Lutf y Limited (Demanderesse)
c.
Canadien Pacifique Limitée (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 18 septembre; Ottawa, le 16 octo-
bre 1973.
Droit maritime—Connaissement direct—Les clauses rela
tives au transport par mer ne s'appliquent pas au transport
ferroviaire.
Une cargaison de pièces de nylon, placée dans un conte-
neur, fut embarquée au port de Londres à bord du N/MAlex
et expédiée à la demanderesse à Montréal, via Saint-Jean
(N.43.), sous connaissement direct de la C.P. Navigation et
du Canadien Pacifique Limitée. Lors de sa livraison à la
demanderesse à Montréal, il s'avéra que la cargaison avait
été endommagée par de l'eau s'étant apparemment infiltrée
dans le conteneur alors qu'il était transporté par la compa-
gnie de chemin de fer défenderesse. Les Parties I et II du
connaissement se rapportaient au transport par mer et la
Partie III au transport par chemin de fer. La compagnie de
chemin de fer fondait sa défense sur certaines stipulations
des Parties I et II du connaissement, limitant la responsabi-
lité du transporteur.
Arrêt: les stipulations du connaissement relatives au trans
port par mer ne s'appliquent qu'à la compagnie de naviga
tion et seules les stipulations de la Partie III, approuvées par
la Commission canadienne des transports, s'appliquent à la
compagnie de chemin de fer. La compagnie de chemin de
fer ne pouvait donc pas, en s'associant au connaissement
d'un transporteur maritime, diminuer sa responsabilité ou
limiter le délai pour l'introduction d'une action, excepté dans
la mesure où les règlements en matière de chemin de fer
édictés en vertu de la Loi sur les chemins de fer
l'autorisaient.
ACTION en dommages-intérêts.
AVOCATS:
David Angus pour la demanderesse.
Pierre Durand pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman et Elliott & Co., Montréal, pour la
demanderesse.
Gadbois et Joannette, Montréal, pour la
défenderesse.
LE JUGE WALSH—Par la présente action, il
est demandé $10,386.43 de dommages-intérêts
pour les dommages subis par une cargaison de
450 pièces de tricot de nylon placées dans un
conteneur, embarquées le 28 mars 1969 sous
connaissement net au port de Londres (Angle-
terre) à bord du navire NIM Alex et destinées à
la demanderesse, à Montréal, via Saint-Jean
(Nouveau-Brunswick). Lors de la livraison de la
cargaison à la demanderesse, à Montréal, il
s'avéra qu'elle avait été endommagée et détério-
rée par de l'eau qui s'était apparemment écoulée
par des trous dans la paroi supérieure du conte-
neur. Un avis de pertes fut dûment envoyé à la
défenderesse, on procéda à des expertises et les
parties ont convenu que les dommages s'éle-
vaient à $10,386.43, la somme réclamée, après
déduction de la valeur des marchandises non
endommagées. La demanderesse prétend que
les pertes résultent du fait que la défenderesse
ne s'est pas conformée à ses obligations, savoir,
avec les précautions nécessaires, assurer le
transport, la manutention et la livraison des
marchandises en bon état, et que la défende-
resse est donc responsable envers elle pour rup
ture de contrat. Dans sa déclaration, la deman-
deresse demande aussi des dommages-intérêts
sur la base de la responsabilité délictuelle de la
défenderesse, alléguant que celle-ci a commis
une faute lourde dans la manutention de la
cargaison et n'est donc en droit d'invoquer
aucun des droits, ni aucune des exonérations ou
limitations de responsabilité dont elle pourrait
autrement se prévaloir en droit ou en vertu du
contrat. La demande fondée sur la responsabi-
lité délictuelle fut abandonnée, la demanderesse
ayant admis qu'elle était prescrite. En outre la
demanderesse invoque précisément la doctrine
res ipsa loquitur.
Il fut admis que, sur les 450 pièces de tricot
de nylon placées dans le conteneur, la demande-
resse n'était propriétaire que de 400 des pièces
expédiées à Montréal sous connaissement direct
du Canadien Pacifique Limitée (ci-après appe-
lée la compagnie de chemin de fer) et de la C. P.
Navigation (ci-après appelée la compagnie de
navigation); il fut aussi admis que la compagnie
de navigation avait livré le conteneur à la défen-
deresse en bon état apparent, le 14 avril 1969, à
Saint-Jean (Nouveau-Brunswick), que la défen-
deresse avait consenti à transporter le conteneur
par chemin de fer jusqu'à Montréal et à le livrer
à la demanderesse, et que, lors de la livraison
des marchandises à la demanderesse à Mont-
réal, le 2 mai ou vers cette date, il s'avéra
qu'elles étaient humides et sérieusement endom-
magées. Il fut admis en outre que le conteneur
avait été arrimé dans la cale du navire.
Présentant ses objections, la défenderesse
prétend que la demanderesse ne peut la poursui-
vre en responsabilité délictuelle puisqu'une
période de plus de deux ans s'est écoulée entre
la date de l'expédition et le 10 décembre 1971,
date de l'introduction de la présente action, et
qu'elle est donc en droit d'invoquer tous droits,
exonérations ou limitations de responsabilité
dont elle peut se prévaloir en droit et en vertu
du connaissement. Sous l'en-tête «conditions»,
le connaissement stipule que:
[TRADUCTION] Il est convenu que chaque transporteur sur
cet itinéraire ne sera responsable des marchandises que
pendant que celles-ci sont sous sa garde. Les ententes en
vue d'un transport direct sont conclues pour la commodité
des chargeurs et la responsabilité de chaque transporteur en
ce qui concerne le transport et l'entreposage par d'autres
moyens que ses propres navires, ou autres véhicules,
dépôts, ou lignes de chemin de fer, incombe au transporteur
réel seulement; toute réclamation en cas de perte, de dom-
mage ou de retard, doit seulement être faite contre la
personne ou compagnie qui avait réellement la garde des
marchandises au moment où la perte, le dommage ou le
retard ont été causés ou se sont produits.
La défenderesse déclare que, lorsqu'elle trans-
borda le conteneur à Saint-Jean (Nouveau-
Brunswick), le 14 avril 1969, il était en bon état
apparent et qu'il avait été, ainsi que son charge-
ment, chargé, manutentionné, arrimé, trans
porté, gardé, traité et déchargé de façon appro-
priée et soigneuse, en conformité du droit et des
termes du connaissement; elle déclare aussi
qu'une analyse technique de la cargaison, effec-
tuée après livraison au destinataire, révéla la
présence de chlorure en quantité suffisante pour
indiquer que l'emballage avait été en contact
avec de l'eau salée diluée, que cet emballage
n'avait pu entrer en contact avec de l'eau salée
lorsqu'il était sous sa garde et que cela avait
donc dû se produire soit au port de Londres
(Angleterre), soit lorsque le conteneur et son
chargement étaient à bord du navire Alex; la
défenderesse prétend qu'elle ne peut être tenue
responsable des dommages survenus alors que
la cargaison n'était pas sous sa garde. Elle allè-
gue en outre que le chargeur n'a pas déclaré la
valeur du conteneur et de son chargement à plus
de £100 et que, si elle était responsable, elle
serait en droit de limiter sa responsabilité à cette
somme en droit (Les Règles de La Haye) et
conformément aux dispositions du connaisse-
ment.
Elle soutient en outre que la demanderesse a
omis de lui envoyer l'avis prévu au connaisse-
ment dans les délais stipulés et a aussi omis
d'engager les présentes procédures dans le délai
d'un an prévu dans le connaissement.
Le connaissement est un connaissement
direct établi sur des feuilles portant l'en-tête
«Canadian Pacific Railway Company» et, en
dessous, «Canadian Pacific Steamships Limi
ted»; bien qu'un mandataire de la compagnie de
navigation, l'ait établi à Londres (Angleterre),
on doit aussi le considérer comme agissant aussi
pour le compte de la compagnie de chemin de
fer de sorte que les deux compagnies sont con-
jointement parties au contrat. Puisqu'il s'agit
d'un connaissement direct, la Cour a compé-
tence, en vertu des dispositions de l'article
22(2)f) de la Loi sur la Cour fédérale qui se lit
comme suit:
22. (2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe
(1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de
première instance a compétence relativement à toute
demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont
ci-après mentionnés:
f) toute demande née d'une convention relative au trans
port à bord d'un navire de marchandises couvertes par un
connaissement direct ou pour lesquelles on a l'intention
d'établir un connaissement direct, pour la perte ou l'avarie
de marchandises survenue à quelque moment ou en quel-
que lieu en cours de route;
Le navire transportant les marchandises, le N/M
Alex, n'appartenait pas à la compagnie de navi
gation mais avait été affrété à temps par celle-ci.
