C. P. Loewen Enterprises Limited (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Division de première instance, le juge Catta-
nach—Winnipeg (Manitoba), le 6 avril; Ottawa,
le 27 juin 1972.
Impôt sur le revenu—Directive du Ministre en vertu de
laquelle des compagnies sont considérées comme associées
entre elles—Un motif de l'existence distincte desdites compa-
gnies est-il la réduction de l'impôt—Appel—Loi de l'impôt
sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 138A.
Le Ministre a ordonné, conformément à l'article 138A(2)
de la Loi de l'impôt sur le revenu, que sept compagnies
soient considérées comme associées entre elles en 1965 et
1966, limitant ainsi à $35,000 le revenu de l'ensemble de
ces compagnies imposable au taux de 18% plutôt qu'à celui
de 47%. Même à défaut d'une directive du Ministre, quatre
des compagnies étaient associées entre elles en vertu de
l'article 39(4) et les trois autres étaient aussi associées entre
elles en vertu du même article. Une des compagnies de ce
second groupe a interjeté appel d'une cotisation fondée sur
la directive du Ministre.
Arrêt: La preuve indique que l'appelante s'est acquittée
de la charge de prouver, comme l'exige l'article
138A(3)b)(ii), qu'aucun des principaux motifs de l'existence
distincte de chacune des trois compagnies du second groupe
n'était la réduction de leurs impôts. Il y a donc lieu d'infir-
mer la directive du Ministre donnée en vertu de l'article
138A(2).
Arrêts cités: Holt Metal Sales of Manitoba Ltd. c.
M.R.N. [1970] R.C.É. 612; Doris Trucking Co. c.
M.R.N. [1968] 2 R.C.É. 501.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
Walter C. Newman, c.r. pour l'appelante.
L. P. Chambers, c. r. pour l'intimé.
LE JUGE CArrANAcx—Appel est par les pré-
sentes interjeté des cotisations à l'impôt sur le
revenu de l'appelante établies par le Ministre
pour les années d'imposition 1964, 1965 et
1966. Les cotisations ont été établies à la suite
de directives du Ministre, en date du 16 août
1968, conformément aux dispositions de l'arti-
cle 138A(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu,
selon lesquelles les compagnies suivantes sont
considérées comme associées entre elles en ce
qui concerne les années d'imposition 1965 et
1966:
1. Loewen Holdings Ltd.,
2. C. T. Loewen & Sons (1957) Ltd.,
3. Build -A-Home Co., Ltd.,
4. Loewen Millwork (Canada) Ltd.,
5. Edward J. Loewen Enterprises Ltd.,
6. George F. Loewen Enterprises Ltd., et
7. L'appelante au présent appel, C. P.
Loewen Enterprises Ltd.
La Loewen Millwork (Canada) Ltd., la qua-
trième compagnie énumérée ci-haut, n'a pas été
visée par la directive du Ministre pour l'année
d'imposition 1964 car elle n'a été constituée
qu'en 1965.
Il est admis que les trois compagnies énumé-
rées en premier lieu ont été des corporations
associées les unes aux autres au cours de l'an-
née d'imposition 1964 en vertu des dispositions
de l'article 39(4) de la Loi de l'impôt sur le
revenu et que, de même, les quatre compagnies
énumérées en premier lieu ont été des corpora
tions associées au cours des années d'imposi-
tion 1965 et 1966.
Il est également admis que les trois compa-
gnies énumérées en dernier lieu, à savoir, la
Edward J. Loewen Enterprises Ltd., la George
F. Loewen Enterprises Ltd. et l'appelante au
présent appel, la C. P. Loewen Enterprises Ltd.,
étaient des corporations associées en vertu des
dispositions de l'article 39(4).
L'article 39(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu porte que l'impôt exigible d'une corpora
tion, aux termes de la Partie I de ladite Loi, est
de 18% sur les premiers $35,000 de revenu
imposable et de 47% du montant par lequel le
revenu imposable excède $35,000. Toutefois,
les paragraphes (2) et (3) de l'article 39 portent
que, lorsque deux ou plusieurs corporations
sont associées les unes aux autres, le montant
total de leurs revenus imposables au taux de
18% ne doit pas excéder $35,000.
Essentiellement, la position adoptée par l'ap-
pelante est la suivante: puisque les quatre pre-
mières corporations sont associées en vertu de
l'article 39(4) de la Loi, ce premier groupe de
quatre corporations peut bénéficier du taux
d'imposition réduit de 18% sur la première tran-
che de $35,000 de son revenu et, puisque les
trois autres corporations sont aussi associées
(mais non avec les quatre premières corpora
tions, si ce n'est aux termes de la directive du
Ministre), ce second groupe de trois corpora-
tions peut aussi bénéficier du taux d'imposition
réduit de 18% sur la première tranche de
$35,000 de son revenu.
En résumé, l'appelante est d'avis qu'il faut
établir deux bases de $35,000, l'une pour les
quatre premières corporations et l'autre pour les
trois autres corporations; le Ministre prétend au
contraire qu'il y a lieu d'établir une seule base
de $35,000 pour l'ensemble des sept
corporations.
Il est admis—et les appels ont été plaidés sur
cette base—que, exception faite de la directive
du Ministre aux termes de l'article 138A, les
quatre corporations énumérées en premier lieu,
(1) la Loewen Holdings Ltd., (2) la C. T.
Loewen & Sons (1957) Ltd., (3) la Build -A-
Home Co. Ltd. et (4) la Loewen Millwork
(Canada) Ltd., sont dès corporations associées
en vertu de l'article 39(4) de la Loi et que les
trois autres corporations, (1) la Edward J.
Loewen Enterprises Ltd., (2) la George F.
Loewen Enterprises Ltd. et (3) l'appelante, la
C. P. Loewen Enterprises Ltd., sont aussi des
corporations associées en vertu de l'article
39(4), mais que le premier groupe de quatre
corporations n'est pas associé au second groupe
de trois corporations.
Aux termes de la directive du Ministre en
vertu de l'article 138A pour l'année d'imposition
1964, les six corporations qui existaient alors
étaient considérées comme des corporations
associées et, pour les années d'imposition 1965
et 1966, les sept corporations ont été considé-
rées comme des corporations associées.
Voici ce que je retiens de la position de
l'avocat de l'appelante: le fait que les quatre
premières corporations sont des corporations
associées en vertu de l'article 39(4), et le fait
que les trois corporations du deuxième groupe
sont pareillement des corporations associées
empêche le Ministre de décider que des corpo
rations sont des corporations associées en vertu
de l'article 138A quand ces corporations sont
déjà réputées être des corporations associées en
vertu d'un autre article de la Loi.
