Oy Nokia Ab (Demanderesse)
c.
Le navire Martha Russ et E. Russ & Co., Schif-
fahrt-U. Assekuranz-Gesellschaft et le navire
Korendyk et Nederlandsche-Ameri-Kaansche
Stoomvaart Maatschappij, N.V. (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver, le 19 décembre 1972; Ottawa, le 17
avril 1973.
Droit maritime—Compétence—Signification de «droit
maritime canadien»—Cargaison transportée à bord d'un
navire étranger entre des ports étrangers—Expédition ulté-
rieure sur un autre navire au Canada—Cargaison endomma-
gée à l'arrivée—Aucune compétence sur le navire lors de la
première traversée—Loi sur la Cour fédérale, art. 2; Règles
d'amirauté (anglaises), 20d).
La cargaison, destinée à la demanderesse à Vancouver,
fut transportée à bord d'un navire allemand, le Martha Russ,
de Finlande à Hambourg sous couvert d'un connaissement
pour ce voyage. A Hambourg, la cargaison fut transbordée à
bord d'un autre navire et transportée sous couvert d'un
autre connaissement jusqu'à Vancouver où, lors du déchar-
gement, on l'a trouvée endommagée. La demanderesse a
intenté une action en dommages-intérêts contre les deux
navires et leurs propriétaires et signifié les déclarations ex
juris conformément à la Règle 307 de la Cour fédérale.
Arrêt: la signification des déclarations au navire allemand
et à ses propriétaires est annulée. La Cour fédérale n'a pas
compétence pour connaître de la réclamation contre ce
navire et ses propriétaires.
Les articles 22(2)h), 22(3)a) ou 22(3)c) de la Loi sur la
Cour fédérale ne confèrent à la Cour compétence en de
telles matières que si les défendeurs sont de son ressort, ce
qui n'est pas le cas.
La définition de «droit maritime canadien» à l'article 2 de
la Loi sur la Cour fédérale se rapporte au droit positif
anglais en matière d'amirauté et non à la procédure. En
conséquence, les Règles d'amirauté anglaises (cf. Règle
20d)) ne peuvent être utilisées pour étendre la compétence
conférée par l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale.
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. McEwen pour la demanderesse.
J. W. Walsh pour E. Russ & Co. et le
Martha Russ.
V. R. Hill, c.r., pour le Korendyk.
PROCUREURS:
Ray, Wolfe, Connell, Lightbody et Rey-
nolds, Vancouver, pour la demanderesse.
Bull, Housser et Tupper, Vancouver, pour
le Martha Russ et E. Russ &" Co., Schif-
fahrt-U. Assekuranz-Gesellschaft.
Macrae, Montgomery, Hill et Cunningham,
Vancouver, pour le Korendyk et Nederlands-
che-Ameri-Kaansche Stoomvaart Maatschap-
pij, N.V.
LE JUGE COLLIER—La requête des défen-
deurs, le navire Martha Russ et E. Russ & Co.,
Schiffahrt-U. Assekuranz-Gesellschaft, vise à
faire annuler la signification qui leur fut faite de
la déclaration. Le 24 avril 1972, une ordon-
nance de la Cour autorisait la signification de la
déclaration aux défendeurs hors du ressort.
Cette signification fut effectuée en Allemagne.
En leurs noms, on a déposé un acte de comparu-
tion conditionnelle.
Pour les fins de cette requête, la demande-
resse et les défendeurs se sont accordés sur les
faits suivants:
[TRADUCTION] 1. La demanderesse, compagnie finlandaise,
vend de l'équipement hydro-électrique au Canada.
2. La défenderesse, la compagnie allemande E. Russ &
Co., ne fait pas affaires au Canada.
3. Le défendeur, le navire à moteur «MARTHA RUSS»,
immatriculé en Allemagne et d'un port en lourd de 4,149
tonnes, appartient à la défenderesse, E. Russ & Co.
4. La demanderesse Oy Nokia Ab avait vendu à la B. C.
Hydro' 469 colis de groupes-condensateurs en série livra-
bles à Vancouver (Colombie-Britannique) pour installation
en Colombie-Britannique.