Le connaissement contenait une clause rédigée
comme suit:
[TRADUCTION] 18. Si le navire n'appartient pas ou n'a pas
été affrété coque nue au Canadien Pacifique Limitée ou à
la C. P. Navigation (nonobstant toute apparence à l'effet
contraire), ce connaissement sera un contrat qui ne lie que le
propriétaire ou l'affréteur coque nue, selon le cas, en tant
que commettant, par l'intermédiaire du Canadien Pacifi-
que Limitée ou de la C. P. Navigation qui, dans les deux cas,
n'agit qu'en tant que mandataire et n'engage aucunement sa
responsabilité à cet égard.
Le reçu provisoire signé à Saint-Jean (Nou-
veau-Brunswick) indique comme transporteur la
compagnie de chemin de fer, comme destination
les Services spéciaux de la Place Viger', l'indi-
cation de la jetée RIT; aucune remarque n'a été
ajoutée à la formule imprimée [TRADUCTION]:
«les colis ou pièces suivantes sont en bon état
apparent».
Le bordereau d'expédition indique que la car-
gaison quitta Saint-Jean le 16 avril 1969 et
devait être entreposée sur une voie de charge-
ment afin d'être livrée par les Services spéciaux
de la Place Viger au destinataire, la demande-
resse Lutfy Limited. Elle porte un tampon daté
du 18 avril 1969 de la Blackpool Brokerage et le
sceau apposé par l'appréciateur des douanes le
23 avril 1969. Elle ne fut pas livrée à la deman-
deresse avant le 2 mai et le bordereau de livrai-
son porte la mention manuscrite suivante, datée
du 6 mai: [TRADUCTION] «conteneur usagé et
rouillé sur le dessus, tout le contenu saturé
d'eau et taché, reçu sous réserve». Les mar-
chandises furent partiellement déballées à la
Lutfy et Yvry Kyle, directeur des achats de la
demanderesse et à son service depuis 18 ans,
fut convoqué ainsi que d'autres employés expé-
rimentés de la compagnie pour examiner l'état
des marchandises. Il vit de l'eau provenant du
conteneur se répandre sur le sol et remarqua
que les colis déchargés étaient humides. Il péné-
tra dans le conteneur dont le plancher et les
parois latérales étaient humides, et put voir le
jour à travers quatre ou cinq trous dans la paroi
supérieure, d'environ un pouce de diamètre
chacun à son avis. Le conteneur s'ouvre sur le
côté. Les parois latérales du conteneur avaient
un revêtement en carton ondulé servant à proté-
ger la cargaison, et ce carton aussi était humide.
Les colis étaient longs d'environ 54 pouces,
avaient un diamètre d'environ 8 pouces et
étaient enveloppés dans un papier verdâtre.
La demanderesse fit appel à Francesco
Librero, expert en chargement chevronné, qui,
lorsqu'il se rendit chez la demanderesse, le 6
mai 1969, constata qu'une partie des rouleaux
était sortie du conteneur. Le conteneur avait un
volume d'environ 20' x 8' x 8' et était en tôle
ondulée. Il y avait des planches de bois sur le
plancher, mais il n'y avait pas d'autre revête-
ment si ce n'est du carton ondulé sur le plancher
et les parois latérales. Quelques-uns des rou-
leaux qu'on avait sortis du conteneur étaient
humides, il put constater qu'à l'intérieur d'autres
rouleaux étaient humides, en particulier ceux
qui se trouvaient dans la partie supérieure, près
des parois latérales, ainsi que ceux qui étaient
posés directement sur le plancher. Les revête-
ments étaient saturés d'eau. Il releva environ
cinq trous d'approximativement un demi-pouce
à un pouce et demi de diamètre dans le plafond
du conteneur sur le côté droit vers le centre. Il
suggéra que le chargement soit envoyé à une
usine de récupération afin que les colis soient
ouverts et examinés plus à fond. Les colis
étaient apparemment emballés dans du carton
ondulé et du papier d'emballage fort, non étan-
che. Les colis les plus humides se trouvaient
dans les coins inférieurs du conteneur. Il se mit
en contact avec la compagnie de chemin de fer
et préleva un échantillon de papier mouillé afin
de l'envoyer au laboratoire J.T. Donald pour
analyse et faire déterminer s'il avait été en con
tact avec de l'eau salée. Cet échantillon, d'envi-
ron un pied carré, fut prélevé sur l'un des rou-
leaux les plus humides. La vente du tissu
récupéré se chiffra finalement à $7,100, les
colis n'étant pas uniformément imprégnés d'hu-
midité. A son avis, les colis avaient été mouillés
assez récemment, même si une fois humides, ils
ne pouvaient sécher dans le conteneur. Cepen-
dant, en l'espace de quelques semaines, ils
auraient moisi et il n'y avait pas de moisissure
dans ce cas. Il suggéra que les traces de sel
trouvées au cours de l'analyse en laboratoire
pouvaient résulter du fait que le conteneur avait
été transporté sur le pont d'un navire au cours
de voyages précédents et avait été recouvert
d'un film de sel qui, dilué par l'eau de pluie, se
serait infiltré par les trous. Il a aussi déclaré
qu'il peut se former en mer un certain dépôt
salin provenant de l'air marin. Il avait même
rencontré une fois le cas d'une cargaison de fer
placée en cale et qui avait rouillé sous l'effet du
sel. On l'avait chargée un jour de pluie, les
panneaux d'écoutille étant sur le rivage. Lors-
qu'on plaça ces panneaux au-dessus de la cale,
de l'eau s'accumula en dessous et dégoulina sur
la cargaison, laissant des traces de sel qui rouil-
lèrent. Il témoigna aussi que l'expression [TRA-
DUCTION] «chargement et décompte du char-
geur» dans le connaissement signifie que les
chargeurs placent eux-mêmes les marchandises
dans le conteneur. Pour des transports transo-
céaniques autrement que par conteneur, les
marchandises auraient été enveloppées dans du
papier polyvinylique et du papier d'emballage
fort, puis placées dans des boîtes étanches. Les
conteneurs sont scellés au lieu de départ et,
normalement, ne sont pas ouverts par la suite
jusqu'à la livraison, sauf peut-être par les doua-
nes. Lorsqu'il vit les marchandises, le 6 mai,
quatre jours après la livraison, elles avaient été
partiellement déchargées. Il affirma que, lorsque
les marchandises sont transportées en conte-
neurs conçus pour être étanches, il n'est pas
courant d'emballer le contenu dans du polyvi-
nyle, car le papier d'emballage se déchire moins
facilement et l'étanchéité supposée du conte-
neur rend inutiles un emballage polyvinylique et
les cartons. S'ils n'avaient pas été transportés en
conteneur, on aurait placé des rouleaux de
dimensions semblables à ceux de cette cargai-
son dans des cartons en contenant 4 à 6, dont la
taille et le poids sont commodes pour la
manutention.
Solomon Lipsett, témoin expert cité par la
demanderesse, fit une déposition. Par accord
entre les parties et avec l'autorisation de la
Cour, son témoignage et celui du témoin-expert
de la défenderesse, James Orr, furent admis
malgré l'absence de leurs affidavits conformé-
ment à la Règle 482. Lipsett est docteur en
chimie, membre de l'Institut de chimie du
Canada, membre de l'American Chemical
Society et est au service du Laboratoire J.T.