D'autre part, voici ce que je retiens de la
position de l'avocat du Ministre: puisque les
trois corporations du second groupe, qui sont
des corporations associées en vertu de l'article
39(4), sont considérées par le Ministre, en vertu
des dispositions de l'article 138A(2), être des
corporations associées à l'une des corporations
du premier groupe, et puisque les quatre compa-
gnies du premier groupe sont des corporations
associées en vertu de l'article 39(4), il s'ensuit
que les trois corporations du second groupe
sont associées aux quatre corporations du pre
mier groupe en vertu de l'article 39(5), qui porte
que lorsque deux corporations sont associées
«ou sont considérées, en vertu du présent para-
graphe, comme associées» à la même corpora
tion simultanément, elles sont censées être
associées l'une à l'autre. Par conséquent, la
directive générale du Ministre, aux termes de
laquelle les sept corporations sont toutes consi-
dérées comme des corporations associées, n'est
qu'un moyen commode de décrire la situation
générale. Les corporations associées en vertu
de l'article 39(4) le demeurent de toute façon et
la directive du Ministre aux termes de l'article
138A(2) est une redondance; les corporations
qui ne seraient pas associées en l'absence de la
directive du Ministre sont considérées l'être en
vertu de cette dernière.
Toutefois, d'après l'avocat de l'appelante,
l'article 39(5) n'a pas l'effet que lui prête l'avo-
cat du Ministre car, pour avoir cet effet, à
savoir, pour que deux corporations soient consi-
dérées comme associées les unes aux autres, (1)
elles doivent être associées à la même corpora
tion ou (2) considérées l'être en vertu de l'arti-
cle 39(5). L'avocat de l'appelante fonde cette
prétention sur la présomption qu'aucune corpo
ration du second groupe n'est associée à l'une
ou l'autre des corporations du premier groupe
(il ne tient pas compte de l'association résultant
de la directive du Ministre aux termes de l'arti-
cle 138A(2) du fait qu'il s'agit là d'une associa
tion présumée et non d'une véritable associa
tion) et que les corporations ne sont pas non
plus considérées comme associées en vertu du
paragraphe (5) de l'article 39.
Par conséquent, je considère qu'il y a deux
questions en litige.
La première consiste à déterminer si l'un des
principaux motifs de l'existence distincte des
corporations en question est la réduction du
montant des impôts qui auraient autrement été
payables.
L'article 138A(2), qui s'applique aux années
d'imposition 1964 et suivantes, est rédigé de la
façon suivante:
138A. (2) Lorsque, dans le cas de deux corporations ou
plus, le Ministre est convaincu
a) que l'existence distincte de ces corporations dans une
année d'imposition n'a pas pour seul objet la poursuite
des affaires de ces corporations de la manière la plus
efficace, et
b) que l'un des principaux motifs- de cette existence
distincte dans l'année est la réduction du montant des
impôts qui seraient autrement payables en vertu de la
présente loi,
les corporations, au nombre de deux ou plus, doivent, si le
Ministre l'ordonne, être considérées comme associées entre
elles dans l'année.
Le paragraphe (3) de l'article 138A permet
d'interjeter appel d'une cotisation établie con-
formément à une directive du Ministre aux
termes de l'article 138A(2); l'extrait dudit para-
graphe (3) qui prévoit cet appel est rédigé de la
façon suivante:
138A. (3) Sur un appel d'une cotisation établie conformé-
ment à une directive aux termes du présent article, la
Commission d'appel de l'impôt ou la Cour de l'Échiquier
peuvent
a) confirmer la directive;
b) infirmer la directive si,
(ii) dans le cas d'une directive prévue au paragraphe
(2), elle précise qu'aucun des principaux motifs de
l'existence distincte des deux corporations ou plus est
de diminuer le montant de l'impôt qui autrement serait
payable en vertu de la présente loi; ou
c) modifier la directive ou renvoyer l'affaire au Ministre
pour nouvelle cotisation.
En vertu de ce paragraphe, cette Cour a la
faculté de déterminer elle-même quels ont été
les principaux motifs de la création et de l'exis-
tence distincte des corporations que le Ministre
a considérées comme associées.
En vertu de l'article 138A(2), l'exercice de la
discrétion du Ministre est subordonnée aux faits
que (1) l'existence distincte des corporations en
question n'a pas pour seul objet la poursuite des
affaires de ces corporations de la manière la
plus efficace et (2) que l'un des principaux
motifs de leur existence distincte est une dimi
nution des impôts. Il semble donc que l'exercice
de la discrétion du Ministre est subordonnée à
l'existence de deux conditions préalables.
Toutefois, en vertu de l'article 138A(3)b)(ii),
cette Cour peut infirmer une directive du Minis-
tre en vertu du paragraphe (2) si elle établit
qu'«aucun des principaux motifs» de l'existence
distincte des deux corporations ou plus est une
diminution du montant de l'impôt payable; l'ar-
ticle 138A(3) ne permet cependant pas à cette
Cour de substituer ses propres conclusions à
celles du Ministre portant que l'existence dis-
tincte de deux corporations ou plus n'a pas pour
seul objet la poursuite des affaires de ces cor
porations de la manière la plus efficace. Il me
semble que les conclusions du Ministre au titre
des alinéas a) et b) de l'article 138A(2) ne sont,
en réalité, qu'une seule conclusion portant que
l'existence distincte de deux corporations ou
plus n'a pas pour seul objet la poursuite des
affaires et vise à réduire les impôts. Pour cette
raison, l'article 138A(3)b)(ii) renvoie à l'article
138A(2)b) et ne fait aucune mention de l'article
138A(2)a).
Si je donne raison à l'appelante sur cette
première question, c.-à-d. si je décide qu'une
réduction du montant des impôts payables n'est
pas l'un des principaux motifs de l'existence
distincte des corporations, le litige est résolu.
Toutefois, si je donne raison au Ministre,
c.-à-d. si je décide que l'un des principaux
motifs de l'existence distincte des corporations
est une diminution du montant des impôts qui
auraient autrement été payables, il me faut
ensuite trancher la seconde question, celle de
l'applicabilité de l'article 39(5).
Pour trancher ces questions, il est nécessaire
d'étudier en détail les faits relatifs aux appels.
