Bruck Mills Limited, The T. Eaton Co. Limited et
Ferro Technique Ltd. (Demanderesses)
c.
Black Sea Steamship Company (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Gibson—
Toronto, les 14 et 19 février; Ottawa, le 3 avril
1973.
Droit maritime—Connaissements—Clause d'exonération
pour emballage inadéquat—Clause invalide en vertu de l'Art.
3, Règle 8 des Règles de La Haye.
Par suite du gros temps rencontré par le N.V. Grumant
lors d'une traversée de l'Atlantique nord en janvier, des sacs
de plastique contenant du concentré de jus de pomme se
sont déchirés et le contenu s'est répandu sur la cargaison
des demanderesses chargée à bord du navire et l'a endom-
magée. Le capitaine du navire savait que le concentré n'était
pas bien emballé et il n'aurait pas dû l'embarquer pour
traverser l'Atlantique nord à cette époque de l'année. La
cargaison des demanderesses était couverte par des connais-
sements sans réserve qui contenaient une clause d'exonéra-
tion de responsabilité du transporteur en cas d'emballage
insuffisant.
Arrêt: les demanderesses ont droit à des dommages-inté-
rêts. La clause d'exonération des connaissements est nulle
en vertu de l'Art. 3, Règle 8 des Règles de La Haye.
ACTION en dommages-intérêts.
AVOCATS:
D. L. D. Beard, c.r., pour les
demanderesses.
D. A. Kerr, c.r., et G. D. N. Guert pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
DuVernet et Carruthers, Toronto, pour les
demanderesses.
Stewart, MacKeen et Covert, Halifax, pour
la défenderesse.
LE JUGE GIBSON—Ces trois actions en dom-
mages-intérêts pour une cargaison endommagée
n'ont fait l'objet que d'une seule instance et seul
les montants des dommages-intérêts respectifs
ont été évalués séparément.
Au début du procès, j'ai ordonné, avec l'ac-
cord des parties, que l'intitulé de la cause soit
amendé afin que la seule défenderesse dans ces
trois actions soit la «Black Sea Steamship
Company».
La cargaison en cause voyageait dans les
cales du N.V. Grumant, navire russe parti de
Gênes (Italie) le 24 décembre 1969 à destination
d'Halifax (Nouvelle-Écosse), de Québec et de
Montréal (Québec). La cargaison du navire
comprenait en plus des marchandises destinées
aux demanderesses, des sacs en plastique conte-
nant du concentré de jus de pomme d'un poids
de 661 tonnes métriques environ, embarqués à
Livourne (Italie) dans des cageots en bois. Ce
concentré de jus de pomme, fabriqué en Bulga-
rie, avait d'abord été embarqué sur un autre
navire à Varna (Bulgarie), transporté jusqu'à
Livourne (Italie) puis débarqué dans ce port sur
des barges avant d'être chargé de nouveau sur le
N.V. Grumant.
La cargaison des demanderesses, chargée à
bord du N.V. Grumant sous connaissement sans
réserve, est arrivée endommagée à Montréal du
fait principalement du déchirement des sacs en
plastique contenant le concentré de jus de
pomme après rupture des cageots d'emballage,
le concentré s'étant alors déversé sur la cargai-
son des demanderesses.
Les dommages subis par la cargaison des
demanderesses s'établissent comme suit: T.
Eaton Co. Limited $4,500.19, Ferro Technique
Ltd. $1,500.00 et Bruck Mills Limited
$8,008.76.
Au cours de la traversée, le navire a dû
affronter une mer houleuse et des vents vio-
lents, principalement entre Gibraltar et les
Açores. Le navire roulait, tanguait et le pont
était balayé par les vagues.
Le 30 décembre 1969, le navire a fait escale
aux Açores à Ponta Delgada où une partie de la
cargaison, y compris quelques cageots de con-
centré de jus de pomme, a été déchargée parce
qu'elle était endommagée, l'arrimage du reste
étant renforcé. Lorsque le navire a appareillé,
un certain nombre de cageots contenant les sacs
plastiques remplis de concentré de jus de
pomme étaient endommagés.