Donald depuis 1928 en tant qu'ingénieur-conseil
et chimiste. Il affirma qu'au cours de sa car-
rière, il a procédé à environ 5,000 examens de
dommages dus à l'eau salée. Admettant l'affir-
mation de Librero selon laquelle le papier qu'il
reçut pour analyse était détrempé lorsqu'il fut
enlevé du conteneur, ses examens indiquent que
l'imprégnation principale de ce papier n'était pas
due à de l'eau de mer, car la teneur en sel aurait
été environ vingt fois plus élevée qu'elle ne
l'était. Bien que son analyse portât sur la recher-
che des chlorures en général, 80% du sel de
l'eau de mer est du chlorure de sodium. Il l'ef-
fectua en considérant que, s'il découvrait du
chlorure dans le papier, il s'agirait de chlorure
de sodium. Les traces de sel découvertes étaient
infimes et s'élevaient à 0.14%. Même si le
papier était poreux et si un peu de chlorure avait
pu être absorbé directement de l'air marin, il
estima qu'une partie du sel pouvait provenir
d'un dépôt de sel sur le conteneur, si on l'avait
laissé sur un quai au bord de la mer et donc
exposé à l'air marin; ce dépôt aurait pu pénétrer
alors à l'intérieur avec de l'eau de pluie par les
fentes du conteneur, et, plus tard, à l'intérieur
des terres être encore plus dilué par de l'eau de
pluie. Le papier lui-même peut avoir une teneur
en chlorure de 0.01 à 0.06%. Si l'échantillon a
été prélevé au fond ou près d'un des trous, la
quantité de sel qu'il y a trouvée, pourrait à son
avis provenir d'infiltrations par ce trou mais pas
sous forme d'eau de mer. A son avis, si le papier
avait été détrempé à l'origine par de l'eau de
mer, il était peu probable que la teneur en
chlorure ait été réduite à la faible quantité
découverte, même si, par la suite, elle avait été
beaucoup diluée par de l'eau de pluie.
Cité par la défenderesse, James Dunn, direc-
teur du service de réclamations et assurances de
la compagnie de navigation, témoigna que le
conteneur fut loué par celle-ci à la Sea Contai
ners, à Londres, et que les conteneurs sont
soumis à des vérifications avant d'être envoyés
à un client s'ils sont expédiés directement par la
compagnie de navigation. Dans ce cas le char-
geur a procédé lui-même au chargement du con-
teneur. Il fut arrimé sous le pont dans la cale n°
3 et il est possible qu'un autre conteneur ait été
placé dessus. Il convint avec d'autres témoins
que, si les balles de nylon ne sont pas en conte-
neur, elles sont normalement enveloppées dans
un emballage étanche et placées dans des car
tons en contenant plusieurs. Au cours du con-
tre-interrogatoire, il admit que bien que les deux
compagnies aient respectivement comme noms
C. P. Navigation et Canadien Pacifique Limitée,
elles sont entièrement indépendantes, mais que
le connaissement fut établi pour les deux de
sorte que, dans un certain sens, elles agissaient
conjointement comme étant mandataire l'une de
l'autre. Les prix donnés par la compagnie de
navigation comprennent les tarifs de fret terres-
tre. Normalement la compagnie de navigation
perçoit le paiement et verse à la compagnie de
chemin de fer la part lui revenant. La compa-
gnie de navigation s'arrange avec la compagnie
de chemin de fer pour la poursuite du transport
par chemin de fer, pour le compte du chargeur à
moins que le client n'en décide autrement. Il
témoigna en outre qu'à la demande de la Dale
and Company, représentant les assureurs de la
demanderesse, le délai fixé pour engager des
poursuites contre la compagnie de navigation
fut prolongé. La clause 4 de l'Accord relatif à la
clause-or se lit comme suit:
[TRADUCTION] 4. Les propriétaires du navire, à la
demande de toute partie représentant la cargaison (faite
avant ou après l'expiration du délai de douze mois à compter
de la livraison des marchandises ou après la date où les
marchandises auraient dû être livrées, ainsi que le prévoient
les Règles de La Haye) prolongeront de douze mois le délai
prévu pour l'institution de poursuites, sauf dans les cas
où:—
a) Un avis de la réclamation contenant tous les détails
possibles n'a pas été envoyé au cours de cette période de
douze mois.
ou
b) Les destinataires ou les assureurs ont indûment retardé
l'obtention des renseignements pertinents et l'établisse-
ment de la réclamation.
Par lettre datée du 14 avril 1970, le délai pour
engager des procédures fut prorogé jusqu'au 8
avril 1971 inclus. Ce délai fut parles suite pro
longé de trois mois supplémentaires jusqu'au 13
juillet 1971 et la demanderesse engagea des
poursuites contre le Canadien Pacifique Limi-
tée, la C. P. Navigation et les propriétaires du
N/M Alex le 18 juin 1971, soit au cours de ce
nouveau délai. Cependant il n'avait jamais été
convenu que des procédures allaient être enga
gées contre la compagnie de navigation au
Canada, et celle-ci invoqua les dispositions de
l'Accord relatif à la clause-or, soulignant que
l'action devait être intentée par l'intermédiaire
de la Lloyd à Londres. Une suite de plusieurs
prolongations de trois mois étendit le délai jus-
qu'au 30 septembre 1973. Toutes ces prolonga
tions furent faites au nom de la compagnie de
navigation et non à celui de la compagnie de
chemin de fer. La compagnie de navigation
déclina toute responsabilité, invoquant le reçu
sans réserve délivré par la défenderesse, la com-
pagnie de chemin de fer. Dunn admit qu'il faut
inspecter soigneusement les conteneurs lors de
leur débarquement du navire car ils peuvent
avoir été troués au cours- de la manutention,
mais déclara qu'à ce moment-là, seuls les côtés
et le fond étaient examinés, bien que maintenant
on vérifiât aussi l'état de la paroi supérieure.
Il incombait à Joseph Curtis, qui était à l'épo-
que chargé du triage, Place Viger pour les Servi
ces spéciaux de la Canadian Pacific Express
Company, de prendre livraison des conteneurs
en provenance de Saint-Jean (Nouveau-Bruns-
wick) et, sur demande, de les livrer au destina-
taire; il affirma que les conteneurs en cause
étaient sur la voie le 15 avril au matin', mais
qu'ils ne furent pas dédouanés avant le 23 avril.
Il ne sait pas personnellement si l'on avait avisé
la demanderesse de l'arrivée du conteneur car
c'était normalement la compagnie de chemin de
fer et non pas le dépôt qui s'en chargeait. Il sait
qu'un appel téléphonique fut adressé à Dionne,
employé de la compagnie demanderesse, vers le
28 avril. A sa connaissance, le conteneur n'a
subi aucun dommage alors qu'il était au dépôt.
Normalement, on les soulève avec un élévateur
à fourche par dessous sans que le dessus ne soit
touché. Il ne pense pas que les conteneurs
soient superposés dans le dépôt bien que cela
puisse être le cas pour les conteneurs vides.
Le témoignage de James P. McGee, chargé
d'enquêter sur les réclamations pour le compte
de la défenderesse et qui en 1969 était le
commis principal s'occupant des déficits, excé-
dents et dommages pour le secteur atlantique de
la compagnie, porta sur les différentes formules
utilisées. Il témoigna que, normalement, des
marchandises telles que celles qui nous occu-
pent, étaient enveloppées dans un emballage
polyvinylique, puis placées dans un carton et
séparées les unes des autres par du papier
imperméable; on remplit chaque carton avec
quatre à six rouleaux de sorte que les colis ont
un poids total d'environ 200 lbs. Il ne connaît
pas la formule utilisée pour un connaissement
direct mais sait que les connaissements pour les
transports intérieurs utilisés par la compagnie de
chemin de fer ont été approuvés par la Commis
sion canadienne des transports. Toutes les stipu
lations de ce connaissement sont énoncées dans
la Partie III du connaissement direct délivré
conjointement par la compagnie de chemin de
fer et la compagnie de navigation. Le préambule
de la partie en question se lit comme suit:
[TRADUCTION] PARTIE III—En ce qui concerne les services au
port de déchargement susmentionné, il est convenu que:
suivi des clauses du connaissement pour les
transports intérieurs et il est significatif qu'elles
ne stipulent aucun délai sous lequel il faille
intenter une action.