En 1908, Cornelius T. Loewen a fondé une
entreprise faisant le commerce du bois de cons
truction à Steinback (Manitoba). Il l'a exploitée
en sa qualité personnelle jusqu'à ce que l'entre-
prise soit cédée à la C. T. Loewen & Sons Ltd.,
en 1943.
La ville de Steinback (Manitoba) est une
petite localité située à quelque quarante milles
de la ville de Winnipeg et l'on n'aurait pas cru
qu'une entreprise fondée pour faire le com
merce local du bois pouvait prendre une expan
sion qui l'amènerait un jour à vendre son bois
partout dans les provinces des prairies, en
Colombie-Britannique et dans l'ouest de l'Onta-
rio. C'est pourtant ce qui s'est produit en dépit
de la situation défavorable de l'entreprise.
Aucune voie ferroviaire importante ni aucune
route principale ne desservaient la ville de
Steinback, qui est le foyer d'une population
presque exclusivement mennonite.
Au début, M. Loewen s'intéressait à toute
activité commerciale susceptible de lui procurer
un gain, mais, avec le temps, il concentra princi-
palement son activité dans le domaine du com
merce au détail du bois de construction et de la
quincaillerie.
Ses trois fils, soit l'aîné, Edward J., suivi de
George F. et enfin de Cornelius T. (fils), se
joignirent à leur père dans l'exploitation du
commerce en question lorsqu'ils sont entrés sur
le marché du travail.
Le travail du père et le fait qu'il était disposé
à réinvestir la plupart des gains dans l'entreprise
sont les principales raisons du succès de cel-
le-ci. Il semble avoir vécu à l'aise mais modeste-
ment et s'être consacré sa vie toute entière à
l'expansion de l'entreprise. Il ambitionnait de
laisser un commerce considérable à ses fils, qui
pourraient ensuite en continuer l'exploitation.
Les fils suivirent l'exemple du père lorsqu'ils
prirent la relève.
Un autre facteur a contribué au succès de
l'entreprise: la famille Loewen est aussi de reli
gion mennonite et, à ce titre, s'attirait la clien-
tèle
des habitants de Steinback et s'assurait des
relations de travail stables avec les employés.
Ces facteurs ne présenteraient aucun intérêt
pour un acheteur étranger éventuel.
En 1951, Cornelius T. Loewen fut frappé
d'apoplexie et il demeura complètement para-
lysé. Il fut cloué au lit jusqu'à sa mort, en 1960.
Les trois fils achetèrent donc la participation
de leur père dans l'entreprise, pour le prix de
$225,000, payable sur une période de quinze
ans. Ils devinrent ainsi les trois actionnaires en
parts égales de la corporation. En raison du
désir des fils de donner à l'entreprise une nou-
velle expansion et des besoins en capital pour y
arriver, ils mirent les quinze années prévues à
s'acquitter de leur obligation envers leur père.
En 1955, Edward, le fils aîné, qui dirigeait
alors la corporation, fut victime d'une grave
crise cardiaque. Les frères avaient passé entre
eux une convention aux termes de laquelle le
frère survivant s'engageait à acheter les actions
d'un frère défunt et des polices d'assurance-vie
étaient prévues à cette fin. Sous la direction des
trois frères, le commerce a prospéré à un point
tel que le montant de l'assurance est devenu
insuffisant et n'aurait pas permis d'acheter la
part d'un des trois frères en cas de décès d'un
de ceux-ci et, puisqu'il avait été décidé que tous
les gains tirés de l'entreprise seraient versés
dans le fonds de roulement de celle-ci pour en
assurer l'expansion, il devenait nécessaire que
l'argent requis pour l'achat de la part d'un frère
décédé soit tiré de l'entreprise, diminuant par le
fait mème le fonds de roulement essentiel à la
réalisation de l'expansion. En raison de l'état de
santé de Edward, il était impossible d'obtenir
une nouvelle assurance sur sa vie.
A la lumière de l'expérience qu'ils avaient
faite lorsqu'ils ont acheté la participation de
leur père, les trois frères décidèrent qu'il y avait
lieu de restructurer l'entreprise afin de simpli-
fier le rachat de la part d'un frère décédé ou une
vente éventuelle à des étrangers.
A cette fin, on a constitué la C. T. Loewen &
Sons (1957) Ltd. pour exploiter l'entreprise.
Ladite compagnie a acheté le commerce de la
C. T. Loewen & Sons Ltd. et en a acquis les
stocks. La C. T. Loewen & Sons Ltd. a changé
son nom corporatif pour adopter celui de
Loewen Holdings Ltd. et, comme l'indique son
nom, elle est devenue la société-mère. Elle a
conservé le terrain, les immeubles et le matériel
et a loué ces biens à C. T. Loewen & Sons
(1957) Ltd., la société chargée de l'exploitation,
pour un loyer annuel de 10% du coût en capital
des biens loués à la société d'exploitation. Au
début, ce loyer annuel s'élevait à environ
$40,000 et, au cours des ans, il a atteint la
somme de $100,000.
Les trois frères devinrent actionnaires en
parts égales de la C. T. Loewen & Sons (1957)
Ltd., la société d'exploitation, ainsi que de la
Loewen Holdings Ltd.
Les trois frères ont passé une nouvelle con
vention d'achat-vente aux termes de laquelle les
frères survivants ou l'un de ceux-ci pouvaient
acheter les actions du défunt ou des défunts
dans la C. T. Loewen & Sons (1957) Ltd., la
société d'exploitation. La succession du frère
décédé resterait propriétaire des actions de la
Loewen Holdings Ltd. et recevrait le loyer et
l'intérêt afférents à ces actions. Cette façon de
faire assurait un revenu à la succession du frère
et, du fait que le montant de l'investissement
dans la société d'exploitation avait été considé-
rablement réduit, la somme nécessaire à l'achat
des actions d'un frère décédé se trouvait ainsi
grandement réduite.
Les frères se lancèrent dans le commerce des
maisons préfabriquées et, pour faciliter aux
acheteurs le financement de ces maisons, ils ont
constitué une société portant le nom de Build -
A-Home Co., Ltd., dont ils possédaient toutes
les actions en parts égales.
L'entreprise fondée par le père se composait
maintenant du commerce principal, du com
merce au détail du bois de construction et d'un
atelier de transformation du bois.
En 1959, on a cru opportun de donner plus
d'importance au secteur du commerce faisant la
transformation du bois. A cette fin, un prêt de
$350,000 a été obtenu du Manitoba Develop
ment Fund, un organisme gouvernemental.. En
1962, le montant du prêt a été augmenté de
$50,000. Le remboursement du prêt était
garanti par des débentures émises à la fois par
la C. T. Loewen & Sons (1957) Ltd., la société
d'exploitation, et la Loewen Holdings Ltd., la
société-mère, ainsi que par des cautionnements
personnels des trois frères et de leurs épouses.