5. Le navire «MARTHA RUSS» avait pris à son bord les 469
colis de groupes-condensateurs en série à Mantyluoto en
Finlande et avait délivré un connaissement en couvrant le
transport de Mantyluoto en Finlande à Hambourg en
Allemagne. Il ne s'agissait pas d'un connaissement direct
car seul était couvert le transport de Mantyluoto à
Hambourg.
6. Le l er mars 1971, à l'arrivée du «MARTHA RUSS» à
Hambourg, la défenderesse E. Russ & Co. a avisé la
Kiihne & Nagel, agents de la demanderesse, de l'arrivée
de la cargaison.
7. La Kühne & Nagel ordonna le transbordement de la
cargaison du «MARTHA RUSS» à bord de péniches apparte-
nant à la Hamburg Sudamerikanische et exploitées par la
Hanseatische Hafenbetriebs.
8. La Kühne & Nagel avait retenu ces péniches et payé
leur location.
9. Après chargement, les péniches furent touées jusqu'au
navire «KORENDYK» appartenant à la défenderesse Neder-
landsche-Amerikaansche Stoomvaart Maatschappij, N.V.
10. Les marchandises quittèrent ensuite le port de Ham-
bourg à bord du navire défendeur «KORENDYK» en par-
tance pour Vancouver, sous connaissement Hambourg-
Vancouver délivré par les propriétaires du navire «KOREN-
DYK» ou par leurs mandataires.
11. Les 469 colis ne furent pas ouverts ni leur contenu
examiné afin de constater les dommages éventuels avant
le déchargement du «KORENDYK» à Vancouver en
Colombie-Britannique.
12. Après avoir reçu et exécuté l'ordre de la Kiihne &
Nagel de transborder la cargaison du «MARTHA RUSS» à
bord des péniches fournies par cette dernière, la défende-
resse, E. Russ & Co. Schiffahrt-U., Assekuranzgesells-
chaft n'a plus participé au transport ou à la manutention
de la cargaison.
13. Ci-joint une copie du connaissement n° 19 couvrant le
transport des marchandises à bord du «MARTHA RUSS» de
Mantyluoto à Hambourg, ainsi qu'une copie du connaisse-
ment n° 3 couvrant le transport des marchandises de
Hambourg à Vancouver à bord du navire «KORENDYK».
J'ajoute encore un fait: l'action intentée n'a
pas entraîné la saisie du Martha Russ.
Le fondement de la cause d'action opposable
aux défendeurs est énoncé au paragraphe 8 de
la déclaration:
[TRADUCTION] 8. En violation des termes du contrat figu-
rant au connaissement, par négligence et par manquement
au devoir du transporteur à titre onéreux ou pour toute
combinaison de ces motifs, les défendeurs, leurs préposés
ou agents, n'ont pas livré lesdits «469 colis de groupes-
condensateurs en série» en bon état mais en vrac, bosse-
lés et gravement endommagés.
Les avocats des défendeurs soutiennent que
la cause d'action opposable à leurs clients est
fondée sur un contrat de transport signé et
exécuté hors du Canada; que, si leurs clients ont
violé le contrat, cette violation s'est produite en
dehors du Canada; que la faute ou la négligence
qu'on pourrait éventuellement imputer aux
défendeurs ont eu lieu hors du Canada. L'avo-
cat avance, sur la base des faits acceptés d'un
commun accord, que c'est une action in perso-
nam qui est intentée contre ses clients et que la
Cour n'est compétente que si le connaissement
(le contrat) a été signé au Canada, ou si les
défendeurs étaient tenus de livrer les marchan-
dises dans ce pays. De même, il soutient que si
cette action est fondée sur la négligence, la Cour
ne peut avoir compétence que si le manquement
aux obligations a eu lieu au Canada. Il ne suffit
pas pour fonder la compétence in personam que
les marchandises endommagées aient eu pour
destination finale le Canada, ou, pour s'expri-
mer autrement, la destination finale de la cargai-
son ne peut pas à elle seule créer le lien qui
donne compétence à la Cour. On se base égale-
ment sur une de mes décisions antérieures
Anglophoto Ltd. c. The « Ferncliff» [1972] C.F.
1337, qui a annulé la signification d'une déclara-
tion à un magasinier se trouvant aux États-Unis
et à qui certaines marchandises avaient été con-
fiées pour une courte période.