James Orr, ingénieur, aujourd'hui directeur
adjoint de l'exploitation aux ateliers Angus de la
défenderesse, à Montréal, témoigna comme
témoin-expert. Il est licencié ès sciences, techni
ques de la métallurgie, de l'université de Califor-
nie et a travaillé pour la défenderesse de 1958 à
1970 comme ingénieur chargé des essais au
laboratoire d'analyse des systèmes aux ateliers
Angus. Il procède à environ 1,000 analyses de
chlorure chaque année. Son analyse de l'échan-
tillon de papier effectuée dans l'affaire présente
indiquait 667 parties par million, soit 0.11%, ce
qui est proche du 0.14% donné dans le témoi-
gnage du D r Lipsett. Il témoigna que si le papier
avait été saturé à l'origine avec de l'eaù salée,
celle-ci avait pu être diluée par de l'eau douce si
la dilution avait duré assez longtemps, en parti-
culier s'il s'agissait d'un écoulement ou d'un
égouttement d'eau, jusqu'à ce que le pourcen-
tage de chlorure soit infime. Il témoigna qu'il
faudrait mélanger environ 22 onces de sel à dix
gallons ou 100 lbs. d'eau pour obtenir la concen
tration trouvée. Normalement le nylon n'ab-
sorbe pas l'eau, donc, s'il était saturé, comme
certains éléments de la preuve l'indiquent, une
grande quantité d'eau a dû s'infiltrer dans le
conteneur. Il en a conclu qu'il était impossible
que la quantité de sel trouvée soit imputable au
balayage par la pluie de la surface du conteneur
et il a donc conclu que cette quantité devait
provenir d'eau salée diluée par la suite par de
l'eau douce. Il nia le fait que le papier contienne
normalement une quantité appréciable de chlo-
rure. Il ne vit l'échantillon que le 27 mai 1969 et
son rapport écrit à ce sujet mentionne une solu
tion d'eau salée très diluée. Il pense qu'il n'a pas
pu se former un dépôt de 22 onces de sel sur le
dessus du conteneur et que même si c'était le
cas, ce sel ne se serait pas forcément infiltré
avec l'eau par les trous.
Le bulletin produit par le bureau de météoro-
logie de Dorval indique 2.60 pouces de précipi-
tations entre le 14 avril et le 21 avril, le mois
d'avril 1969 ayant été considérablement plus
humide que d'habitude. On n'a donné aucun
chiffre à cet égard pour mai; la défenderesse ne
nie pourtant pas que le conteneur soit resté sans
protection contre les éléments pendant le trans
port de Saint-Jean jusqu'à la livraison à la
demanderesse. Il est évident que la plus grande
partie de l'eau trouvée lors de l'ouverture du
conteneur, a dû y pénétrer par les fissures de la
paroi supérieure pendant cette période.
Il est possible que le dessus du conteneur ait
déjà été troué lorsque la Sea Containers ou la
compagnie de navigation le livra au chargeur et
il fut suggéré que, s'il en avait été ainsi, le
chargeur, en remplissant le conteneur, aurait dû
remarquer ces trous et le refuser. Mais d'autre
part, les parties fournissant le conteneur ont
l'obligation primordiale de s'assurer que le client
reçoit un conteneur en bon état et étanche.
Même si la défenderesse aux présentes n'avait
rien à voir avec l'inspection du conteneur avant
qu'il soit livré ou avec sa livraison au client, elle
était partie au connaissement direct, et le con-
naissement d'origine contient une clause ajoutée
au tampon indiquant [TRADUCTION] «conteneurs
détériorés et endommagés par usure normale,
mais aucune indication de dommages subis par
le contenu ou d'inadéquation au transport». Une
autre clause ajoutée au tampon indique notam-
ment [TRADUCTION]: «le (les) conteneur(s)
appartienne(nt) à la C. P. Navigation». En tant
que partie au connaissement direct, il incombait
à la défenderesse de fournir au chargeur un
conteneur en bon état, même si à cet égard elle
s'en remettrait à l'autre partie, la compagnie de
navigation. En me fondant sur la preuve four-
nie, je conclus que, dans la manière de placer
les marchandises dans le conteneur, le chargeur
n'a commis aucune négligence qui justifierait le
rejet de la demande.
Il est possible aussi que les trous proviennent
de la manutention du conteneur au moment de
son chargement sur le navire ou de son déchar-
gement, mais, au vu de la preuve à cet égard, et
en particulier au vu du reçu sans réserve donné
par la compagnie de chemin de fer défenderesse
à la compagnie de navigation lorsque cette der-
nière lui remit le conteneur, il faut conclure que
la défenderesse n'a pas réussi à établir de faute
de la compagnie de navigation. Il aurait certai-
nement fallu procéder à une inspection plus
minutieuse, ainsi qu'à l'examen du dessus du
conteneur avant de l'accepter comme étant en
bon état apparent, ce qui, d'après la preuve, est
la procédure suivie maintenant. Il semble,
d'après la preuve, qu'on . ne pouvait vraiment
remarquer les trous qu'en ouvrant un conteneur
vide et en y pénétrant pour voir s'il laissait
passer le jour. Il me semble cependant qu'un
examen minutieux du dessus aurait sûrement
permis de découvrir l'existence de trous d'un
diamètre allant de un demi-pouce à un pouce et
demi. De toute façon, s'il y avait des trous
lorsque la défenderesse accepta la livraison, elle
a omis de révéler leur existence par une preuve
directe à cet égard. Au lieu de cela, elle s'est
appuyée sur une expertise concernant les traces
de sel très diluées contenues dans les échantil-
lons de papier dans lequel étaient emballées les
marchandises, pour établir que les marchandises
avaient été exposées à l'eau salée qui s'était
infiltrée et les avait endommagées avant qu'elle
n'en prenne possession. A ce sujet les opinions
des experts sont contradictoires. S'ils convien-
nent que la quantité de sel était infime, de
l'ordre de 0.11 à 0.14%, leurs interprétations
diffèrent. Lipsett estime que ces traces de sel
seraient imputables à plusieurs facteurs, d'une
part au sel contenu dans le papier lui-même,
d'autre part, au sel provenant de l'air marin et
enfin au sel entraîné par la pluie à l'intérieur du
conteneur, dont le toit était recouvert d'un
dépôt de sel provenant des embruns et accu-
mulé au cours des voyages précédents ou prove-
nant de l'air marin. Orr, par contre, n'estime pas
que des quantités suffisantes de sel ont pu s'in-
troduire dans le conteneur de cette manière, vu
la quantité découverte, mais, conclut au con-
traire que, si les marchandises avaient été imbi
bées d'eau salée, cette dernière aurait pu être
diluée par l'eau de pluie s'infiltrant par la suite à
travers les fissures jusqu'à la concentration
constatée.
La cargaison fut arrimée dans la cale sous le
pont et rien n'indique qu'il y avait des fuites
dans cette cale pendant le transport alors qu'au
contraire, la preuve démontre qu'elle fut expo
sée à de fortes précipitations après qu'elle a été
remise à la garde de la défenderesse. Les deux
experts semblent compétents et avoir de l'expé-
rience. Afin de réfuter la présomption créée par
le reçu sans réserve donné par la défenderesse
sur réception du conteneur, il faudrait cepen-
dant beaucoup plus que la preuve ténue soumise
par son expert (preuve controversée par le
témoignage de l'expert de la demanderesse)
selon laquelle, vu les légères traces de sel trou-
vées dans le papier imbibé d'eau dans lequel les
marchandises étaient emballées, les dommages
causés à ses marchandises se produisirent cer-
tainement au moment où elles étaient en posses
sion de la compagnie de navigation. Je conclus
donc que le dommage fut causé par de l'eau de
pluie qui, en s'infiltrant par les trous de la paroi
supérieure du conteneur, en imbiba le contenu,
principalement, sinon uniquement, lorsque le
conteneur était en la possession, sous la garde et
le contrôle de la défenderesse.
Outre sa défense basée sur les faits, la défen-
deresse a plusieurs arguments intéressants en
droit.
La défenderesse invoque la Partie III, article
3, du connaissement (une des conditions affé-
rentes au transport par chemin de fer) dont un
passage se lit comme suit:
[TRADUCTION] Lorsque, selon l'usage courant, en raison de la
nature des marchandises, ou à la demande du chargeur, les
marchandises sont transportées en wagons ouverts, le trans-
porteur (sauf en cas de perte ou dommage par incendie, pour
lesquels la responsabilité sera la même que si les marchandi-
ses avaient été transportées en wagons fermés) ne sera
responsable qu'en cas de négligence de sa part et il lui
incombera de prouver qu'il n'a pas commis de négligence.