Une usine de grandes dimensions fut cons-
truite et mise en exploitation en 1960. Le prêt
additionnel obtenu en 1962 permit d'agrandir
l'usine en question.
Pendant ce temps, l'état de santé de Edward
était allé de mal en pis, de sorte que Cornelius
T. dut prendre la direction générale de
l'entreprise.
L'entreprise de transformation du bois
connut un succès immédiat. Paradoxalement, le
bois était acheté en Colombie-Britannique et
transporté à Steinback (Manitoba), où il servait
à fabriquer certains des produits finis expédiés
ensuite en Colombie-Britannique pour y être
vendus. Une succursale fut établie à Edmonton
(Alberta).
Du fait que l'entreprise de transformation du
bois faisait affaires dans plusieurs provinces, on
a cru avantageux de constituer la Loewen Mill-
work (Canada) Ltd. pour s'occuper de ce com
merce. Les trois frères devinrent actionnaires
en parts égales de ladite compagnie.
Ces quatre corporations, la Loewen Holdings
Ltd., la C. T. Loewen & Sons (1957) Ltd., la
Build -A-Home Co., Ltd. et la Loewen Millwork
(Canada) Ltd., ont toujours admis qu'elles
étaient des corporations associées au sens que
donne à cette expression l'article 39(4) de la Loi
de l'impôt sur le revenu; elles ont produit des
déclarations d'impôt sur le revenu et ont été
imposées comme telles. Ces circonstances nous
forcent irrésistiblement à ajouter foi à la préten-
tion de l'avocat de l'appelante selon laquelle
l'un des principaux motifs de l'existence dis-
tincte de ces quatre corporations n'était pas une
diminution du montant des impôts qui seraient
autrement payables.
Après la convention de 1957, aux termes de
laquelle la corporation originale est devenue
une société-mère qui conservait les immobilisa-
tions et les louait à la société d'exploitation,
l'actif de cette dernière a augmenté de façon
considérable. Ce qui plus est, la société d'ex-
ploitation avait emprunté $400,000 du Manito-
ba Development Fund et elle avait un découvert
autorisé à sa banque sur lequel elle avait pré-
levé environ $450,000. Elle avait donc une
dette d'environ $850,000, remboursable à
même les bénéfices ordinaires. Dans l'inter-
valle, la valeur de la société d'exploitation, la C.
T. Loewen & Sons (1957) Ltd., était passée à
$400,000. Les trois frères faisaient donc face à
un problème identique à celui qu'ils avaient eu
en 1957: ils avaient alors cédé les immobilisa-
tions à la société-mère et ils avaient confié
l'exploitation à la société d'exploitation, facili-
tant ainsi l'achat par les frères survivants de la
part d'un frère décédé dans la société d'exploi-
tation, tout en assurant à la succession du frère
défunt des revenus tirés de la société-mère.
La situation à laquelle faisaient alors face les
trois frères était peut-être plus grave encore que
celle de 1957, qu'ils avaient résolue de la façon
que nous avons indiquée. L'état de santé de
Edward s'était aggravé. Il était impossible d'ob- ,
tenir de l'assurance sur sa vie. A cela s'ajoutait
maintenant le fardeau de la dette créée par
l'expansion de l'entreprise de transformation du
bois. La valeur de la société d'exploitation
dépassait de beaucoup celle du commerce, en
1957. Comme dans le passé, les frères man-
quaient des liquidités avec lesquelles ils
auraient pu acheter la part d'un frère décédé, à
cause du fait qu'ils avaient décidé de réinvestir
dans le commerce la plus grande partie des
bénéfices pour avoir le fonds de roulement
essentiel à l'exploitation profitable de la société
d'exploitation et à l'expansion de l'entreprise.
Étant donné la nature particulière de cette der-
nière, à savoir qu'elle était une entreprise fami-
liale et son emplacement dans une localité à
caractère ethnique éloignée des grandes voies
de communication, il était peu probable que
l'entreprise puisse être vendue à des étrangers à
un prix égal à sa valeur réelle, même s'il est vrai
que, selon les témoignages entendus, les frères
avaient reçu des offres d'achat relativement à
certains ensembles de cette entreprise polyva-
lente. J'ai l'impression que les frères Loewen
n'ont jamais pris sérieusement en considération
l'une ou l'autre de ces offres.
Les frères estimaient qu'il était impossible
que les survivants continuent l'exploitation de
l'entreprise à titre d'entreprise familiale au cas
du décès de l'un d'eux. C'était là aussi l'opinion
de leurs conseillers en matière comptable, qui
les ont informés que l'entreprise ne pourrait
survivre s'ils ne trouvaient pas une solution à ce
problème.
Pendant ce temps, les trois frères prenaient
de l'âge. Chacun d'eux avait une famille dont
les membres étaient presque adultes. Cornelius,
le cadet, avait cinq fils et une fille; George, son
aîné avait trois fils et Edward, l'aîné des trois,
en avait quatre. Un jour, lors d'une réunion des
membres de la famille, on s'aperçut qu'un bon
nombre souhaitaient suivre les traces de leurs
pères et que d'autres avaient des visées diffé-
rentes. Si ma mémoire est fidèle, il me semble
que les fils ou que certains des fils de Edward
ont exprimé le désir d'ceuvrer dans un autre
domaine d'activité. Il était bien naturel que les
frères cherchent à assurer l'avenir de leurs
enfants. Pour certains, cela signifiait qu'il fallait
assurer la survie de l'entreprise à titre d'entre-
prise familiale et, dans le cas des enfants qui
aspiraient à une carrière différente, le revenu
tiré de l'entreprise les aiderait à réaliser leur
but.
