, concernent les avaries subies par des cargaisons lors d'un transport par mer. Une condition de ce genre vise le cas où, le navire n'étant pas affrété coque nue, les propriétaires restent responsables de la façon dont le capi- taine et l'équipage le manoeuvrent, et sont donc directement responsables des dommages subis en conséquence. Étendre cette stipulation au transport effectué par terre et soutenir que la compagnie de chemin de fer défenderesse n'est pas responsable des dommages envers le pro- priétaire de la marchandise transportée au motif que, même pendant le transport terrestre, elle agissait seulement en tant que mandataire des propriétaires du navire à bord duquel étaient transportées les marchandises livrées à Saint- Jean (Nouveau-Brunswick) et reçues en bon état apparent d'après le reçu de la défenderesse, et soutenir que la compagnie de chemin de •fer n'a aucune obligation contractuelle envers le chargeur ou le destinataire consisterait à appli- quer et à étendre cette stipulation d'une manière qui certainement n'avait jamais été prévue. Il convient de souligner à nouveau qu'il s'agit d'une stipulation de la Partie II, seulement appli cable jusqu'à l'arrivée au port de débarquement.
La défenderesse a en outre fait valoir que, de toute façon, sa responsabilité est limitée à la somme de £ 100 par colis' et que le conteneur lui-même constitue un tel colis. A l'appui de cette thèse, elle invoque l'article 16 du connais- sement, rédigé comme suit:
[TRADUCTION] 16. En cas de perte ou d'avarie relatives à des marchandises dont la valeur réelle dépasse la somme de £100 par colis ou dans le cas de marchandises qui ne sont pas expédiées sous forme de colis, par unité courante de fret, la valeur des marchandises sera censée être £100 par colis ou par unité, selon le cas, sur la base de laquelle le fret est calculé et la responsabilité éventuelle du transporteur sera déterminée sur la base d'une valeur de £100 par colis ou par unité courante de fret, selon le cas, ou au prorata
dans le cas de perte ou d'avarie partielles, à moins qu'à la livraison des marchandises au transporteur, le chargeur ait fait une déclaration écrite faisant état de la nature des marchandises et d'une valeur supérieure à £100, selon le cas, et qu'il l'ait fait inscrire au connaissement et qu'il ait payé un supplément de fret si besoin est. Dans ce cas, si la valeur réelle des marchandises par colis ou par unité cou- rante de fret dépasse la valeur déclarée, la valeur n'en sera pas moins censée être la valeur déclarée et la responsabilité éventuelle du transporteur ne dépassera pas la valeur décla- rée et toute perte ou avarie partielles sera déterminée au prorata sur la base de la valeur déclarée.
Ceci est conforme aux Règles de La Haye bien que, conformément à l'Accord relatif à la clau- se-or (si on l'appliquait), cette limite passât à £200 par colis ou unité de fret. A la clause 16, imprimée, fut ajoutée au tampon sur le connais- sement la clause suivante:
[TRADUCTION] Le chargeur convient par les présentes que la responsabilité du transporteur est limitée à £100 pour le conteneur et tout son chargement, sauf si le chargeur a déclaré une valeur supérieure et a payé un fret supplémen- taire à cet égard, conformément à la règle applicable du Canadian North Atlantic Westbound Freight Conference Tariff.
Cette clause a peut-être été ajoutée dans l'inten- tion d'imposer ladite limite au [TRADUCTION] «conteneur et tout son chargement», puisque la clause 16 stipule que [TRADUCTION] «... dans le cas de marchandises qui ne sont pas expé- diées sous forme de colis, par unité courante de fret, la valeur des marchandises sera censée être de £ 100 par colis ou par unité, ...» . Dans l'affaire présente, la preuve démontre que l'unité courante de fret pour des balles de tissu de ce genre consiste en colis contenant 4 ou 6 de ces balles et, puisque cela aurait donné entre 67 et 100 colis, on aurait pu en l'absence de cette clause particulière ajoutée au tampon, appliquer à ce nombre de colis la limitation de £ 100 par colis, ce qui n'aurait pas réduit la réclamation totale de $10,386.43.