Le capitaine du navire a rédigé un rapport de
mer le l er janvier 1970 à Ponta Delgada.
Un inspecteur de navire a examiné les avaries
lors de l'arrivée du navire à Halifax le 23 jan-
vier 1970. Celui-ci est arrivé à Québec et finale-
ment le 29 janvier 1970 à Montréal, où des
inspecteurs commis par les parties ont visité le
navire.
Pour ce qui touche au problème de la respon-
sabilité du dommage causé à la cargaison des
demanderesses, ce sont les Règles de La Haye
qui s'appliquent pour la traversée de ce navire.
Dans sa défense, la défenderesse a établi que
le navire était en bon état de navigabilité et que
la cause des dommages survenus à la cargaison
des demanderesses était la rupture des cageots
en bois, entraînant celle des sacs en plastique
contenant le concentré de jus de pomme et
l'écoulement de ce liquide sirupeux lorsque le
navire a affronté une mer houleuse après avoir
doublé Gibraltar.
Les seules questions en litige portaient sur le
fait de savoir si (1) la défenderesse avait établi
que la cause du dommage pouvait être attribuée
aux «périls de la mer» au sens de l'Article 4,
Règle 2c)' ; (2) si l'arrimage avait été effectué
convenablement et soigneusement au sens de
l'Article 3, Règle 2 2 ; et (3) si certaines mentions
figurant aux différents connaissements pou-
vaient exonérer la défenderesse, s'il était établi
que l'emballage défectueux dudit concentré de
jus de pomme, cargaison appartenant à un tiers
non appelé à l'action a été à l'origine des événe-
ments qui ont causé le dommage.
Au sujet de l'exception tirée des «périls de la
mer», le capitaine du navire, Yury Golovin,
natif de Tallin (U.R.S.S.), a déclaré qu'il s'agis-
sait là de sa première traversée de l'Atlantique
nord et qu'il avait dû naviguer par des vents de
force 10 pendant un temps beaucoup plus long
que prévu. Dans son rapport de mer rédigé le l et
janvier 1970 à Ponta Delgada, il a déclaré que le
navire n'avait rencontré que des vents de force
9 de Gibraltar aux Açores, soit la partie de la
traversée où les conditions atmosphériques ont
été les plus dures.
Le capitaine Robert Muir, employé par le
Bureau du gardien du port de Montréal, a
déclaré que les tempêtes rencontrées par le
navire en hiver étaient normales pour cette
saison. Vivian F. Phillips, inspecteur de navire
chevronné commis par la défenderesse, a
déclaré qu'un navire effectuant la traversée de
l'Atlantique nord à cette époque de l'année
devait s'attendre à rencontrer du gros temps et
des vents allant jusqu'à la force 12. Il a cepen-
dant concédé que le principal problème en l'es-
pèce avait été la durée de ce gros temps.
Le corps du navire n'a subi aucun dommage
du fait des vents et des tempêtes rencontrées au
cours de cette traversée de l'Atlantique nord.
Sur la base de cette indication et d'après
l'ensemble des témoignages qui m'ont été pré-
sentés en l'espèce, je conclus que la défende-
resse n'a pas réussi à démontrer que son navire
a été sujet aux périls de la mer lors de la
traversée de l'Atlantique nord à cette époque de
l'année et sur son parcours.
En ce qui concerne l'arrimage, le capitaine du
navire, le capitaine Golovin, a déclaré qu'avant
la réception de la cargaison, il pensait que le
concentré de jus de pomme serait contenu dans
des barils et non dans des sacs en plastique
emballé dans des cageots. Selon ce qu'il affirme,
une fois mis en présence de ceux-ci, il n'a pu
prendre l'avis de personne. Il a déclaré que, s'il
l'avait voulu, il aurait pu vérifier de l'extérieur
l'état des cageots mais qu'il ne l'a pas fait. Il a
refusé de prendre à bord un certain nombre de
cageots de concentré parce qu'ils manquaient de
solidité. A Gênes, il s'est rendu compte qu'un
certain nombre de sacs en plastique entreposés
sur le pont perdaient leur contenu.