Essentiellement, la difficulté consistait à déci-
der quoi faire de l'entreprise en cas du décès
d'un frère d'abord pour sa survie à titre d'entre-
prise familiale, en second lieu pour fournir un
capital aux familles des frères et enfin pour
deviser une méthode rapide et efficace de sépa-
rer les commerces composant l'entreprise glo-
bale pour en faciliter la vente à un étranger ou
la prise en charge par les frères à titre indivi-
duel, si la chose devenait nécessaire. Pour arri-
ver à cette décision, les frères et leurs conseil-
lers en matières comptable et juridique ont
organisé deux réunions. La preuve présentée
m'a tout à fait convaincu qu'à ces réunions, on
n'a ni mis de l'avant ni étudié les avantages et
désavantages d'aucune solution de rechange,
l'une par rapport à l'autre. Tous ceux qui étaient
présents à ces réunions connaissaient bien le
problème ainsi que les objectifs recherchés. Je
suis convaincu que des solutions éventuelles au
problème susceptibles d'atteindre les buts visés
ont été mises de l'avant et étudiées et que ces
discussions ont abouti à un plan. Je ne crois pas
que des plans concrets et élaborés aient été
formulés et qu'on en ait étudié les avantages
réciproques. Je crois plutôt qu'on a élaboré et
ensuite accepté un seul plan.
Voici le résumé de ce plan, que l'on a adopté
et auquel on a donné effet en 1962.
Trois nouvelles corporations ont été consti-
tuées, à savoir, la Edward J. Loewen Enter
prises Ltd., la George F. Loewen Enterprises
Ltd. et la C. P. Loewen Enterprises Ltd., l'ap-
pelante au présent appel. J'ai déjà appelé ces
trois corporations le second groupe de compa-
gnies pour les opposer au premier groupe des
quatre corporations déjà constituées. Les
actions de chacune de ces trois corporations
étaient détenues en fiducie aux noms des
enfants des trois frères, comme l'indiquent les
noms des corporations; les enfants étaient les
véritables propriétaires (beneficial owners) des-
dites actions. Dès qu'un enfant atteignait l'âge
de la majorité, les actions détenues en son nom
par les fiduciaires lui étaient transférées par
ceux-ci et cet enfant venait s'ajouter aux autres
fiduciaires chargés de l'administration des
actions des enfants encore mineurs.
Les frères ont choisi les fiduciaires avec le
plus grand soin. Ces derniers avaient une cer-
taine connaissance des affaires mais, avant tout,
c'est en raison de leurs solides principes reli-
gieux et moraux qu'on les a choisis. Ils se sont
acquittés de leurs fonctions sans aucune rému-
nération et ne se sont pas contentés d'agir
comme simples nominataires. En raison de leurs
scrupules religieux, ils ont clairement fait savoir
qu'ils ne seraient parties à aucun projet louche
d'évasion fiscale. Ce n'est qu'après que les trois
frères et les conseillers en matière comptables
les eurent informés, et qu'ils furent convaincus
eux-mêmes, que tel n'était pas le but du plan en
question et que ce dernier visait plutôt d'autres
objectifs légitimes, que les fiduciaires acceptè-
rent d'agir.
Les trois corporations en question formèrent
une association de corporations sous la raison
sociale de C. T. Loewen & Sons.
La société d'exploitation, la C. T. Loewen &
Sons (1957) Ltd., vendit le commerce à l'asso-,.:
ciation de corporations, la C. T. Loewen &
Sons; le prix fut fixé à $404,000, la valeur nette
de la société d'exploitation. C'est ainsi que la
valeur du commerce de la C. T. Loewen (1957)
Ltd. (il n'est pas question ici de son prix de
vente comme un actif) s'est encore trouvée
réduite à ce qu'elle était à son origine, en 1957.
La garantie fournie pour l'acquittement du prix
d'achat était un billet à ordre payable à
demande.
L'association de corporations a ensuite
exploité l'entreprise et les bénéfices étaient éga-
lement répartis entre les trois corporations
exploitantes, la Edward J. Loewen Enterprises
Ltd., la George F. Loewen Enterprises Ltd. et
l'appelante, la C. P. Loewen Enterprises Ltd.,
et, par l'entremise de celles-ci les bénéfices
étaient versés aux enfants des trois frères.
Les trois frères, non plus que les corporations
dont ils étaient actionnaires, n'étaient proprié-
taires d'aucune action de l'une ou l'autre des
trois corporations exploitant l'entreprise, mais
ils ont continué à détenir, en parts égales, les
actions de la C. T. Loewen & Sons (1957) Ltd.
et de la Loewen Holdings Ltd.
L'association de corporations louait de la
société-mère, la Loewen Holdings Ltd., les
immobilisations, au même prix que l'avait fait la
C. T. Loewen & Sons (1957) Ltd. lorsque cette
dernière était la société d'exploitation. Cette
façon de procéder assurait un revenu aux trois
frères. Chacun des frères, aux termes de son
testament, léguait à sa femme ses actions dans
la société-mère.
La C. T. Loewen & Sons (1957) Ltd. devint
alors une société de gestion. La C. T. Loewen
& Sons (1957) Ltd., par l'entremise des trois
frères, donnait à l'association de corporations
des conseils en matière d'administration et de
direction de ladite association et percevait de
cette dernière un honoraire pour ce service.
Les trois frères recevaient chacun un salaire
de la société de gestion.
Le revenu de chacun des trois frères se trou-
vait donc ainsi réduit à sa part, égale à celle des
autres frères, du loyer reçu par la société-mère
et au salaire qu'il recevait de la société de
gestion. Tous les bénéfices tirés de l'association
des trois compagnies exploitant l'entreprise
allaient, en parts égales, aux familles des trois
frères. Cet arrangement convenait aux trois
frères. Edward songeait de toute façon à se
retirer tout à fait des affaires en raison de son
mauvais état de santé et le cadet, Cornelius,
estimait qu'il pourrait encore s'occuper active-
ment des affaires pendant environ 10 ou 15 ans,
et George, trois ans de moins.
Le coût d'achat de la part d'un frère décédé
dans la C. T. Loewen & Sons (1957) Ltd. s'est
trouvé gelé au prix d'achat payé en 1962 par
l'association de corporations. On mettait ainsi
fin à toute croissance de l'entreprise susdite et
la croissance du commerce profitait dorénavant
à l'association de corporations.
En ce qui concerne l'association des corpora
tions, on' a convenu qu'en cas de retrait de l'un
des associés, les autres associés pourraient
acheter son actif des fiduciaires le détenant en
son nom. Dans son témoignage, M. Cornelius T.