Il y a une jurisprudence importante, en parti- culier depuis le début du transport en conte- neurs, visant à définir ce qui constitue un colis ou une unité. L'arrêt américain Inter -American Foods Inc. c. Coordinated Caribbean Transport Inc. [1970] A.M.C. 1303, en discute et souligne que lorsque le connaissement indique le nombre de colis placés dans le conteneur, la limitation de la responsabilité doit s'appliquer à chacun de
ces colis et non au conteneur pris comme un tout. Le connaissement en cause mentionne le fait que le conteneur est [TRADUCTION] «censé contenir 400 pièces de tricot de nylon, plus 50 pièces de tricot de nylon» (ces dernières étant expédiées à un autre destinataire, Molyclaire Limited, n'ayant rien à voir avec le présent litige). Dans l'arrêt français Tribunal du Com merce d'Oran (Strasbourgeois), du 7 février 1949, (1950) D.M.F. 126, il fut décidé que:
L'«unité» mentionnée dans l'article 5 de la loi du 2 avril 1936 [c: à-d. la Convention de La Haye] pour servir de base au calcul de la limitation de responsabilité du transporteur maritime s'applique aux marchandises qui, dans le langage courant, ne reçoivent pas le nom de «colis», telles les balles de laine ou de coton, les fûts de vin, les sacs de denrées.
Ceci semble très proche de l'affaire présente. La limitation par colis est discutée d'une manière générale dans l'ouvrage de Tetley, Marine Cargo Claims aux pages 234 et suivantes.
Cette question fut amplement discutée dans un jugement récent de la Cour d'appel des États-Unis, rendu le 13 août 1973 dans l'affaire Royal Typewriter Co., Division Litton Business Systems, Inc. c. MIV Kulmerland, her engines, etc., c. Hamburg-Amerika Linie 483 F. 2e 645, confirmant la décision du juge Tyler selon laquelle 350 cartons de machines à calculer placés dans un conteneur pour le transport constituaient un seul colis. En rendant ce juge- ment, la Cour analysa et établit une distinction entre cette affaire et l'affaire Leather's Best, Inc. c. S.S. Mormaclynx (451 F. 2e 800, 814- 816) dans laquelle il fut décidé que chaque balle constituait un colis étant donné que le connais- sement mentionnait un conteneur censé contenir 99 balles de cuir et que le mandataire du trans- porteur maritime qui fournissait les conteneurs, avait donné des reçus pour précisément 99 balles; au contraire, dans l'affaire examinée par la Cour d'appel des États-Unis, le conteneur était censé contenir simplement de l'«outillage» et le taux de fret applicable était le même, que le connaissement mentionnât ou non le nombre de balles ou de cartons placés dans le conteneur. Le jugement, bien que confirmant la décision du juge Tyler, soulignait que ce dernier avait quel- que peu changé de point de vue dans l'affaire Rosenbruch c. American Export Isbrandtsen Lines, Inc., (357 F. Supp. 982), en appelant un
conteneur un colis lorsqu'il contenait des mar- chandises appartenant à un seul chargeur, sans tenir compte de ce qu'on avait pu inscrire dans le connaissement au motif que le principe ser vant de base à la COGSA (la loi américaine appelée. Carriage of Goods by Sea Act) était de laisser au chargeur le choix de l'assurance mari time s'il préférait les taux moins élevés applica- bles aux grands colis. Ce jugement a cependant été porté en appel et la Cour n'a pas admis la distinction, soulignant que, puisqu'en fait les parties réelles, directement intéressées, peuvent être les assureurs maritimes eux-mêmes, il ne suffit pas de dire que le facteur déterminant est l'assurance maritime, car en décidant que chaque balle constitue un colis, on fait faire une aubaine à l'assureur de la cargaison s'il avait calculé ses primes en se fondant sur le fait que la responsabilité du transporteur était limitée à $500. L'arrêt Royal Typewriter place le débat sur le point de savoir si le chargement du conte- neur aurait pu être facilement expédié outre-mer par colis individuels ou cartons dans lesquels le chargeur aurait emballé les marchandises. Ce n'était pas le cas dans cette affaire et on fit remarquer qu'avant l'époque du transport en conteneurs, les machines à écrire étaient expé- diées dans des cadres ou des caisses en bois, contenant chacun de douze à vingt-quatre colis individuels ou cartons de machines à écrire. Le jugement assimile les conteneurs dans lesquels elles sont expédiées, par lot de 350, aux cadres ou caisses en bois utilisés par le passé. Il intro- duit en outre une distinction avec l'arrêt Leath er's Best (précité) en soulignant que les balles auraient pu être expédiées individuellement au lieu de l'être dans un conteneur qui finalement ne fut pas considéré comme un colis. Le juge- ment conclut:
[TRADUCTION] Le critère de «l'unité pratique de trans port», que nous proposons aujourd'hui, a pour but de four- nir, dans le cas le chargeur a choisi le transport en conteneurs, un «critère de bon sens» grâce auquel les parties intéressées peuvent répartir la responsabilité pour perte, dès l'établissement du contrat, souscrire à une assurance supplé- mentaire, si nécessaire, et éviter ainsi de recourir à un procès.