L'avocat de la demanderesse affirme que
cette Cour est compétente en vertu de l'article
22(2)h) de la Loi sur la Cour fédérale. J'en cite
ici des extraits, y compris le paragraphe en •
question:
22. (1) La Division de première instance a compétence
concurrente en première instance tant entre sujets qu'autre-
ment, dans tous les cas où une demande de redressement est
faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi
du Canada en matière de navigation ou de marine mar-
chande, sauf dans la mesure où cette compétence a par
ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1),
il est déclaré pour plus de certitude que la Division de
première instance a compétence relativement à toute
demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont
ci-après mentionnés:
h) toute demande pour la perte ou l'avarie de marchandi-
ses transportées à bord d'un navire, et notamment, sans
restreindre la portée générale de ce qui précède, la perte
ou l'avarie des bagages ou effets personnels des
passagers;
(3) Pour plus de certitude il est déclaré que la compétence
conférée à la Cour par le présent article s'étend
a) à tous les navires, canadiens ou non, quel que puisse
être le lieu de résidence ou le domicile des propriétaires;
c) à toutes les demandes, que les faits y donnant lieu se
soient produits en haute mer ou dans les limites des eaux
territoriales, intérieures ou autres du Canada ou ailleurs et
que ces eaux soient naturellement ou aient été rendues
navigables, et notamment, sans restreindre la portée géné-
rale de ce qui précède, dans les cas de sauvetage, aux
demandes relatives aux cargaisons ou épaves trouvées sur
les rives de ces eaux; et
Il soutient que cette demande porte sur les
avaries subies par des marchandises transpor-
tées à bord d'un navire (le Martha Russ) et que
ce qui fonde la compétence de la Cour et crée le
lien juridique est le fait que les marchandises
sont arrivées en Colombie-Britannique.
Il s'ensuit, disent les défendeurs, que si les
prétentions de la demanderesse en l'espèce sont
exactes, la Cour a compétence pour connaître
de toute demande portant sur les dommages
subis par une cargaison, quel que soit le lieu de
délivrance du connaissement ou de son exécu-
tion, quel que soit le lieu des dommages et quel
que soit le domicile du défendeur, pourvu que la
cargaison ait comme destination finale le
Canada. Leurs avocats soutiennent que ce point
de vue n'est pas conforme au droit existant'. Je
partage cette opinion.
A mon sens, les faits de cette affaire ne nous
permettent pas de nous appuyer sur l'article 22
de la loi pour fonder la compétence de la Cour.
Comme on peut le remarquer, le paragraphe
22(1) donne à la Division de première instance
de cette Cour compétence dans tous les cas où
«une demande de redressement» est faite en
vertu du droit maritime canadien (tel que défini
à l'article 2) ou de toute autre loi du Canada en
matière de navigation ou de marine marchande.
Le paragraphe 22(2) énonce encore plus explici-
tement les chefs de compétence. Les mots utili-
sés sont «... compétence relativement à toute
demande ...» La rédaction de ce paragraphe ne
nous permet pas de déduire que cette compé-
tence s'étend aux personnes. A mon sens, l'in-
terprétation de l'alinéa 22(2)h) qu'avance la
demanderesse exige qu'on lui fasse dire que la
Cour a compétence non seulement en ce qui
concerne la demande mais également en ce qui
concerne l'auteur du dommage ou de la perte,
que cet auteur se trouve ou se soit trouvé ou
non dans le ressort de la Cour.