Loewen a affirmé que les autres associés corpo-
ratifs auraient toujours en main le double de la
somme nécessaire à l'achat de l'actif de l'asso-
cié désireux de se retirer de l'association. J'ai
du mal à comprendre pourquoi ce raisonnement
n'était pas également applicable au cas du frère
survivant qui aurait voulu acheter l'actif d'un
frère défunt dans la C. T. Loewen & Sons
(1957) Ltd. lorsque cette dernière était la
société d'exploitation. L'explication paraît être
la suivante: les trois frères avaient adopté
comme ligne de conduite de se contenter de
salaires modestes pour leurs propres besoins
personnels, permettant ainsi le réinvestissement
dans la compagnie des bénéfices qu'ils auraient
autrement touchés et l'augmentation du fonds
de roulement essentiel à l'exploitation et à l'ex-
pansion de l'entreprise, ce qui avait pour effet
de garder les trois frères dans un état perpétuel
de faible liquidité, et ce qui les aurait obligés à
tirer de l'actif de la compagnie la somme néces-
saire à l'achat de la part d'un frère décédé,
réduisant ainsi le fonds de roulement. Au dire
de M. Loewen, la croissance de l'entreprise
était réduite du fait que les bénéfices de l'asso-
ciation des corporations exploitant l'entreprise
étaient divisés en trois. J'en déduis que les
frères étaient disposés à faire stagner l'entre-
prise ou du moins à ralentir la croissance et de
ne plus réinvestir tous les bénéfices dans l'asso-
ciation exploitant l'entreprise, comme ils l'a-
vaient fait lorsqu'ils consacraient leurs énergies
à l'expansion de l'entreprise.
D'après Cornelius T. Loewen, au cours des
réunions portant sur la restructuration de l'en-
treprise, l'un des deux experts comptables
agréés des frères a informé ces derniers de la
possibilité d'alléger la charge fiscale. Cette pos-
sibilité découlait probablement du fait que les
quatre premières compagnies, la Loewen Hold
ings Ltd., la C. T. Loewen & Sons (1957) Ltd.,
la Build -A-Home Co., Ltd. et la Loewen Mill-
work (Canada) Ltd., étaient des corporations
associées et, à ce titre, elles pouvaient bénéfi-
cier d'un taux réduit de 18% sur une tranche de
revenu imposable de $35,000 plutôt que de
payer le taux normal de 47%.
Toutefois, les trois corporations exploitant
l'entreprise étaient elles aussi considérées
comme des corporations associées, et, de la
même façon, il pouvait également être accordé
à ces trois corporations un taux réduit sur une
pareille tranche de $35,000. Ces deux groupes
de corporations n'étaient pas associées l'un à
l'autre au sens que donne à cette expression
l'article 39(4) de la Loi. L'article 138A(2) n'a
été promulgué qu'en 1963 et n'est applicable
qu'aux années d'imposition 1964 et suivantes.
Personne ne pouvait donc savoir, en 1962, qu'il
serait un jour possible au Ministre d'ordonner
que des corporations non associées en vertu des
dispositions de la loi en vigueur à cette époque
seraient considérées commes associées. Étant
donné que les corporations déjà existantes en
1962 avaient toutes un revenu imposable supé-
rieur à $35,000 et que toutes les corporations, à
la suite de la constitution en 1962 des trois
corporations exploitant l'entreprise, y compris
ces dernières, continueraient à avoir chacune un
revenu imposable supérieur à $35,000, il était
presque certain qu'elles allaient bénéficier d'un
allégement de la charge fiscale.
M. Cornelius T. Loewen a admis s'être très
bien rendu compte de la possibilité d'alléger la
charge fiscale mais, selon son témoignage, il
aurait été disposé à adopter la restructuration
corporative susdite, même en l'absence de tout
allégement fiscal. Il a même ajouté qu'il aurait
été disposé à payer des impôts plus élevés pour
être assuré de bénéficier des avantages qui
résultaient du plan en question. J'ajoute foi au
témoignage de M. Loewen à cet égard, mais il
ne pouvait savoir, à l'époque où s'est prise la
décision, que cette dernière pourrait entraîner
des impôts plus élevés; il n'ignorait cependant
pas que la mise en application du plan allait
entraîner des frais, honoraires d'avocats ou
autres.
M. Loewen a effectivement prescrit que les
déclarations d'impôt sur le revenu des trois
corporations exploitant l'entreprise, soient
faites sur la base du taux réduit, mais il a
précisé que si le Ministre refusait ces déclara-
tions et établissait une cotisation plus élevée, il
serait disposé à payer l'impôt à ce taux plus
élevé ainsi que la pénalité de 6% pour paiement
tardif sur le montant représentant la différence,
puisqu'il considérerait le montant de cette diffé-
rence comme un prêt à court terme qu'on lui
aurait consenti à un taux d'intérêt de 6%.
Compte tenu de ce témoignage, il ne semble
pas logique que l'appelante s'oppose à la direc
tive du Ministre rendue en vertu des disposi
tions de l'article 138A(2) et à la cotisation majo-
rée qui en a résulté; cela importe peu
cependant, car si la cotisation n'est pas fondée
en droit, l'appelante a le droit de s'y opposer.
M. Loewen a admis, bien simplement, qu'un
allégement de la charge fiscale était un des
motifs de l'adoption du plan mais il a affirmé
sans relâche que ce n'était pas le motif
principal.
Si je comprends bien, les motifs de l'établis-
sement des corporations distinctes exposés par
M. Loewen et confirmés par ses conseillers en
matière comptable, sont les suivants:
(1) assurer la survie de l'entreprise comme
entreprise familiale,
(2) créer un capital dont hériteraient les
enfants des trois frères et
(3) faciliter la séparation en ses parties
constituantes des divers secteurs d'activité de
l'entreprise pour les répartir éventuellement
entre les frères ou leurs familles ou pour
faciliter la vente des parties constituantes si
la chose devenait souhaitable.
Je ne doute pas que ces motifs ont poussé les
frères et leurs conseillers en matière juridique
et comptable à décider, comme solution aux
problèmes auxquels ils faisaient face, de créer
les trois corporations chargées de l'exploitation
de l'entreprise, de former l'association de ces
corporations, de vendre à cette dernière l'an-
cienne société d'exploitation, de changer le rôle
de l'ancienne société d'exploitation pour lui
substituer celui de société de gestion et de con-
server dans la société-mère les immobilisations
corporelles qui seraient alors louées par l'asso-
ciation des corporations.
En ce qui concerne d'abord le premier motif
invoqué par l'appelante, c.-à-d. assurer la survie
de l'entreprise comme entreprise familiale, la
convention intervenue entre les trois frères,
selon laquelle les frères survivants s'enga-
geaient à acquérir la participation d'un frère
décédé (la possibilité qu'un tel événement se
produise à brève échéance était très réelle) dans
la société d'exploitation, obligerait les frères en
raison de la croissance de ladite société, à
verser une somme que ni leurs propres ressour-
ces ni l'assurance-vie ne leur permettaient de se
procurer, ce qui les forcerait à puiser dans les
fonds de la société d'exploitation, réduisant
ainsi le fonds de roulement de cette dernière à
tel point qu'il serait alors impossible d'en pour-
suivre l'exploitation ou que son existence en
serait sérieusement compromise. Le stratagème
consistant à conserver les immobilisations dans
la société-mère et à vendre le commerce à une
société d'exploitation avait donné de bons résul-
tats en 1957.