La question fut aussi examinée avec soin, compte tenu du droit canadien, par le juge Col lier devant cette Cour, dans l'affaire J.A. John- ston Company Limited c. Le «Tindefjell» [1973]
C.F. 1003. Dans cette affaire, il y avait 173 et 148 cartons de chaussures respectivement dans les deux conteneurs en cause. Le connaissement indiquait le nombre de cartons dans chaque conteneur. Le fret avait été calculé sur la base du poids. A l'arrivée, les conteneurs et leur contenu étaient endommagés et $10,000 de dommages-intérêts furent demandés; la question soumise à la Cour était de savoir si la limitation de responsabilité devait être de $500 par conte- neur. Les défendeurs soutenaient que, si la res- ponsabilité n'était pas limitée à $1,000, elle devait l'être sur la base de «l'unité courante de fret» et que, puisque les deux conteneurs char- gés pesaient 10.07 tonnes métriques et que le fret était calculé sur la base de la tonne métri- que, ceci constituait l'unité courante de fret et qu'en conséquence la limitation se trouvait entre $5,000 et $5,500. Ce jugement analyse l'arrêt Leather's Best (Mormaclynx) (précité) et le jugement en première instance dans l'affaire Royal Typewriter (précitée) ainsi qu'une partie de la jurisprudence française à laquelle j'ai été référé. Le juge Collier déclare la page 1009]:
Dans une large mesure, il faut se reporter aux faits de chaque espèce et, tout aussi important, il faut s'assurer de l'intention des parties quant au contrat de transport. Je pense qu'il convient, dans une affaire telle que celle-ci, de déterminer si le propriétaire de la cargaison et le transpor- teur ont considéré qu'aux fins de la limitation de responsabi- lité, le conteneur est un seul colis ou si le critère était le nombre de colis placés dans le conteneur.
Après avoir discuté l'arrêt Mormaclynx, le juge Collier conclut la page 1012]:
Quand le chargeur sait que ses marchandises vont être transportées en conteneurs, qu'il précise dans le contrat (en utilisant en général un connaissement) le type de marchandi- ses et le nombre de boîtes transportées dans le conteneur, et que le transporteur accepte cette description et ce comptage, alors, à mon sens, l'intention des parties était que le nombre de colis aux fins de la limitation de responsabilité soit le nombre de boîtes spécifié.
Il conclut que, dans cette affaire, chaque carton n'excédait pas la valeur de $500 mais que le chargeur, en informant le transporteur du nombre de colis à transporter, bien qu'ils soient regroupés dans un cadre large, s'était protégé contre la limitation qui pouvait s'appliquer au conteneur lui-même. Il fit une distinction entre cette affaire et les arrêts Royal Typewriter et Rosenbruch (précités) au motif que, dans ces
derniers, les connaissements n'indiquaient pas le nombre de cartons dans le conteneur. Ayant conclu que les conteneurs n'étaient pas des colis, il examina la question de savoir s'ils étaient des unités, se référant à l'arrêt de la Cour suprême Falconbridge Nickel Mines Ltd. c. Chimo Shipping Limited (jugement non publié du 7 mai 1973). Dans cette affaire un tracteur et un générateur, transportés à bord d'un navire, furent perdus au cours d'un transbordement. L'intimée soutenait que la responsabilité ne devait pas dépasser $500 pour chacun au motif qu'on devait les considérer respectivement comme une seule unité d'expédition. L'appe- lante soutenait qu'il fallait tenir compte du poids afin de déterminer le nombre d'unités courantes de fret, le tarif étant calculé sur les unités de poids. La Cour suprême a rejeté cette préten- tion, décidant qu'il existe une très nette diffé- rence de rédaction entre les règles canadiennes et anglaises et la règle américaine, et qu'au Canada le terme «unité» signifie unité de mar- chandise ou élément de cargaison et non unité de fret. Par conséquent, il n'y avait que deux unités et la responsabilité fut limitée à $1,000. Le juge Collier établit cependant une distinction avec cette affaire au motif qu'elle portait sur des grosses machines qui n'étaient pas embal- lées au sens ordinaire du terme.