Il doit y avoir dans cette affaire, hormis la
destination finale des marchandises, un ou plu-
sieurs faits permettant à la Cour d'asseoir sa
compétence relativement à ces défendeurs
étrangers. A la clôture des débats, j'ai demandé
aux avocats de m'indiquer si, parmi les déci-
sions des tribunaux d'amirauté canadiens ou
anglais, on pouvait en trouver dans lesquels, à
l'occasion d'une affaire semblable, le tribunal
s'était déclaré compétent. L'avocat de la deman-
deresse a présenté une liste qui, à son avis,
illustrait des cas où les tribunaux d'amirauté
s'étaient déclarés compétents pour juger des
ressortissants étrangers impliqués dans des inci
dents en haute mer ou dans les eaux territoriales
d'un pays étranger. Je ne compte pas traiter
chaque cas séparément. J'ai constaté que dans
les affaires citées où la demande se fondait sur
un incident survenu en haute mer ou dans les
eaux territoriales d'un pays étranger, le tribunal
s'est déclaré compétent pour juger un étranger
en se basant sur des principes bien établis. On
peut citer, par exemple, la violation d'une
charte-partie dans le ressort du tribunal, la rési-
dence des propriétaires du navire dans le ressort
du tribunal, l'entrée dans le ressort du tribunal
d'un navire et sa saisie. Cette liste d'exemples
n'est pas exhaustive et ne sert qu'à illustrer ce
qui constitue, selon moi, un principe fondamen-
tal à suivre quand on doit trancher la question
de la compétence du tribunal relativement à des
étrangers: il faut qu'il existe un lien juridique
entre les défendeurs étrangers et la juridiction
territoriale de la Cour. Ce lien doit provenir
d'une action, d'une ligne de conduite, ou d'un
accord signé par le défendeur étranger qui soit
ou qui puisse être rattaché in personam au res-
sort du tribunal.
La Règle 307(1) des règles de la Cour stipule
qu'un avis de déclaration peut être signifié à un
défendeur qui se trouve hors de la juridiction de
la Cour et, à mon avis, on entend par là le
ressort géographique. Contrairement à ce qui est
prévu dans les règles de bon nombre de cours
supérieures des provinces ainsi que dans celles
de la Supreme Court of Judicature en Angleter-
re 2 , on ne trouve dans la Règle 307 de la Cour
fédérale aucune disposition énumérant les cas
où la Cour peut autoriser la signification d'une
action hors de son ressort. D'une manière géné-
rale, ce sont les dispositions de l'Order 11, r. 1
qui régissent les cas où on peut signifier en
dehors du ressort de la Cour un bref in perso-
nam décerné par la Admiralty Court en Angle-
terre'. L'alinéa g) de cette règle autorise la signi
fication hors du ressort dans le cas de violation,
dans le ressort de la Cour, des dispositions d'un
contrat quel que soit le lieu de sa passation. De
même, l'alinéa h) autorise la signification ex
juris lorsqu'une action en justice est fondée sur
un délit commis dans le ressort.
Je me propose d'examiner brièvement les
règles relatives à la signification ex juris devant
l'ancienne Cour de l'Échiquier, en particulier en
sa juridiction d'amirauté. L'article 18 de la Loi
sur l'Amirauté, S.R.C. 1970, c. A-1, délimitait la
juridiction de la Cour. Le paragraphe (3) stipu-
lait notamment que la Cour était compétente
pour entendre et décider des réclamations relati
ves au transport de marchandises dans un
navire, ou des demandes de dommages relative-
ment à des marchandises transportées dans un
navire. L'article 20 de la loi énumérait les gref-
fes auprès desquels les actions pouvaient être
intentées. Je ne citerai que les alinéas (1)a), e) et
fl:
20. (1) Une action peut être intentée dans un greffe
quand
a) le navire ou les biens qui font l'objet du litige se
trouvent, au moment où l'action est intentée, dans le
district ou dans la division où ce greffe est établi;
e) l'action est in personam et fondée sur une violation ou
une prétendue violation, dans les limites du district ou de
la division de ce greffe, d'un contrat, quel que soit le lieu
de sa passation, qui relève de la juridiction de la Cour et
qui, d'après les termes dudit contrat, aurait dû être exé-
cuté dans les limites de ce district ou de cette division; ou
f) l'action est in personam et a pour objet un dommage
relativement à des marchandises transportées sur un
navire à l'intérieur d'un port dans les limites du district ou
de la division de ce greffe.
Il est important de souligner qu'aux termes de
la Loi sur l'Amirauté, la compétence de la Cour
était même limitée quant au district où pouvait
être intentée une action.
L'alinéa 31(1)a) de la loi donnait aux juges de
la Cour de l'Échiquier le pouvoir d'édicter des
règles et des ordonnances règlementant la prati-
que et la procédure y compris, notamment, «.. .
la signification d'un bref d'assignation ou d'au-
tres brefs hors du ressort de la Cour ou de la
juridiction territoriale d'un juge de district ...»
Le paragraphe 18(7) stipulait que si la Loi sur
l'Amirauté ou les règles d'amirauté ne pré-
voyaient rien de précis, on appliquerait la prati-
que et la procédure de la Cour de l'Échiquier.