En somme, il aurait très bien pu faire une
première inspection des cageots en bois et des
emballages plastiques contenant le concentré de
jus de pomme afin de prendre la décision qui lui
incombait, soit en l'occurrence celle d'accepter
ou non cette cargaison à bord de son navire.
(Cf. Brass c. Maitland 119 E.R. 940 à la p. 946;
Heath Steel Mines Ltd. c. The «Erwin Schroder»
[1970] C.L.R. (Ex.) 426 à la p. 486.)
L'inspecteur de navires, Vivian F. Phillips, a
déclaré qu'il y avait à l'origine 661 tonnes métri-
ques de concentré de jus de pomme, contenues
dans des sacs en plastique placés dans des
cageots en bois et que cette cargaison était alors
entreposée dans les entreponts 2, 3 et 4 ainsi
que dans le pont arrière; que, dans de nombreux
cas, les emballages plastiques ont été déchirés
ou crevés et que le concentré de jus de pomme
s'est écoulé, se répandant sur le reste de la
cargaison de l'entrepont et dans les cales du
bas; qu'un grand nombre de cageots avaient été
cassés ou tordus; que l'écrasement des cageots
et l'écoulement du concentré ont eu pour effet
de donner du mou dans l'arrimage ce qui a
permis un va-et-vient général de la cargaison
dans les entreponts. Il a déclaré que l'emballage
contenant le concentré de jus de pomme était
défectueux car les sacs en plastique n'étaient
pas de bonne fabrication, les bouchons lais-
saient à désirer et les cageots n'étaient pas assez
solides, trop peu rigides et peu résistants aux
poussées latérales. Il a ajouté qu'un grand
nombre d'emballages plastiques avait été perfo-
rés par des clous ou des éclats de bois. Il a
remarqué d'autre part que des cageots apparem-
ment en bon état chargés à Halifax par des
arrimeurs perdaient parfois leur fond.
Pour Jack A. Potter, inspecteur de navire
commis par les demanderesses, le concentré de
jus de pomme arrimé dans les entreponts des
cales 2, 3 et 4 constituait un véritable danger
pour la cargaison arrimée au-dessous s'il venait
à s'écouler et en conséquence il aurait dû être
entreposé dans un seul compartiment ou une
seule cale.
A mon avis, le capitaine n'aurait pas dû per-
mettre que le concentré de jus de pomme con-
tenu dans ces sacs en plastique emballés dans
des cageots en bois soit pris à bord du navire
pour une telle traversée de l'Atlantique nord à
cette époque de l'année. Le capitaine avait quel-
ques craintes concernant la prise en charge de
cette cargaison ainsi qu'il ressort de la partie de
son témoignage déjà mentionné mais il a préféré
prendre un risque en considérant que cette car-
gaison pourrait résister au vent et aux tempêtes
régnant sur l'Atlantique nord à cette époque de
l'année. En ce qui concerne ce deuxième point,
il n'avait aucune expérience personnelle de ce
qui l'attendait. Mais bien avant que son navire
n'atteigne les Açores, il savait parfaitement ce
qu'il pouvait attendre du vent et du mauvais
temps. Puisque le capitaine avait choisi de pren-
dre à bord du navire cette cargaison de concen-
tré de jus de pomme, conditionnée comme elle
l'était, il aurait dû prendre aussi d'autres mesu-
res telles que le renforcement ou le remplace-
ment de l'arrimage de la cargaison ou le regrou-
pement de celle-ci à certains endroits du navire,
en somme, agir avec davantage de précautions
afin d'éliminer le danger d'un déplacement de la
cargaison entraînant la rupture des cageots et
des sacs en plastique contenant le concentré de
jus de pomme puis l'écoulement de celui-ci sur
le reste de la cargaison.