La défenderesse prétend que ceci élimine la
possibilité pour la demanderesse de fonder sa
demande sur la doctrine res ipsa loquitur. Le
fait que l'action intentée par la demanderesse
est fondée sur une rupture de contrat et non sur
un délit ou quasi délit ne dégage pas la défende-
resse de la charge d'établir l'absence de négli-
gence de sa part, en conformité avec ladite
condition. La conteneurisation est une méthode
de transport relativement nouvelle et il reste un
grand nombre de questions à régler par les tribu-
naux à ce sujet. Il est certain que les conte-
neurs, selon l'usage courant, sont transportés
dans des wagons ouverts, mais la condition
énoncée audit article 3 vise apparemment des
marchandises qui, en raison de leur nature, peu-
vent être transportées en wagon ouvert sans
subir de dommages à moins que le transporteur
ne commette une négligence. Sans aucun doute,
des pièces de nylon ne seraient pas normale-
ment [TRADUCTION] «selon l'usage courant, en
raison de la nature des marchandises, ou à la
demande du chargeur», transportées en wagon
ouvert et c'est seulement parce qu'elles étaient
dans un conteneur supposé étanche qu'elles ont
été transportées ainsi. Indubitablement, il y
avait des trous dans la paroi supérieure du con-
teneur par lesquels l'eau s'est infiltrée et a
endommagé les marchandises. Le fait que la
défenderesse n'a pas inspecté le dessus du con-
teneur, comme c'est maintenant l'usage, avant
d'en accepter la livraison et, en fait, a donné un
reçu sans réserve à son égard, comme étant
apparemment en bon état, l'empêche d'établir
qu'elle s'est acquittée de son obligation de prou-
ver l'absence de négligence de sa part, de
manière à éviter que ne soit engagée sa respon-
sabilité contractuelle pour les dommages causés
au chargement du conteneur supposé étanche.
Cette défense n'est donc pas recevable.
La défenderesse invoque un autre point de
droit, savoir, que les procédures actuelles sont
prescrites. A ce sujet, elle invoque la prescrip
tion d'un an prévue par les Règles de La Haye,
incorporées au connaissement direct et prétend
que, même si les délais ont été portés à deux
ans, en vertu de l'Accord relatif à la clause-or,
les procédures actuelles n'ont pourtant pas été
engagées à temps. Elle souligne en outre qu'on
ne peut se prévaloir des prolongations du délai
pour engager des procédures, accordées par la
compagnie de navigation, pour interrompre la
prescription en ce qui concerne les actions
contre la compagnie de chemin de fer. Le délai
d'un an, pendant lequel l'action doit être inten-
tée, après livraison des marchandises, est prévu
à l'article 17 de la Partie II du connaissement, et
j'admets la prétention de la demanderesse selon
laquelle ce délai s'applique seulement à la partie
du contrat concernant le transport par mer, à
savoir à la partie du transport pour lequel la
compagnie de navigation est responsable. Ce
connaissement fait conjointement par la compa-
gnie de chemin de fer et la compagnie de navi
gation est d'un type inhabituel, et les stipula
tions du connaissement sont clairement divisées
en trois parties. Les préambules de ces parties
sont les suivants:
[TRADUCTION] PARTIE I—En ce qui concerne les services
jusqu'au port de transbordement (s'il y a lieu) nommément
désigné aux présentes:
PARTIE II—En ce qui concerne les services au port de
transbordement, s'il en est un nommément désigné aux
présentes, jusqu'au port de déchargement mentionné ci-des-
sus ou, si aucun port de transbordement n'a été ainsi nom-
mément désigné, en ce qui concerne les services audit port
de chargement:
PARTIE III—En ce qui concerne les services au port de
déchargement désigné ci-dessus, il est convenu que:
Il est évident que des conditions différentes
s'appliquent aux diverses périodes pendant les-
quelles les marchandises sont en possession des
transporteurs. Il n'y a pas un seul transporteur,
il y en a deux. Dans le connaissement sont
inscrits: le nom du bâtiment, le port de charge-
ment, soit Londres, le port de déchargement,
soit Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) et la desti
nation finale, soit Montréal; à la suite des dispo
sitions concernant le transport jusqu'au port de
déchargement, le connaissement stipule que:
[TRADUCTION] ... à l'arrivée à cet endroit (les marchandi-
ses) doivent être transportées par le Canadien Pacifique
Limitée ou autre compagnie de chemin de fer et/ou la
compagnie de navigation ou les transporteurs jusqu'à la gare
la plus proche de la destination des marchandises susmen-
tionnées et, de là, sous réserve de tous les privilèges et
stipulations inscrites aux présentes, qu'elles soient écrites,
imprimées ou marquées au tampon au recto ou au verso du
présent document, doivent être livrées au destinataire nom-
mément désigné ci-dessus ou ses mandataires moyennant le
paiement des frais y afférents.
Le transport par chemin de fer est donc sujet à
[TRADUCTION] «tous les privilèges et stipula
tions» du connaissement, qui lui-même indique
clairement que ce sont les stipulations de la
Partie III (c'est-à-dire les stipulations afférentes
au transport par chemin de fer) qui s'appliquent
à la livraison des marchandises à partir du port
de déchargement. La demanderesse prétend que
les limitations de responsabilité et les délais
pour intenter une action applicables à la partie
du voyage effectuée par mer, en vertu des
Règles de La Haye et du connaissement, ne sont
pas applicables à la partie du voyage effectuée
par terre puisque la compagnie de chemin de fer
doit se conformer aux conditions approuvées
par la Commission canadienne des transports et
ne peut y déroger; elle prétend que c'est pour
cette raison que ces conditions avaient été intro-
duites en totalité dans la Partie III du connaisse-
ment. La défenderesse se réfère à l'arrêt fran-
çais Nossi-Bé (Tribunal du Commerce du Havre,
le 11 juin 1963) 16 D.M.F. 430 qui soulignait les
difficultés d'application de délais de prescrip
tion différents à différentes parties à un contrat
de transport; il en résulterait que l'une des par
ties pourrait être poursuivie après que ses droits
de recours contre une autre partie, suite à ce
jugement, sont prescrits, mais je ne pense pas
que ce raisonnement soit suffisant pour qu'on
ne tienne pas compte des distinctions claires du
connaissement lui-même quant aux conditions
et limitations applicables aux deux transporteurs
respectivement.
La défenderesse invoque aussi l'article 21 du
connaissement qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] 21. Toute réclamation découlant des présen-
tes, sera réglée en conformité avec le droit anglais.
Toutefois, je ne peux interpréter cette clause
comme permettant de déroger aux règlements
établis en vertu de la Loi sur les chemins de fer
auquelle la défenderesse doit se conformer, et,
de toute façon, ledit article 21 figure dans la
Partie II du connaissement qui, comme je l'ai
déjà indiqué, s'applique seulement, à mon avis,
à la partie du voyage effectuée par mer. Les
paragraphes 294(1) et (2) de la Loi sur les
chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, sont identi-
ques aux paragraphes 353(1) et (2) de la Loi sur
les chemins de fer, S.R.C. 1952, c. 234, en
vigueur au moment où cette réclamation a pris
naissance et se lisent comme suit:
294. (1) Nul contrat, stipulation, règlement, règle, décla-
ration ou avis, fait ou donné par la compagnie, amoindris-
sant, restreignant ou limitant sa responsabilité relativement
aux transports, ne doit soustraire la compagnie à cette
responsabilité, excepté de la manière ci-après prévue, à
moins que ce genre de contrat, de stipulation, de règlement,
de règle, de déclaration ou d'avis n'ait été d'abord autorisé
ou approuvé par ordonnance ou par règlement de la
Commission.
(2) La Commission peut déterminer, en chaque cas, ou
par règlement général, jusqu'à quel point la responsabilité de
la compagnie peut se trouver diminuée, restreinte ou limitée.
La prescription de l'action contre la compagnie
de chemin de fer est exposée aux paragraphes
342(1) et (2) de la loi actuelle qui sont identi-
ques aux paragraphes 398(1) et (2) de l'ancienne
loi et se lisent comme suit:
342. (1) Toutes les actions ou poursuites en indemnité
pour dommages ou torts subis du fait de la construction ou
de la mise en service du chemin de fer doivent et, nonob-
stant les dispositions de toute loi spéciale, peuvent être
intentées au cours des deux années qui suivent l'époque où
les dommages présumés ont été subis, ou si les dommages se
continuent, au cours des deux années qui suivent la date à
laquelle ces dommages ont cessé, et non plus tard.