La Règle 20 des règles d'amirauté traitait de la
signification ex juris et je la reproduis ici en
entier:
[TRADUCTION] 20. La Cour pourra autoriser la significa
tion hors du ressort d'un bref d'assignation, d'un avis de
comparution ou d'un avis à tierce partie quand:—
a) une action est intentée contre une personne dont la
résidence ou le domicile principal se trouve dans les
limites du district ou de la division où est intentée l'action;
b) une action est fondée sur la violation, dans les limites
du district ou de la division où est intentée l'action, des
dispositions d'un contrat, quel que soit son lieu de passa-
tion, du moment que, d'après les termes dudit contrat, il
devait être exécuté dans les limites du district ou de la
division;
c) une requête est déposée visant l'obtention d'une
injonction dont l'objet se trouve dans les limites du dis
trict ou de la division où est intentée l'action;
d) on considère qu'une personne se trouvant hors du
ressort doit être adjointe à titre de partie dans le cas d'une
affaire intentée à bon droit contre une personne qui a
dûment reçu la signification dans les limites du district ou
de la division où est intentée l'action;
e) l'action intentée est fondée sur la responsabilité délic-
tuelle relativement à des marchandises à bord d'un navire
dans un port situé dans les limites du district ou de la
division où est intentée l'action.
Comme on peut le voir, les circonstances
couvertes par les alinéas a) à e) sont, pour des
raisons pratiques, sensiblement les mêmes que
celles de l'Order 11 des règles anglaises; la
rédaction peut en être différente.
L'article 75 de la Loi sur la Cour de l'Échi-
quier, ainsi d'ailleurs que la Règle 76, pré-
voyaient la signification hors du ressort de la
Cour. La rédaction de l'article 75 et de la Règle
76 -.est très proche de la rédaction de la Règle
307 de la Cour fédérale. Ni cet article ni les
deux règles auxquelles je me suis référé n'énon-
cent la catégorie des cas où l'on peut autoriser
la signification ex juris.
Ceci m'amène à la définition «droit maritime
canadien» dans l'article 2 de la Loi sur la Cour
fédérale qui dispose:
2, Dans la présente loi
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'application
relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridic-
tion d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de
quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait,
eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en
matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifica
tions apportées à ce droit par la présente loi ou par toute
autre loi du Parlement du Canada; .. .
A mon avis, par droit appliqué par la Cour de
l'Échiquier en sa juridiction d'amirauté, on
entend le droit établi par la Loi sur l'Amirauté et
les autres lois, y compris les lois anglaises qui
énoncent les compétences relatives à divers
types de demandes. A mon sens, les règles
d'amirauté ne constituaient pas des règles de
fond appliquées par la Cour de l'Échiquier mais
plutôt des règles de procédure réglant les diver-
ses étapes des litiges en amirauté et, par consé-
quent, elles ne relèvent pas de la catégorie défi-
nie par l'expression droit maritime canadien.
Dès lors, si mon interprétation est juste, la
demanderesse ne peut pas se fonder sur la défi-
nition «droit maritime canadien» dans l'article 2
pour étendre la portée de l'alinéa 22(2)h) de la
Loi sur la Cour fédérale. Même si l'on considé-
rait que l'expression droit maritime canadien
comprend les dispositions de la Règle 20 des
règles d'amirauté, les faits présentés à cette
Cour ne relèvent d'aucun des alinéas à l'excep-
tion peut-être de l'alinéa cl). Je doute fort qu'en
l'espèce on puisse à bon droit appliquer l'alinéa
Je ne pense pas non plus que l'alinéa 22(3)a)
ou c) puisse être d'un grand secours à la deman-
deresse. Je répète qu'à mon avis, dans aucun de
ces alinéas, on ne voit l'intention d'étendre
d'une manière générale la juridiction de la Cour
aux étrangers. A l'article 22, l'intention du légis-
lateur était de réunir les chefs de compétence de
la Cour dispersés auparavant dans divers textes
législatifs et de clarifier, autant que faire se
peut, les matières relevant de sa juridiction. Il
est juste de dire que les anciennes dispositions
législatives régissant les matières relevant de la
juridiction de la Cour d'amirauté étaient obscu
res et ambiguës. Je ne pense pas qu'en édictant
l'article 22, le Parlement ait eu l'intention d'é-
tendre au delà de ses anciennes limites la juri-
diction de la Cour relativement aux étrangers. A
l'origine, les tribunaux anglais ne se déclaraient
compétents que dans les cas où le défendeur
s'était vu signifier l'action dans les limites de
leur ressort. Ce principe s'appliquait même
quand le défendeur en question était un étranger
de passage. En amirauté, les actions in rem ne
pouvaient être intentées que si le navire se
trouvait dans les eaux territoriales de l'Angle-
terre. Le Common Law Procedure Act, 1852, a
donné aux tribunaux un pouvoir discrétionnaire
leur permettant dans certains cas précis de citer
à comparaître des défendeurs défaillants,
anglais ou étrangers. De nos jours, ce pouvoir
discrétionnaire fait partie de l'Order 11 des
règles anglaises 4 . D'après moi, en matière de
compétence, les cours de common law cana-
diennes ainsi que la Cour de l'Échiquier en sa
juridiction d'amirauté ont adopté l'approche
anglaise.