Il ressort donc du dossier que l'on n'a pas
arrimé soigneusement et convenablement les
marchandises au sens de l'Article 3, Règle 2 des
Règles de La Haye.
La défenderesse prétend dégager sa responsa-
bilité en excipant des termes précis d'une clause
des connaissements sur laquelle elle fonde sa
défense en déclarant être exonérée de toute
responsabilité si la cause ou l'une des causes du
dommage survenu à la cargaison des demande-
resses réside dans l'emballage défectueux du
concentré de jus de pomme, cargaison apparte-
nant à un tiers. 3 Les passages qui nous intéres-
sent ici sont les suivants:
[TRADUCTION] Le transporteur ne sera pas responsable .. .
des sacs ou des balles éventrés, déchirés ou tâchés ainsi que
des conséquences qui peuvent en découler; des pertes ou
des dommages survenant à cause de défauts, de la fragilité
ou de l'insuffisance des emballages; des erreurs d'expédition
provenant de marques, de chiffres ou d'adresses erronés,
imprécis, illisibles ou défectueux, ou de toute autre perte ou
dommage attribué à l'une quelconque de ces causes.
En se fondant sur cette clause, la défende-
resse a prétendu qu'elle n'était pas liée par les
connaissements sans réserve délivrés aux
demanderesses pour leur cargaison respective'',
même si le capitaine aurait pu remarquer l'insuf-
fisance de l'emballage du concentré de jus de
pomme appartenant à un tiers (qui n'est pas
partie au procès) en faisant un examen rapide de
ces marchandises (ainsi que nous l'avons déjà
établi).
Si les Règles de La Haye s'appliquent en
l'espèce au connaissement des demanderesses,
toute clause visant à exonérer le transporteur
doit, conformément à l'Article 3, Règle 8 5 , être
conforme aux règles. Ce n'est pas le cas de la
clause figurant au connaissement des demande-
resses et citée ci-dessus en partie. En consé-
quence, ce moyen de défense ne peut exonérer
la défenderesse.
Il est donc donné gain de cause à chacune des
demanderesses contre la défenderesse et leurs
dommages, tels qu'indiqués précédemment, leur
seront remboursés ainsi qu'un intérêt de 5% à
compter du 29 janvier 1970. Les demanderesses
auront par ailleurs droit aux dépens mais il ne
leur sera alloué que les frais d'un avocat pour
elles trois.
Les Règles de La Haye
' 2. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables
pour perte ou dommage résultant ou provenant:
c) des périls, dangers et accidents de la mer ou d'autres
eaux navigables;
2 2. Le transporteur, sous réserve des dispositions de
l'article IV, procédera de façon appropriée et soigneuse au
chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport, à la
garde, aux soins et au déchargement des marchandises
transportées.
r ' La défenderesse a cité Carver, 12e éd. 82, 184 et 288;
Tetley: Marine Cargo Claims, chapitre XIX; Ministry of
Food c. Lamport & Holt Line Ltd. [1952] 2 Ll. L.R. 371;
Silver c. Ocean Steamship Co. [1930] 1 K.B. 416; Thrift c.
Youle (1877) 2 C.P.D. 432.
4 Cf. Les Règles de La Haye (Article IV, règle 2)
2. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsable
pour perte ou dommage résultant ou provenant:
n) d'une insuffisance d'emballage;
Les Règles de La Haye (Article III, règle 8)
8. Toute clause, convention ou accord dans un contrat de
transport exonérant le transporteur ou le navire de responsa-
bilité pour perte ou dommage concernant des marchandises
provenant de négligence, faute ou manquement aux devoirs
ou obligations édictées dans cet article ou atténuant cette
responsabilité autrement que ne le prescrivent les présentes
Règles, sera nulle, non avenue et sans effet.
Une clause cédant le bénéfice de l'assurance au transpor-
teur ou toute clause semblable sera considérée comme exo-
nérant le transporteur de sa responsabilité.
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