(2) Rien au paragraphe (1) ne s'applique à une action
intentée contre la compagnie pour rupture d'un contrat,
exprès ou tacite, relativement à tout transport, ni à une
action en dommages-intérêts intentée contre la compagnie
conformément aux dispositions de la présente loi au sujet
des taxes.
Puisque l'action se fonde sur une rupture de
contrat, c'est l'article 342(2) qui s'applique.
Dans la province de Québec où il semble que les
dommages se sont produits, l'action aurait été
prescrite par cinq ans en vertu de l'article 2260
du Code civil de la province de Québec. Dans la
province du Nouveau-Brunswick, elle aurait été
prescrite par six ans [voir S.R.N.B. 1952, c.
133, art. 9] et l'article 38(1) de la Loi sur la
Cour fédérale prévoit que:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les
règles de droit relatives à la prescription des actions en
vigueur entre sujets dans une province s'appliquent à toute-
procédure devant la Cour relativement à une cause d'action
qui prend naissance dans cette province et une procédure
devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend
naissance ailleurs que dans une province doit être engagée
au plus tard six ans après que la cause d'action a pris
naissance.
de sorte que même si l'on considère que les
procédures engagées concernent une cause d'ac-
tion qui n'a pas pris naissance dans une pro
vince, le délai est de six ans. Les procédures ont
donc été engagées à temps contre la présente
défenderesse, la compagnie de chemin de fer, et
ce moyen de défense ne doit pas non plus être
retenu.
La défenderesse invoque aussi la thèse selon
laquelle, puisque le navire Alex n'a pas été
affrété coque nue, la clause 18 du connaisse-
ment (précitée) s'applique. En conséquence, elle
prétend qu'elle-même et la compagnie de navi
gation n'ont agi qu'en qualité de mandataires
des propriétaires du navire et qu'elles n'ont
donc pas engagé leur responsabilité à l'égard de
la demanderesse. Là encore, il nous faut souli-
gner que cette condition est inscrite dans la
partie du connaissement concernant le transport
par mer. Les arrêts qu'on m'a cités, confirmant
cette condition, à savoir Apex (Trinidad) Oil
fields, Ltd. c. Lunham & Moore Shipping, Ltd.
[1962] 2 Lloyd's L. Rep. 203; Grace Kennedy &
Co., Ltd. c. Canada Jamaica Line [1967] 1
Lloyd's L. Rep. 336 et Delano Corporation of
America c. Saguenay Terminals Limited [1965]
2 R.C.É. 313, concernent les avaries subies par
des cargaisons lors d'un transport par mer. Une
condition de ce genre vise le cas où, le navire
n'étant pas affrété coque nue, les propriétaires
restent responsables de la façon dont le capi-
taine et l'équipage le manoeuvrent, et sont donc
directement responsables des dommages subis
en conséquence. Étendre cette stipulation au
transport effectué par terre et soutenir que la
compagnie de chemin de fer défenderesse n'est
pas responsable des dommages envers le pro-
priétaire de la marchandise transportée au motif
que, même pendant le transport terrestre, elle
agissait seulement en tant que mandataire des
propriétaires du navire à bord duquel étaient
transportées les marchandises livrées à Saint-
Jean (Nouveau-Brunswick) et reçues en bon
état apparent d'après le reçu de la défenderesse,
et soutenir que la compagnie de chemin de •fer
n'a aucune obligation contractuelle envers le
chargeur ou le destinataire consisterait à appli-
quer et à étendre cette stipulation d'une manière
qui certainement n'avait jamais été prévue. Il
convient de souligner à nouveau qu'il s'agit
d'une stipulation de la Partie II, seulement appli
cable jusqu'à l'arrivée au port de débarquement.
La défenderesse a en outre fait valoir que, de
toute façon, sa responsabilité est limitée à la
somme de £ 100 par colis' et que le conteneur
lui-même constitue un tel colis. A l'appui de
cette thèse, elle invoque l'article 16 du connais-
sement, rédigé comme suit:
[TRADUCTION] 16. En cas de perte ou d'avarie relatives à
des marchandises dont la valeur réelle dépasse la somme de
£100 par colis ou dans le cas de marchandises qui ne sont
pas expédiées sous forme de colis, par unité courante de
fret, la valeur des marchandises sera censée être £100 par
colis ou par unité, selon le cas, sur la base de laquelle le fret
est calculé et la responsabilité éventuelle du transporteur
sera déterminée sur la base d'une valeur de £100 par colis
ou par unité courante de fret, selon le cas, ou au prorata
dans le cas de perte ou d'avarie partielles, à moins qu'à la
livraison des marchandises au transporteur, le chargeur ait
fait une déclaration écrite faisant état de la nature des
marchandises et d'une valeur supérieure à £100, selon le
cas, et qu'il l'ait fait inscrire au connaissement et qu'il ait
payé un supplément de fret si besoin est. Dans ce cas, si la
valeur réelle des marchandises par colis ou par unité cou-
rante de fret dépasse la valeur déclarée, la valeur n'en sera
pas moins censée être la valeur déclarée et la responsabilité
éventuelle du transporteur ne dépassera pas la valeur décla-
rée et toute perte ou avarie partielles sera déterminée au
prorata sur la base de la valeur déclarée.
Ceci est conforme aux Règles de La Haye bien
que, conformément à l'Accord relatif à la clau-
se-or (si on l'appliquait), cette limite passât à
£200 par colis ou unité de fret. A la clause 16,
imprimée, fut ajoutée au tampon sur le connais-
sement la clause suivante:
[TRADUCTION] Le chargeur convient par les présentes que la
responsabilité du transporteur est limitée à £100 pour le
conteneur et tout son chargement, sauf si le chargeur a
déclaré une valeur supérieure et a payé un fret supplémen-
taire à cet égard, conformément à la règle applicable du
Canadian North Atlantic Westbound Freight Conference
Tariff.
Cette clause a peut-être été ajoutée dans l'inten-
tion d'imposer ladite limite au [TRADUCTION]
«conteneur et tout son chargement», puisque la
clause 16 stipule que [TRADUCTION] «... dans
le cas de marchandises qui ne sont pas expé-
diées sous forme de colis, par unité courante de
fret, la valeur des marchandises sera censée être
de £ 100 par colis ou par unité, ...» . Dans
l'affaire présente, la preuve démontre que
l'unité courante de fret pour des balles de tissu
de ce genre consiste en colis contenant 4 ou 6
de ces balles et, puisque cela aurait donné entre
67 et 100 colis, on aurait pu en l'absence de
cette clause particulière ajoutée au tampon,
appliquer à ce nombre de colis la limitation de
£ 100 par colis, ce qui n'aurait pas réduit la
réclamation totale de $10,386.43.
Il y a une jurisprudence importante, en parti-
culier depuis le début du transport en conte-
neurs, visant à définir ce qui constitue un colis
ou une unité. L'arrêt américain Inter -American
Foods Inc. c. Coordinated Caribbean Transport
Inc. [1970] A.M.C. 1303, en discute et souligne
que lorsque le connaissement indique le nombre
de colis placés dans le conteneur, la limitation
de la responsabilité doit s'appliquer à chacun de
ces colis et non au conteneur pris comme un
tout. Le connaissement en cause mentionne le
fait que le conteneur est [TRADUCTION] «censé
contenir 400 pièces de tricot de nylon, plus 50
pièces de tricot de nylon» (ces dernières étant
expédiées à un autre destinataire, Molyclaire
Limited, n'ayant rien à voir avec le présent
litige). Dans l'arrêt français Tribunal du Com
merce d'Oran (Strasbourgeois), du 7 février
1949, (1950) D.M.F. 126, il fut décidé que:
L'«unité» mentionnée dans l'article 5 de la loi du 2 avril
1936 [c: à-d. la Convention de La Haye] pour servir de base
au calcul de la limitation de responsabilité du transporteur
maritime s'applique aux marchandises qui, dans le langage
courant, ne reçoivent pas le nom de «colis», telles les balles
de laine ou de coton, les fûts de vin, les sacs de denrées.