C'est un principe bien établi que les non rési-
dents ne doivent pas être actionnés sans motif
sérieux. Voici ce que déclarait le Lord juge
Diplock dans l'arrêt Mackender c. Feldia A. G.
[1967] 2 Q.B. 590, à la p. 599:
[TRADUCTION] Le contrat qui constitue l'objet de cette
action a été sans nul doute conclu en Angleterre. Le borde-
reau a été paraphé à Londres et c'est le directeur du service
de la signature des polices de la Lloyd's qui, au nom du
syndicat de garantie, a signé la police. Par conséquent la
High Court avait le pouvoir d'autoriser la signification du
bref aux défendeurs hors du ressort et elle sera compétente
pour trancher cette affaire à moins que la signification ne
soit annulée et l'action suspendue. L'autorisation de signifier
un bref hors du ressort relève toujours du pouvoir discré-
tionnaire de la Cour. La compétence que revendique la High
Court à l'égard des défendeurs qui sont absents ou qui ne
résident pas habituellement dans ce pays, dans les affaires
où elle accorde l'autorisation en vertu de R.S.C., Ord. 11,
est plus étendue que la compétence correspondante qu'elle
reconnaît aux tribunaux étrangers relativement aux défen-
deurs qui sont absents ou qui ne résident pas habituellement
dans ce pays étranger. Étant donné que cette déclaration de
compétence entre en conflit avec les principes généraux de
la courtoisie internationale, on ne doit pas l'exercer sans une
certaine prudence. Je ne peux faire mieux que répéter la
déclaration du Lord juge Scott dans l'affaire George Monro
Ltd. c. American Cyanamid & Chemical Corporation [1944]
K.B. 432, 437:
La signification hors du ressort autorisée par nos tribu-
naux affecte nécessairement la compétence territoriale
exclusive du pays étranger où est effectuée la significa
tion. J'ai rencontré par le passé bon nombre d'avocats
européens qui ont énergiquement critiqué nos règles rela
tives à la signification hors du ressort. Par souci de
courtoisie internationale, il est important de s'assurer
qu'une signification hors du ressort suit bien la lettre et
l'esprit de R.S.C., Ord. 11.
Pour ces motifs, j'annule la signification de la
déclaration qui a été faite aux défendeurs et je
suspends l'action intentée contre eux. Ils ont
droit de recouvrer les dépens afférents à l'ins-
cription en comparution conditionnelle et à la
présente requête.
' Voir les observations du juge Davies dans l'arrêt D.C.
Whitney (1907) 38 R.C.S. 303, aux pages 310, 311 et 312
quant à la compétence des cours de vice-amirauté relative-
ment à une collision entre des navires étrangers dans les
eaux étrangères.
2 Voir, par exemple, Order 11, règle 1 des règles de la
Cour suprême de la Colombie-Britannique et la règle de la
Supreme Court of Judicature d'Angleterre portant le même
numéro.
3 Voir British Shipping Laws, vol. 1 (Admiralty Practice)
1964, par. 480 et suiv.
4 Pour cet historique du droit, j'ai puisé dans l'ouvrage de
Cheshire Private International Law (8e éd.) aux pp. 78 95.
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