La sincérité des trois frères, lorsqu'ils affir-
ment que c'est cette considération plutôt qu'une
réduction de l'impôt qui aurait autrement été
payable qui a motivé leur geste en 1957, est
confirmée par le fait qu'ils ont reconnu que les
quatre corporations existant à cette époque
étaient des corporations associées et qu'ils ont
payé des impôts sur cette base. Il s'ensuit que le
plan en question aurait été adopté à cette
époque, quelles qu'en aient été les conséquen-
ces sur le plan fiscal.
En 1962, en raison de la croissance de la
société d'exploitation, le même problème s'est
présenté à nouveau, aggravé cette fois par le
fait que la société d'exploitation avait contracté
des obligations envers le Manitoba Develop
ment Fund et la banque, qui constituaient un
privilège de premier rang sur l'actif de la
société, et qu'il y avait alors treize enfants dont
l'avenir dépendait de l'entreprise familiale.
Grâce à la création du groupe de trois compa-
gnies exploitant l'entreprise familiale qui for-
maient une association, les bénéfices de toutes
les entreprises étaient distribués également
entre les familles, un capital était créé pour les
successions éventuelles, l'association des trois
compagnies bénéficiait de la croissance de l'en-
treprise, la société d'exploitation assurait la per
manence de l'administration, l'actif demeurait
dans la société-mère et, en cas du décès de l'un
des frères, les frères survivants n'avaient qu'à
acheter les actions du défunt dans la société de
gestion.
Il était donc raisonnable d'adapter à la situa
tion qui existait en 1962 le plan qui avait atteint
ses objectifs en 1957, en y ajoutant les amélio-
rations susmentionnées.
Il ne fait pas de doute que le plan en question
créait un capital dont hériteraient les enfants
des trois frères.
De plus, la suite des événements a démontré
que le plan faciliterait la séparation des divers
commerces.
Edward a décidé qu'il allait se retirer complè-
tement de l'entreprise. On a convenu que
George se chargerait du commerce au détail du
bois de construction et de la quincaillerie et que
Cornelius dirigerait l'entreprise de transforma
tion du bois. A cette fin, on a dissous l'associa-
tion et deux des corporations exploitant l'entre-
prise, l'appelante, la C. P. Loewen Enterprises
Ltd., et la George F. Loewen Enterprises Ltd.,
ont passé avec la société-mère de nouveaux
baux relatifs aux immobilisations.
De même, le plan en question aurait facilité la
vente de l'entreprise à des personnes autres que
les membres de la famille, si la chose était
possible et souhaitable. La vente de l'intégralité
de l'entreprise était très peu probable en raison
de son emplacement et du caractère ethnique de
la localité. On ne reçut jamais d'offre en ce
sens. On n'avait reçu que des offres d'achat
portant sur certaines des parties constituantes
de l'entreprise. Il est douteux qu'on ait accepté
ces offres, du fait de l'intention reconnue des
frères de faire continuer l'exploitation des com-
merces par les enfants et en raison de la faible
somme qu'aurait procurée la vente à une per-
sonne autre qu'un membre de la famille, étant
donné l'existence des débentures non rembour-
sées.
Pour ces motifs, j'ai conclu que les raisons
susdites étaient des raisons légitimes et détermi-
nantes et qu'elles ont amené les trois frères à
adopter les structures corporatives établies en
1962. Toutefois cette conclusion ne tranche pas
la question. Pour que l'appelante ait gain de
cause dans ses appels, il lui faut s'acquitter du
fardeau de la preuve qui l'oblige à établir qu'au-
cun des principaux motifs de l'existence dis-
tincte des corporations n'est la réduction des
impôts.
Dans l'affaire Holt Metal Sales of Manitoba
Ltd. c. M.R.N. [1970] R.C.É. 612, le juge en
chef actuel, qui était alors président de la Cour
de l'Échiquier, a déclaré à la page 621:
De nombreux avantages pouvaient découler de la consti
tution de l'une ou de l'autre ou des deux appelantes, avanta-
ges qui, j'en suis sûr, étaient présents à l'esprit de ceux qui
ont pris la décision de les constituer.
Il a ensuite exposé certains des principaux
avantages en question et il a poursuivi en
disant, aux pages 621 et 623:
... Si le dossier pouvait me convaincre que certains de ces
motifs, ou leur totalité, ainsi que d'autres motifs qui ont été
avancés, ont été suffisamment contraignants, de l'avis de
William Holt, et de ses conseillers, pour les obliger à envisa-
ger la création des appelantes de préférence à toute autre
méthode susceptible de les conduire au même résultat, je
pense qu'il me serait alors possible de conclure que la
réduction probable des impôts sur le revenu, par la création
de trois compagnies au lieu d'une, qui leur permettait de
bénéficier du taux de 18%, n'était pas l'un des «principaux»
motifs ayant conduit à cette décision. Il s'est présenté des
cas où d'autres considérations imposaient la création de
plusieurs corporations et où le bénéfice relatif à l'impôt sur
le revenu était seulement accessoire. Par exemple, dans
l'affaire Jordans Rugs Ltd v. Ministre du Revenu national
([1969] C.T.C. 445). Dans notre affaire, cependant, on n'a
pas essayé de démontrer que, de l'avis de William Holt et de
ses conseillers, le seul moyen de réaliser un ou plusieurs de
ces objectifs contraignants (tel que l'attribution de droits
réels aux membres de la famille) était la création d'un
ensemble de compagnies (et en fait, il existait certainement
d'autres méthodes pour réaliser ces objectifs); on ne peut
qu'en conclure que la perspective d'une importante réduc-
tion annuelle de l'impôt sur le revenu doit avoir été, cons-
ciemment ou inconsciemment, l'un des principaux facteurs
qui ont poussé William Holt et ses conseillers à choisir cette
méthode de réorganisation et de réaménagement des affai-
res de William Holt de préférence à toute autre solution.
Essentiellement, si je comprends bien, le but
des trois frères était de créer un capital dont
hériteraient leurs enfants et, de façon acces-
soire, un emploi consistant à poursuivre l'ex-
ploitation de l'entreprise familiale, si les enfants
le souhaitaient.