Ceci semble très proche de l'affaire présente.
La limitation par colis est discutée d'une
manière générale dans l'ouvrage de Tetley,
Marine Cargo Claims aux pages 234 et
suivantes.
Cette question fut amplement discutée dans
un jugement récent de la Cour d'appel des
États-Unis, rendu le 13 août 1973 dans l'affaire
Royal Typewriter Co., Division Litton Business
Systems, Inc. c. MIV Kulmerland, her engines,
etc., c. Hamburg-Amerika Linie 483 F. 2e 645,
confirmant la décision du juge Tyler selon
laquelle 350 cartons de machines à calculer
placés dans un conteneur pour le transport
constituaient un seul colis. En rendant ce juge-
ment, la Cour analysa et établit une distinction
entre cette affaire et l'affaire Leather's Best,
Inc. c. S.S. Mormaclynx (451 F. 2e 800, 814-
816) dans laquelle il fut décidé que chaque balle
constituait un colis étant donné que le connais-
sement mentionnait un conteneur censé contenir
99 balles de cuir et que le mandataire du trans-
porteur maritime qui fournissait les conteneurs,
avait donné des reçus pour précisément 99
balles; au contraire, dans l'affaire examinée par
la Cour d'appel des États-Unis, le conteneur
était censé contenir simplement de l'«outillage»
et le taux de fret applicable était le même, que le
connaissement mentionnât ou non le nombre de
balles ou de cartons placés dans le conteneur.
Le jugement, bien que confirmant la décision du
juge Tyler, soulignait que ce dernier avait quel-
que peu changé de point de vue dans l'affaire
Rosenbruch c. American Export Isbrandtsen
Lines, Inc., (357 F. Supp. 982), en appelant un
conteneur un colis lorsqu'il contenait des mar-
chandises appartenant à un seul chargeur, sans
tenir compte de ce qu'on avait pu inscrire dans
le connaissement au motif que le principe ser
vant de base à la COGSA (la loi américaine
appelée. Carriage of Goods by Sea Act) était de
laisser au chargeur le choix de l'assurance mari
time s'il préférait les taux moins élevés applica-
bles aux grands colis. Ce jugement a cependant
été porté en appel et la Cour n'a pas admis la
distinction, soulignant que, puisqu'en fait les
parties réelles, directement intéressées, peuvent
être les assureurs maritimes eux-mêmes, il ne
suffit pas de dire que le facteur déterminant est
l'assurance maritime, car en décidant que
chaque balle constitue un colis, on fait faire une
aubaine à l'assureur de la cargaison s'il avait
calculé ses primes en se fondant sur le fait que
la responsabilité du transporteur était limitée à
$500. L'arrêt Royal Typewriter place le débat
sur le point de savoir si le chargement du conte-
neur aurait pu être facilement expédié outre-mer
par colis individuels ou cartons dans lesquels le
chargeur aurait emballé les marchandises. Ce
n'était pas le cas dans cette affaire et on fit
remarquer qu'avant l'époque du transport en
conteneurs, les machines à écrire étaient expé-
diées dans des cadres ou des caisses en bois,
contenant chacun de douze à vingt-quatre colis
individuels ou cartons de machines à écrire. Le
jugement assimile les conteneurs dans lesquels
elles sont expédiées, par lot de 350, aux cadres
ou caisses en bois utilisés par le passé. Il intro-
duit en outre une distinction avec l'arrêt Leath
er's Best (précité) en soulignant que les balles
auraient pu être expédiées individuellement au
lieu de l'être dans un conteneur qui finalement
ne fut pas considéré comme un colis. Le juge-
ment conclut:
[TRADUCTION] Le critère de «l'unité pratique de trans
port», que nous proposons aujourd'hui, a pour but de four-
nir, dans le cas où le chargeur a choisi le transport en
conteneurs, un «critère de bon sens» grâce auquel les parties
intéressées peuvent répartir la responsabilité pour perte, dès
l'établissement du contrat, souscrire à une assurance supplé-
mentaire, si nécessaire, et éviter ainsi de recourir à un
procès.
La question fut aussi examinée avec soin,
compte tenu du droit canadien, par le juge Col
lier devant cette Cour, dans l'affaire J.A. John-
ston Company Limited c. Le «Tindefjell» [1973]
C.F. 1003. Dans cette affaire, il y avait 173 et
148 cartons de chaussures respectivement dans
les deux conteneurs en cause. Le connaissement
indiquait le nombre de cartons dans chaque
conteneur. Le fret avait été calculé sur la base
du poids. A l'arrivée, les conteneurs et leur
contenu étaient endommagés et $10,000 de
dommages-intérêts furent demandés; la question
soumise à la Cour était de savoir si la limitation
de responsabilité devait être de $500 par conte-
neur. Les défendeurs soutenaient que, si la res-
ponsabilité n'était pas limitée à $1,000, elle
devait l'être sur la base de «l'unité courante de
fret» et que, puisque les deux conteneurs char-
gés pesaient 10.07 tonnes métriques et que le
fret était calculé sur la base de la tonne métri-
que, ceci constituait l'unité courante de fret et
qu'en conséquence la limitation se trouvait entre
$5,000 et $5,500. Ce jugement analyse l'arrêt
Leather's Best (Mormaclynx) (précité) et le
jugement en première instance dans l'affaire
Royal Typewriter (précitée) ainsi qu'une partie
de la jurisprudence française à laquelle j'ai été
référé. Le juge Collier déclare [à la page 1009]:
Dans une large mesure, il faut se reporter aux faits de
chaque espèce et, tout aussi important, il faut s'assurer de
l'intention des parties quant au contrat de transport. Je
pense qu'il convient, dans une affaire telle que celle-ci, de
déterminer si le propriétaire de la cargaison et le transpor-
teur ont considéré qu'aux fins de la limitation de responsabi-
lité, le conteneur est un seul colis ou si le critère était le
nombre de colis placés dans le conteneur.
Après avoir discuté l'arrêt Mormaclynx, le juge
Collier conclut [à la page 1012]:
Quand le chargeur sait que ses marchandises vont être
transportées en conteneurs, qu'il précise dans le contrat (en
utilisant en général un connaissement) le type de marchandi-
ses et le nombre de boîtes transportées dans le conteneur, et
que le transporteur accepte cette description et ce comptage,
alors, à mon sens, l'intention des parties était que le nombre
de colis aux fins de la limitation de responsabilité soit le
nombre de boîtes spécifié.
Il conclut que, dans cette affaire, chaque carton
n'excédait pas la valeur de $500 mais que le
chargeur, en informant le transporteur du
nombre de colis à transporter, bien qu'ils soient
regroupés dans un cadre large, s'était protégé
contre la limitation qui pouvait s'appliquer au
conteneur lui-même. Il fit une distinction entre
cette affaire et les arrêts Royal Typewriter et
Rosenbruch (précités) au motif que, dans ces
derniers, les connaissements n'indiquaient pas le
nombre de cartons dans le conteneur. Ayant
conclu que les conteneurs n'étaient pas des
colis, il examina la question de savoir s'ils
étaient des unités, se référant à l'arrêt de la
Cour suprême Falconbridge Nickel Mines Ltd.
c. Chimo Shipping Limited (jugement non publié
du 7 mai 1973). Dans cette affaire un tracteur et
un générateur, transportés à bord d'un navire,
furent perdus au cours d'un transbordement.
L'intimée soutenait que la responsabilité ne
devait pas dépasser $500 pour chacun au motif
qu'on devait les considérer respectivement
comme une seule unité d'expédition. L'appe-
lante soutenait qu'il fallait tenir compte du poids
afin de déterminer le nombre d'unités courantes
de fret, le tarif étant calculé sur les unités de
poids. La Cour suprême a rejeté cette préten-
tion, décidant qu'il existe une très nette diffé-
rence de rédaction entre les règles canadiennes
et anglaises et la règle américaine, et qu'au
Canada le terme «unité» signifie unité de mar-
chandise ou élément de cargaison et non unité
de fret. Par conséquent, il n'y avait que deux
unités et la responsabilité fut limitée à $1,000.
Le juge Collier établit cependant une distinction
avec cette affaire au motif qu'elle portait sur
des grosses machines qui n'étaient pas embal-
lées au sens ordinaire du terme.