Examinant la clause du connaissement de l'af- faire portée devant lui, qui utilise l'expression «par unité courante de fret», comme le fait le connaissement dans l'affaire présente, le juge Collier fit remarquer que le connaissement avait apparemment été rédigé en tenant compte de la rédaction de la loi américaine (COGSA) qui prévoit que la limitation peut être calculée par unité courante de fret, mais que d'après la déci- sion de la Cour suprême dans l'affaire Falcon- bridge (précitée), cette façon de calculer la limi tation n'est pas admissible en droit canadien puisque l'expression «par unité courante de fret» ne figure pas dans la législation canadienne.
Si j'applique le raisonnement de ce jugement à l'affaire présente, je dois rejeter la prétention de la demanderesse selon laquelle puisque, sans conteneur, 4 à 6 rouleaux de tissu de nylon de la taille de ceux qui nous occupent seraient norma-
lement emballés dans un seul colis, ce dernier devrait constituer une «unité courante de fret», ce qui donnerait un chargement de 67 à 100 de ces unités. Puisqu'il est aussi manifeste qu'on n'aurait pas normalement expédié séparément les rouleaux emballés comme ils l'étaient, il semble qu'on ne peut pas considérer chacun des rouleaux comme un colis en soi si nous adop- tons le raisonnement de l'arrêt américain Royal Typewriter (précité) plutôt que la conclusion des tribunaux américains dans l'affaire Leather's Best (précitée) il fut décidé qu'une balle de cuir était un colis. L'affaire présente est diffé- rente de l'affaire Johnston Company (précitée) car, dans cette dernière, les chaussures étaient emballées dans des cartons qui étaient apparem- ment des colis et qu'il était concevable de les expédier ainsi individuellement.
En ce qui concerne la validité de la clause apposée au connaissement, Tetley, dans son ouvrage Marine Cargo Claims, examinant la jurisprudence américaine fait, aux pages 237-38, les remarques suivantes:
[TRADUCTION] Laisser le transporteur absolument libre de définir le terme «colis» dans le connaissement consisterait en fait à lui permettre de limiter sa responsabilité dans tous les cas à $500.00 ou l'équivalent pour l'ensemble de la cargaison quel que soit le nombre de colis. Ce principe est clairement énoncé dans l'arrêt Gulf Italia Co. c. American Export Lines (SS. Exiria) ([1958] A.M.C. 439, à la p. 442 (en première instance); [1959] A.M.C. 930 (en appel)). Un tracteur pesant 43,319 lbs., embarqué sans dispositif d'en- raiement, mais dont la superstructure était partiellement recouverte d'un coffrage en bois, ne fut pas considéré comme étant un colis au sens de l'art. 4(5) du Cogsa. La responsabilité du transporteur pour les dommages était limi- tée à $500.00 par tonne d'arrimage, sur laquelle était basé le calcul du fret:
Permettre aux parties elles-mêmes de déterminer ce qu'est un «colis» reviendrait à autoriser une diminution de la responsabilité autrement que par l'opération de la loi, car un transporteur pourrait toujours limiter sa responsabilité à $500.00 en exigeant du chargeur qu'il consente à stipu- ler que tout chargement, sous quelque forme que ce soit, est censé être un colis aux fins de la limitation de la responsabilité.