Les autres motifs susmentionnés, qui sont
des fins en soi, ne visent pourtant que la fin
essentielle ultime consistant à assurer l'avenir
des enfants.
Conformément à la teneure de l'extrait pré-
cité de la décision rendue par le juge en chef
Jackett, il faut maintenant que j'en vienne à la
conclusion que, même s'il existait d'autres
méthodes pour atteindre l'objectif en question,
la seule méthode possible, dans l'esprit des trois
frères et de leurs conseillers, était l'adoption du
plan exposé ci-dessus.
Pour les motifs déjà mentionnés, je ne suis
pas d'avis qu'on a conçu ni considéré des solu
tions de rechange comme telles au cours des
deux réunions des trois frères et de leurs con-
seillers. Je crois plutôt que le plan adopté s'est
révélé être la façon la plus satisfaisante, du
point de vue pratique, d'atteindre les objectifs
souhaités.
Il existait dans la convention d'achat-vente
intervenue entre les trois frères une disposition
stipulant le caractère facultatif de la levée de
l'option. J'ai eu le sentiment que de forts princi-
pes religieux et moraux guidaient les trois frères
et que ces derniers estimaient avoir une obliga
tion morale à l'égard des enfants d'un frère
décédé et ne se prévaudraient pas de la clause
échappatoire en question. Même s'ils le fai-
saient, il en résulterait une liquidation forcée de
la compagnie, ce qu'aucun d'eux ne souhaitait,
pas plus d'ailleurs qu'ils ne souhaitaient vendre
l'entreprise à un étranger.
On a prétendu à un certain moment que la
création d'actions privilégiées pouvait résoudre
le problème posé par l'accroissement de la
valeur de l'entreprise. Toutefois, lors du décès
de l'un des frères, l'autre aurait encore été tenu
d'acheter ces actions. La création d'actions pri-
vilégiées n'aurait pas pour effet de «geler» la
succession, ce qui est l'un des objectifs de la
planification successorale. L'augmentation de la
valeur de l'entreprise ne serait pas arrêtée. Je
fonde cette assertion sur le fait que, en vertu
des dispositions de la Loi sur les biens transmis
par décès, la valeur des actions est établie à la
juste valeur marchande de l'entreprise à la date
du décès et la juste valeur marchande est direc-
tement proportionnelle aux bénéfices de l'entre-
prise. En vertu des dispositions du plan adopté,
c'est l'association des trois corporations qui
profitait de la croissance de l'entreprise.
Par conséquent, je suis convaincu que les
frères et leurs conseillers étaient unanimes à
croire que le plan mis au point et adopté était la
méthode la plus satisfaisante, du point de vue
pratique, pour atteindre la fin souhaitée.
Le critère à appliquer dans l'interprétation de
l'article 138A(3)b)(ii) est énoncé dans l'affaire
Doris Trucking Co. c. M.R.N. [1968] 2 R.C.É.
501, où le juge Dumoulin déclare, à la page 505:
[TRADUCTION] ... «le critère à appliquer est ... de savoir si
des corporations distinctes seraient chargées de ces domai-
nes d'activité donnés, si toutes les corporations étaient
assujetties à un taux d'imposition uniforme de 50%, comme
l'a recommandé la Commission royale d'enquête sur la
fiscalité».
C'est le critère qu'a appliqué le juge suppléant
Sheppard dans l'affaire Jordans Rugs Ltd. c.
M.R.N. [1969] C.T.C. 445.
En résumé, le critère est le suivant: à défaut
de tout avantage sur le plan fiscal, aurait-on
quand même adopté le plan?
Dans l'affaire I.R.C. c. Brebner [1967] 1 All
E.R. 779, Lord Pearce a déclaré à la page 781
que la question de savoir si l'un des principaux
objectifs était de tirer de l'opération un avan-
tage sur le plan fiscal est une question d'inten-
tion subjective.
Après étude attentive de toute la preuve pré-
sentée, je suis venu à la conclusion que l'inten-
tion des trois frères était d'atteindre des buts
autres qu'une réduction de l'impôt payable et
que le plan adopté était le plus souhaitable, en
pratique, pour atteindre ces buts. Des considé-
rations autres que des avantages sur le plan
fiscal ont dominé toutes les dispositions prises
pour donner effet au plan en question. Ce der-
nier assurait la permanence de l'administration,
il «gelait» la valeur de l'actif des successions
des enfants, il facilitait la répartition des com-
merces entre les frères et leurs familles et il
diminuait la somme qu'aurait à verser le frère
survivant à la succession d'un frère décédé.
L'adoption en 1957 d'un plan quelque peu simi-
laire, dont il ne résultait aucun avantage sur le
plan fiscal, confirme cette intention subjective
des frères.
Je pourrais aussi ajouter que le témoignage de
M. Cornelius T. Loewen et la manière dont il l'a
présenté ont eu une influence sur la conclusion
à laquelle je suis arrivé. J'ai été convaincu que
cet homme possède de solides principes reli-
gieux et moraux tout en étant un homme d'af-
faires industrieux et perspicace. Il savait qu'il
était possible d'alléger la charge fiscale mais,
selon son témoignage, ce n'était pas là le facteur
dominant. La considération primordiale était
d'assurer l'avenir de ses enfants et de ses
neveux. Telle était l'intention subjective et j'ac-
cepte son témoignage.
Pour ces motifs, je décide qu'une réduction
du montant de l'impôt payable n'était pas l'un
des principaux motifs de l'existence des trois
corporations exploitant l'entreprise, y compris
l'appelante au présent appel.
La conclusion susdite rend inutile l'étude de
la seconde question, celle de savoir si l'article
39(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu est
applicable en l'espèce.
En conséquence, la directive du Ministre,
dans la mesure où elle considère comme asso-
ciés au cours des années d'imposition 1964,
1965 et 1966 le premier groupe de quatre cor
porations, à savoir, la Loewen Holdings Ltd., la
C. T. Loewen & Sons (1957) Ltd., la Build -A-
Home Co., Ltd. et la Loewen Millwork
(Canada) Ltd., au second groupe de trois corpo
rations, à savoir, la Edward J. Loewen Enter
prises Ltd., la George F. Loewen Enterprises
Ltd. et l'appelante, la C. P. Loewen Enterprises
Ltd., est infirmée et les cotisations sont ren-
voyées au Ministre pour nouvelle cotisation éta-
blie conformément au présent jugement.
Il s'ensuit aussi que les appels sont accueillis
avec dépens.
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