Examinant la clause du connaissement de l'af-
faire portée devant lui, qui utilise l'expression
«par unité courante de fret», comme le fait le
connaissement dans l'affaire présente, le juge
Collier fit remarquer que le connaissement avait
apparemment été rédigé en tenant compte de la
rédaction de la loi américaine (COGSA) qui
prévoit que la limitation peut être calculée par
unité courante de fret, mais que d'après la déci-
sion de la Cour suprême dans l'affaire Falcon-
bridge (précitée), cette façon de calculer la limi
tation n'est pas admissible en droit canadien
puisque l'expression «par unité courante de
fret» ne figure pas dans la législation
canadienne.
Si j'applique le raisonnement de ce jugement
à l'affaire présente, je dois rejeter la prétention
de la demanderesse selon laquelle puisque, sans
conteneur, 4 à 6 rouleaux de tissu de nylon de la
taille de ceux qui nous occupent seraient norma-
lement emballés dans un seul colis, ce dernier
devrait constituer une «unité courante de fret»,
ce qui donnerait un chargement de 67 à 100 de
ces unités. Puisqu'il est aussi manifeste qu'on
n'aurait pas normalement expédié séparément
les rouleaux emballés comme ils l'étaient, il
semble qu'on ne peut pas considérer chacun des
rouleaux comme un colis en soi si nous adop-
tons le raisonnement de l'arrêt américain Royal
Typewriter (précité) plutôt que la conclusion des
tribunaux américains dans l'affaire Leather's
Best (précitée) où il fut décidé qu'une balle de
cuir était un colis. L'affaire présente est diffé-
rente de l'affaire Johnston Company (précitée)
car, dans cette dernière, les chaussures étaient
emballées dans des cartons qui étaient apparem-
ment des colis et qu'il était concevable de les
expédier ainsi individuellement.
En ce qui concerne la validité de la clause
apposée au connaissement, Tetley, dans son
ouvrage Marine Cargo Claims, examinant la
jurisprudence américaine fait, aux pages
237-38, les remarques suivantes:
[TRADUCTION] Laisser le transporteur absolument libre de
définir le terme «colis» dans le connaissement consisterait
en fait à lui permettre de limiter sa responsabilité dans tous
les cas à $500.00 ou l'équivalent pour l'ensemble de la
cargaison quel que soit le nombre de colis. Ce principe est
clairement énoncé dans l'arrêt Gulf Italia Co. c. American
Export Lines (SS. Exiria) ([1958] A.M.C. 439, à la p. 442
(en première instance); [1959] A.M.C. 930 (en appel)). Un
tracteur pesant 43,319 lbs., embarqué sans dispositif d'en-
raiement, mais dont la superstructure était partiellement
recouverte d'un coffrage en bois, ne fut pas considéré
comme étant un colis au sens de l'art. 4(5) du Cogsa. La
responsabilité du transporteur pour les dommages était limi-
tée à $500.00 par tonne d'arrimage, sur laquelle était basé le
calcul du fret:
Permettre aux parties elles-mêmes de déterminer ce qu'est
un «colis» reviendrait à autoriser une diminution de la
responsabilité autrement que par l'opération de la loi, car
un transporteur pourrait toujours limiter sa responsabilité
à $500.00 en exigeant du chargeur qu'il consente à stipu-
ler que tout chargement, sous quelque forme que ce soit,
est censé être un colis aux fins de la limitation de la
responsabilité.
Dans l'arrêt Pannell c. U.S. Lines, ([1959] A.M.C. 935, à
la p. 936) un yacht qui n'était pas placé dans un cadre, était
transporté en pontée, ce qui était inscrit au connaissement.
Normalement les Règles ne s'appliquaient donc pas. Le
connaissement renvoyait précisément à la Cogsa qui, en
vertu de cette entente, devenait donc applicable. Le connais-
sement définissait aussi le mot colis, comme incluant «toute
unité de chargement». La Cour fit remarquer que, si la
Cogsa s'était appliquée, non en vertu de l'entente, mais ex
proprio vigore, (c: à-d. d'autorité), la définition de colis
n'aurait pas été valable, comme l'a établi l'arrêt Gulf Italia
Co. c. American Export Lines (SS. Exiria). Mais, dans ce
cas, «lorsqu'un contrat renvoie à une loi, les dispositions de
ladite loi deviennent des conditions du contrat établi par le
connaissement. Il nous faut donc interpréter le contrat de
manière à ce que, si possible, toutes les conditions soient
compatibles.» Il fut donc décidé que le yacht était un colis et
que la limitation totale était de $500.00.
Tant la Carriage of Goods by Sea Act britan-
nique (1924) que la Loi sur le transport des
marchandises par eau canadienne (S.R.C. 1970,
c. C-15), auparavant Loi sur le transport des
marchandises par eau (S.R.C. 1952, c. 291),
contiennent à l'article III, paragraphe 8 de l'an-
nexe, une clause se lisant en partie comme suit:
8. Toute clause, convention ou accord dans un contrat de
transport exonérant le transporteur ou le navire de responsa-
bilité pour perte ou dommage concernant des marchandises
provenant de négligence, faute ou manquement aux devoirs
ou obligations édictées dans cet article ou atténuant cette
responsabilité autrement que ne le prescrivent les présentes
Règles, sera nulle, non avenue et sans effet.
identique à l'article 8 de la Carriage of Goods by
Sea Act (COGSA) américaine et reprenant tous
une partie de l'article III, paragraphe 8 des
Règles de La Haye. Je tends donc à penser que
le raisonnement des tribunaux américains dans
l'affaire Gulf Italia Co. c. American Export
Lines (SS. Exiria) (précitée) selon lequel on ne
peut se soustraire à la limitation ou la diminuer
indirectement en permettant au transporteur de
définir en toute liberté le terme «colis» dans le
connaissement, pourrait s'appliquer à l'affaire
présente, ce qui aurait aussi pour effet de rendre
invalide la clause apposée, imposant la limita
tion de £ 100 au conteneur et à son chargement.
Cependant il n'est pas nécessaire de régler cette
question en l'espèce puisque, comme je l'ai déjà
indiqué, j'ai conclu qu'on ne peut considérer les
balles de tissu comme des colis ou des unités, de
sorte que le conteneur en tant que tel doit, vu
les circonstances de l'affaire, être considéré
comme le colis et la limitation de £100 (ou
$500) doit être appliquée si la défenderesse en
l'espèce était la compagnie de navigation.
Comme je l'ai signalé auparavant, je consi-
dère cependant que toutes les clauses du con-
naissement dérivant de la Convention de La
Haye ou relatives de quelque autre façon à la
partie du transport effectuée par mer, ne s'appli-
quent qu'à la compagnie de navigation; je consi-
dère que la compagnie de chemin de fer doit se
conformer aux stipulations de la Partie III con-
cernant le transport des marchandises par terre,
ces conditions ayant été approuvées par la Com
mission canadienne des transports et constituant
les règles en vigueur régissant le transport des
marchandises par la compagnie de chemin de
fer. La compagnie de chemin de fer ne peut, en
s'associant à la compagnie de navigation pour le
connaissement, diminuer sa responsabilité, que
ce soit en ce qui concerne le montant des dom-
mages-intérêts qu'on peut lui demander ou que
ce soit en ce qui concerne le délai dans lequel
on peut intenter une action contre elle, excepté
dans la mesure où les règlements en matière de
chemin de fer l'autorisent. La responsabilité de
la compagnie de chemin de fer ne peut donc être
limitée que dans la mesure où la Loi sur les
chemins de fer et les règlements d'application le
prévoient, et il n'a pas été signalé à la Cour qu'il
existait de règlement limitant la responsabilité à
une valeur inférieure au montant réclamé.
Par conséquent, la Cour accorde à la deman-
deresse la somme de $10,386.43, avec intérêts
de 5% à compter du 6 mai 1969 et les dépens.
' Les dépôts de Place Viger sont à Montréal.
2 Le registre des déplacements du wagon indique qu'il
n'est pas arrivé à Montréal (dépôt de St-Luc) avant le 16
avril et au dépôt Hochelaga (Montréal) avant le 17 avril,
mais cette petite différence de date est sans importance.
L'article IV, paragraphe 5 de l'annexe à la Loi sur le
transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, c. C-15,
limite expressément la responsabilité à $500.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.