Dans l'arrêt Pannell c. U.S. Lines, ([1959] A.M.C. 935, à la p. 936) un yacht qui n'était pas placé dans un cadre, était transporté en pontée, ce qui était inscrit au connaissement. Normalement les Règles ne s'appliquaient donc pas. Le connaissement renvoyait précisément à la Cogsa qui, en vertu de cette entente, devenait donc applicable. Le connais- sement définissait aussi le mot colis, comme incluant «toute unité de chargement». La Cour fit remarquer que, si la Cogsa s'était appliquée, non en vertu de l'entente, mais ex
proprio vigore, (c: à-d. d'autorité), la définition de colis n'aurait pas été valable, comme l'a établi l'arrêt Gulf Italia Co. c. American Export Lines (SS. Exiria). Mais, dans ce cas, «lorsqu'un contrat renvoie à une loi, les dispositions de ladite loi deviennent des conditions du contrat établi par le connaissement. Il nous faut donc interpréter le contrat de manière à ce que, si possible, toutes les conditions soient compatibles.» Il fut donc décidé que le yacht était un colis et que la limitation totale était de $500.00.
Tant la Carriage of Goods by Sea Act britan- nique (1924) que la Loi sur le transport des marchandises par eau canadienne (S.R.C. 1970, c. C-15), auparavant Loi sur le transport des marchandises par eau (S.R.C. 1952, c. 291), contiennent à l'article III, paragraphe 8 de l'an- nexe, une clause se lisant en partie comme suit:
8. Toute clause, convention ou accord dans un contrat de transport exonérant le transporteur ou le navire de responsa- bilité pour perte ou dommage concernant des marchandises provenant de négligence, faute ou manquement aux devoirs ou obligations édictées dans cet article ou atténuant cette responsabilité autrement que ne le prescrivent les présentes Règles, sera nulle, non avenue et sans effet.
identique à l'article 8 de la Carriage of Goods by Sea Act (COGSA) américaine et reprenant tous une partie de l'article III, paragraphe 8 des Règles de La Haye. Je tends donc à penser que le raisonnement des tribunaux américains dans l'affaire Gulf Italia Co. c. American Export Lines (SS. Exiria) (précitée) selon lequel on ne peut se soustraire à la limitation ou la diminuer indirectement en permettant au transporteur de définir en toute liberté le terme «colis» dans le connaissement, pourrait s'appliquer à l'affaire présente, ce qui aurait aussi pour effet de rendre invalide la clause apposée, imposant la limita tion de £ 100 au conteneur et à son chargement. Cependant il n'est pas nécessaire de régler cette question en l'espèce puisque, comme je l'ai déjà indiqué, j'ai conclu qu'on ne peut considérer les balles de tissu comme des colis ou des unités, de sorte que le conteneur en tant que tel doit, vu les circonstances de l'affaire, être considéré comme le colis et la limitation de £100 (ou $500) doit être appliquée si la défenderesse en l'espèce était la compagnie de navigation.
Comme je l'ai signalé auparavant, je consi- dère cependant que toutes les clauses du con- naissement dérivant de la Convention de La Haye ou relatives de quelque autre façon à la partie du transport effectuée par mer, ne s'appli- quent qu'à la compagnie de navigation; je consi-
dère que la compagnie de chemin de fer doit se conformer aux stipulations de la Partie III con- cernant le transport des marchandises par terre, ces conditions ayant été approuvées par la Com mission canadienne des transports et constituant les règles en vigueur régissant le transport des marchandises par la compagnie de chemin de fer. La compagnie de chemin de fer ne peut, en s'associant à la compagnie de navigation pour le connaissement, diminuer sa responsabilité, que ce soit en ce qui concerne le montant des dom- mages-intérêts qu'on peut lui demander ou que ce soit en ce qui concerne le délai dans lequel on peut intenter une action contre elle, excepté dans la mesure les règlements en matière de chemin de fer l'autorisent. La responsabilité de la compagnie de chemin de fer ne peut donc être limitée que dans la mesure la Loi sur les chemins de fer et les règlements d'application le prévoient, et il n'a pas été signalé à la Cour qu'il existait de règlement limitant la responsabilité à une valeur inférieure au montant réclamé.
Par conséquent, la Cour accorde à la deman- deresse la somme de $10,386.43, avec intérêts de 5% à compter du 6 mai 1969 et les dépens.
' Les dépôts de Place Viger sont à Montréal.
2 Le registre des déplacements du wagon indique qu'il n'est pas arrivé à Montréal (dépôt de St-Luc) avant le 16 avril et au dépôt Hochelaga (Montréal) avant le 17 avril, mais cette petite différence de date est sans importance.
L'article IV, paragraphe 5 de l'annexe à la Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, c. C-15, limite expressément la responsabilité à $500.
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